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Gestion de l'épargne sanguine
Le meilleur transporteur d'O2 est les globules rouges du patient. Les meilleurs facteurs de coagulation sont ses propres plaquettes et ses propres facteurs. Le sang du malade est donc un élément très précieux, à préserver de toutes les manières possibles, car l'anémie aussi bien que la transfusion augmente le risque de complications et de mortalité [1]. Depuis quelques années, un changement de paradigme s'est opéré: au lieu de se focaliser sur le sang allologue comme un produit utile, le centre d'intérêt s'est déplacé sur le patient comme une unité dont la masse sanguine doit être conservée. C'est la base du concept de stratégie globale d'épargne sanguine (PBM, patient blood management) : chez chaque malade, identifier les risques modifiables et optimaliser la situation pour améliorer les résultats à court et long terme [10]. Au sein de cette stratégie, la transfusion n'est qu'un composant particulier du traitement de l'anémie, à n'envisager que lorsqu'il est absolument nécessaire. Cette stratégie comprend de nombreux éléments, décrits dans le Tableau 28.3 [5,11,13,14,17]. Elle repose sur trois piliers [2].
- Optimisation de la masse érythrocytaire.
- Investigations préopératoires précoces (> 4 semaines);
- Traitement de l'anémie avant l'intervention (fer, EPO);
- Gestion des anticoagulants et des antiplaquettaires.
- Réduction de la perte sanguine.
- Pharmacothérapie (acide tranexamique), normothermie, normocalcémie;
- Cell-saver, hémodilution normovolémique;
- Colle tissulaire, hémostase;
- Utilisation dirigée des facteurs de coagulation.
- Amélioration de la tolérance du patient à l'anémie.
Une série de mesures est devenue essentielle pour une gestion efficace du volume sanguin de chaque patient [3].
- Correction de l’anémie et/ou de la coagulopathie préopératoire;
- Technique chirurgicale minimalement invasive ou à cœur battant (héparinisation réduite);
- Hémodilution réduite en CEC: Ht > 24%, mini-circuits (MECC), rétro-amorçage de la CEC;
- Economie des globules et facteurs de coagulation du patient, limitation des pertes sanguines;
- Seuils de transfusion restrictifs;
- Administration rationnelle et dirigée des produits sanguins;
- Utilisation d’algorithmes basés sur des examens de laboratoire réalisés en salle d’opération;
- Amélioration du DO2 tissulaire par optimisation hémodynamique et ventilatoire;
- Normothermie, normocalcémie, équilibre acido-basique (pH 7.4).
Les retombées escomptées d'un programme général d'épargne sanguine sont une diminution du taux de transfusion, une amélioration du devenir des malades, une disponibilité des tests de laboratoire et des éléments sanguins particuliers, et une réduction des coûts hospitaliers [4]. La gestion de l'épargne sanguine n'est pas une simple addition de mesures hétéroclites; c'est une stratégie qui implique de nombreux services (centre de transfusion, anesthésie, chirurgie, hématologie, urgences, soins intensifs) et qui réclame une formation spécifique pour tout le personnel concerné. Les routines institutionnelles sont modifiées, des protocoles sont établis pour des situations particulières (hémorragie massive, patients anticoagulés, etc) et les recommandations émises sont diffusées, appuyées et respectées par les différents départements. Des facilités techniques sont établies pour avoir accès rapidement à des facteurs de coagulation et à des paquets contenant 4-6 poches de sang, PFC et plaquettes en rapport fixe pour les hémorragies massives (voir Transfusion massive).
Les malades à qui une stratégie multimodale d’épargne sanguine apporte le plus de bénéfice sont ceux qui présentent le plus de risque d'être transfusés, soit le 20% des patients qui reçoivent le 86% des unités de sang [5]. Ils affichent une série de caractéristiques : âge avancé, anémie ou thrombocytopénie, coagulopathie, comorbidités importantes, traitement antiplaquettaire ou anticoagulant, opérations en CEC, interventions complexes ou réinterventions, opérations en urgence, polytraumatismes.
Comparé à la gestion traditionnelle, la mise en place d’un programme global d’épargne sanguine comprenant un seuil de transfusion restrictif (Hb < 70-80 g/L) et une série de mesures périopératoires (correction de l’anémie préopératoire, récupération sanguine peropératoire, hémostase soigneuse, antifibrinolytiques, monitorage de la coagulation) divise par quatre le taux de transfusion (10.6% des patients au lieu de 42.5%) et par trois la mortalité (0.8% au lieu de 2.5%) [9,14].
Les arguments en faveur d’une stratégie raisonnée d’épargne sanguine peuvent être classés en cinq catégories [16].
- Aspect éthique; selon la règle hippocratique Primum non nocere, on ne peut proposer une transfusion que lorsqu’elle est clairement bénéfique pour le patient.
- Preuve par l’évidence; les études de haute qualité méthodologique démontrent le peu de bénéfice des transfusions lorsque le patient n’est pas sévèrement anémique ni hémodynamiquement instable.
- Aspect économique; le coût de la transfusion est élevé (jusqu’à 5% du budget de la santé publique).
- Aspect démographique; les opérations à risque hémorragique augmentent alors que le nombre de donneurs diminue.
- Aspect légal; transfuser sans indication raisonnable fait courir un risque probablement supérieur au bénéfice; le malade peut en accuser le prescripteur.
Lors d’interventions potentiellement hémorragiques comme la chirurgie cardiaque, l'utilisation de protocoles basés sur la thromboélastographie (ROTEM™) et l’évaluation de l’activité plaquettaire (VerifyNow™, Multiplate™) pour gérer une administration sélective de fibrinogène, de complexe prothrombinique et de facteur XIII permet de réduire le taux de transfusion érythrocytaire et la morbidité liée aux flacons de sang ou au PFC (voir Chapitre 8, Tests peropératoires) [6,16]. L’administration de produits sanguins selon un algorithme basé sur le ROTEM™, par exemple, diminue significativement le taux de transfusions érythrocytaires (OR 0.50), de plaquettes (OR 0.22) et de PFC (OR 0.20) sans modifier les perfusions de fibrinogène [8]. Elle abaisse également le taux de reprise pour hémostase et d'infection de plaie; elle raccourcit la durée du séjour hospitalier et réalise une économie substantielle sur les dépenses en produits sanguins [12]. En peropératoire, ces protocoles s'intègrent dans une succession d'étapes qui visent à épargner la masse sanguine du patient [7,13].
- Hémostase chirurgicale pointilleuse (ligature, clip, colle, matelassage, etc);
- Récupération sanguine (CellSaver™);
- Homéostasie: température > 35°C, pH > 7.2, Ca2+ > 1 mmol/L;
- Hyperoxie (FiO2 0.6-0.8);
- Hypotension permissive ;
- Maintien pharmacologique de l'hémodynamique (catécholamines) et de la volémie (cristalloïdes, colloïdes, solution hypertonique); PVC basse;
- Acide tranexamique, desmopressine;
- Facteurs de coagulation: fibrinogène, complexe prothrombinique (4 facteurs), facteur XIII;
- Plaquettes (taux < 50'000/mcL, traitement antiplaquettaire);
- Antagonisme des anticoagulants (protamine, vitamine K, idarucizumab, complexe prothrombinique);
- Sauvetage si menace vitale et mesures inefficaces: PCC activé, rFVIIa;
- Contrôles: Hb, fibrinogène, TP, PTT, thrombos, ROTEM™, lactate, SvO2, ScO2.
Les trois piliers d’une stratégie multimodale d’épargne sanguine |
1 – Optimisation du status préopératoire: correction de l’anémie, activation de l'érythropoïèse, gestion des anticoagulants/antiplaquettaires
2 - Limitation des pertes sanguines: hémostase peropératoire, récupérations sanguine, hémodilution normovolémique, agents hémostatiques, seuils de transfusion restrictif (Hb 70-80 g/L), utilisation dirigée des facteurs de coagulation (protocole basé sur le thromboélastogramme)
3 – Amélioration de la tolérance à l'anémie: ajustement au cas par cas de la tolérance à l'anémie et du besoin transfusionnel, soutien hémodynamique (catécholamines, vasopresseurs), hyperoxygénation, diminution de la consommation en O2
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© CHASSOT PG, MARCUCCI C, SPAHN DR. Juin 2011; dernière mise à jour, Novembre 2019
Références
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28 Transfusions et stratégies d'épargne sanguine en anesthésie cardiaque
- 28.1 Introduction
- 28.2 La transfusion sanguine
- 28.2.1 La transfusion
- 28.2.2 Risques liés à l'administration de produits sanguins
- 28.2.3 Effets de la durée de conservation du sang
- 28.2.4 Impact clinique de la transfusion
- 28.2.5 Risques liés à la déplétion érythrocytaire
- 28.2.6 Critères de transfusion
- 28.2.7 Transfusion massive
- 28.2.8 Transfusion de produits dérivés
- 28.3 Stratégies globales de la gestion du sang
- 28.4 Cas particulier : témoins de Jeovah
- 28.5 Conclusions