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Les leçons de l'histoire

Ce rapide tour d'horizon de la chirurgie et de l'anesthésie cardiaques nous montre à quel point sont difficiles les premiers pas de toute technique nouvelle. Les précurseurs ont besoin de beaucoup de ténacité et d'indépendance d'esprit pour persévérer dans la mise au point de thérapeutiques considérées comme audacieuses, voire téméraires, tant qu'elles ne sont pas acceptées par l'establishment médical. Ce dernier ne se prive d'ailleurs pas d'avoir des jugements péremptoires sur des événements dont il ne mesure pas la portée. Lorsqu'une nouveauté apparaît, il est presque impossible de savoir si elle a de l'avenir ou si elle est un futur cul-de-sac. Le fait que les premiers essais soient des échecs ne prouve rien. L'avenir est donc trop hasardeux à prédire pour que l'on s'y risque ici. 
 
On voit aussi à quel point l'esprit humain est curieux. Comme les rats placés dans un territoire inconnu sont poussés à explorer leur environnement, les hommes font preuve d’un état d'insatisfaction permanent qui les incite à essayer et à découvrir sans cesse des nouveautés. S'il y a toujours une part de hasard dans les découvertes, il y a aussi une immense énergie et une incroyable ténacité dépensées à créer les conditions dans lesquelles le succès devient probable. Ainsi, il n'est pas rare que des découvertes aient lieu simultanément dans deux centres indépendants, parce qu'il s'y est instauré un climat d'émulation qui favorise la chance. Malgré un énorme investissement préalable dans la recherche expérimentale, le drame est qu'en médecine ce sont souvent des malades qui paient le prix de la nouveauté. Si les premiers chirurgiens cardiaques nous paraissent bien courageux, que dire de leurs patients, qui eux y risquaient leur vie ! 
 
L'histoire nous révèle aussi que toute nouveauté passe par trois phases dès qu'elle s'installe dans la pratique clinique [2]. Que ce soit un médicament ou une technique, cela commence par une phase d'enthousiasme; les publications en énumèrent les avantages et les indications s'élargissent sans discrimination. Au point de tomber dans le piège des indications inutiles: lorsque leur gain est nul, les malades n'en ont que les effets secondaires. Vient alors une phase critique: de nombreux travaux mettent en évidence un manque d'impact sur le devenir des patients, voir une dangereuse augmentation de morbi-mortalité. Il faut en général plusieurs années pour atteindre la troisième phase, qui est une phase d'équilibre où les connaissances sont suffisantes pour définir correctement les indications. Du cathéter de Swan-Ganz aux béta-bloqueurs, on a vécu d'innombrables exemples de cette évolution ces trente dernières années. Il faut donc conserver un œil critique et savoir raison garder avant d'émettre un jugement sur la portée d'un produit, et tenter de distinguer dans quelle phase il se trouve avant de chanter ses louanges ou de le clouer au pilori.
 
L'anesthésie cardiaque est un domaine privilégié pour le travail d'équipe. Comme le déclarait RC. Brock en 1949: "It is a type of surgery that is not for the lone operator. Teamwork is of course essential in the operating theater, where the anaesthetist plays a part of fundamental importance which deserves a special tribute" [1]. Le partage des connaissances et des capacités au sein du team fait surgir des performances supérieures à la sommes des possibilités individuelles, comme les propriétés émergentes dans les systèmes physiques. complexes. De ce point de vue, l'ETO s'est révélée être l'instrument multidisciplinaire par excellence. De plus, l'anesthésiste cardiovasculaire occupe une place privilégiée: non seulement il fait partie d'une équipe de salle d'opération, mais il est au centre de l’équation entre le bloc opératoire, la cardiologie et les soins intensifs [3]. Grâce à ses connaissances en échocardiographie, en réanimation cardiologique et en médecine intensive, il passe peu à peu d'un stade de simple pourvoyeur de sommeil à celui d'interniste-consultant en salle d'opération. Il jouit également d'une bonne maîtrise du suivi périopératoire, depuis la préparation médicale préopératoire jusqu'à la gestion des évènements postopératoires qui sont conditionnés par les circonstances rencontrées en salle. Il devient ainsi un praticien en médecine périopératoire [4].
 
Enfin, l'histoire nous démontre qu'aucune idée n'est jamais définitivement acquise; toute opinion peut être remise en question par une nouvelle théorie, toute certitude peut être démentie par de nouveaux faits. Ceci va nous amener à quelques réflexions sur l'évolution des connaissances.
 

© CHASSOT PG  Avril 2007 Mise à jour Janvier 2012, Juillet 2017
 

Références
 
  1.  BROCK RC. The surgery of pulmonic stenosis: The Alexander-Simpson-Smith Lecture. BMJ 1949; 2:399
  2. GIDWANI UK, GOEL S. The pulmonary artery catheter in 2015: the Swan and the Phoenix. Cardiol Rev 2016; 24:1-13
  3. MORDECAI MM, MURRAY MJ. The value of teamwork. J Cardiothorac Vasc Anesth 2006; 20:1-2
  4. SHEAR TD, GREENBERG S. Pro: cardiac anesthesiologists should provide critical care consultation in the operating room. J Cardiothorac Vasc Anesth 2014; 28:1154-8