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Vers une thérapie sélective ?

La thérapie antiplaquettaire est en train de se modifier considérablement. Le paradigme ˝un seul régime pour tous les patients˝ (One size fits all) n’est certainement plus de mise. On peut envisager maintenant de moduler le traitement en fonction de plusieurs contraintes grâce à divers éléments.
 
  • Disponibilité de substances plus puissantes que le clopidogrel ; le prasugrel [1] ou le ticagrelor [7] peuvent surmonter la résistance à ce dernier. La recommandation actuelle est de réserver le clopidogrel à la coronaropathie stable et d’utiliser le ticagrelor (ou le prasugrel) comme premier choix en cas de SCA, de STEMI ou de pose de stents [3,8,13]. 
  • Adaptation des médicaments et des dosages selon les risques propres du patient.
  • Modulation de l’intensité thérapeutique en fonction de la phase aiguë ou chronique et en fonction du risque hémorragique.
  • Evaluation de la réponse individuelle aux agents antiplaquettaires et choix adapté de la thérapie médicamenteuse (prasugrel, ticagrelor, triple thérapie) ou interventionnelle (stents passifs, stents actifs, revascularisation chirurgicale) ; on peut ainsi éviter de proposer du clopidogrel ou des stents actifs, très dépendants à long terme des antiplaquettaires, à des patients qui y sont résistants. Ces options font sens dans les cas à risque coronarien élevé. 
  • Prise en charge selon un algorithme thérapeutique basé sur la réponse aux tests d’agrégabilité et sur le risque coronarien du patient : choix entre hautes doses de clopidogrel, prasugrel, ticagrelor, ou revascularisation chirurgicale ; cette manière de procéder peut être utile dans les cas à haut risque (diabète, sténose proximale, maladie instable, etc) mais ne s’est pas imposée jusqu’ici [12].
Plusieurs études ont tenté de démontrer la faisabilité d’une thérapeutique adaptée à la réponse du patient. Malheureusement, les résultats n’ont pas répondu aux attentes.
 
  • Bien que les patients qui présentent une forte inhibition plaquettaire (< 208 RU) 12 et 24 heures après la dose de charge de clopidogrel aient un taux de thromboses de stent, d'infarctus et de mortalité significativement plus bas à 6 mois (HR 0.54) que ceux qui ont une faible inhibition, l’augmentation des doses de clopidogrel (150 mg/j) ne permet pas de réduire le taux d’infarctus, de thrombose de stent ou de mortalité à 6 mois chez les hyporépondeurs (HR 1.01), même si le double dosage se traduit pas une baisse de l’activité plaquettaire au test VerifyNow™ (étude GRAVITAS) [10,11].
  • L’ajustement des doses de clopidogrel en fonction d’un test de réactivité plaquettaire sous aspirine et clopidogrel, ou le passage au prasugrel en cas de non-réponse, ne modifient pas le taux de mortalité, d’infarctus, de thrombose de stent ni d’AVC par rapport à une prise en charge traditionnelle sans test et sans adaptation (HR 1.06) ; le risque hémorragique est identique (étude ARCTIC) [6].
  • Après SCA chez des personnes âgées, ce qui est situation à haut risque, la modification des doses de prasugrel ou le passage au clopidogrel en fonction du degré d'agrégabilité plaquettaire n'améliore pas le pronostic par rapport au groupe contrôle (étude ANTARCTIC) [5].
  • Une méta-analyse des études évaluant l’effet d’une intensification du traitement antiplaquettaire basé sur des tests d’agrégabilité révèle que ce sont les malades à haut risque de thrombose de stent qui en bénéficie le plus, ce qui tend à démontrer que le status du malade a autant de poids que le résultat des examens dans le pronostic coronarien [2].
  • Le lien entre une faible réactivité plaquettaire résiduelle in vitro sous inhibiteurs du récepteur ADP et le risque hémorragique subséquent n’est pas entièrement établi [3]; il est peut-être dépendant de la substance utilisée [9].
La corrélation entre le test d’agrégation, l’intensité du traitement et le devenir clinique est certainement complexe. Pour l’instant, il semble clair que ni les tests d’agrégabilité ni le génotypage ne décrivent suffisamment bien le profil de risque d’un individu sous antiplaquettaire pour avoir un impact clinique important sur le devenir des malades. 
 
Par ailleurs, ces tests posent un problème stratégique majeur ; en effet, la réactivité thrombocytaire résiduelle sous traitement est un meilleur critère pronostique que le typage génétique ou que l’évaluation in vitro de la sensibilité du patient au médicament [4]. De ce fait, la réponse ne peut être obtenue qu’après la dose de charge (1 heure ou > 4 heures selon la substance). Dans les cas aigus, ceci implique de choisir l’antiplaquettaire et le dosage avant de connaître l’anatomie coronarienne et la thérapeutique idéale pour le patient. Actuellement, la tendance est de choisir le ticagrelor comme agent de première intention dans tous les cas aigus plutôt que rechercher le profil de réponse du malade [8,13]. Cette position est renforcée par l'arrivée sur le marché du cangrelor, dont la puissance et la rapidité d'action permettent une profonde inhibition plaquettaire pendant l'angioplastie sans incidence sur le choix thérapeutique à long terme.
 

 
Sélection en fonction des tests d’agrégabilité plaquettaire
Alliés au choix entre plusieurs nouveaux médicaments, les tests d’agrégabilité plaquettaire résiduelle sous inhibiteurs du récepteur ADP offrent une certaine possibilité de moduler le traitement antiplaquettaire en fonction des caractéristiques de chaque patient. Leur impact est plus marqué chez les malades à haut risque de thrombose coronarienne et dans la période précoce après SCA ou pose de stents. Toutefois, la corrélation entre les résultats d’un test d’agrégation, l’intensité du traitement antiplaquettaire et le devenir clinique du patient est complexe et multifactorielle. Pour l’instant, aucun des tests disponibles n’a de bonne valeur prédictive positive, ni pour les complications cardiovasculaires ni pour le risque hémorragique ; aucun ne peut servir de seul critère de sélection de l’agent antiplaquettaire ou de son dosage, car les résultats doivent être interprétés dans le contexte ethnique, clinique et angiographique. Les test d’agrégométrie possèdent une certaine valeur discriminative chez les patients qui sont de très faibles ou de très forts répondeurs aux anti-plaquettaires (respectivement à haut risque thrombotique ou à haut risque hémorragique), mais ils n’en ont pas dans la plage de réactivité intermédiaire où se trouvent à la fois la majorité des malades et la fenêtre thérapeutique optimale. 


© CHASSOT PG, DELABAYS A, SPAHN D  Mars 2010, dernière mise à jour Août 2018
 
 
Références 
 
  1. ALEXOPOULOS D, DIMITROPOULOS G, DAVLOUROS P, et al. Prasugrel overcomes high on-clopidogrel platelet reactivity post-stenting more effectively than high-dose (150 mg) clopidogrel. JACC Cardiovasc Interv 2011 ; 4 :403-10
  2. ARADI D, KOMOCSI A, PRICE MJ, et al. Efficacy and safety of intensified antiplatelet therapy on the basis of platelet reactivity testing in patients after percutaneous coronary intervention: systemtic review and meta-analysis. Int J Cardiol 2013; 167:2140-8U
  3. ARADI D, STOREY RF, KOMOCSI A, et al. Expert position paper on the role of platelet function testing in patients undergoing percutaneous coronary intervention. Eur Heart J 2014; 35:209-15
  4. BONNELLO L, TANTRY US, MARCUCCI R, et al. Consensus and future directions on the definition of high on-treatment platelet reactivity to adenosine diphosphate. J Am Coll Cardiol 2010; 56:919-33
  5. CAYLA G, CUISSET T, SILVAIN J, et al. Platelet function monitoring to adjust antiplatelet therapy in elderly patients stented for an acute coronary syndrome (ANTARCTIC): an open-labeel, blinded-endpoint, randomized controlled superiority trial. Lancet 2016; 388:2015-22
  6. COLLET JP, CUISSET T, RANGE G, et al for the ARCTIC investigators. Bedside monitoring to adjust antiplatelet therapy for coronary stenting. N Engl J Med 2012; 367:2100-9
  7. GURBEL PA, BLIDEN KP, BUTLER K, et al. Response to ticagrelor in clopidogrel nonresponders and responders and effect of switching therapies. The RESPOND study. Circulation 2010; 121:1188-99
  8. HAMM CW, BASSAND JP, AGEWALL S, et al. ESC Guidelines for the management of acute coronary syndromes in patients presenting without persistent ST-segment elevation. Eur Heart J 2011; 32:2999-3054
  9. MALM CJ, HANSSON EC, AKESSON J, et al. Preoperative platelet function predicts perioperative bleeding complications in ticagrelor-treated cardiac surgery patients: a prospective observational study. Br J Anaesth 2016; 117:309-15
  10. PRICE MJ, ANGIOLILLO DJ, TEIRSTEIN PS, et al. Platelet reactivity and cardiovascular outcomes after percutaneous coronary intervention (GRAVITAS trial). Circulation 2011; 124:1132-7
  11. PRICE MJ, BERGER PB, TEIRSTEIN PS, et al. Standard- vs high-dose clopidogrel based on platelet function testing after percutaneous coronary intervention. The GRAVITAS randomized trial. JAMA 2011; 305:1097-105
  12. SHARMA RK, VOELKER DJ, SHARMA R, et al. Evolving role of platelet function testing in coronary artery interventions. Vasc Health Risk Manag 2012; 8:65-75
  13. STEG PG, JAMES SK, ATAR D, et al. ESC Guidelines for the management of acute myocardial infarction in patients presenting with ST-segment elevation. Eur Heart J 2012; 33:2569-619