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Monitorage neurologique 

Les complications neurologiques après chirurgie cardiovasculaire sont de deux types [5,14,21] : 
 
  • Le type I comprend les lésions focales (AVC, AIT) et l’encéphalopathie anoxique (coma);
  • Le type II consiste en séquelles neuropsychologiques diffuses (détérioration des fonctions intellectuelles, troubles de la mémoire, délire, convulsions) sans signe de focalisation. 
L'incidence des lésions neurologiques de type I est en moyenne de 1-5% [20]. Les troubles neuropsychologiques sont beaucoup plus fréquents que les AVC (28-60%); ils sont difficiles à préciser, parce que les tests utilisés sont disparates et parce que les points de comparaison avec le préopératoire sont le plus souvent absents [18]. Comparée à une mortalité de base voisine de 2% en moyenne, la mortalité associée aux lésions focales s’élève jusqu’à 21% et celle des dysfonctions jusqu’à 10%. Il existe essentiellement deux mécanismes à l’origine de ces lésions [2] : 
 
  • L’hypoperfusion cérébrale ; elle est due à une hypotension artérielle, un bas débit, une hypoxie, une pression veineuse excessive (position de Trendelenburg, canulation veineuse sub-occlusive) ou une collatéralisation insuffisante en cas de clampage carotidien.
  • L’embolisation de matériel athéromateux, de particules lipidiques, de thrombi, d’agrégats fibrineux, de microparticules de plastic ou de bulles d’air. Elle est liée au status du patient (degré d’athéromatose dans l’aorte thoracique, anamnèse d’ictus, âge avancé, diabète, hyperlipidémie). Elle est fréquente lors de clampage aortique ou carotidien, et constante au cours de la CEC (Figure 6.81).

Figure 6.81 : Profil du pourcentage d'embols enregistrés par Doppler transcrânien au cours d'une opération de pontages aorto-coronariens en CEC. 1: dissection. 2: canulation aortique. 3: CEC partielle. 4: cardioplégie et clampage aortique. 5: en CEC. 6: déclampage de l'aorte. 7: clamp tangentiel sur l'aorte. 8: CEC avec clamp tangentiel en place. 9: déclampage tangentiel. 10: début de l'éjection. 11: décanulation. 12: hors-CEC. Le type d'aspiration, de filtre artériel et de réservoir influencent directement le taux d'embols qui surviennent en cours de CEC (temps 5). 
 
La CEC n'est pas seule responsable des complications neurologiques, puisque celles-ci sont aussi présentes dans les interventions à cœur battant. La survenue d’AVC n’est pas significativement différente entre pontages aorto-coronariens sous CEC et les OPCAB [12]. L'incidence des lésions de type II est inchangée lors de pontages à cœur battant [10].
 
Le but du monitorage cérébral est de détecter les incidents avant que la lésion induite ne soit irréversible. On dispose à cet effet de cinq types de moniteurs : l’EEG, les potentiels évoqués, le Doppler transcrânien, l’oxymétrie cérébrale (voir Oxymétrie cérébrale) et la saturation jugulaire. On peut y ajouter la surveillance de la profondeur de l’anesthésie (BIS™), qui a un rôle accessoire dans le neuromonitorage (voir Index bispectral). L'ETO contribue indirectement à la protection cérébrale dans la mesure où elle permet de sélectionner le meilleur site de canulation dans l'aorte ascendante pour éviter les plaques athéromateuses, et où elle est une aide capitale dans le débullage des cavités cardiaques après cardiotomie gauche; elle contribue ainsi à prévenir les séquelles neurologiques potentielles de la CEC. Comme ces séquelles neurologiques sont liées aux épisodes d’hypoperfusion et d’hyperthermie cérébrale post-CEC, les mesures de pression de perfusion et de température font partie intégrante de la surveillance neurologique (Figure 6.82) [4].
 

Figure 6.82 : Elimination des bulles d'air après CEC avec ouverture des cavités gauches. Une grande quantité de bulles (taches blanches oblongues) revient par les veines pulmonaires dans l'OG et le VG, et a tendance à s'accumuler dans les endroits élevés: l'angle mitro-aortique et le septum antéro-apical (flèches). L'ETO est indispensable pour en faire le diagnostic et pour surveiller la vidange adéquate par les manoeuvres chirurgicales.
 
Pression de perfusion cérébrale
 
La pression de perfusion cérébrale (PPC) est habituellement définie comme la différence entre la pression artérielle moyenne (PAM) et la pression veineuse jugulaire (PVC) :
 
        PPC  =  PAM  -  PVC
 
L’hypoperfusion peut survenir sur une hypotension artérielle systémique ou sur une élévation excessive de la PVC (position de Trendelenburg, rotation de la tête, manipulation du cœur, canulation veineuse de CEC). Dans la population normale, il est recommandé de maintenir la PAM à 70-80 mmHg. En présence d'athéromatose vasculaire, de diabète, d'hypertension artérielle, d’insuffisance rénale, de sténose carotidienne, et d'un âge avancé (> 70 ans), il est préférable de maintenir la PAM dans la zone normale-haute, car l’autorégulation cérébrale s’est déplacée vers des valeurs plus élevées.
 
Température cérébrale
 
Après un épisode d’hypothermie en CEC, le réchauffement entraîne un rebond hyperthermique cérébral qui dure plusieurs heures et dont l’importance est proportionnelle à la profondeur de l’hypothermie et à la rapidité du réchauffement. Cette poussée hypertherme (> 38°C) aggrave les séquelles neurologiques [6]. Bien que les plus proches possibles du cerveau, les températures tympanique et ethmoïdale (sonde contre la paroi nasopharyngée supérieure) tendent à sous-estimer la température cérébrale et la température du sang jugulaire.  
 
L'électro-encéphalographie (EEG) 
 
L'EEG reflète l'activité globale du cortex. Des modifications éléctro-encéphalographiques apparaissent lorsque le flux sanguin cérébral (FSC) a diminué de moitié (valeur normale: 50 mL/100g/min). L'ischémie provoque une perte des signaux électriques rapides alpha (7-14 Hz) et béta (> 14 Hz), et une augmentation des signaux lents delta (0.5-3 Hz) et théta (4-7 Hz), puis une perte d'amplitude allant jusqu'au silence électrique [15]. L'EEG est isoélectrique pour un flux sanguin < 15 mL/100g/min. Une ischémie focale due à une embolie peut échapper à cette surveillance. Les modifications électriques surviennent avant les lésions cellulaires; les déficits neurologiques sont probables lorsqu'elles durent plus de 10 minutes. L'EEG est isoélectrique à 20°C.
    
Le système à 16 ou 20 canaux, encombrant et difficile à interpréter, est en général remplacé par un moniteur de fonction cérébrale de type CSA (Compressed Spectral Array), qui affiche une analyse spectrale des ondes par une transformation de Fourrier, et ne nécessite que 4 électrodes placées sur les apophyses mastoïdes et au milieu du rebord orbitaire frontal. L’appareil affiche le spectre des fréquences qui comprennent le 95% des ondes enregistrées et en extrait la prédominance relative des ondes de types α, β, δ et θ (Figure 6.83). 
 

Figure 6.83 : Image d'analyse spectrale des ondes (transformation de Fourrier) fournie par un moniteur de fonction cérébral de type CSA (Compressed Spectral Array). Le nombre d'ondes d'une certaine fréquence apparaît sous forme de spectre de fréquence; dans ce cas, les ondes alpha prédominent.
 
Une hypoperfusion cérébrale se traduit par une baisse de l’amplitude globale, une baisse des ondes rapides α et β (4-7 Hz), et une augmentation relative des ondes lentes δ et θ (0.5-3 Hz) [5]. Cette technique, plus conviviale que l’EEG, ne permet pas toujours de distinguer les ondes cérébrales des interférences comme l'activité cardiaque ou musculaire, l'effet des médicaments, de la température ou de la pCO2. Comme tout EEG, elle n'explore que la couche superficielle du cortex, et ses altérations ont peu de corrélation avec la survenue d'AVC. Contrairement au BIS™, elle demande une certaine formation pour être capable d’interpréter correctement les tracés [8].
 
Quoique bien corrélée avec le FSC, ces techniques sont biaisées par des interférences comme l'activité cardiaque ou musculaire, l’anesthésie générale, l’hypothermie et la PaCO2. Leur interprétation est parfois difficile. Lors de clampage carotidien, l’EEG ne détecte l’ischémie cérébrale que dans 59% des cas et présente un taux de faux négatifs de 40% [7]. Par contre, il permet de déterminer le degré d’hypothermie optimal en cas d’arrêt circulatoire par la survenue d’un tracé isoélectrique.
 
Les potentiels évoqués
 
Les potentiels évoqués (PE) d'un membre sont utiles dans la chirurgie de l'aorte thoracique descendante parce qu’ils surveillent l'intégrité médullaire. Les potentiels évoqués sensitifs sont très sensibles à l'ischémie, mais ils explorent la colonne postérieure de la moëlle ; une paraplégie (lésion de la colonne antérieure) peut survenir à leur insu. L'appareillage est encombrant et la valeur prédictive faible ; l'hypothermie et les halogénés en altèrent la lecture (Figure 6.84). 
 

Figure 6.84 : Potentiels évoquées sensitifs (PES) enregistrés pendant un clampage aortique. Les temps correspondent à la durée du clampage. Les potentiels évoqués auditifs (PEA) présentent une évolution analogue lors d'ischémie cérébrale en hypothermie.
 
Les potentiels évoqués moteurs surveillent la colonne antérieure de la moëlle ; la sensibilité est faible mais la spécificité est de 100% [3]. Plus intéressants sont les potentiels évoqués auditifs (PEA) (A-Line Monitor™). La réponse auditive du tronc cérébral reflète l'activité neuronale entre le noyau cochléaire et le colliculus inférieur ; elle n'est pas modifiée par les agents d'anesthésie, mais varie directement avec la température. Elle est un excellent moyen de surveiller le degré d'inhibition neuronale par l'hypothermie [17]. 
 
Le Doppler transcrânien (DTC)
 
Le Doppler transcrânien mesure la vélocité (V) du sang dans une grande artère. Le flux est calculé selon l'équation: Q = V • S, où S (π r2) est la surface de section du vaisseau. Une fois le diamètre du vaisseau connu, la mesure de la vélocité (V) permet de calculer le flux (Q). On choisit en général l’artère cérébrale moyenne, qui est facile d’accès et qui achemine 70% du sang à l’hémisphère ipsilatéral. On admet que le diamètre de l’artère ne se modifie pas au cours de l’examen, et que les variations de vélocité traduisent les variations du flux sanguin cérébral. L’analyse Doppler ne mesure que la vélocité des hématies, non leur nombre ; ainsi l'hémodilution, qui accélère le flux, peut faire croire à une augmentation de l'apport d'oxygène, alors que celui-ci a diminué. Son utilisation comme monitorage suppose que la vélocité du flux reflète effectivement le débit sanguin total, que le diamètre du vaisseau ne se modifie pas, et que le capteur reste absolument stable. Les variations de l'Hb, de la viscosité, de la température, de la PaCO2, et les agents d'anesthésie interfèrent considérablement avec la mesure [1]. 
 
Si la valeur absolue du flux peut être incertaine, ses variations (ischémie ou hyperémie) et son sens (antérograde ou rétrograde) lors de clampage sont parfaitement surveillés par le DTC. Les embols sont aisément détectés par la technique, notamment lors du clampage aortique ou pendant la chirurgie carotidienne; ils apparaissent sous forme de HITS (High-intensity transient signals) dont la morphologie donne une clef sur l'origine (bulle, athérome, etc) [16]. Toutefois, la corrélation avec les symptômes cliniques n'est pas évidente [2]. Le DTC est encombrant, instable et très opérateur-dépendant. Les signaux sont ininterprétables dans 21% des cas et non localisables chez 10% des patients [5,13]. Ils sont absents en cas de bas débit, de flux dépulsé (CEC) ou d’arrêt circulatoire hypothermique.

Le DTC est utile pour déterminer la plage d'autorégulation du flux sanguin cérébral (FSC). Normalement, la vélocité du flux dans l'artère examinée est indépendante de la pression artérielle (PAM). Lorsque le patient sort de sa zone d'autorégulation, une corrélation apparaît entre le FSC et la PAM. Ce phénomène est utile pour déterminer la limite inférieure de cette zone, qui est variable selon les individus. Il permet de définir la PAM minimale à maintenir, y compris en CEC.
 
La saturation veineuse jugulaire (SjO2)
 
La saturation veineuse jugulaire (SjO2) s'obtient par canulation rétrograde de la jugulaire interne (cathéter oxymétrique 5.5 F). Elle est fonction de l'extraction cérébrale en O2 et de l'activité métabolique globale. Sa valeur normale est 60-75% [9]. La valeur critique se situe autour de 50%. Une valeur < 40% est associée à une souffrance cérébrale ischémique et à des séquelles neurologiques [19]. Elle augmente en cas d'hyperémie, d'hypercapnie ou de fistule artério-veineuse. Elle diminue pour des raisons systémiques (désaturation artérielle, hypocpanie, anémie aiguë, hypotension) ou cérébrale (hypertension intracrânienne, hyperthermie, convulsions, vasospasme). Elle peut être utile pour confirmer la baisse de la demande métabolique avant un arrêt circulatoire, mais n’a aucune valeur localisatrice [11]. Son évolution et ses variations ont plus de signification que sa valeur absolue.
 
 
 
Monitorage neurologique
Plusieurs techniques permettent une surveillance neurologique peropératoire :
    - EEG et CSA, corrélés au flux sanguin cérébral et à l’activité électrique neuronale 
    - Potentiels évoqués sensitifs ou moteurs (moëlle), et auditifs (tronc cérébral) 
    - Doppler transcrânien (diagnostic d’embols, suivi du flux) 
    - Saturation veineuse jugulaire 
    - Pression de perfusion cérébrale (PPC = PAM – PVC) et température éthmoïdale
    - Spectroscopie infrarouge (NIRS) : saturation cérébrale bilatérale en O2 (ScO2
    - Index bispectral (non adapté à la surveillance d’embols ou d’ischémie) 
 
La combinaison de la ScO2 et de l’EEG/CSA offre l’optimum de surveillance.


© CHASSOT PG  Août 2010, dernière mise à jour Novembre 2019
 
 
Références
 
  1. DOBLAR DD. Cerebrovascular assessment of the high-risk patient: The role of transcranial Doppler ultrasound. J Cardiothorac Vasc Anesth 1996; 10:3-14
  2. EDMONDS HJ. Advances in neuromonitoring for cardiothoracic and vascular surgery. J Cardiothorac Vasc Anesth 2001; 15:241-50
  3. ELMORE JR, GLOVICZKI P, HARPER CM, et al. Failure of motor evoked potentials to predict neurologic outcome in experimental thoracic aortic occlusion. J Vasc Surg 1991; 14:131-9
  4. FEDOROW C, GROCOTT HP. Cerebral monitoring to optimize outcomes after cardiac surgery. Curr Opin Anesthesiol 2010; 23:759-64
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  12. MOLLER CH, PERKO MJ, LUND JT, et al. No major differences in 30-day outcomes in high-risk patients randomized to off-pump versus on-pump coronary bypass surgery: the Best Bypass Surgery Trial. Circulation 2010; 121:498-504
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06. Le monitorage en anesthésie cardiaque