Step 3 of 5
Arrêt et protection cardiaques par cardioplégie
La consommation en oxygène du coeur (mVO2) se contractant à son rythme de base est de 10-15 mL/100 gm/min; lorsqu'il fibrille, elle descend à 8 mL/100 gm/min (75% de la consommation de base); lorsqu'il bat sans produire de travail éjectionnel pendant la CEC, le coeur ne consomme que le 50% de ce qu'il utilise normalement (Figure 24.3) [9].
Figure 24.3 : Consommation du coeur en oxygène (mVO2) dans différentes situations. Rythme de base : débit normal en rythme sinusal. Fibrill ventricul : consommation moyenne en fibrillation venriculaire. Battant en CEC : rythme spontané en décharge totale, la circulation étant assurée par la CEC. Hyper-K+ arrêt : arrêt en diastole par une cardioplégie riche en potassium. Seul l'arrêt fonctionnel réduit significativement la mVO2 [d'après réf 9].
L'arrêt en diastole par le potassium réduit la consommation d'O2 à environ 1 mL/100gm/min en normothermie, et à 0.3 mL/100gm/min en hypothermie. Il persiste donc un faible besoin en oxygène dans le coeur arrêté. Comme l'apport est nul, le métabolisme devient anaérobique, mais ce dernier ne peut pas utiliser les acides gras libres et ne peut compter que sur la glycolyse et les acides aminés. Un oedème s'installe dans le myocarde arrêté par cardioplégie parce que la cessation de toute activité rythmique interrompt le drainage lymphatique du coeur, alors que la perfusion liquidienne continue [6].
La solution de cardioplégie doit permettre d'arrêter le coeur, de le protéger, et de lui fournir les éléments de sa survie jusqu'à la reprise de son activité. Elle doit préserver ses réserves d'ATP et ses enzymes intracellulaires, minimiser le métabolisme anaérobique, et prévenir la formation de radicaux libres et de surcharge calcique à la reperfusion. L'augmentation de la concentration de potassium extracellulaire diminue le potentiel de repos de la cellule et finit par la dépolariser. Ce phénomène inactive les canaux sodiques et stoppe la formation d'un potentiel d'action membranaire. Le coeur reste en diastole, dépolarisé jusqu'à ce que la concentration en K+ soit suffisamment diminuée pour permettre la naissance d'un nouveau potentiel d'action. Les concentrations en K+ utilisées dans les solutions de cardioplégie varient entre 18-20 mmol/L et 20-25 mmol/L pour les solutions froides et chaudes, respectivement [2]. Pour diminuer la charge nocive en Ca2+, on ajoute souvent du magnésium qui a pour effet d'orienter l'activité des mitochondries vers la synthèse d'ATP plutôt que vers le repompage de Ca2+ [1]. Une certaine concentration de calcium est nécessaire dans la cardioplégie, mais elle doit rester basse: 0.5-0.6 mmol/L dans les solutions cristalloïdes et 0.2 mmol/l dans la cardioplégie au sang.
L'hypothermie est un élément majeur dans la protection myocardique, mais il n'y a pas de consensus sur la température optimale; il semble qu'on gagne peu à descendre au-dessous de 12°, quoique la plupart des centres choisit une température de 5-10° pour les solutions de cardioplégie cristalloïdes [8]. Lorsque le coeur est en contact avec une solution glacée, le relargage massif de Ca2+ par le réticulum sarcoplasmique peut entraîner une contracture myocardique. Mais la température n'est pas l'élément majeur dans la préservation myocardique: une chute de 25°C ne diminue la consommation d'O2 du myocarde (mVO2) que de 50%, alors que l'asystolie l'abaisse de 90% même à 37°C (Figure 24.4) [3,10].
Figure 24.4 : Consommation du coeur en oxygène (mVO2) dans différentes situations. Rythme de base : débit normal en rythme sinusal. Cœur battant mais déchargé en CEC à 37°C et à 22°C. Arrêt en diastole par cardioplégie à 37°C et à 22°C. La baisse de la mVO2 est beaucoup plus importante par l'asystolie que par l'hypothermie [d'après référence 4].
Malgré l'arrêt mécanique et le refroidissement, le coeur continue à consommer de l'énergie par glycolyse anaérobe, ce qui produit une acidose intracellulaire; la récupération fonctionnelle est inversement proportionnelle à la gravité de cette acidose. C'est la raison pour laquelle les solutions de cardioplégie sont tamponnées avec du bicarbonate de Na+, du trometamol (Tris ou THAM), ou d'autres agents (histidine, acétate, phosphate). L'adjonction de bicarbonate à des solutions froides est un non-sens puisque ce dernier perd son pouvoir tampon à froid; seule la fonction imidazole de l'histidine des protéines conserve le même degré de dissociation quelle que soit la température (variation du pKa identique à celui de l’eau), donc conserve son pouvoir tampon en hypothermie profonde. C'est un des avantages de la cardioplégie au sang.
La solution choisie doit encore atteindre sa cible. En cas de sténose coronarienne proximale serrée, le débit distal du perfusat est compromis. De même, la perfusion sous-endocardique est réduite lorsque le ventricule fibrille. Lors d'insuffisance aortique, la solution administrée à la racine de l'aorte fuit dans le ventricule qui se dilate, et ne perfuse pas correctement les coronaires. Plusieurs voies d'administration sont possibles selon les situations [2].
- Canule dans la racine aortique; c'est la voie classique. Pression de perfusion: 70-150 mmHg, pour autant que la valve aortique soit étanche. Cette technique n'assure pas une perfusion adéquate en cas d'insuffisance aortique (IA), car la solution fuit dans le ventricule; même minime, une IA peut entraîner une dilatation aiguë du VG.
- Canulation coronarienne directe par des canules de Spencer; technique utilisée en cas d'IA majeure, elle présente le risque d'embolisation distale de plaques athéromateuses lorsque la canule pénètre l'ostium coronarien. Pression de perfusion: 70-100 mmHg.
- Cardioplégie rétrograde par le sinus coronaire; elle a l'avantage d'atteindre les territoires distaux en cas de sténoses proximales serrées peu collatéralisées et d'éviter la fuite aortique, mais elle ne protège pas le ventricule droit, dont le drainage se fait par les veines de Thébésius et non par le sinus coronaire, ni la paroi postéro-septale du VG. La canule est mise en place par une ponction de l'OD sous contrôle ETO; elle possède un ballonnet semi-occlusif. La pression de perfusion doit rester située entre 30 et 40 mmHg; elle est mesurée par un capteur de pression séparé. Le débit est de 100-200 mL/min. Cette canulation a l'avantage de pouvoir rester fonctionnelle pendant toute l'intervention et de permettre une perfusion myocardique continue en cas de cardioplégie au sang tiède ou normotherme.
- Perfusion des greffons veineux dès que l'anastomose distale est réalisée.
Une approche combinée est donc souvent nécessaire. Il est possible de perfuser le cœur simultanément par voie antérograde à haute pression et par voie rétrograde à basse pression; la récupération fonctionnelle des ventricules est même supérieure à la voie antérograde simple [7]. Toutefois, cette technique interfère avec le drainage normal du sang coronarien et conduit à une accumulation liquidienne intra- et extra-cellulaire augmentant l'œdème post-CEC et potentiellement néfaste dans les cas à risque [5].
Lors de réopération après une revascularisation par pontage mammaire, le débit de CEC par cette dernière contrecarre le flux de la cardioplégie et réchauffe constamment le coeur. L'artère mammaire systémique doit donc être clampée au préalable; si sa dissection pose problème, l'arrêt peut être réalisé par un grand froid de tout l'organisme (20-25°C), ou l'opération conduite en fibrillation ventriculaire.
Tant que la cardioplégie est efficace, l'ECG reste une ligne plate sur l'écran du moniteur. L'apparition d'une activité électrique signale la fin de son effet. Tant que les oreillettes sont seules à se contracter, la situation est sans danger, mais l'apparition d'une activité électrique ventriculaire oblige à administrer immédiatement une dose d'entretien de cardioplégie. La vigilance de l'anesthésiste est essentielle pour cette surveillance.
Techniques de cardioplégie |
La cardioplégie doit arrêter le cœur, le protéger pendant l’absence de perfusion, limiter les lésions ischémiques et prévenir les lésions de reperfusion. Le cœur est arrêté en diastole par une solution hyperkaliémique (K+ 18-25 mmol/L) et en général hypothermique (5-10°C), dans laquelle peuvent être ajoutées diverses substances. La solution peut être cristalloïde ou à base de sang de la CEC. Débit de perfusion : 300 mL/min pour l’arrêt, 150 mL/min pour l’entretien.
Quatre voies d’abord sont possibles : la racine de l’aorte (voie classique), les troncs coronaires (canulation directe), le sinus coronaire (voie rétrograde) ou les greffons veineux (après anastomose distale).
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© CHASSOT PG, Juin 2008, dernière mise à jour, Juin 2018
Références
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- BUCKBERG GD, BRAZIER JR, NELSON RL, et al. Studies of the effects of hypothermia on regional myocardial blood flow and metabolism during cardiopulmonary bypass. I. The adequately perfused, beating, fibrillating, and arrested heart. J Thorac Cardiovasc Surg 1977; 73:87-94
- LI G, TIAN W, WANG J, et al. The effects of simultaneous antegrade/retrograde cardioplegia on cellular volumes and energy metabolism. J Card Surg 2008; 23:437-43
- MEHLHORN U, ALLEN SJ, ADAMS DL, et al. Cardiac surgical conditions induced by -blockade: effect on myocardial fluid balance. Ann Thorac Surg 1996; 62:143-50
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- RINNE TT. Cardioprotection and cardioplegia. In: THYS DM, et al, eds. Textbook of cardiothoracic anesthesiology. New York, McGraw-Hill Co, 2001, 488-511
- ROSENKRANZ ER. Myocardial preservation. In: ESTEFANOUS F, et al, Eds. Cardiac anesthesia. principles and clinical practice. Philadelphia, Lippincott Williams & Wilkins, 2001, 387-414
- SALERNO TA. Warm heart surgery: reflections on the history of its development. J Card Surg 2007; 22:257-9