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Agents d’anesthésie et ischémie myocardique

Agents intraveineux
 
Les agents d'anesthésie intraveineux ont en général peu d'effets directs sur la vascularisation coronarienne, mais certains peuvent perturber l'équilibre entre la demande (VO2) et l'apport d'oxygène (DO2) par tachycardie ou stimulation sympathique centrale.
 
  • Le midazolam (0.2 mg/kg) provoque un abaissement simultané et parallèle du flux coronaire (-24%) et de la mVO2 (- 26%) ; il ne modifie donc pas l'autorégulation coronarienne [10] ; il baisse la précharge et la postcharge, mais non la contractilité ni la fréquence. Son effet majeur est une sympatholyse centrale.
  • L'étomidate (0.3 mg/kg) a un léger effet vasodilatateur coronarien de type nitré, mais ne modifie pas le rapport DO2/VO2 myocardique [7] ; comme il n’altère pas les réflexes autonomes, il ne protège pas d’une poussée hypertensive ou tachycardisante en cas de stimulus majeur, mais il assure la meilleure stabilité hémodynamique en cas de dysfonction ventriculaire ou de valvulopathie.
  • Le propofol abaisse surtout la précharge et modérément la postcharge du VG, sans modification de la fréquence cardiaque car il bloque le réflexe cardio-accélérateur [15,18]; il diminue la consommation d'O2 du myocarde par son faible effet inotrope négatif et vasodilatateur coronarien [8,17]. Pour autant que la chute de la PAM ne compromette pas la perfusion coronarienne, l'autorégulation est préservée [23]. Cependant, lors d'hypovolémie, l'hypotension causée par le propofol diminue la perfusion coronaire au-delà de la baisse de la mVO2 et aggrave l'ischémie myocardique [11].
  • Le thiopental induit une tachycardie importante (+ 30%) qui provoque obligatoirement une augmentation de la mVO2, dangereuse pour le coronarien ; l'effet inotrope négatif (- 25%), la baisse de précharge (- 25%) et le blocage des baroréflexes conduisent à un déséquilibre hémodynamique significatif [4]. La conjonction de la tachycardie et du stimulus de l'intubation représente un facteur aggravant majeur pour l’ischémie myocardique. 
  • La kétamine provoque une stimulation sympathique centrale caractérisée par une sécrétion accrue de nor-adrénaline [24] ; elle est la cause d’une hypertension systémique (+ 40%) et pulmonaire (+ 45%) et d’une tachycardie prohibitive (+ 50%). Même si le flux coronaire augmente parallèlement chez l'individu sain, l'élévation de la mVO2 occasionnée par ces deux phénomènes est largement excessive pour le patient coronarien. D’autre part, la kétamine a un effet inotrope négatif direct sur le myocarde qui est masqué par la stimulation sympathique centrale, mais qui devient apparent dans l'insuffisance cardiaque chronique et dans les situations où la réponse sympathique est inhibée, épuisée, ou déjà maximalement stimulée (patients en réanimation, par exemple).  
D'une manière générale, les fentanils ont peu d'effet hémodynamiques à part une bradycardie due à leur effet vagal central, qui est plutôt bénéfique pour le coronarien. Ils peuvent occasionner une hypotension systémique chez les malades dont les résistances artérielles sont très élevées à cause d’une stimulation sympathique centrale excessive (stress, douleur, etc). Ils ne modifient pas le rapport entre la demande et l'apport d'oxygène. Les opiacés stimulants les récepteurs δ ont probablement un certain effet de préconditionnement myocardique [20].
 
  • Le fentanyl est sans effet sur la réactivité des vaisseaux coronaires et sur le métabolisme myocardique [2] ; il n'est pas associé non plus à la production de lactate par le myocarde.
  • Le sufentanil est davantage sympathicolytique que le fentanyl, mais ne modifie pas le rapport DO2/VO2 [21].
  • L'alfentanil pourrait induire un phénomène de vol [13].
  • Le rémifentanil occasionne une baisse modérée de tous les paramètres hémodynamiques avec une dose d’induction de 2-5 mcg/kg : pression artérielle (- 25%), fréquence cardiaque (- 20%), dP/dt, débit cardiaque [19] ; même avec une dose de 1 mcg/kg, la bradycardie peut être profonde (< 30 batt/min) et présenter un risque de bas débit cardiaque et de dilatation ventriculaire par prolongement excessif de la diastole, notamment chez les malades béta-bloqués [3]. 
La plupart des curares actuels sont sans effets hémodynamiques, à l’exception du pancuronium qui augmente la fréquence de 20% par effet vagolytique central. Toutefois la curarisation est fréquemment associée à une hypotension systémique importante pour deux raisons.
 
  • Baisse du retour veineux par la veine cave inférieure dû à : 
  • Baisse de la pression abdominale par la myorelaxation de la paroi ;
  • Augmentation de la pression intrathoracique par la ventilation en pression positive ;
  • Disparition de la contention musculaire des grandes veines et pooling veineux périphérique.
Les effets hémodynamiques généraux des agents d'anesthésie sont détaillés le Chapitre 4 (voir Effets hémodynamiques des agents d’anesthésie) et résumés dans les Tableau 4.3, Tableau 4.4 et Tableau 4.6.
 
Agents volatils 
 
La réduction du métabolisme cardiaque secondaire à la dépression myocardique des halogénés leur confère une certaine capacité de protection contre l'ischémie, dans la mesure où la chute de la pression artérielle moyenne, les variations de la fréquence cardiaque et l'augmentation de la pression télédiastolique ventriculaire ne compromettent pas la perfusion coronarienne. Tous les halogénés produisent une vasodilatation artérielle systémique et coronarienne dans l'ordre de puissance suivant: isoflurane > desflurane > enflurane > sevoflurane > halothane [12]. Leur effet chronotrope négatif prédispose au passage en rythme jonctionnel ; la perte du remplissage télédiastolique par la contraction auriculaire peut être mal tolérée par les patients souffrant de dysfonction diastolique.
 
  • Aux doses cliniques habituelles, l’halothane a un effet inotrope et chronotrope négatif important et se comporte comme un puissant β-bloqueur (baisse de la mVO2) ; il est retiré du marché européen à cause de son hépatotoxicité, sauf pour l'utilisation vétérinaire.
  • L’isoflurane abaisse la postcharge du VG par vasodilatation artérielle (baisse de la PAM de 20%) et provoque une légère tachycardie compensatrice. La vasodilatation de l’isoflurane a été décrite comme responsable d’un phénomène de vol intracoronarien : il s'agit d'une redistribution du flux vers des zones saines où la résistance baisse, à partir de zones ischémiées où le flux ne peut pas augmenter parce que le territoire est déjà maximalement vasodilaté [9] . Ce phénomène, s’il existe, est sans portée clinique aux concentrations usuelles de ce gaz pour autant qu’il n’y ait pas d’hypotension artérielle (voir Chapitre 5, Collatérales et phénomène de vol).
  • Le sevoflurane induit moins de tachycardie et moins de vasodilatation artérielle que l’isoflurane ; il ne provoque pas de vol coronarien [22].
  • Le desflurane paraît plus stable à cause de sa stimulation sympathique importante, mais il provoque une tachycardie et une augmentation des RAS et des RAP lors de l'accroissement de la fraction inspirée > 1 MAC [5,16], qui le rendent impropres à l’anesthésie du patient coronarien [6]. 
  • Le protoxyde d’azote (N2O) provoque une légère stimulation sympathique centrale accompagnée de tachycardie [14] ; il augmente les RAP chez l’adulte, non chez l’enfant. 
Le phénomène du préconditionnement par les halogénés représente une forme de protection myocardique pour les patients coronariens (voir Préconditionnement). Cette protection diminue les dommages myocardiques et facilite la reprise fonctionnelle ventriculaire lors de chirurgie de revascularisation coronarienne, mais elle n’influence pas significativement la mortalité postopératoire. Bien que les données prouvant un impact en chirurgie non-cardiaque soient insignifiantes, il n’est pas interdit d’extrapoler les résultats obtenus en chirurgie cardiaque à la chirurgie générale vu les bénéfices potentiels. En l'état actuel de nos connaissances, on peut donc soutenir que le maintien de l’anesthésie par des halogénés chez le coronarien présente probablement des avantages supérieurs à ses risques, particulièrement dans certaines catégories de patients comme les vasculaires ou les enfants [1]. Le phénomène de vol intracoronarien attribué à l’isoflurane ne paraît pas correspondre à une réalité rencontrée en clinique, sauf en cas d’hypotension extrême.
 
 
 
Agents d’anesthésie et ischémie myocardique
Pour autant que la chute de la PAM ne compromette pas la perfusion coronarienne, le midazolam et le propofol ne modifient pas le rapport DO2/VO2 myocardique. L’étomidate assure la meilleure stabilité hémodynamique.
Le thiopental péjore le rapport DO2/VO2 parce qu’il provoque une tachycardie et une hypotension. La kétamine augmente la mVO2 et peut causer une défaillance ventriculaire majeure en cas d’épuisement sympathique.
 
Les halogénés causent une vasodilatation coronarienne par ordre décroissant: isoflurane > desflurane > enflurane > sevoflurane > halothane. 
    - Isoflurane: vasodilatation artérielle et légère tachycardie; risque potentiel de vol coronarien
      si Fi > 2 MAC et si hypotension sévère
    - Sevoflurane: ni hypotension, ni tachycardie
    - Desflurane: stimulation sympathique, tachycardie, augmentation des RAS et des RAP
    - Halothane: baisse de la mVO2  par effets inotrope et chronotrope négatifs marqués 
      (équivalent à un β-blocage)
Tous les halogénés induisent une protection myocardique contre l’ischémie (préconditionnement).


© BETTEX D, CHASSOT PG, RANCATI V,  Janvier 2008, dernière mise à jour, Octobre 2018
 
 
Références
 
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09. Anesthésie en cas d'ischémie et de revascularisation coronariennes