Step 4 of 17

Ventilation

Instauration de la ventilation contrôlée 
 
En inspirium spontané, le débit de la veine cave inférieure (VCI) s’élève parce que la pression abdominale (pression d’amont) augmente à cause de la descente du diaphragme, alors que la pression transmurale de l’OD (pression d’aval) baisse à cause de la dépression intrathoracique. Le flux sanguin augmente à travers le cœur droit et l’artère pulmonaire [24]. Le diaphragme est donc une pompe essentielle pour assurer la précharge du cœur droit. Le flux de la VCI, qui représente plus des 2/3 du retour à l'OD, dépend de la pression abdominale et du volume sanguin splanchnique. En normo- et en hypervolémie, l’augmentation inspiratoire de la pression abdominale comprime la VCI et augmente la pression d’amont pour le retour veineux, mais en hypovolémie, la VCI peut atteindre sa pression critique de fermeture et collaber, freinant ainsi brusquement la précharge droite (voir Chapitre 5, Interactions cardio-respiratoires) [25]. 
 
En ventilation contrôlée (IPPV : intermittent positive pressure ventilation) chez un patient endormi et curarisé, la pression intrathoracique augmente à l’inspirium mais non la pression abdominale, car le diaphragme et la musculature de la paroi de l’abdomen sont paralysés. La pression d’amont (Pabd) de la VCI ne se modifie pas, alors que la pression d’aval (Pit) augmente : le retour vers l’OD est diminué. La pompe diaphragmatique est perdue. Ce phénomène est d'autant plus marqué que la pression veineuse est basse à cause d’une hypovolémie. 
 
Il est donc normal, après une induction très stable, de voir la pression artérielle chuter au moment de la curarisation et de la ventilation en pression positive, alors que le curare choisi n’a en lui-même aucun effet hémodynamique. Plusieurs phénomènes interviennent.
 
  • Baisse de la Pabd et perte de la pompe diaphragmatique.
  • Augmentation de la Pit moyenne.
  • Disparition de la contention des grandes veines des membres par la musculature squelettique (pooling veineux périphérique).
  • Redistribution des volumes sanguins centraux avec diminution du volume intrathoracique et augmentation du volume extrathoracique (stockage de sang dans le lit splanchnique). Ce phénomène correspond à une perte de précharge effective, alors que la PVC et la PAPO ont tendance à s'élever à cause de l'augmentation de la pression intrathoracique moyenne (Figure 4.17) [28].

Figure 4.17: L'induction de l'anesthésie et la ventilation en pression positive provoquent un déplacement de volume de l'intérieur vers l'extérieur de la cage thoracique, alors que la PAPO et la PVC augmentent de 15 - 25%. Ce déplacement est de l'ordre de 300 – 600 mL. Dans ces conditions, les mesures de pression sont un piètre repère de la précharge cardiaque et de la volémie [25]. VSET: volume sanguin extra-thoracique. VSIT: volume sanguin intrathoracique. V: ventilation. VPP: ventilation en pression positive.
 
De plus, les agents d'anesthésie diminuent le tonus sympathique central et les réflexes issus des barorécepteurs. L'affaiblissement de ces régulateurs du débit cardiaque rend ce dernier  particulièrement dépendant de la précharge. La baisse du volume intrathoracique fait que le ventricule fonctionne sur la partie ascendante de la courbe de Frank-Starling: la performance systolique varie directement en fonction du volume de remplissage. Ainsi, le fait d'utiliser des substances presque sans effet inotrope négatif n'empêche pas d'assister à des chutes de pression artérielle importantes à l'induction. Ceci est particulièrement marqué dans les situations où la dysfonction diastolique est fréquente comme le grand âge (> 70 ans), l'hypertrophie ventriculaire concentrique (hypertension artérielle, sténose aortique) ou l'ischémie myocardique, parce que la courbe de Starling est très redressée et le volume systolique très dépendant de la précharge dans ce cas (voir Figure 4.23A).
 
Une autotransfusion par élévation des membres inférieurs est la parade la plus physiologique à l'hypotension ventilatoire. Elle est accompagnée de petites doses d'éphédrine (5 mg) ou de néosynéphrine (100 mcg, dose maximale 1 mg) selon la fréquence cardiaque. Chez un malade curarisé, la position de Trendelengurg est beaucoup moins efficace à cause de la paralysie diaphragmatique: le poids des viscères abdominaux pèse contre le diaphragme et augmente la pression intrathoracique (Pit); malgré l'élévation du retour veineux, la pression transmurale de l'OD (POD – Pit) ne se modifie pas et la précharge utile n'augmente pas. Le réglage du ventilateur doit permettre une normoventilation tout en maintenant la Pit moyenne la plus basse possible, car c'est elle qui est responsable des effets hémodynamiques. La Pit moy est la résultante de toutes les pressions du cycle respiratoire intégrées dans le temps. Elle baisse si la pause expiratoire est prolongée (rapport I/E bas), mais augmente si l'inspirium est prolongé (rapport I/E élevé). Elle s'élève proportionnellement à la PEEP.
 
Manœuvre-test
 
La manière dont un malade va supporter la ventilation en pression positive est toujours une inconnue. Une manière élégante de s'en faire une idée est de réaliser une manœuvre de Valsalva une fois le cathéter artériel en place et d'observer l'évolution de la pression artérielle (PA) lorsque le patient bloque sa respiration et élève sa Pit pendant au moins 20 secondes (voir Chapitre 5, Effets hémodynamiques de la ventilation). 
 
En cas d’insuffisance systolique du VG, l'hémodynamique reste stable. L'élévation de la Pit (équivalant à une augmentation de précharge et à une baisse de postcharge pour le VG) est transmise au VG et à la PA systémique ; cet accroissement est soudainement perdu lorsque la Pit est relâchée. Mais comme le coeur travaille sur une courbe de Starling quasi horizontale, la diminution du retour veineux n'affecte pas son débit; le baroréflexe n'est pas activé [6]. C’est la raison pour laquelle les malades en insuffisance systolique gauche présentent une étonnante stabilité hémodynamique à l’IPPV (Figure 4.18A). Chez un patient souffrant de défaillance diastolique, la pression artérielle est au contraire effondrée au cours du Valsalva. La baisse du retour veineux au VD n'assure plus une précharge suffisante au VG, qui fonctionne sur une courbe de Starling très redressée ; la moindre baisse de précharge se traduit par une ample chute de volume systolique. D’autre part, la faible compliance du VG ne permet pas une compensation par la fréquence. Les insuffisants diastoliques (âge > 70 ans, HVG, ischémie) sont les patients les plus instables à l’induction de l’anesthésie (Figure 4.18B). 
 

Figure 4.18 : Manœuvre de Valsalva en cas de dysfonction ventriculaire gauche. A : insuffisance systolique sévère ; l'hémodynamique est stable. Les phases 1 et 2 sont normales: l'élévation de la Pit (équivalent à une augmentation de précharge et à une baisse de postcharge pour le VG) est transmise au VG et à la PA systémique ; cet accroissement est soudainement perdu lorsque la Pit est relâchée (phase 3). Mais comme le coeur travaille sur la partie horizontale de sa courbe de Starling, la diminution du retour veineux de la phase 2 n'affecte pas son débit; le baroréflexe n'est pas activé; il n'y a pas d'effet rebond en phase 4 [Extrait de: Braunwald E. Heart disease. A textbook of cardiovascular medicine. Philadelphia : W. B. Saunders Co, 1997, 445-70]. B : insuffisance diastolique (patient souffrant de cardiomyopathie restrictive sévère) ; la pression artérielle est effondrée. 1: blocage de la respiration et surpression endothoracique. 2: le faible retour veineux au VD n'assure pas une précharge adéquate au VD. 3: baisse de la pression endothoracique et reprise de la ventilation spontanée. Normalement, le débit du VG devrait augmenter pendant la phase 1 grâce à l'amélioration du retour veineux à l'OG. Manœuvre de Valsalva normale: voir Chapitre 5, Figure 5.99.
 
En cas d'insuffisance ventriculaire droite, il existe trois cas de figure qui imposent des stratégies ventilatoires différentes.
 
  • Dysfonction primaire du VD  (infarctus, cardiomyopathie) avec PAP normale ; l'augmentation de la postcharge du VD par l'IPPV est mal supportée.
  • Défaillance aiguë entraînant une insuffisance congestive du VD sur excès de postcharge (embolie pulmonaire, BPCO, PEEP excessive, etc) ; l’effet d’une augmentation de la Pit est mal prévisible, soit qu'elle suffise à faire défaillir le VD s'il est au bout de ses réserves, soit qu'elle représente peu d'augmentation supplémentaire de la postcharge du VD s'il a encore un peu de marge.   
  • Hypertension pulmonaire chronique avec hypertrophie ventriculaire droite ; la priorité est de baisser les RAP; l'augmentation de la Pit représente une très faible surcharge pour le VD qui travaille chroniquement contre une postcharge élevée; l'IPPV est non seulement bien tolérée mais encore nécessaire pour baisser les RAP par hyperventilation.
La valeur prédictive de la manœuvre de Valsalva est partiellement biaisée par le fait qu'elle est réalisée par un malade non curarisé, c'est-à-dire toujours en possession de sa pompe diaphragmatique et de la contention musculaire de ses veines. La pression abdominale n'est plus maintenue après curarisation. La différence dans le résultat hémodynamique du test de Valsalva et de l'IPPV est d'autant plus marquée que le patient est plus hypovolémique.
 
Ventilation peropératoire
 
Les poumons courent des risques élevés en chirurgie cardiaque du fait de la CEC: longue période sans ventilation, perfusion durablement réduite, lésion d'ischémie-reperfusion, stimulation du complément par les surfaces étrangères, forte production de cytokines inflammatoires ayant pour conséquence une augmentation de la perméabilité capillaire, une vasoconstriction pulmonaire et une bronchoconstriction. A cela s'ajoutent les atélectasies, l'œdème intersticiel fréquent dans les pathologies du cœur gauche, et les lésions liées à la transfusion (transfusion-related acute lung injury TRALI) ou celles induites par la ventilation mécanique per- et post-opératoire (ventilator-associated lung injury VALI). Ces dernières sont dues au stress répétitif de l'ouverture-fermeture des alvéoles avec le volume courant habituel du respirateur (volutrauma) et à la pression appliquée dans les voies aériennes (barotrauma). Les respirateurs d'anesthésie offrent essentiellement deux modes ventilatoires [2].
 
  • Mode volume-contrôlé: un volume courant (Vc) prédéterminé est insufflé à flux constant indépendamment de la compliance; la ventilation-minute est assurée quelle que soit la pression générée (limite supérieure de pression ajustable); une pause inspiratoire (15-25% de l'inspirium) assure un plateau de pression (Pplat) qui permet de calculer la compliance pulmonaire (C = Vc / (Pplat – PEEP) [3].
  • Mode pression-contrôlée: la pression inspiratoire étant prédéterminée, le Vc est le résultat de l'interaction entre la pression d'insufflation, les résistances aériennes et la compliance du système. Les poumons sont protégés  du barotrauma et la ventilation est indépendante des fuites éventuelles, mais seule un alarme assure que le Vc reste satisfaisant.
Pour limiter les traumatismes liés à l'hyperinflation et réduire les atélectasies liées à l'hypoventilation, on préconise actuellement une forme de ventilation dite protectrice, caractérisée par un volume courant faible (6-8 mL/kg de poids idéal) et une PEEP conséquente (5-10 cm H2O, pression de plateau 20-28 cm H2O), accompagnés de manœuvres de recrutement (insufflation manuelle de 30 secondes à 30 cm H2O toutes les 30 minutes). La fréquence respiratoire est réglée entre 10 et 15 par minute pour obtenir une légère hypocarbie (pH 7.4-7.5) [1,30]. Lorsque le thorax est ouvert, la PEEP est réduite à 2-5 cm H2O pour limiter l'expansion pulmonaire dans le champ opératoire [12]. A thorax fermé, les manœuvres de recrutement, ou manœuvres de capacité vitale, induisent une hypotension significative; à thorax ouvert, elles gênent l'opérateur [16]. Il est donc important de les réaliser en surveillant scrupuleusement le moniteur et le champ opératoire. Par rapport à la ventilation conventionnelle (VC 10-12 mL/kg), cette manière de procéder diminue significativement l'incidence de VALI (RR 0.3-0.4), de pneumonie (RR 0.6) et d'atélectasie (RR 0.6) [10,14]. Le taux moyen de complications pulmonaires postopératoires varie toutefois de 10% à 25% des cas [26]. Il est lié pour moitié au status respiratoire du patient et pour moitié aux évènements peropératoires et à la prise en charge anesthésique [12]. Pour davantage de détails sur les modes ventilatoires, se référer au Chapitre 23, Ventilation.
 
Le mélange O2/air s'impose en chirurgie cardiaque. La FiO2 est fonction des besoins ; elle varie entre 0.3 et 0.6, car une FiO2 > 0.6 augmente  la production  de peroxydes et l'étendue des atélectasies de résorption (voir ci-après: Fraction inspirée d'O2). Sauf exceptions il n'y a aucun bénéfice à ce que la PaO2 soit > 100 mmHg et la SpO2 > 98% [16]. Toutefois, une FiO2 > 0.6 peut être provisoirement nécessaire dans les périodes d’anémie aiguë et d’instabilité hémodynamique. Le risque d’augmenter le volume des microbulles qui se forment pendant la CEC est une contre-indication au N2O, indépendamment de ses effets hémodynamiques. Les réglages de routine du ventilateur sont les suivants [1,26,30]:
 
  • FiO2 0.3 – 0.6 pour obtenir une SaO2 ≥ 98% (PaO2 ≥ 100 mmHg), mais FiO2 maximale 0.7 (PaO2 < 200 mmHg) pour éviter les lésions d'hyperoxie;
  • Volume courant (VC) 6-8 mL/kg de poids idéal;
  • Fréquence 8-15 cycles/min pour PaCO2 35-40 mmHg;
  • Pression de plateau (Pplat) : 15-20 cm H2O (< 30 cm H2O);
  • Rapport I:E 1:2-3 (durée expiratoire adéquate pour éviter l'auto-PEEP);
  • Mode ventilatoire en pression- ou en volume-contrôlé;
  • PEEP : 5 cm H2O ; le niveau de PEEP est réglé selon la tolérance hémodynamique (minime en cas de dysfonction ventriculaire droite) et chirurgicale (envahissement du champ opératoire par des poumons surgonflés, étirement du greffon mammaire);
  • En cas de ventilation hyperoxique ou d’interruption de la ventilation, procéder à une manœuvre de recrutement : insufflation continue de 30 secondes à 30 cm H2O.
Les malades atteints de cardiopathies souffrent fréquemment d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). L'hyperventilation et l'hypocapnie (PaCO2: 30-32 mmHg; pH: 7.5) sont les moyens les plus simples de baisser les RAP sans modifier les RAS. Dans le contexte d'une hypertension pulmonaire, l'alcalose respiratoire est de rigueur. Au contraire, l'hypoventilation, l'hypercapnie, les atélectasies, l'acidose et l'hypothermie sont des déclencheurs majeurs de poussées d’HTAP. L'hyperventilation doit débuter immédiatement, dès que commence la ventilation au masque, quelle que soit la valeur de la PetCO2 mesurée par le capnographe. En effet, au masque, la PetCO2 échantillonnée à la connexion n'est pas représentative de la PaCO2; sa valeur normalement basse à cause du brassage par le haut débit de gaz frais donne une fausse impression de sécurité.
 
Pendant le prélèvement de l'artère mammaire interne, il est possible de diminuer les mouvements respiratoires gênants pour l'opérateur en procédant à une ventilation à haute fréquence et bas volume courant. 
 
  • Fréquence ventilatoire à 25-30 cycles/min;
  • Volume courant (VC) de 200-350 ml (3-4 mL/kg);
  • La FiO2 est augmentée à 0.8;
  • Pour compenser l'effet espace-mort, on augmente la ventilation-minute de 1.5 L/min;
  • Pour faciliter l'expirium, on diminue le rapport I/E à 1:4 pour assurer un temps expiratoire suffisamment long (risque d'air trapping);
  • Comme la PetCO2 ne représente plus la PaCO2 dans ces conditions, il faut contrôler l'adéquation des échanges gazeux avec des gazométries artérielles;
  • Avant de reprendre la ventilation normale, procéder à une manœuvre de capacité vitale (maintien manuel au ballon d'une pression inspiratoire de 30-40 cm H2O pendant 20-30 secondes) pour ré-expandre les poumons.

Fraction inspirée d'O2

La FiO2 est ajustée pour obtenir une PaO2 de 100-150 mmHg et une SpO2 > 98%. Bien que l'impact clinique n'en soit pas pleinement établi, l'hyperoxie (PaO2 > 200 mmHg) est grevée d'un certain nombre de complications [20,23].
 
  • L'hyperoxie stimule la formation de peroxydes et de radicaux libres (reactive oxygen species, ROS) au-delà des capacités de détoxification de la cellule. Ces molécules altèrent les lipides (membrane cellulaire), les protéines et les acides nucléiques; elles dégradent le glycocalyx endothélial (blocage de la vasodilatation locale, extravasation liquidienne et protéique) et stimulent la réaction inflammatoire liée à la CEC.
  • Au niveau myocardique, elle provoque une stimulation parasympathique, un effet inotrope négatif, un défaut de relaxation et une vasoconstriction microvasculaire.
  • Du point de vue hémodynamique, elle entraine une bradycardie et une augmentation des résistances artérielles systémiques [22].
  • Elle aggrave les lésions de reperfusion après un épisode d'ischémie; elle est donc à éviter au moment de la reperfusion après un clampage, ou après une période d'arrêt circulatoire hypothermique ou accidentel [19].
  • Dans les poumons, elle favorise les atélectasies de résorption, diminue la capacité vitale et augmente la perméabilité capillaire (acute lung injury), de manière directement proportionnelle à la FiO2 et à la durée d'exposition [15].

L'hyperoxie (FiO2 0.8-1.0, PaO2 > 300 mmHg) n'est bénéfique que dans des conditions particulières [13,20].
 
  • Elle atténue les risques de souffrance cellulaire lors d'hypoxémie secondaire à une insuffisance respiratoire ou à un défaut dans l'équipement ventilatoire.
  • Elle fait partie des mesures à prendre immédiatement lors d'une chute de la saturation cérébrale en O2 (ScO2), quand bien même la SaO2 paraît satisfaisante.
  • Lors d'anémie sévère, la fraction dissoute de l'O2 représente une compensation partielle du manque de transporteur.
  • Avant une période d'ischémie, elle permet d'accumuler quelques réserves d'oxygène pour les cellules en saturant la capacité résiduelle fonctionnelle pulmonaire et les organes à haute perfusion.
  • Lors d'embolie gazeuse, la ventilation à une FiO2 de 1.0 permet de diminuer le volume des bulles. En CEC, l'hyperoxie avait un sens avec les oxygénateurs à bulles; actuellement, elle n'est plus nécessaire avec les oxygénateurs à membranes, ni avec le débullage veineux, les microfiltres artériels et le flux de CO2 dans le champ opératoire lors de cardiotomie gauche [17].

Ventilation et CEC
 
Bien que la ventilation ne soit pas nécessaire aux échanges gazeux pendant la CEC, les poumons laissés à eux-mêmes collabent et s'atélectasient; le drainage lymphatique s'effondre. Lorsque l'aorte est clampée, le débit dans l'artère pulmonaire s'arrête et le flux des artères bronchiques, qui ne représente que 5% du flux pulmonaire, diminue de 50% [16]. Le mode ventilatoire au cours de la CEC est un sujet de débat irrésolu. Aucune étude n'a jusqu'ici clairement démontré la supériorité d'une technique sur une autre.
 
Une routine est de laisser un bas débit continu d'O2 et d’air (1 L/min, FiO2 0.3-0.5) sans PEEP. La CPAP (continuous positive airway pressure) à 5-10 cm H2O, la ventilation mécanique à bas volume courant (3-4 mL/kg), ou les manœuvres de capacité vitale en cours de CEC, améliorent certes les paramètres de l'oxygénation au moment de la sortie de pompe, mais cet effet ne se prolonge pas et n'a aucun impact sur le devenir des patients [5,9,21]. Une récente méta-analyse confirme l'amélioration momentanée du gradient alvéolo-artériel par la CPAP mais l'absence d'impact de la ventilation sur les complications pulmonaires et sur la durée de l'assistance respiratoire postopératoire [29]. Bien que la ventilation en CEC réduise la réaction inflammatoire pulmonaire, rien dans la littérature ne permet donc de recommander une quelconque forme de ventilation autre qu'un flux passif de mélange O2/air [4,8]. En revanche, les manœuvres de capacité vitale (30-40 cm H2O pendant 20-30 secondes) sont essentielles au moment de la reprise de la ventilation avant la mise en charge; comme l'expansion des poumons peut exercer une tension excessive sur un greffon mammaire, il faut bien surveiller le champ opératoire au cours de ces manoeuvres. D'autre part, la ventilation mécanique est bénéfique dès que le coeur éjecte du sang, avant ou après le clampage aortique. 
 
Lorsque le cœur bat en CEC (aorte non-clampée ou déclampée), le sang qui perfuse les coronaires est pour une grande partie du sang propulsé par le VG, donc revenu des poumons par les veines pulmonaires; son contenu en O2 augmente si les poumons sont ventilés. Il en est de même lors de CEC partielle (fémoro-fémorale, par exemple). Dans ces conditions, il est recommandé d'assurer une ventilation réduite. 
 
  • FiO2 0.3-0.5.
  • Volume courant  3-4 mL/kg.
  • Fréquence respiratoire 6-8 cycles/minutes.
  • Pas de PEEP. 
Si le perfusionniste administre un halogéné dans l'oxygénateur alors que le malade est ventilé, il est important d'en ajouter la même fraction inspirée sur le respirateur, sans quoi l'halogéné est éliminé par les poumons simultanément à son administration dans la CEC.
 
Lorsque les cavités cardiaques gauches sont ouvertes (chirurgie valvulaire, par exemple), l'air peut s'infiltrer dans les cavités et se loger dans les veines pulmonaires, l'oreillette gauche ou le ventricule gauche; lors de la mise en charge, cet air va emboliser par voie systémique. Pour cette raison, on administre volontiers un flux continu de CO2 (5-10 L/min) dans le champ opératoire pour remplacer l'air ambiant par un gaz plus soluble dans le sang (CO2  → HCO3-) et donc moins emboligène. Il est important de contrôler la présence d'air dans les cavités gauches à l'échocardiographie et de procéder à une vidange efficace (ponction directe, aspiration par la canule de cardioplégie aortique, secousses) avant la mise en charge. Une ventilation sous pression (manoeuvre de purge) et une stimulation de la fonction ventriculaire permettent une bonne élimination. Une position de Trendelenburg accentuée limite l'embolisation carotidienne. 
 
Au moment de la reventilation en fin de CEC, une manoeuvre d’insufflation à capacité vitale maximale est nécessaire pour diminuer le risque d’atélectasies ultérieures [18]. La compliance pulmonaire est en général abaissée, et les pressions de ventilation supérieures à leurs valeurs initiales; les poumons font facilement de l’air-trapping. La normoventilation, voire l'hyperventilation, doivent être maintenues en dépit de ce phénomène. Comme cette surpression cède progressivement, il est important de reventiler assez tôt avant la mise en charge, afin d'avoir résolu le problème pulmonaire au moment de la reprise de la circulation normale. L'activation des kinines, des cytokines et du complément par le contact avec les surfaces étrangères du circuit de CEC est responsable de ces modifications, qui s'accompagnent aussi de vasoconstriction pulmonaire. La situation peut être aggravée par la protamine, qui est un puissant vasoconstricteur pulmonaire et un bronchoconstricteur. Une première gazométrie artérielle est pratiquée 5-10 minutes après la fin de CEC; si les échanges gazeux sont insuffisants, il est indiqué de:
 
  • Aspirer les sécrétions;
  • Contrôler que la ventilation soit bilatérale;
  • Ventiler manuellement les poumons sous contrôle de la vue pour réexpandre les zones éventuellement atélectasiées;
  • Modifier les réglages du ventilateur; PEEP à 5-10 cm H2O;
  • Nouvelle gazométrie après 30 minutes.
Si les échanges ne se sont pas améliorés et que le bilan liquidien est excessivement positif, il est judicieux d'administrer un diurétique (mannitol 0.5 gm/kg, furosémide 10-20 mg). Oublier de reventiler le patient avant la mise en charge est un événement possible mais catastrophique ; la meilleure prévention de cet accident réside dans l’application stricte d’un protocole incluant la mise en route du respirateur dès le déclampage de l’aorte ou dès que le coeur bat spontanément. Ceci permet en outre de profiter de l'oxygénation et de l'assistance circulatoire de la CEC en cas de bronchospasme ou d'altération grave de la compliance parenchymateuse. Par sécurité, il est judicieux que le (la) perfusionniste s'assure auprès de l'anesthésiste que le patient soit ventilé avant de baisser le débit de pompe. En se souvenant que toutes les alarmes ont des pannes, que tous les moniteurs ont des artéfacts, mais que seules la couleur du malade et celle de son sang fonctionnent toujours !
 
Postopératoire
 
En peropératoire, les problèmes liés à la ventilation en pression positive sont essentiellement hémodynamiques ; la baisse du débit cardiaque est en grande partie réglée par une augmentation du volume circulant. En soins intensifs, l’IPPV à plus long terme déclenche une série de phénomènes néfastes associés à une insuffisance et à une infection pulmonaires (VALI) [11]. 
 
  • Interactions avec les résistances bronchiques et la compliance alvéolaire;
  • Distension alvéolaire, barotraumatisme et redistribuion du flux ventilatoire;
  • Modification fonctionnelle du surfactant;
  • Gène au drainage lypmphatique et élévation chronique de la pression veineuse;
  • Altération de la perfusion capillaire et déplacement liquidien transcapillaire vers l’interstitium.
La péjoration des échanges gazeux incite à ventiler plus agressivement, ce qui aggrave encore la situation. De nouveaux modes ventilatoires ont été introduits récemment pour essayer de diminuer l’intensité du SDRA et de la pneumonie liés à l’IPPV (voir Chapitre 23, Complications pulmonaires). Moins de 10% des patients de chirurgie cardiaque réclament une ventilation postopératoire prolongée. La grande majorité peut être extubée de manière précoce (2-4 heures postop). Comparée à des délais conventionnels (6-10 heures), cette manière de procéder diminue les risques ventilatoires et infectieux, mais raccourcir encore la durée de ventilation à < 90 minutes n’amène plus d’amélioration [11,26]. Chez les malades transfusés, l'incidence de TRALI est de 2.5% en chirurgie cardiaque [27]. Quelques interventions peuvent aider à prévenir les complications pulmonaires [7,26]. 
 
  • Ventilation protectrice;
  • Manœuvres de recrutement;
  • Hémofiltration;
  • Seuil de transfusion restrictif (Hb < 90 g/L);
  • Désinfection buccale à la chlorhexidine;
  • Succion sous-glottique;
  • Extubation précoce;
  • Ventilation non-invasive (NIV);
  • Analgésie non-médicamenteuse (infiltrations parasternales, blocs intercostaux, péridurale cervico-thoracique).
 
 
 Ventilation en pression positive (IPPV)
Pré-induction : évaluation de la tolérance probable à l’IPPV : variation de la PA (cathéter artériel) au cours d’une manœuvre de Valsalva. 
 
Après curarisation, la pompe diaphragmatique est perdue ; l’inspirium en IPPV augmente la pression intrathoracique (Pit) sans variation de la pression abdominale (Pabd) ; la précharge baisse.
 
L’IPPV provoque : ↑ Pit moyenne, ↓ retour veineux par la VCI, ↑ pooling veineux périphérique, translocation de volume intrathoracique → extrathoracique, ↓ précharge du VD, ↑ postcharge du VD, ↓ postcharge du VG.
 
Si insuffisance VG : IPPV bénéfique (↓ postcharge gauche). Si insuffisance VD : IPPV mal tolérée (↑ postcharge droite). Si HVD + HTAP chronique : IPPV bien tolérée.
 
Normoventilation à FiO2 0.3-0.6 (0.8 en cas d’anémie aiguë ou d’état de choc) ; VC 6-8 mL/kg, Pplat 15-20 cm H2O, PEEP 5 cm H2O selon tolérance. Si HTAP : hyperventilation normobarique.
Pendant le prélèvement mammaire : ventilation à petit volume courant (VC 250-300 mL) et haute fréquence (25-30 cycles/minute) avec long expirium (rapport I:E 1:4).
Pendant la CEC : arrêt de la ventilation ; flux (1 L/min à FiO2 0.3-0.6).
Reventilation : manoeuvre de capacité vitale (30-40 cm H2O pendant 20 secondes) sous contrôle de la vue dans le champ opératoire. Contrôle des échanges gazeux (gazométrie artérielle).


© CHASSOT PG, BETTEX D, MARCUCCI C, Septembre 2010, dernière mise à jour, Septembre 2019
 
 
Références
 
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04. Spécificités de l'anesthésie pour la chirurgie cardiaque