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Causes et traitement de l’ischémie peropératoire

Avant la CEC, le nombre et la durée des épisodes d’ischémie ont une valeur pronostique sur l’incidence d’infarctus postopératoire [6]. L’ischémie peut être déclenchée par différents phénomènes.
 
  • Stimulation sympathique intense : intubation, douleur (incision, sternotomie), dissection du sympathique péri-aortique lors des manipulations de l’aorte ascendante, démarrage de la CEC (perfusat hypothermique) ; l’anesthésie doit être suffisamment profonde dans ces moments pour bloquer la stimulation sympathique.
  • Episodes de tachycardie et d’hypotension ; béta-bloqueurs et vasopresseurs maintiennent les valeurs hémodynamiques dans les normes (fréquence 50-65 batt/min, PAM 75-80 mmHg).
  • Spasme coronarien lors des stimulations intenses ou des manipulations du cœur.
  • Rupture de plaque instable et thrombose coronarienne.
  • Hibernation : les territoires chroniquement ischémiés sont sévèrement hypokinétiques ou akinétiques mais viables lorsqu’ils sont reperfusés.

Situation post-CEC
 
L'incidence d'échec sur les greffons voisine 3-5%: 3-12% pour les greffons veineux, 3-4% pour l'artère radiale et 1-2% pour l'artère mammaire interne [13]. Après la CEC, on peut rencontrer plusieurs origines à une élévation persistante du segment ST sur l’ECG ou à la présence de nouvelles ACS (akinésie) à l’ETO [4].
 
  • Complications chirurgicales : microembolies athéromateuses (notamment en cas de thrombendartérectomie), problèmes techniques sur une anastomose, coudure, torsion ou longueur inadéquate d’un pontage.
  • Embolisation d’air, essentiellement dans la CD et les pontages veineux (implantations à la face antérieure de l’aorte) ; l’effet s’estompe en une dizaine de minutes. Traitement : ponction des bulles à l’aiguille fine, augmentation de la pression de perfusion et de la puissance contractile (catécholamines α et β).
  • Spasme de pontages artériels (mammaire, radiale). Traitement: diltiazem en perfusion, abtention de Ca2+.
  • Revascularisation incomplète ; le territoire non-revascularisé n’a pas bénéficié de l’opération mais subit le contre-coup de la CEC, de l’arrêt cardiaque et de la cardioplégie.
  • Faible débit de pontages greffés sur des vaisseaux dont le débit périphérique est insuffisant (micro-angiopathie diabétique).
  • Rapport DO2/VO2 défavorable : stress, douleur, hypotension, tachycardie, dosage excessif de catécholamines β.
  • Tension excessive sur un greffon mammaire dû à une hyperinflation pulmonaire (PEEP excessive).
  • Thrombose d’un vaisseau ou d’une anastomose (hyperagrégabilité plaquettaire, protamine, perfusion excessive de plaquettes ou de plasma frais décongelé).
  • Sidération : malgré un flux coronaire redevenu normal, la dysfonction myocardique persiste ; elle mettra plusieurs heures ou plusieurs jours à se rétablir.
  • La présence d’un anévrysme du VG cause une élévation fixe du segment ST.
 
Le traitement d’une ischémie aiguë dans un territoire particulier porte sur plusieurs points.
 
  • Maintien de la pression de perfusion coronarienne : vasopresseur α.
  • Frein à la tachycardie : dosage minimal d’amines β, béta-bloqueur (esmolol).
  • Electro-entraînement auriculo-ventriculaire (fréquence 60-70 batt/min) en cas de rythme jonctionnel ou d’arythmie.
  • Correction de l’anémie (Hb 80-100 gm/L) et de l’hypoxie (FiO2 0.8-1.0).
  • Perfusion de nitroglycérine (5-20 mcg/kg/min) ; perfusion de diltiazem (0.1 mg/kg/min) en cas de spasme artériel (éviter l’utilisation simultanée de diltiazem et de béta-bloqueur à cause du risque de bradycardie rebelle).
  • Support inotrope en cas de bas débit cardiaque et d’élévation de la Ptd ventriculaire (la baisse de la pression aortique et l’augmentation de la PtdVG diminuent la pression de perfusion coronarienne) ; toutefois, l’utilisation indiscriminée de catécholamines conduit à une demande excessive en O2. Indication préférentielle à un soutien hémodynamique externe (voir point suivant). Le levosimendan est l'agent inotrope qui modifie le moins le rapport DO2/VO2, mais l'installation de son plein effet demande environ 4 heures [8,11,17]. 
  • Mise en place d’une contre-pulsion intra-aortique (augmentation de la perfusion coronarienne et baisse de la postcharge du VG), d'une assistance ventriculaire (Impella™), ou d'une ECMO. Même si le soutien hémodynamique n’est utile que pendant quelques heures, son indication doit être généreuse, car il diminue le travail et la postcharge du VG et augmente la pression de perfusion coronaire sans augmenter la mVO2 comme le font les catécholamines.
  • Correction du problème chirurgical, retour en CEC, réfection d’anastomose.
La question cruciale est évidemment l’adéquation du flux dans les pontages. Bien que le 70% des chirurgiens se contente de la palpation, plusieurs techniques permettent de vérifier la perméabilité des greffons et de mesurer le débit sanguin local après revascularisation [1]. 
 
  • Angiographie mobile peropératoire : compliqué et encombrant, peu utilisé.
  • Angiographie thermique : mesure la différence de température entre les pontages et le ventricule après injection de cardioplégie chaude ou froide ; la caméra est manipulée par l’opérateur au dessus du champ opératoire.
  • Fluorescence : injection de vert d’indocyanine (1 mL) dans l’aorte ou la PVC et mesure de la luminosité par une caméra laser infra-rouge ; ne permet pas la mesure quantitative du flux et manque de précision. Ces trois techniques sont pratiquement abandonnées.
  • Fluxmètre Doppler péri-vasculaire par mesure du temps de transit des ultrasons entre deux cristaux émetteurs situés d’un côté du vaisseau et un réflecteur situé de l’autre (voir Figure 9.39). C’est la technique la plus utilisée. Le flux doit être pulsatile et biphasique, avec deux composantes antérogrades, l'une brève en protosystole (S), et l'autre longue en diastole (D). La vélocité du flux diastolique doit être d'au moins 15 cm sec-1, et le flux moyen de plus de 20 mL min-1. En cas de sténose anastomotique, le tracé du flux est très pointu et essentiellement systolique ; on peut voir un épisode de reflux. Les valeurs absolues du flux sont moins importantes que sa pulsatilité, décrite par l'index de pulsatilité (IP), que l'on obtient en divisant la différence entre le flux maximal et le flux minimal par le flux moyen : IP = (Fmax – Fmin) / Fmoy. L'IP optimal est situé entre 1 et 5. Une basse vélocité, un flux moyen < 15 mL/min et un IP > 5 ont une haute valeur pronostique pour l'occlusion ultérieure du greffon, et doivent conduire à une révision immédiate de l'anastomose [16]. 
Appliquées de routine, ces différentes techniques montrent que 3-5% des pontages ne fonctionnent pas dès leur déclampage [1,16]. 
 
Si de l’air est resté pris dans les trabéculations du VG, une embolisation coronarienne massive peut se produire lors d’un changement de position du corps, notamment lors de la mise au lit, et provoquer un état de choc cardiogène soudain. 
 
Infarctus postopératoire
 
Conventionnellement, l'infarctus postopératoire après revascularisation chirurgicale (infarctus de type 5) est diagnostiqué sur la base des éléments suivants [15].
 
  • Montée et descente typiques du taux de troponine (TnT-hs) avec un pic (> 10 fois la valeur du 99ème percentile) après l'acte chirurgical (en l'absence d'autre explication, telle une embolie pulmonaire), en combinaison avec l'un au moins des éléments suivants :
    • Douleurs ischémiques (peu fréquentes).
    • Apparition progressive d'onde Q pathologiques (≥ 30 ms dans 2 dérivations ECG contiguës).
    • Modifications du segment ST (sus-décalage ≥ 1 mm, sous-décalage ≥ 1-2 mm) dans au moins 2 dérivations contiguës ; apparition d’un bloc de branche gauche.
    • Inversion symétrique de l'onde T (> 1 mm).
    • Nouvelles altérations de la cinétique segmentaire à l'échocardiographie (lésion impliquant > 20% de l'épaisseur de la paroi myocardique).
  • Intervention sur les coronaires (pontage aorto-coronarien).
  • Image coronarographique de thrombose de vaisseaux natifs, de stents ou de greffons.
  • Infarctus aigu ou cicatrisé à la pathologie.
Le taux d’infarctus postopératoire après PAC varie de 0.1% à 14% selon les études, avec une moyenne de 2.4% à 3.4% [10,12], mais le mode de définition de l’infarctus postopératoire est un problème majeur : son incidence peut varier de 3-14% sur la base de l’ECG à 20-31% sur celle de l'IRM [5]. L'ECG est souvent difficile à interpréter dans le postopératoire immédiat et ses altérations sont fréquemment transitoires (voir Infarctus postopératoire en chirurgie cardiaque). Bien qu’elles ne permettent pas de faire la différence entre une ischémie et les dégâts de l’intervention chirurgicale elle-même, les troponines sont un indicateur assez spécifique d’infarctus en chirurgie cardiaque [3]. Mais une élévation isolée de ≤ 10 fois la limite supérieure de référence (LSR) survient dans la majorité des patients qui subissent des pontages aorto-coronariens (PAC), notamment lorsqu'on teste les troponines à haute sensibilité (TnT-hs) [18]. Pour éviter une surestimation de l'infarctus, le taux de troponines considéré comme diagnostique a été relevé à > 70 fois la LSR en valeur isolée et de > 35 fois la LSR lors d'association avec une onde Q sur l'ECG [9]. Si la valeur préopératoire était déjà anormale, une élévation de > 20% est considérée comme diagnostique, pour autant que la valeur soit > 10 fois la valeur du 99ème percentile [15]. Mais la réalité clinique montre qu'il existe une relation graduelle entre le taux de troponine et la mortalité à 30 jours, indépendamment du diagnostic d'infarctus [2,13].
 
La prise en charge est basée sur le soutien hémodynamique et sur la revascularisation. La clinique est variable: difficulté à sortir de pompe, instabilité hémodynamique, arythmies réfractaires ou choc cardiogène. Les taux de troponines sont particulièrement élevés lors d'occlusion de pontage: > 45 fois la LSR à 12 heures et > 70 fois la LSR à 24 heures, alors que l'ECG ou l'imagerie cardiologique sont peu spécifiques [14]. Dans 80% des cas, la coronarographie révèle une thrombose, une coudure, une sténose, un spasme artériel ou une revascularisation incomplète [7]. Comme une réintervention précoce limite l'étendue de l'infarcissement, il est recommandé de procéder rapidement à une angiographie dès que la suspicion est fondée (voir Figure 9.9). La PCI avec pose de stent est efficace dans les lésions situées sur les artères natives et dans les greffons artériels, mais décevante dans les greffons veineux et sur les sites d'anastomose. La revascularisation chirurgicale est préférée lorsque l'anatomie ne se prête pas à une reconstruction endovasculaire ou lorsque le territoire incriminé est très important [19]. Pour éviter de nouvelles lésions d'ischémie-reperfusion lors de la CEC, il peut être préférable de procéder à un pontage à cœur battant avec le soutien hémodynamique de la machine cœur-poumon mais sans cardioplégie ni clampage aortique [13].
 
 
 
Ischémie-infarctus en cours de PAC
Avant la CEC, le patient souffre d’ischémie myocardique active. Risques d'ischémie:
    - Stimulation sympathique
    - Hypotension
    - Tachycardie
    - Hibernation
 
Après la CEC, la perfusion coronaire est en principe rétablie. Causes d'ischémie:
    - Problème chirurgical (coudure, anastomose)
    - Problème hémodynamique (hypotension, bas débit, anémie aiguë)
    - Embolie (air, athérome)
    - Revascularisatioon incomplète
    - Spasme artériel, tension, coudure sur la mammaire
    - Thrombose (hypercoagulabilité)
    - Sidération
 
Contrôle des pontages par débitmétrie Doppler. 
 
Le taux d’infarctus postopératoire après PAC varie en moyenne de 2 à 4%. Le diagnostic est posé sur les modifications de l’ECG et l’élévation des troponines. Des altérations électriques pathognomoniques et une élévation des troponines à > 70 fois leur valeur de base commandent une coronarographie d'urgence.


© BETTEX D, CHASSOT PG, RANCATI V,  Janvier 2008, dernière mise à jour, Novembre 2019
 
 
Références
 
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09. Anesthésie en cas d'ischémie et de revascularisation coronariennes