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Mesure de la pression veineuse centrale 

La pression mesurée à l’extrémité d’un cathéter central est celle qui règne dans la veine cave supérieure intrathoracique et dans l’oreillette droite. Cette pression veineuse centrale (PVC) est basse (5-8 mmHg). Cette constatation a deux corollaires [6].
 
  • Le niveau du capteur doit être soigneusement réglé pour correspondre à la mi-hauteur de l’OD (ligne médio-axillaire chez un malade couché sur le dos) ; un écart de 2 cm crée une différence de 1.5 mmHg sur la lecture, soit 15 - 20% d’erreur sur la mesure ; la hauteur du capteur doit être ajustée à chaque changement de position du patient.
  • La PVC est du même ordre de grandeur que les pressions respiratoires en ventilation mécanique ; la pression moyenne intrathoracique est de 4 à 10 mmHg en IPPV (Intermittent positive pressure ventilation), et augmente linéairement avec la PEEP (Positive end-expiratory pressure). La mesure de PVC ne traduit la POD réelle qu’en apnée. Toutefois, la transmission des pressions ventilatoires à l’ensemble de la cage thoracique dépend de la compliance des poumons ;  elle est diminuée en cas de pathologie pulmonaire. 
La mesure d'une pression intracardiaque se fait par rapport à la pression atmosphérique (Patm), qui est le zéro du capteur, alors que la pression externe des cavités cardiaques et des vaisseaux intrathoraciques est la pression intrathoracique (Pit). La différence de pression entre l’intérieur (Pintracavitaire Pic) et l’extérieur d’une chambre cardiaque est la pression transmurale (Ptm) (Figure 6.15) :
 
Ptm = Pic – Pit         d’où : Pic = Ptm + Pit
 


Figure 6.15 : Interactions cardiorespiratoires. La pression habituellement mesurée dans les cavités cardiaques (Pic) est mesurée par rapport à la pression atmosphérique (ΔP = Pic - Patm) (double flèche noire). Or la pression qui règne réellement dans une chambre cardiaque est la différence entre la pression intracavitaire (Pic) et la pression intrathoracique (Pit). C'est la pression transmurale (Ptm) : Ptm = Pic – Pit (double flèche bleue). La pression transmurale et la pression mesurée par rapport à la Patm ne sont équivalentes qu’en apnée. La différence entre la pression intrathoracique (zone verte) et la pression intrapéricardique (zone jaune) n'est que de 1-2 mmHg, donc négligeable en situation clinique normale. VCS: veine cave supérieure. VCI: veine cave inférieure. VP: veines pulmonaires. AP: artère pulmonaire. Ao: aorte. En jaune: péricarde.
 
La mesure d'une Pic par rapport à la Patm n'a de sens que lorsqu’elles sont identiques, c'est-à-dire en apnée ou lors de la pause expiratoire du ventilateur, sans PEEP. Le fait que seule la Ptm représente la pression de remplissage réelle a deux conséquences pratiques.
 
  • En ventilation en pression positive, la PVC évolue de manière discordante par rapport au volume du VD dans 52% des cas [1]. L’instauration de l’IPPV provoque un déplacement de volume de l'intérieur vers l'extérieur de la cage thoracique de l'ordre de 300 – 600 mL (baisse de précharge), alors que la PAPO et la PVC augmentent de 15 – 25% [7]. La mesure de la PVC n’est fiable qu’en apnée ou en soustrayant la valeur de la Pit moyenne affichée sur le respirateur.
  • Lorsqu’on procède à une manoeuvre de Trendelenburg chez un patient curarisé, le poids des viscères abdominaux appuie contre le diaphragme relâché, et la pression intrathoracique augmente. Cette augmentation est du même ordre de grandeur que celle de la POD due au retour veineux ; de ce fait, la Ptm de l’OD ne se modifie pratiquement pas, et la précharge réelle du coeur droit est inchangée [3]. L’élévation des jambes est plus efficace, car la POD augmente sans que la Pit ne se modifie. 
La PVC est la pression d'aval du circuit circulatoire global [5]. Elle est assimilable à la pression auriculaire droite (POD). En l'absence de lésion tricuspide, la mesure de la PVC au voisinage ou dans l'oreillette droite est un indice de la précharge du ventricule droit, dans la mesure où cette pression est représentative du volume télédiastolique. Ceci appelle cinq remarques.
 
La corrélation entre la pression (P) et le volume (V) est déterminée par la compliance, dont la courbe est curvilinéaire dans les cavités ventriculaires. A bas volume de remplissage (hypovolémie), cette courbe est très plate : de fortes variations de volume ne se traduisent que par de minimes variations de pression; celles-ci sont si faibles qu'elles tombent dans la marge d'erreur de la mesure. Lorsque le remplissage est élevé, la courbe se redresse et les variations de volume s’accompagnent de variations de pression significatives. En conséquence, la PVC n’est d’aucun apport en hypovolémie, alors qu’elle est très pertinente en hypervolémie (haut remplissage, insuffisance ventriculaire droite, HVD) (Figure 6.16).
 


Figure 6.16 : Représentation schématique de la courbe de compliance normale du VG (en bleu), ou lors de dysfonction diastolique (en rouge). La courbe se redresse et se déplace vers le haut et vers la gauche. La même variation de volume se traduit par une variation de pression plus importante que lorsque la compliance est normale. A la pression P correspond un volume ventriculaire plus petit (V’) que la norme (V) ; le sujet peut être hypovolémique avec une POD (PVC) ou une POG (PAPO) normale. La normovolémie d’un sujet souffrant de dysfonction diastolique (V’’ rouge) est traduite par une pression de remplissage (P’) qui correspond à une hypervolémie (V’’ bleu) chez un sujet normal.
 
  • En cas d'hypovolémie, la corrélation entre la valeur de la PVC et l'augmentaion du volume systolique par apport liquidien (fluid responsiveness) est dérisoire (0.18). La surface sous la courbe ROC est 0.56, ce qui signifie qu'une valeur donnée de la PVC a environ 50% de chances de prédire une hypovolémie et 50% de chances de prédire une normovolémie (voir Figure 6.52) [2]. La PVC n'est donc pas un guide adéquat pour diriger le remplissage liquidien en-dehors de l'insuffisance droite.
  • Dans le régime à basse pression et haute compliance des cavités droites, une mesure isolée de PVC est un critère non fiable du remplissage vasculaire. Par contre, le suivi de la PVC lorsqu’elle se modifie, témoigne de l’évolution de la fonction et du remplissage du VD chez un même patient dans les mêmes conditions ventilatoires, par exemple lors de la mise en charge à la fin d'une CEC. 
  • La dysfonction diastolique du VD modifie la compliance, dont la courbe se redresse et se déplace vers le haut ; ceci est fréquent avec l’âge, l’hypertrophie du VD, l’ischémie et la dysfonction ventriculaire. Dans ce cas, la mesure de pression devient un meilleur indice de remplissage, mais la valeur de la PVC est plus élevée que la normale pour le même volume de remplissage. 
  • La PVC ne renseigne que sur les conditions de charge du VD. Il n’existe de relation entre la PVC et la fonction du VG que si la stase pulmonaire engendrée par la pathologie gauche est telle qu’elle modifie les conditions de charge et la fonction du VD (hypertension pulmonaire postcapillaire).
 
La courbe de PVC présente deux pics ("a" et "v") et deux nadirs ("x" et "y") de pression (Figure 6.17). 


Figure 6.17 : Courbe de pression auriculaire normale (OD ou OG). a: onde de pression de la contraction auriculaire. z : diastole de l’oreillette. c: fermeture de la valve mitrale/tricuspide. x: chute de la pression auriculaire pendant la descente de l’anneau mitral/tricuspidien (contraction longitudinale du ventricule). v: remplissage de l'oreillette pendant la systole ventriculaire (débit continu des veines caves/pulmonaires); la pression s'élève parce que la valve mitrale/tricuspide est fermée. y: ouverture de la valve mitrale/tricuspide et vidange de l'oreillette dans le ventricule. 
 
Le pic "a" est dû à l'onde de pression de la contraction auriculaire. L'onde "v" représente le remplissage continu de l'oreillette pendant la systole ventriculaire ; la pression s'élève parce que la valve tricuspide est fermée ; elle ne commence à redescendre que lorsque la tricuspide s’ouvre et que l’OD se vide dans le VD (descente "y"). Le pic de l’onde "v" a lieu pendant la phase de relaxation isovolumétrique (fin de l’onde T sur l’ECG). Entre les deux pics "a" et "v" survient une baisse de pression (descente "x") qui est la chute de la pression auriculaire pendant la diastole de l'oreillette et la descente de l’anneau tricuspidien secondaire à la contraction longitudinale du VD. Le crochetage "c" est occasionné par la fermeture et le bombement de la valve tricuspide pendant la systole ; il est peu marqué et souvent absent. La fibrillation auriculaire entraîne la suppression de l'onde "a", mais une prééminence de l'onde "c" parce que la POD monte en fin de diastole [8]. L'onde "a" peut devenir très importante en cas de dissociation AV ou d'extrasystolie ventriculaire (ESV), parce que l'oreillette se contracte alors que la valve tricuspide est déjà fermée par la systole prématurée de l'ESV (cannon wave) (Figure 6.18). 


Figure 6.18 :  Aspect de la PVC lors d'extrasystolie ventriculaire; la contraction auriculaire survenant alors que la valve tricuspide est déjà fermée, il apparaît une onde "a" très importante (cannon wave) (Extrait de : Ahrens S, Taylor LA. Hemodynamic waveform analysis. Philadelphia : WB Saunders Co, 1992. Waveform 3.4, p 57).
 
La forme analogique de la courbe de PVC est pleine de renseignements. En cas d'insuffisance tricuspidienne, l'onde "v" est prééminente, mais elle survient plus tôt que l’onde "v" normale (onde "c-v") puisque la régurgitation survient pendant toute la durée de la systole (Figure 6.19A). Dans la tamponnade liquidienne, l'épanchement péricardique freine le remplissage auriculaire; il faut attendre la systole pour que les ventricules prennent moins de place dans le péricarde et décompriment les oreillettes en permettant au liquide de se déplacer autour de ceux-ci. On voit donc essentiellement une descente "x" pendant la systole. La situation est différente dans la péricardite constrictive; à cause de la gangue rigide qui ceinture les cavités cardiaques, le remplissage auriculaire ne peut avoir lieu que lorsque les oreillettes se vident dans les ventricules, soit en protodiastole. La courbe présente une descente "y" majeure, correspondant au "dip-and-plateau" intraventriculaire (Figure 6.19B) [5].
 

Figure 6.19 A : Insuffisance tricuspidienne. L'onde "v" est protosystolique, pendant la phase d'éjection du ventricule, ce qui est plus précoce que la normale où l'onde "v" est télésystolique-protodiastolique.



Figure 6.19 B : Tracé de PVC en cas de tamponnade (1, prédominance de la descente "x" systolique) et de péricardite constrictive (2, prédominance de la descente "y" protodiastolique).
 
Le chiffre de PVC lu sur l’écran du moniteur est la pression moyenne de l’OD au cours d'un cycle cardiaque. La valeur normale en apnée est 5-8 mmHg. La valeur la plus cohérente hémodynamiquement est celle de la télésystole de l'oreillette, que l'on mesure au pied de la courbe entre l’onde "a" et l'onde "c" (descente "z"), synchrone avec la fin du complexe QRS. C'est la pression la plus proche de la pression télédiastolique du VD (équivalent de la PtdVD) [5]. Ces deux pressions sont malaisées à mesurer sur les moniteurs, et la fiabilité de la POD moyenne affichée à l'écran est tout-à-fait suffisante en clinique, si l'on prend soin de débrancher le ventilateur. S'il est contre-indiqué d'interrompre la ventilation ou de supprimer la PEEP, il faut soustraite la Pmoy intrathoracique de la mesure pour obtenir la POD réelle [4]. Ceci suppose que la pression pulmonaire est intégralement transmise à la cavité thoracique. Or il existe toujours une certaine perte dans cette transmission, et en cas de pathologie pulmonaire, la pression ventilatoire n'est que très partiellement répercutée sur la pression intrathoracique. A la sortie de pompe après une CEC, la PVC est utile pour gérer le remplissage de l'OD, parce que l'on part d'une situation où elle est nulle, l'oreillette étant drainée par la canule veineuse; le remplissage s'arrête lorsque la PVC atteint sa valeur normale.
 
 
Mesure de la PVC
La valeur normale de la PVC est basse (6-10 mmHg) ; elle est très influencée par le niveau du capteur (2 cm de hauteur = 1.5 mmHg) et par la pression intrathoracique (IPPV, PEEP). La pression de remplissage réelle de l’OD (précharge du VD) est représentée par sa pression transmurale (Ptm), qui est la différence entre la pression intracavitaire (Pic) et la pression intrathoracique (Pit) : 
Ptm = Pic – Pit,     d’où : Pic = Ptm + Pit
La valeur physiologique de la POD est celle de la diastole de l'oreillette (creux "z"). La valeur la plus voisine de la Ptd du VD est le pic de l’onde "a".
 
En ventilation en pression positive (Pit ↑), la PVC (= Pic) augmente sans que la Ptm ne se soit élevée; la mesure de PVC doit donc s’effectuer en apnée, ou en soustrayant la valeur de la Pit moyenne. Chez un malade curarisé, la position de Trendelenburg augmente la Pit (pression des viscères abdominaux contre le diaphragme) autant que la Pic (POD), ce qui ne change pas la Ptm (précharge réelle), alors que l’élévation des jambes augmente la POD sans modifier la Pit (augmentation de la précharge réelle).
 
La PVC représente la précharge du VD (non celle du VG) dans la mesure où la compliance lie la pression au volume; or la pression évolue de manière non-linéraire avec le volume. De ce fait, la PVC n’est d’aucun apport en hypovolémie (courbe de compliance quasi-plate), alors qu’elle est très pertinente en hypervolémie parce que la courbe est redressée (haut remplissage, insuffisance ventriculaire droite, HVD). En cas de compliance anormale (âge avancé, ischémie, HVD, dysfonction ventriculaire), la PVC est plus élevée que la normale pour le même volume de remplissage. 


© CHASSOT PG  Août 2010, dernière mise à jour Novembre 2019
 

Références
 
  1. DIEBEL LN, WILSON RF, TAGETT MG, et al. End-diastolic volume: A better indicator of preload in the critically ill. Arch Surg 1992; 127:817
  2. MARIK PE, CAVALLAZZI R. Does the central venous pressure predict fluid responsiveness ? An update meta-analysis and a plea for some common sense. Crit Care Med 2013; 41:1774-81
  3. NAKAJIMA Y, MIZOBE T, MATSUKAWA T, et al. Thermoregulatory response to intraoperative head-down tilt. Anesth Analg 2002; 94: 221-6
  4. ROGER C, MULLER L, RIOU B, et al. Comparison of different techniques of central venous pressure measurement in mechanically ventilated critically ill patients. Br J Anaesth 2017; 118:223-31
  5. SCHMIDT C, BERGGREEN AE, HERINGLAKE M. Perioperative hemodynamic monitoring: still a place for cardiac filling pressure ? Best Pract Res Clin Anaesthesiol 2019; 33:155-63
  6. SIMMONS J, VENTETUOLO CE. Cardiopulmonary monitoring of shock. Curr Opin Crit Care 2017; 23:223-31
  7. VON SPIEGEL T, GIANNARIS S, SCHORN B, et al. Effects of induction of anaesthesia with sufentanil and positive-pressure ventilation on the intra- to extrathoracic voilume distribution. Eur J Anaesthesiol 2002; 19:428-35
  8. WHITENER S, KONOSKE R, MARK JB. Pulmonary artery catheter. Best Practice Res Clin Anaesthesiol 2014; 28:323-35
06. Le monitorage en anesthésie cardiaque