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Antiplaquettaires et statines
Combinaison d'anticoagulant et d'antiplaquettaire
La thrombine active à la fois la formation de fibrine et l’agrégation des plaquettes; elle est un pont entre le système de la coagulation et celui de l’agrégation plaquettaire. Mais les thrombocytes possèdent leurs propres systèmes d’activation, et leurs nombreux récepteurs peuvent être bloqués par différentes substances (Figures 8.12 et 8.13) (Tableaux 8.11 et 8.12).
Figure 8.12 : Plusieurs types de récepteurs sont localisés à la surface d’une plaquette. Lors de lésions endothéliale, le facteur von Willebrand (FvW) et le collagène activent le récepteur GP Ib/V/IX. Ceci procoque une libération de thromboxane A2 (TXA2), d’ADP, de thrombine et de sérotonine. Ces substances vont activer les récepteurs correspondants de la plaquette et des thrombocytes du voisinage (TP α et β, P2Y1 et P2Y12, PAR1 et PAR4). La stimulation de ces récepteurs induit une élévation du Ca2+ intracellulaire et une baisse de l’AMP cyclique, ce qui conduit à une activation du récepteur GP IIb/IIIa ; celui-ci se lie au fibrinogène, qui agglutine plusieurs plaquettes entre elles, et au FvW qui ancre la plaquette à la paroi. PAR : protease-activated receptor. TP : thromboxane/prostanoid.
Figure 8.13 : Les différentes catégories d’agents antiplaquettaires, classés selon le récepteur bloqué. Inhib : inhibiteurs. IPDE : inhibiteur des phospho-diestérases. FvW : facteur von Willebrand. Fi : fibrinogène.
Sans être des anticoagulants proprement dits, les agents antiplaquettaires (AAP) inhibent l’agrégation des thrombocytes et freinent à des degrés divers la formation du “thrombus blanc” qui est la base du caillot dans les lésions vasculaires artérielles (rupture de plaque athéromateuse, par exemple) [1]. Le sujet est traité en détail dans un autre chapitre (Chapitre 29 Les antiplaquettaires).
Il arrive que l’on doive combiner un traitement anticoagulant en cours pour une prothèse valvulaire ou une fibrillation auriculaire (FA) avec une bithérapie antiplaquettaire justifiée par un récent événement coronarien. Il arrive aussi qu’une FA survienne au cours d’un syndrome coronarien aigu et impose une anticoagulation en sus des antiplaquettaires. Cette triple thérapie comporte évidemment un risque hémorragique accru: le taux de saignement est augmenté de 1.6 à 4 fois par rapport à la bithérapie [5]. De ce fait, seul le clopidogrel entre en ligne de compte dans cette situation, le ticagrelor et le prasugrel étant trop hémorragipares. D'autre part, la triple thérapie est limitée à 3-6 mois [13,14]. La combinaison des antiplaquettaires avec un nouvel anticoagulant oral comme le dabigatran est moins hémorragipare que l’association à la warfarine [2]. Dans les situations où le risque de pertes sanguines est élevé, il est probablement plus efficace d’omettre l’aspirine : l’étude WOEST a comparé la combinaison d’un anticoagulant et de clopidogrel avec ou sans aspirine [4]. Le risque hémorragique est significativement diminué sans aspirine (HR 0.36), alors que le risque de thrombose coronarienne ne présente pas de différence significative. Ces résultats ont été confirmés par un registre danois portant sur 12'165 patients [9]. Il semble donc possible de renoncer à l’aspirine chez les malades sous anticoagulants nécessitant un antiplaquettaire, tout au moins lorsque le risque hémorragique est élevé et lorsque le status coronarien est stable [3].
L’addition de rivaroxaban à la bithérapie antiplaquettaire tend à réduire le risque cardiovasculaire après syndrome coronarien aigu (HR 0.69), mais au prix d'un risque hémorragique 2 à 5 fois plus élevé et directement proportionnel au dosage de l'anticoagulant (de 5 à 20 mg/j) [10]. L'addition d’une faible dose de rivaroxaban (2.5 mg 2x/j) diminue le taux d’infarctus, d’AVC, de mortalité (HR 0.84) et de thrombose de stent (HR 0.68), mais toujours au prix d’une légère augmentation du risque de saignement intracrânien [11]. Par contre, le taux d'hémorragie est diminué (OR 0.59) sans modification du risque thrombotique en associant une dose normale de rivaroxaban (15 mg/j) à une monothérapie par un seul agent inhibiteur P2Y12 [7]. Les nouveaux anticoagulants oraux sont probablement appelés à jouer un rôle de plus en plus important après revascularisation coronarienne; plusieurs études en cours explorent différentes combinaisons de ces agents avec une réduction des antiplaquettaires, notamment de l'aspirine [6].
Cette situation pose évidemment la question de la prise en charge périopératoire de ces patients. Malheureusement, on ne dispose d'aucune donnée clinique pour y répondre avec certitude. On peut néanmoins imaginer l'attitude suivante.
- Renvoi de toute operation élective pendant la trithérapie;
- En cas d'opération vitale ou urgente, stopper le clopidogrel 5 jours et le rivaroxaban 24 heures (2x 2.5 mg/j) à 72 heures (15 mg/j) avant l'intervention;
- Continuation de l'aspirine selon le risque hémorragique opératoire;
- Abstention d'anesthésie loco-régionale rachidienne;
- Evaluer l'effet résiduel des substances en préopératoire avec un test d'agrégabilité plaquettaire et un test anti-Xa.
Statines
Les statines sont des inhibiteurs de la 3-hydroxy-3-méthylglutaryl coenzyme A réductase, très largement utilisés pour leurs effets hypolipémiants, anti-inflammatoires, anti-oxydants et stabilisateurs des plaques athéromateuses (voir Chapitre 3 Les statines). Mais les statines ont encore des effets directs à la fois sur la coagulation et sur l’agrégabilité plaquettaire [15].
- Inhibition de l’activité du facteur tissulaire (FT) et diminution de la synthèse du facteur Va;
- Activation de la thrombomoduline et de la voie de la protéine C inhibitrice de la coagulation;
- Inhibition de la formation de thromboxane A1 et activation de la synthèse de NO dans les plaquettes.
Dans plusieurs situations cliniques, les statines ont effectivement démontré une réduction significative du risque cardiovasculaire (44-63%), indépendante des autres conditions thérapeutiques : angioplastie coronarienne, syndrome coronarien aigu, thrombo-embolie veineuse profonde [8,12]. Mais il s’agit le plus souvent d’études impliquant de hautes doses de statines, qui tendent à augmenter le risque d’AVC hémorragique.
Antiplaquettaires et statines |
Les agents antiplaquettaires inhibent l’agrégation des thrombocytes et freinent la formation du thrombus blanc.
Association d'anticoagulation et d'antiplaquettaires (trithérapie pour FA et stent coronarien, par ex): préférer le clopidogrel, prescrire des doses minimales d'anticoagulant, de préférence NACOs, éventuellement supprimer l'aspirine. Durée maximale de la trithérapie: 3-6 mois.
Les statines inhibent modérément l’activité du facteur tissulaire et la formation de thromboxane A1.
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© CHASSOT PG, MARCUCCI C, Décembre 2013, dernière mise à jour, Novembre 2018
Références
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