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Rupture papillaire et insuffisance mitrale aiguë

Le muscle papillaire antérolatéral est vascularisé par l'artère interventriculaire antérieure (IVA) et par la circonflexe (CX), alors le muscle papillaire postéromédial n'est alimenté que par l'interventriculaire postérieure (IVP), en provenance de la coronaire dominante, en général l'artère coronaire droite. La rupture papillaire antérieure sur un infarctus antérolatéral est donc 5 à 10 fois plus rare que celle du muscle postéro-médial sur un infarctus inférieur [1]. La nécrose ou la rupture ischémique de la coiffe du muscle papillaire provoque une régurgitation valvulaire massive (degré IV) car les bords libres des feuillets  mitraux ne sont plus retenus; ils ne peuvent plus coapter et se projettent dans l'OG en systole. La quantité de muscle nécrosé est faible, même si la majeure partie du muscle papillaire est déchiré. L'étendue de la lésion ischémique est souvent modeste, contrairement à ce qui se passe lors de CIV ou de rupture de paroi [6]. Si le malade survit à l'épisode initial, le pronostic est donc meilleur.
 
Les manifestations cliniques sont une insuffisance congestive gauche et un souffle holosystolique d'apparition brusque et d'intensité variable. L'élévation des pressions de l'OG provoque une stase pulmonaire et un OAP, souvent distribué aux lobes supérieurs, et dans 10% des cas au seul lobe supérieur droit, en raison de la direction préférentielle du jet de la régurgitation vers les veines pulmonaires supérieures [7]. Comme elle n'est pas dilatée par une régurgitation chronique, l'OG est de taille normale et n'est pas compliante. Le reflux systolique se traduit donc par une onde "v" gigantesque sur la courbe de PAPO; cette valeur de pression n'est pas en relation avec la quantité de sang régurgité mais avec la faible compliance auriculaire [3]. 
 
Echocardiographie
 
L'échocardiographie est absolument centrale dans le diagnostic de l’insuffisance mitrale (IM). Elle est pathognomonique (Figure 17.13): 
 
  • Bascule dans l'OG d'un ou des feuillets mitraux en systole ("flail leaflet");
  • Morceau de muscle papillaire vacillant au bout d’un cordage;
  • Restriction des feuillets maintenus en dessous du plan de coaptation en systole;
  • Jet de régurgitation massive au Doppler couleur;
  • Reflux systolique dans les veines pulmonaires. 
 

Figure 17.13 : Rupture de pilier sur ischémie myocardique. A : rupture totale du pilier antérieur. La nécrose pariétale détache le pilier qui flotte au bout des cordages (flèche) et fait des allers-retours entre l'oreillette et le ventricule gauche. La commissure antérieure est totalement éversée. Cette rupture totale d'un pilier est en général fatale. B : rupture partielle du pilier postérieur provoquant une bascule de la commissure postérieure (flèche) dans l’OG en systole. C: jet couleur de régurgitation mitrale centrale au Doppler couleur; dans le contaxte de l'IM aiguë, il est lié à la dilatation et à l'hypokinésie globale du VG. D: jet de régurgitation mitrale excentrique dû au basculement d'une commissure par lésion ischémique localisée sur la paroi ventriculaire ou sur un pilier. IM: insuffisance mitrale. VAo: valve aortique.
 
L’IM ischémique peut également être liée à l’akinésie ou à la dyskinésie d’une paroi, car celle-ci exerce une traction sur les cordages qui empêche les feuillets mitraux de rejoindre leur point de coaptation en systole et les maintient en dessous du plan de l’anneau mitral. Cette retenue au déplacement systolique des feuillets est la cause d’une IM restrictive, dont l’importance est définie par la surface contenue entre les feuillets et le plan de l’anneau mitral (tenting area) (Figure 17.14). La fraction d'éjection du VG est normale ou supranormale, parce que l'infarctus est de petite dimension et que le ventricule travaille à postcharge basse. L'hypertension veineuse pulmonaire conduit à une hypertension artérielle pulmonaire et secondairement à une décompensation droite. 
 

Figure 17.14 : Insuffisance mitrale (IM) restrictive d’origine ischémique. A : vue 4-cavités d’une IM d’importance II/IV chez un patient souffrant d’ischémie coronarienne et d’une dilatation importante du VG (FE 0.25). En systole, les feuillets sont retenus en dessous du plan de coaptation par la dilatation du ventricule, ce qui empêche la valve d’être étanche. B : l’importance de l’IM est définie par le diamètre du jet à son origine (vena contracta) et par la surface de l’orifice de régurgitation (SOR, en vert). La distance entre le point de coaptation et le plan de l’anneau mitral (double flèche bleue) est la tenting distance ; la surface triangulaire comprise entre les feuillets et le plan de l’anneau est la tenting area ; leurs dimensions permettent de quantifier le degré de déformation de la valve. Lorsqu’il se dilate, le VG devient plus sphérique et la restriction aux mouvements de la mitrale augmente, donc l’IM s’aggrave.
 
L’IM ischémique peut donc avoir plusieurs origines (Figure 17.15 et Vidéos) [2,4].
 
  • Akinésie de la paroi où s’insèrent un muscle papillaire ; ne se contractant pas en systole, cette paroi tire sur les cordages correspondants et maintient un feuillet sur le versant ventriculaire ; ce mécanisme occasionne une IM plus ou peu excentrique par restriction d’un feuillet.
  • Ischémie d’un muscle papillaire (MP) ; un muscle non-contractile tend à s’allonger en systole ; l’ischémie d’un MP occasionne le basculement d’une commissure mitrale dans l’OG et une fuite mitrale excentrique.
  • Rupture partielle ou complète d’un muscle papillaire ; la commissure mitrale correspondante bascule dans l’OG ; un morceau de muscle papillaire oscille librement dans le ventricule ou entre le VG et l’OG au cours du cycle cardiaque. 
  • Dilatation de l’anneau mitral ; lors de dilatation du VG ou d’infarctus basal, l’anneau mitral s’agrandit ; les feuillets sont normaux mais ne peuvent pas se rejoindre en systole ; l’IM est proportionnelle au degré de dysfonction ventriculaire et à celui de la postcharge.
  • Dilatation globale du VG empêchant les feuillets de rejoindre leur point de coaptation en systole.


Figure 17.15 : Mécanismes de l’insuffisance mitrale (IM) ischémique. A : rupture de pilier. La bascule d’un feuillet ou d’une commissure peut aussi être dû à une rupture partielle ou à une ischémie du pilier. Le jet de l’IM est dirigé vers le feuillet sain. B : akinésie d’une paroi ventriculaire entraînant le maintien d’un feuillet en dessous du plan de coaptation mitral en systole (IM restrictive). Le pilier est déplacé vers l’apex et vers l’extérieur. Le jet de l’IM est dirigé vers le feuillet restrictif. C : IM restrictive ; la traction exercée sur les deux feuillets mitraux en systole par la paroi akinétique ou dyskinétique les maintient en dessous du plan de coaptation normal ; de plus, elle coude le feuillet dans l’axe opposé au pilier déplacé. L’angle entre le feuillet antérieur (FA) et le plan de l’anneau définit le degré de restriction de ce feuillet. En pointillé : position normale des feuillets en systole. D : dilatation de l’anneau mitral provoqué par une ischémie postéro-basale ; les feuillets sont normaux mais sont excessivement écartés. E : IM restrictive secondaire à une dilatation globale du VG (cardiomyopathie ischémique diffuse) ; les deux feuillets sont maintenus symétriquement à l’intérieur du ventricule en systole. Le jet de l’IM est médian et symétrique. 


Vidéo: Insuffisance mitrale majeure sur akinésie antérieure en vue mi-oesophagienne 2-cavités 90°.


Vidéo: Insuffisance mitrale excentrique majeure sur prolapsus de la commissure antérieure de la valve due à une ischémie papillaire.; le jet de l'IM est dirigé vers la paroi postéro-latérale de l'OG.


Vidéo: rupture totale du muscle papillaire antérieur; un fragment de ce dernier fait des va-et-vient entre le VG et l'OG.


Vidéo: insuffisance mitrale massive sur rupture totale du muscle papillaire antérieur.


Vidéo: Insuffisance mitrale restrictive modérée avec un jet central, liée à la dilatation du VG; le point de coaptation des feuillets est situé en-dessous du plan de l'anneau mitral.
 
Dans tous ces cas d’IM d’origine ischémique, les feuillets de la valve sont normaux ; la pathologie est située dans le ventricule sous.jacent. Dans les IM aiguës, l’OG est en général normale et peu compliante ; de ce fait, le reflux systolique dans les veines pulmonaires est important et bien visible au Doppler pulsé (voir Figure 26.35). 
 
Hémodynamique
 
L'intensité de la régurgitation diminue si la postcharge systémique baisse, si la précharge auriculaire gauche augmente, et si la pression alvéolaire pulmonaire s'élève (ventilation en pression positive). L'hypocapnie et l'alcalose sont bénéfiques à l'abaissement de la postcharge du VD. L’hémodynamique recherchée vise donc (voir Chapitre 11 Insuffisance mitrale) : 
 
  • Vasodilatation artérielle systémique: nitroprussiate, clevidipine;
  • Soutien inotrope: catécholamines β, milrinone;
  • Contre-pulsion intra-aortique (particulièrement efficace pour réduire l’IM);
  • Ventilation en pression positive et PEEP;
  • Adaptation de la précharge: risque d'OAP et de dilatation ventriculaire en cas d’hypervolémie.
Des trois lésions dues à une nécrose musculaire, l’IM est celle qui a le meilleur pronostic si elle est opérée immédiatement (survie à long terme > 80%) [5]. Après la sortie de CEC, le VG se retrouve face aux résistances systémiques, sans le soulagement de postcharge qu'était la régurgitation mitrale. Il doit donc être soutenu par des catécholamines béta, des inodilatateurs (milrinone, levosimendan), des vasodilatateurs artériels, et/ou une contre-pulsion intra-aortique. 
 
Les indications à la réparation chirurgicale de l’IM ischémique (plastie, mise en place d’un anneau, remplacement par une prothèse) peuvent être résumées comme suit.
 
  • IM massive entraînant un OAP et une dilatation du VG;
  • Rupture papillaire;
  • IM majeure si la revascularisation chirurgicale est indiquée (opérations simultanées);
  • Anatomie et mécanisme se prétant à une réparation chirurgicale;
  • Mécanisme bien clarifié par l’échocardiographie. 
Le remplacement valvulaire (RVM) est en général préférable à la plastie dans un contexte d'urgence, même si la mortalité opératoire voisine 20% lorsque la lésion s'accompagne de choc cardiogène [5,8].

 
 
Insuffisance mitrale aiguë et infarctus
L’insuffisance mitrale (IM) ischémique peut avoir plusieurs mécanismes
    - Rupture partielle ou totale d’un muscle papillaire
    - Ischémie d’un muscle papillaire
    - Akinésie ou dyskinésie de paroi
    - Dilatation du VG et de l’anneau mitral
    
Hémodynamique à rechercher en cas d’IM sévère
    - Vasodilatation systémique
    - Normovolémie
    - Stimulation inotrope sans effet alpha (catécholamine béta, inodilatateur)     
    - Contre-pulsion intra-aortique
    - Vasodilatation pulmonaire selon RAP
    - IPPV avec PEEP
    - Plein – tonique - ouvert


©  BETTEX D, CHASSOT PG, Janvier 2008, Dernière mise à jour, Avril 2018
 
 
Références
 
  1. DISUMMA M, ACTIS DATO GM, CENTOFANTI P, et al. Ventricular septal rupture after a myocardial infarction: clinical features and long term survival. J Cardiovasc Surg 1997; 38:589-96
  2. FISCHER GW, ANYANWU AC, ADAMS DH. Intraoperative classification of mitral valve dysfunction: The role of the anesthesiologist in mitral valve reconstruction. J Cardiothorac Vasc Anesth 2009; 23:531-43
  3. FUCHS RM, HEUSER RR, YIN FCP, et al. Limitations of pulmonary wedge V waves in diagnosing mitral regurgitation. Am J Cardiol 1982; 49:849
  4. MAGNE J, SENECHAL M, DUMESNIL JG, PIBAROT P. Ischemic mitral regurgitation: A complex multifaceted disease. Cardiology 2009; 112:244-59
  5. O'GARA PT, KUSHNER FG, ASCHEIM DD, et al. 2013 ACCF/AHA Guideline for the management of ST-elevation myocardial infarction. Circulation 2013; 127:e362-425
  6. PASTERNAK RC, BRAUNWALD E, SOBEL BE. Acute myocardial infarction. In: BRAUNWALD E. Heart disease. A textbook of cardiovascular medicine. Saunders Co, Philadelphia, 1992, 1200-1291
  7. SCHNYDER PA, SARRAJ AM, DUVOISIN BE, et al. Pulmonary edema associated wuth mitral regurgitation: prevalence of predominant involvement of the right upper lobe. Am J Roentgenol 1993; 161:33-41
  8. STEG G, JAMES SK, ATAR D, et al. ESC Guidelines for the management of acute myocardial infarction in patients presenting with ST-segment elevation. Eur Heart J 2012; 33:2569-619