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Physiopathologie
La subdivision première de l’insuffisance mitrale est une répartition entre IM primaire (lésion structurelle des feuillets, de l'anneau ou de l'appareil sous-valvulaire) et IM secondaire (valve normale et lésion/dysfonction ventriculaire gauche). Par ailleurs, l'IM est habituellement classée en trois types selon le déplacement du bord libre des feuillets par rapport au plan de l'anneau (classification de Carpentier) (Figure 11.67) [2].
- Type I: le mouvement des feuillets et leur structure sont normaux;
- Type II: le mouvement des feuillets est excessif (bascule dans l’OG);
- Type III: le mouvement des feuillets est restrictif:
Figure 11.67 : Classification des mécanismes de l’insuffisance mitrale et morphologie du jet d’IM selon Carpentier. A : Type I, les feuillets sont normaux. B : Type II, excès de tissu valvulaire avec bascule d’un feuillet (± rupture de cordage). C : Type II, excès de tissu valvulaire avec recul du point de coaptation > 2 mm en arrière du plan de l’anneau (vue long-axe 120-140°). D : Type IIIa, restriction systolo-diastolique des feuillets dans le RAA. E : Type IIIb, restriction systolique symétrique des feuillets dans la dilatation globale du VG. F : Type IIIb, restriction systolique asymétrique d’un feuillet lors d’ischémie du VG avec akinésie/dyskinésie segmentaire.
Les types II et IIIa sont des IM primaires structurelles, alors que les types I et IIIb correspondent à des IM secondaires fonctionnelles.
Insuffisance fonctionnelle (type I)
La régurgitation fonctionnelle est due à une dilatation de l’anneau, ou à des calcifications (MAC: mitral annular calcification) qui empêchent la contraction systolique de celui-ci; le mouvement des feuillets est normal. L’IM sur fente (cleft) du feuillet septal dans le canal atrio-ventriculaire ou l’IM sur perforation endocarditique sont classées dans cette catégorie (Vidéo).
Vidéo: Vue tridimensionnelle de la valve mitrale depuis l'OG; présence d'une fente (cleft) dans le feuillet antérieur.
La dilatation de l'anneau mitral est elle-même due à plusieurs phénomènes [6].
Vidéo: Vue tridimensionnelle de la valve mitrale depuis l'OG; présence d'une fente (cleft) dans le feuillet antérieur.
La dilatation de l'anneau mitral est elle-même due à plusieurs phénomènes [6].
- Dilatation chronique du VG sur dysfonction et défaillance ventriculaire, ou sur remodelage;
- Dilatation aiguë du VG à cause d'une surcharge de volume ou de pression; d’importance variable, l'IM peut n’être que transitoire;
- Akinésie basale;
- Dilatation massive de l'OG.
La dilatation de l'anneau porte essentiellement sur la partie postéro-latérale, là où il est le plus mince; dans sa partie antérieure, l'anneau est fixé au trigone fibreux et à la valve aortique, et ne peut pas changer de forme [3]. A l'échocardiographie, ce type d'IM se caractérise par un jet de régurgitation central dans l'OG, de symétrie circulaire, traversant plus ou moins largement la cavité auriculaire (voir Figure 11.26A) (Vidéos).
Vidéo: Insuffisance mitrale centrale de type I; l'IM est mineure.
Vidéo: Insuffisance mitrale centrale de type I; l'IM est mineure-à-modérée.
Le rapport entre le diamètre antéro-postérieur de l'anneau et la longueur du feuillet antérieur est > 1.3 (vue long-axe 120-140°).
Vidéo: Insuffisance mitrale centrale de type I; l'IM est mineure.
Vidéo: Insuffisance mitrale centrale de type I; l'IM est mineure-à-modérée.
Le rapport entre le diamètre antéro-postérieur de l'anneau et la longueur du feuillet antérieur est > 1.3 (vue long-axe 120-140°).
Figure 11.26A : Insuffisance mitrale (IM) en vue ETO 4-cavités (0°). IM concentrique, de symétrie circulaire ; ce type de régurgitation a la même apparence dans tous les plans.
Prolapsus mitral (type II)
Dans le prolapsus mitral, l'amplitude du mouvement d'un ou des deux feuillets est augmentée, et la valve souffre d'un excès de tissu. Comme on l'a déjà mentionné, l'affection prend plusieurs aspects (Figure 26.13).
- Ballonnisation d'un feuillet; une partie du corps d'un feuillet fait protrusion dans l'OG, mais le point de coaptation est en position normale, du côté ventriculaire du plan de l'anneau mitral;
- Recul du point de coaptation de > 2 mm en arrière du plan de l'anneau mitral (défini en vue long-axe du VG 120°, voir Figure 11.3) (Vidéo);
Vidéo: Prolapsus de la partie médiane du feuillet postérieur (P2) en vue 4-cavités 0°.
- Flottement d'un feuillet dans l'OG (floppy valve) (Vidéo);
Vidéo: Prolapsus dégénératif avec ballonisation et remaniements des deux feuillets de la valve mitrale (vue 2-cavités 90°).
- Bascule d'un feuillet (flail leaflet), lié à un allongement ou à une rupture de cordage (Vidéos);
Vidéo: Vue tridimensionnelle depuis l'OG d'un prolapsus du feston antérieur du feuillet postérieur (P1) avec rutpure de cordage, situé à l'écran sur la partie inférieure gauche de la valve.
Vidéo: Prolapsus et remaniement de la partie moyenne du feuillet postérieur (P2, à gauche de l'écran) en vue long-axe 120°; l'orifice de régurgitation est important.
Vidéo: Prolapsus et rupture de cordages des festons moyens et postérieurs du feuillet postérieur (P2-P3) en vue 3D long-axe du VG.
- Combinaison des éléments ci-dessus.
Figure 26.13 : Différentiation du prolapsus (A), de la ballonisation (B) et du basculement (flail) (C). Dans le premier cas, le point de coaptation est situé ≥ 2 mm en arrière du plan de l'anneau mitral, dans l'OG. Dans le deuxième cas, le point de coaptation est normalement situé mais l’excès de tissu valvulaire induit un bombement systolique du corps d’un feuillet. Dans le basculement, tout ou partie d’un feuillet est éversé dans l’OG, la plupart du temps avec une rupture de cordage(s).
L'échocardiographie transoesophagienne est l'examen de premier choix pour mettre en évidence ces différentes lésions (voir Figure 11.64). L'aspect du jet intra-auriculaire donne une clef sur le mécanisme en jeu (Figure 11.26B) [12].
- Central dans le cas d'un simple recul du point de coaptation (Vidéo);
Vidéo: Insuffisance mitrale centrale de type I.
- Excentrique et oblique dans l'OG dans le cas d'un bascule ou d'une rupture de cordage; le jet est orienté en direction opposée au feuillet atteint: en direction du septum interauriculaire en cas de prolapsus du feuillet postérieur et direction de la paroi postéro-latérale en cas de prolapsus du feuillet antérieur (Vidéos).
Vidéo: Insuffisance mitrale excentrique dirigée vers le septum interauriculaire, due à un prolapsus du feuillet postérieur (vue 4-cavités 0°).
Vidéo: Insuffisance mitrale excentrique dirigée vers la paroi latérale de l'OG, due à un prolapsus de la commissure antérieure sur ischémie du muscle papillaire antérieur.
Figure 11.26B : Insuffisance mitrale (IM) excentrique sur prolapsus du feuillet postérieur; elle est dirigée vers le septum interauriculaire. Il s’agit d’une IM sévère comme le prouvent la largeur de la vena contracta (flèche jaune) et la présence d’un important PISA (zone d’accélération concentrique) sur le versant ventriculaire.
Insuffisance restrictive (type III)
Dans l’insuffisance mitrale restrictive, la course valvulaire est limitée et la fermeture insuffisante car les feuillets sont retenus en dessous du plan de l’anneau mitral pendant la systole par différents mécanismes (Figure 11.68).
- Type IIIa (systolo-diastolique): l'appareil valvulaire et l'appareil sous-valvulaire sont fibrosés et rétractés; l'ouverture et la fermeture incomplètes de la valve sont typiques des valvulopathies rhumatismales dont les feuillets sont retenus par la fusion commissurale (Vidéo).
Vidéo: Fusion commissurale dans une sténose mitrale.
- Type IIIb symétrique: la dilatation globale du ventricule écarte les piliers, tire sur les cordages et maintient les feuillets dans la cavité ventriculaire pendant la systole, en-dessous du plan de coaptation. La dysfonction et la sphéricisation du VG étant homogènes, la traction sur les feuillets est symétrique; l'IM est centrale dans l'OG (Vidéos).
Vidéo: Insuffisance mitrale restrictive sur dilatation et dysfonction du VG; le point de coaptation mitrale est situé bien en-dessous du plan de l'anneau.
Vidéo: Insuffisance mitrale restrictive sur dilatation et dysfonction du VG; les feuillets mitraux restent presque immobiles au cours du cycle cardiaque.
- Type IIIb asymétrique: bien qu'opérant par le même mécanisme de traction systolique, une dyskinésie ischémique segmentaire ne concerne qu'une partie de la paroi ventriculaire et ne rétracte qu'une portion des feuillets. L'IM est asymétrique et son jet oblique dans l'OG (Vidéo).
Vidéo: Insuffisance mitrale restrictive sur ischémie antéro-latérale sévère.
Figure 11.68 : Insuffisance mitrale restrictive. A : Type IIIa, restriction systolo-diastolique des feuillets dans le RAA. B : Type IIIb, restriction systolique symétrique des feuillets dans la dilatation globale du VG. C : Type IIIb, restriction systolique asymétrique d’un feuillet lors d’ischémie du VG avec akinésie/dyskinésie segmentaire.
Lors d’insuffisance ventriculaire gauche, l'IM restrictive (IIIb symétrique) est un excellent marqueur du degré de dysfonction ventriculaire parce qu'elle traduit le degré de dilatation du VG; son augmentation à l’effort est un bon prédicteur de mortalité [13]. En sortant de CEC, elle est un indice très sensible d'une défaillance systolique momentanée (soutien catécholaminergique insuffisant), d'une surcharge de volume (mise en charge trop rapide), de résistances artérielles trop élevées (excès de vasoconstricteur) ou d'ischémie aiguë (pontage inopérant).
Insuffisance mitrale aiguë
L’IM aiguë est déclenchée par une rupture de cordage (maladie de Barlow) ou de pilier (nécrose ischémique), par une endocardite (perforation, destruction tissulaire) et par une défaillance aiguë du VG (sortie de CEC). Le remodelage des cavités est absent dans l’insuffisance aiguë, sauf si elle survient en cours d'évolution d'une affection chronique. Comme l’OG n’est pas dilatée, le reflux systolique dans les veines pulmonaires est important (disparition ou inversion de la composante systolique du flux veineux pulmoanire) et l’onde "v" est massive sur la courbe de PAPO. La stase gauche conduit à l'œdème pulmonaire, qui peut parfois être unilatéral si le jet de l'IM est dirigé très obliquement à travers l'OG.
Le traitement médical ne vise qu'à la stabilisation du malade jusqu'à l'opération: vasodilatateurs (nitroprussiate), agent inotrope (dobutamine, milrinone ± adrénaline), ventilation en pression positive et contre-pulsion intra-aortique.
Remodelage
L'insuffisance mitrale induit une surcharge de volume puisqu’une partie du volume éjecté part dans l’OG et revient dans le VG à la diastole suivante. Elle s'accompagne d'une dilatation de l'OG, d'une augmentation du volume télédiastolique (Vtd) ventriculaire et d'une hypertrophie excentrique du VG, proportionnelles à l'importance et à la durée de la maladie (Figure 11.69). Comme le VG travaille dans des conditions favorables (postcharge basse et précharge élevée), la fraction d'éjection est normale ou élevée, et masque la dysfonction qui s'installe progressivement. Lorsque le patient devient symptomatique, la fonction ventriculaire est déjà altérée de manière très significative, contrairement aux sténoses où les symptômes apparaissent avant la dysfonction du VG. Plus l'OG est dilatée, plus le risque de fibrillation auriculaire (FA) est grand. Le prolapsus avec IM significative présente un taux de FA, de défaillance ventriculaire et de décès cardiaque de 51% à 5 ans [4]. Laissée à elle-même, cette IM a une mortalité de 90% à 10 ans (7-8%/an) [7].
Figure 11.69 : Silhouette des cavités cardiaques dans l'insuffisance mitrale sévère; le VG et l'OG sont dilatés, les feuillets de la valve mitrale ne coaptent pas ou un feuillet bascule dans l'OG, le septum interauriculaire bombe en systole dans l’OD.
Dans l’insuffisance mitrale, la stase pulmonaire et l’HTAP sont moins fréquentes qu’en cas de sténose. Cela tient à deux raisons.
- La dilatation auriculaire augmente la compliance de l’OG, donc freine l’à-coup de pression représenté par la régurgitation.
- L’IM est systolique ; l’augmentation de pression est brêve et ne dure pas pendant tout le cycle cardiaque. La POG moyenne est très inférieure à la pression du pic de l’onde "v" ; elle est plus basse que celle qui règne dans l’OG en cas de sténose mitrale.
L'absence de dilatation de l'OG et du VG n'est pas compatible avec une IM chronique sévère. Par contre, on peut la rencontrer dans les IM aiguës.
IM et hémodynamique
Même si l’on rencontre souvent des situations où les trois types d'insuffisance mitrale se combinent, cette classification est importante pour la clinique, car le comportement hémodynamique diffère d’une catégorie à l’autre (Figure 11.70):
- Types I et III: la régurgitation est diminuée par la réduction du volume ventriculaire en systole, qui permet aux feuillets de retrouver une coaptation normale; ceci se produit grâce à une baisse de postcharge, une amélioration de la fonction systolique, ou une diminution du remplissage [11].
- Type II sur prolapsus (avec recul du point de coaptation): la régurgitation est diminuée par un agrandissement de la taille du ventricule en systole, qui tend les cordages et ramène le feuillet prolabant vers le plan de coaptation; ceci est réalisé par une augmentation de précharge et par une baisse de contractilité (voir Maladie de Barlow). Ce phénomène est significatif dans la maladie de Barlow accompagnée d'une IM modérée ou modérée-à-sévère sans rupture de cordage. Une baisse de précharge et de postcharge conduisent à surestimer l'importance de l'IM [5].
- Type II sur rupture de cordage: la bascule complète d'un feston ou d'un feuillet engendre une IM sévère qui n'est plus modifiée par la taille du VG, mais dépend essentiellement de la pression systolique: elle augmente en cas de poussée hypertensive [5].
Figure 11.70 : Comportement différent de la régurgitation mitrale avec les variations de volémie selon le type d’IM. A et B: hypervolémie; le ventricule se dilate, son volume télésystolique (Vts) augmente; l'IM diminue dans le prolapsus (A) car les cordages sont tirés vers le bas, mais augmente dans les types I et III (B), car la restriction des feuillets mitraux s'accroît. C et D: hypovolémie; le ventricule se rappetisse, son volume télésystolique diminue; l'IM augmente dans le type II (C) car les cordages ont davantage de course, mais diminue dans les types I et III (D), car la restriction diminue et les feuillets arrivent presque à coapter.
Quel qu’en soit le mécanisme, la régurgitation mitrale crée une surcharge de volume pour le coeur gauche, puisqu’une partie du volume systolique ne fait que des allers et retours entre l’oreillette et le ventricule. Le VG est hypertrophié et dilaté, l’OG est agrandie ; la géométrie du VG se modifie: il prend une forme plus arrondie, car la sphère offre le maximum de volume par unité de périmètre. La surcharge de volume est illustrée par l’agrandissement et le déplacement vers la droite de la boucle pression-volume (Figure 11.71) (pour la construction de la boucle PV, voir Figure 11.19). La fuite dans l’OG maintient une postcharge constamment basse, et la phase de contraction isovolumétrique est pratiquement supprimée parce que la régurgitation commence dès que la pression intraventriculaire dépasse celle de l'OG, bien avant l'ouverture de la valve aortique. Etant une bonne pompe-volume, le ventricule gauche tolère une fraction régurgitée de 40% et ne se détériore que lorsque cette fraction dépasse 50% [9]. La boucle P/V démontre aussi la répartition du travail ventriculaire entre le travail interne de pression (Tpr) et le travail externe d’éjection (Téj). En cas d’IM, la majeure partie de l’énergie est consacrée au travail externe d’éjection ; le travail de pression est réduit puisque l’insuffisance agit comme une soupape qui maintient la postcharge basse. L’efficience énergétique (rapport Tpr/Téj) est très bonne, et la consommation d’O2 est modestement augmentée, bien moins que dans une surcharge de pression. Par rapport à l’insuffisance aortique, la postcharge est plus basse et la surcharge de volume se fait à une pression inférieure (POG au lieu de PAdiast) [8]. Toutefois, la diminution de postcharge chronique, bien que favorisant l'éjection ventriculaire, réduit aussi le stress de paroi à long terme et diminue la performance contractile des fibres myocardiques, qui involuent progressivement [1]. Le risque ischémique n’existe que s’il survient une maladie coronarienne concomitante.
Figure 11.71 : Boucle pression - volume en cas d’insuffisance mitrale chronique (IM). La pente Emax et la courbe de compliance sont normales, mais le volume éjecté (VS, rouge) est très augmenté par rapport à la normale (flèche jaune). Comme la valve mitrale fuit dès que la pression monte dans le VG, la phase de contraction isovolumétrique est quasi-inexistante et le VG régurgite dans l’OG avant même d’éjecter dans l’aorte ; c’est la raison de la pente oblique de cette phase (flèches blanches). Le travail de pression (triangle pointillé bleu clair) est abaissé par rapport à la normale. L’IM représente une surcharge de volume à postcharge basse, situation énergétiquement très favorable pour le VG. Dans l’IM aiguë, la dilatation ventriculaire n’existe pas, le volume est à la limite supérieure de la normale, mais la pression télédiastolique est très élevée.
Le volume régurgité dépend de la taille de l’orifice mitral en systole (> 0.4 cm2 en cas d’IM sévère) et du gradient de pression entre le VG et l’OG. Ces deux données ne sont pas des valeurs fixes: leur variabilité est déterminée par plusieurs phénomènes hémodynamiques.
- La postcharge du ventricule gauche: celui-ci fonctionne comme s'il avait deux issues, l'aorte et l'oreillette gauche. L'impédance à l'éjection est évidemment plus basse dans l'OG que dans le système artériel; les variations des résistances artérielles périphériques vont donc conditionner la répartition des deux flux systoliques. Le volume de l’IM diminue si les résistances systémiques baissent. L’IM est extrêmement sensible à la postcharge systémique, particulièrement en cas d’IM fonctionnelle.
- La précharge est haute puisqu’une partie du volume systolique revient dans le ventricule à la diastole suivante; le débit antérograde à travers la mitrale est élevé. L’hypervolémie dilate le ventricule et augmente l’importance de l’IM. Cependant, l'inverse n'est pas vrai: l’hypovolémie est mal tolérée, quand bien même elle diminue le volume ventriculaire. En effet, la fraction régurgitée augmente si le volume systolique global baisse, parce que l’impédance de l’OG reste plus basse que celle de l’aorte, surtout lorsque l’hypovolémie s’accompagne d’une vasoconstriction artérielle. La fuite mitrale opère un phénomène de vol constant, et le débit systémique baisse.
- La fonction ventriculaire est le principal déterminant du gradient de pression entre le VG et l'OG. Si la contractilité est basse, le flux de l'IM est artificiellement diminué. La fraction d'éjection est un piètre reflet de la fonction systolique, car l’éjection a lieu pour une bonne part dans le système à basse pression de l’OG; le VG fonctionne dans un mode à précharge élevée et à postcharge basse très favorable, et masquant son éventuelle baisse de contractilité.
- La compliance de la cavité de réception modifie l’importance d’une régurgitation. Celle de l'OG dépend de son volume et du tonus de sa paroi. Dans les IM chroniques, l'oreillette se dilate et devient très mince, ce qui favorise la régurgitation et tamponne l’à-coup de pression. La compliance auriculaire est, avec la fonction ventriculaire, le principal déterminant de l'onde "v" générée par l'IM sur la courbe de PAPO. L'amplitude de cette onde de pression ne traduit pas l'importance de l'insuffisance mitrale, mais la résistance opposée par l’OG au flux sanguin régurgité en systole; elle est très prononcée dans les IM aiguës, car l’oreillette est de taille et de compliance normales, mais modérée ou normale dans les IM de longue durée où l’OG est distendue et très compliante (diamètre OG > 5.5 cm) [10].
- La pression moyenne de l’OG: le déclenchement de l’IM est retardé si cette pression s’élève. La ventilation en pression positive augmente le retour par les veines pulmonaires et freine l'IM; de plus, l'augmentation de la pression endothoracique diminue la pression transmurale des cavités gauches et la postcharge effective du VG. Les patients souffrant d’IM tolèrent donc bien la ventilation en pression positive.
La pression veineuse pulmonaire s’élève peu à peu au cours de la maladie et la stase interstitielle pulmonaire s’installe. A cette élévation de la pression pulmonaire postcapillaire s’ajoute une augmentation réactionnelle des RAP précapillaires qui contribue à l’hypertension pulmonaire. Toutefois, la dilatation et la décompensation du coeur droit sont moins fréquents dans l’insuffisance que dans la sténose mitrale.
Physiopathologie de l’insuffisance mitrale |
IM de type I : insuffisance fonctionnelle, mouvement et structure des feuillets normaux:
- Dilatation de l’anneau (dilatation du VG)
- Non-contraction de l’anneau (calcifications, ischémie basale)
IM de type II : mouvement excessif des feuillets, basculés dans l’OG en systole:
- Prolapsus (recul du point de coaptation > 2 mm en arrière du plan de l’anneau en vue long-axe du VG 120°)
- Ballonnisation, excès de tissu et flottement des feuillets dans l’OG
- Bascule d’un feuillet, rupture de cordage ou de pilier
IM de type III : feuillets retenus du côté ventriculaire par traction excessive sur les cordages:
- IIIa (restriction systolo-diastolique) : rétraction des feuillets et des cordages (RAA)
- IIIb symétrique (systolique) : traction sur les cordages par déplacement apical et latéral des muscles papillaires (dilatation du VG)
- IIIb asymétrique (systolique) : akinésie/dyskinésie de segments contigus à un pilier (ischémie)
Conditions hémodynamiques en cas d’IM:
- Postcharge basse (la fuite dans l’OD débute pendant la contraction isovolumétrique)
- Précharge élevée (le volume régurgité revient dans le VG à la diastole suivante)
- Fonction systolique du VG facilitée malgré une baisse de contractilité (FE non discriminante)
- Dysfonction ventriculaire déjà présente lorsque le patient devient symptomatique
- Compliance de l’OG élevée si OG dilatée (amortissement de pression, onde "v" modérée)
- P OG (élevée, elle retarde le déclenchement de l’IM et diminue le ΔP VG - OG)
L’importance de l’IM dépend des conditions hémodynamiques:
- IM ↑ si : RAS ↑, Vts VG ↑
- IM ↓ si : RAS ↓, Vts VG ↓, contractilité ↑
- IM type II : l’IM peut ↑ si Vts VG ↓
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Caractéristiques hémodynamiques de l'insuffisance mitrale |
Précharge élevée (surcharge de volume du VG)
Postcharge basse (l’IM fuit dès que PVG > POG)
Dilatation du VG (diamètre télédiastolique > 7 cm ou > 4 cm/m2)
Fonction systolique altérée malgré une FE conservée
Critère de dysfonction du VG: diamètre télésystolique > 4 cm (> 2.5 cm/m2)
L’IM fonctionnelle augmente si : RAS ↑, Vtd ↑, contractilité ↓
Le DC systémique dépend de RAS basses
Intolérance à l’hypovolémie
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© CHASSOT PG, BETTEX D, Août 2011, dernière mise à jour Août 2018
Références
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- YIU SF, ENRIQUEZ-SARANO M, TRIBOUILLOY C, et al. Determinants of the degree of functional mitral regurgitation in patients with systolic left ventricular dysfunction: A quantitative clinical study. Circulation 2000; 102:1400-6
11. Anesthésie et valvulopathies
- 11.1 Introduction : prévalence et risques des valvulopathies
- 11.2 Rappel physiopathologique général
- 11.3 Imagerie valvulaire
- 11.4 Situations particulières
- 11.5 Chirurgie valvulaire
- 11.6 Insuffisance mitrale
- 11.6.1 Etiologie de l'insuffisance mitrale
- 11.6.2 Physiopathologie
- 11.6.3 Manifestations cliniques
- 11.6.4 Echocardiographie de l'insuffisance mitrale
- 11.6.5 Indications et résultats opératoires
- 11.6.6 Principes pour l'anesthésie
- 11.6.7 CEC et post CEC
- 11.6.8 IM primaire sur maladie de Barlow
- 11.6.9 IM secondaire sur ischémie myocardique
- 11.6.10 IM secondaire sur défaillance du VG
- 11.7 Sténose mitrale
- 11.8 Sténose aortique
- 11.8.1 Nosologie
- 11.8.2 Physiopathologie
- 11.8.3 Manifestations cliniques
- 11.8.4 Echocardiographie de la sténose aortique
- 11.8.5 Indications et résultats opératoires
- 11.8.6 Principes pour l'anesthésie en chirurgie cardiaque
- 11.8.7 CEC et post-CEC
- 11.8.8 Sténose sous-aortique dynamique
- 11.8.9 Anesthésie pour la chirurgie non-cardiaque
- 11.9 Insuffisance aortique
- 11.10 Maladie aortique
- 11.11 Pathologie tricuspidienne
- 11.12 Pathologie de la valve pulmonaire
- 11.13 Polyvalvulopathies
- 11.14 Conclusions