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Impact du contrôle peropératoire de la glycémie 

Depuis quelques années, le poids de l’évidence incline vers un contrôle strict de la glycémie chez les diabétiques comme chez les non-diabétiques. Même si les preuves du bienfait de cette attitude sont encore partielles en peropératoire, de nombreuses études contrôlées et randomisées démontrent une baisse de morbidité et de mortalité en soins intensifs.
 
  • L’étude de Louvain portant sur 1'548 patients de soins intensifs, dont 60% de cas après chirurgie cardiaque, a été la première à démontrer que le contrôle strict de la glycémie (4.4 – 6.1 mmol/L) diminuait la mortalité de 20% à 11% par rapport au groupe contrôle dans lequel l’insuline n’était administrée qu’au dessus de 11.1 mmol/L de glycémie [30]. Cette étude démontrait une relation linéaire entre la glycémie et les complications chez les patients qui passent plus de 5 jours en soins intensifs. Le bénéfice se rencontrait aussi bien chez les patients diabétiques que chez les non-diabétiques.
  • Répétée avec les mêmes cibles sur 1'200 patients de soins intensifs médicaux et non mixtes, l’étude a de nouveau démontré une baisse de morbidité (insuffisance rénale, durée de ventilation) mais non plus de mortalité [31]. Une des raisons en est probablement la survenue d’hypoglycémies (18%). Les résultats sont identiques chez les diabétiques et chez les non-diabétiques.
  • Après infarctus chez le diabétique, la mortalité à 1 an est abaissée de 28% lorsque la glycémie est correctement contrôlée par insulinothérapie pendant l’événement aigu [27]. Ici aussi, il existe une relation linéaire entre la valeur de la glycémie au moment du syndrome coronarien aigu et la mortalité. 
  • Alors qu’elle n’a aucune influence dans l’accident cérébral hémorragique aigu, l’hyperglycémie (> 8 mmol/L) augmente de trois fois (RR 3.28) la mortalité à 30 jours dans l’infarcissement ischémique [2]. Le cerveau dépendant étroitement d’un apport glucidique constant, toute neuroglucopénie est associée à une aggravation des lésions cérébrales. La cible recommandée en neuroréanimation est 6-8 mmol/L.
  • Le degré de variabilité de la glycémie est encore plus important que sa valeur absolue. La mortalité est 3 à 5 fois plus élevée lorsque la variation des glycémies horaires est > 5 mmol/L [14].
Il semble donc que le contrôle agressif de la glycémie (5-6 mmol/L) en soins intensifs soit bénéfique surtout pour les patients de chirurgie cardiaque. Dans les autres cas, les meilleurs résultats sont obtenus avec des glycémies maintenues entre 6 et 8 mmol/L [7]. Les études réalisées en peropératoire, essentiellement en chirurgie cardiaque, tendent vers un contrôle plus flexible, parce que la stimulation sympathique est très fluctuante en cours d’intervention et parce que la crainte d’une hypoglycémie est toujours présente chez les patients endormis. Mais les données confirment la nécessité d’une gestion adéquate de la glycémie, que les patients soient diabétiques ou non.
 
  • Le risque de complications cardiaques après CEC augmente de 17% pour chaque unité au dessus de 6.1 mmol/L de glycémie dans une série de patients diabétiques [21].
  • Le risque de complication cardiaque est sept fois plus important (adjusted odds ratio 7.2) chez les patients dont le contrôle peropératoire de la glycémie est inadéquat (glycémie > 11 mmol/L) [23].
  • Chez les patients diabétiques comme chez les non-diabétiques, des glycémies persistant à > 14 mmol/L (250 mg/dL) quadruplent la mortalité (OR 3.9), triplent l’incidence d’infarctus (OR 2.7) et doublent les complications pulmonaires et rénales (OR 2.3) par rapport au maintien de la glycémie < 11 mmol/L (200 mg/dL) [1].
  • La mortalité de 3'554 patients diabétiques subissant des PAC est directement proportionnelle à la glycémie des 48 heures périopératoires [11].
  • Le contrôle de la glycémie diminue le besoin en agents inotropes, la durée de ventilation postopératoire, la mortalité, les récidives ischémiques et le risque de FA et d’infection sternale [17]. Il réduit la mortalité (OR 0.24) chez les malades à haut risque, mais non dans les cas simples (EuroSCORE < 4) [5]. 
  • Une administration préemptive d’insuline (0.005 UI/kg/min) commencée au début de l’intervention et une perfusion de glucose à vitesse variable constamment adaptée à la glycémie permettent un contrôle adéquat de la glycémie entre 4 et 6 mmol/L pendant des interventions en CEC chez les diabétique aussi bien que chez les non-diabétiques [3].
  • Par rapport aux injections intermittentes, la perfusion continue d’insuline pour maintenir la glycémie entre 5.5 et 8.5 mmol/L diminue de 3 fois l’incidence d’infarctus, d’insuffisance cardiaque et de mortalité en chirurgie vasculaire majeure (risque relatif : 0.29), mais le taux d’hypoglycémie est plus élevé (8.8% versus 4.1%) [26].
  • Une étude observationnelle penche pour un bénéfice maximal lorsque la glycémie peropératoire est de 8-10 mmol/L [10]. 
  • Un contrôle insuffisant de la glycémie au cours de l'intervention augmente significativement les risques infectieux postopératoires (OR 2.0 à 5.1), alors qu'un contrôle efficace les diminue [12,16,32]; ceci s'avère vrai y compris chez les non-diabétiques [16]. L'effet immunodépresseur de l'hyperglycémie se manifeste dès 10 mmol/L.
  • Si elle n'est pas traitée, l'hyperglycémie transitoire de stress (glycémie > 12 mmol/L) péjore 3 à 6 fois plus la mortalité lorsqu'elle survient chez un non-diabétique que chez un diabétique [29]. Il est donc capital de contrôler avec une insuline rapide toute déviation majeure de la glycémie, quel que soit le contexte.
Plusieurs études randomisées récentes ont montré qu’un contrôle trop serré de la glycémie (4.5-5.6 mmol/L) aboutissait à davantage d’épisodes d’hypoglycémie et à un taux d’ictus plus élevé qu’un contrôle standard (6-10 mmol/L) [8,13]; même la mortalité peut doubler [13]. 
 
  • L’hypoglycémie (< 4 mmol/L) survient entre 5 et 10% des cas. Elle est liée à la variabilité du stress et de la réponse à l’insuline, et présente un réel danger chez les malades endormis [4]. Elle est probablement en rapport avec l’incidence plus élevée d’AVC rencontrée dans certains groupes au bénéfice d'un contrôle strict de la glycémie (4 à 6 mmol/L) [19].  
  • Dans une étude de soins intensifs portant sur 6'026 patients et comparant un contrôle strict de la glycémie à un régime standard, 82% des malades ayant subi une hypoglycémie modérée (2.3-3.9 mmol/L) et 93% de ceux avec une hypoglycémie sévère (≤ 2.2 mmol/L) sont dans le groupe à contrôle strict. Leur mortalité est respectivement 1.4 et 2.1 fois plus élevée que dans le groupe standard [9].
Sous anesthésie générale, l’hypoglycémie est clairement un danger plus grave que l’hyperglycémie, car elle passe inaperçue entre deux échantillonnages de sang. Seules des glycémies fréquentes (toutes les 30-60 minutes) permettent de s’en prémunir. Basées sur l’expérience de ces dix dernières années, les recommandations actuelles pour la chirurgie cardiaque sont donc les suivantes [18,22].
 
  • Les patients diabétiques doivent bénéficier d’une perfusion continue d’insuline pour maintenir leur glycémie en permanence < 10 mmol/L.
  • Chez les patients non-diabétiques, on peut tolérer une glycémie jusqu’à 12 mmol/L (215 mg/dL) ; un traitement par insuline ne devient nécessaire que lorsque la glycémie se maintient en peropératoire > 12 mmol/L.
  • En salle d’opération, une glycémie maintenue entre 6.0 et 10 mmol/L (110-180 mg/dL) est probablement la plus sûre.
  • En soins intensifs, la glycémie recherchée est < 8.5 mmol/L (150 mg/dL).  
  • Un contrôle strict de la glycémie (5-6 mmol/L, 90-110 mg/dL) n’est pas bénéfique en peropératoire car il fait courir davantage de risque d’hypoglycémie.
  • Un malade incapable de signaler son malaise courre un risque élevé d'hypoglycémie dangereuse dès que sa glycémie voisine 4 mmol/L [6,20]. Chez un patient endormi, toute administration d’insuline s’accompagne donc systématiquement d’une administration simultanée de glucose. 
On peut aussi se demander si l’insuline à hautes doses n’est pas bénéfique en elle-même, indépendamment du contrôle de la glycémie ; elle présente des effets cardioprotecteurs sans administration concommittante de sucre au moment de la reperfusion après ischémie myocardique [15]. En effet, elle exerce des effets vasodilatateurs, anti-inflammatoires, anti-oxydants, antiplaquettaires et fibrinolytiques, notamment par la médiation du système L-arginine-monoxyde d’azote [25]. Un défaut génétique et/ou acquis de la synthèse du NO pourrait représenter le défaut commun reliant la résistance à l’insuline, l’hyperactivité sympathique et les maladies cardio-vasculaires [24]. Un défaut de production endothéliale de NO induit une résistance à l’insuline, une hypertension artérielle et un syndrome métabolique, mais une hyperproduction de NO induit également une résistance à l’insuline [28].
 
 
 
Contrôle de la glycémie
La morbidité (infection de plaie, sepsis, insuffisance rénale) et la mortalité augmentent significativement en cas d’hyperglycémie peropératoire > 10 mmol/L.
 
Il est recommandé de maintenir la glycémie peropératoire entre 6.0 et 10 mmol/L chez les diabétiques, et < 12 mmol/L chez les non-diabétiques, au besoin avec une perfusion d'insuline/ glucose. Un contrôle plus serré (5-7 mmol/L) n'améliore pas le pronostic mais fait courir un risque accru d'hypoglycémie. Chez un malade inconscient, le risque d’hypoglycémie est plus dangereux que celui d’hyperglycémie tant que la valeur ne dépasse pas 10 mmol/L.
En soins intensifs, le maintien de la glycémie est plus rigoureux: < 8 mmol/L.
 
Chez un patient endormi, toute administration d’insuline s’accompagne d’une perfusion de glucose.


© CHASSOT PG, Septembre 2007, dernière mise à jour, Décembre 2018
 
 
Références
 
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