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Remarque préliminaire

Les attitudes et les stratégies anesthésiques proposées dans ce chapitre sont le fruit de l'expérience des auteurs. Elles se sont révélées sûres et efficaces entre leurs mains. Elles n'excluent nullement que d'autres manières de prise en charge soient tout aussi performantes, notamment en fonction du type d'institution où a lieu l'intervention. Dans les hôpitaux d'enseignement, les attitudes recommandées sont sous-tendues par la nécessité d'avoir une grande marge de sécurité vu le manque d'expérience du personnel en formation, alors que dans les cliniques spécialisées, la compétence des praticiens expérimentés permet d'accélérer et de simplifier les routines sans faire prendre de risque excessif aux malades. D'autre part, les institutions des pays défavorisés ne disposent pas des mêmes facilités techniques que celles des pays riches et ne peuvent souvent pas appliquer les standards de qualité recommandés par les sociétés professionnelles occidentales sans que cela puisse leur être reproché. 

Pour éviter de surcharger le texte, les aspects pratiques de l'anesthésie telle qu'elle est pratiquée par les auteurs sont décrits dans l'Annexe A (Aspects pratiques de l'anesthésie cardiaque chez l'adulte).


Prémédication

Visite préopératoire
 
La visite préopératoire est le premier contact du patient avec l’anesthésiste (voir Chapitre 3, Evaluation préop en chirurgie cardiaque). C’est l’occasion d’établir une relation thérapeutique basée sur la confiance et le respect mutuel. C’est aussi le moment d’expliquer au malade les différentes procédures de l’anesthésie et leurs risques, le déroulement de l'induction et le réveil aux soins intensifs. Il est important de discuter avec lui de ses propres options lorsque des choix sont possibles. Sans pour autant l’effrayer, il faut aborder avec le patient la question de la réanimation, au cas où une situation grave devait s’installer. Il est capital de connaître son opinion de manière à pouvoir respecter son autonomie s’il n’était plus en état de communiquer. Ce dialogue est complété par un document écrit co-signé par le patient et l’anesthésiste. Ainsi, ce dernier s’engage à prendre en charge le malade comme un guide de montagne assume la sécurité et la survie de son client. Quelles que soient les pressions de l’institution, de l’horaire ou du chirurgien, l’anesthésiste a un contrat moral avec son patient, et avec lui seul. Il est évident que cela vaut aussi dans le cas où il n’aurait pas prémédiqué lui-même le malade. 
 
Pour avoir tout son sens et assurer un réel confort au malade, la prémédication ne doit pas être elle-même désagréable (piqûre, nausées, mauvais goût), et doit avoir lieu suffisamment tôt par rapport au transfert en salle d’opération; l’effet de la morphine s’installe en 20 minutes, et celui des diazépines orales en 30 minutes; il est donc capital de prémédiquer les patients au moins 45 minutes avant leur arrivée en salle d’opération. Parmi les nombreuses prémédications en usage, on peut relever deux types principaux.
 
  • Benzodiazépine per os, tel le midazolam (Dormicum®), l'oxazépam (Seresta®), témazépam (Normison®) ou le lorazépam (Temesta®): amnésie, anxiolyse, confort pour le patient, sédation profonde, pas d'analgésie, hémodynamiquement stable, risque de réaction paradoxale chez les vieux ; au dessus de 65 ans, diminuer les doses de moitié et éviter le midazolam.
  • Combinaison de morphine (0.1 mg/kg) et de scopolamine (0.2-0.4 mg) i.m.: analgésie, sédation, amnésie, risque d'hypotension et de confusion au-dessus de 65 ans. Désavantage majeur : inconfort de la piqûre ; avantage : analgésie, effet vagolytique.
La deuxième solution provoque moins d'inhibition sympathique que la seconde lors de l'induction d'une anesthésie avec un fentanyl; il se manifestera moins de bradycardie, ou une tendance à la tachycardie si l'on utilise du pancuronium [30]. L'effet anticholinergique central de la scopolamine peut avoir un intérêt par sa capacité présumée à diminuer l'intensité de la rigidité musculaire thoracique due aux doses élevées de fentanyl et à l'étomidate, qui relèvent d'une stimulation extra-pyramidale cholinergique. La prémédication doit être modifiée chez les personnes âgées (> 65 ans) ou débilitées: pas de morphine ni de midazolam, préférence pour l’oxazépam (15 mg).
 
Une antibiothérapie prophylactique est prescrite de routine pour au moins 48 heures, car la chirurgie cardiaque est une chirurgie propre, comportant un élément immunodépresseur (la CEC) et souvent l'implantation de matériel prothétique. L'antibiotique est administré à la prémédication ou préférentiellement par voie intraveineuse avant l'induction. Dans les deux cas, on cherche à ce que les taux sériques soient optimaux au moment de l'incision. Bien que le choix de l’antibiotique soit propre à chaque institution, on peut formuler des recommandations simples [11,14].
 
  • Une céphalosporine de 1ère ou de 2ème génération chez les patients non-MRSA ;
  • Alternative: clindamycine (Dalacin® 600 mg), amoxicilline + acide clavulanique (Augmentin® 2.2 g);
  • La vancomycine seule ou en association chez les patients suspects ou prouvés positifs pour un MRSA ;
  • Une prescription particulière en fonction de l’antibiogramme lorsqu’une infection est en cours ou en voie de stérilisation;
  • Rinçage de la bouche au gluconate de chlorhexidine 0.12%.
Anémie préopératoire
 
La visite préopératoire est également la dernière occasion d’évaluer les risques de l’intervention et de corriger les situations qui peuvent l’être (voir Chapitre 3 Consultation préopératoire). Parmi celles-ci, l’anémie est une des plus fréquentes, puisqu'elle est décelable dans 31% des cas [16]. Or sa présence entraîne une aggravation de la mortalité (OR 1.42); celle-ci s'élève de 16% par 10 g/L de baisse dans la concentration d'Hb [16]. En chirurgie coronarienne, l’anémie préopératoire (Hb < 100 g/L) est un facteur de risque indépendant pour les transfusions (OR 2.75) et pour les complications postopératoires cardiaques, rénales ou cérébrales (OR 1.71-2.0) [16,19]. Le taux d’hémorragie, de complications pulmonaires et d’infections augmente respectivement de 4 fois (OR 4.37), de 3 fois (OR 2.85) et de 2 fois (OR 1.84) lorsque l’Ht est < 22% [13]. Les patients anémiques ont une plus grande susceptibilité pour l’insuffisance rénale postopératoire que ceux qui ont une Hb normale avant l’opération (incidence 4.1% versus 1.6%), mais ils sont aussi deux fois plus enclins à développer une insuffisance rénale secondaire aux transfusions (6.6% versus 3.2%) (voir Figure 28.9) [12,19]. L’anémie préopératoire est donc dangereuse car doublement pénalisante : 1) elle augmente plus de deux fois la morbidité et la mortalité postopératoires, et 2) elle augmente les chances d’être transfusé, donc de subir une aggravation supplémentaire de morbi-mortalité. L'anémie aggrave le risque opératoire mais la transfusion, au lieu de le corriger, ajoute un facteur délétère supplémentaire.
 
Traitement cardiologique préopératoire
 
Le traitement déjà mis en euvre pour stabiliser le patient indique le degré d'altération fonctionnelle et la direction dans laquelle doivent tendre les modifications liées à l'anesthésie. La majeure partie des patients est sous une pharmacothérapie complexe : β-bloqueur, dérivé nitré, inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC), bloqueur calcique, antiplaquettaire, statine, anti-arythmique, etc. La question se pose souvent de savoir quels médicaments conserver jusqu'à l'opération et lesquels arrêter, et avec quel délai. Comme ce problème est traité en détail dans l'évaluation préopératoire (voir Chapitre 3, Médication préopératoire en chirurgie cardiaque), on n'abordera ici que les points essentiels [28]. 
 
  • Les β-bloqueurs sont traditionnellement associés à une diminution de la mortalité, des évènements ischémiques peropératoires et de l’incidence de FA postopératoire. Ils ne sont pas interrompus, mais ajustés pour maintenir une fréquence cardiaque de 60-65 batt/min [28]. Ils sont complétés à la demande par des doses répétées ou une perfusion d'esmolol. En cas de bradycardie excessive, il est aisé d’accélérer la fréquence cardiaque avec une catécholamine ou avec le pace-maker épicardique. Pour la chirurgie coronarienne, ils sont classiquement prescrits de routine au moins 24 heures préopératoires et en continu dans le postopératoire, sauf en cas de dysfonction ventriculaire sévère (FE < 30%) [14]. Cependant, une analyse récente de la base de données STS n’a mis en évidence aucun gain du β-blocage sur la mortalité, le taux d’AVC ou l’insuffisance rénale (OR 0.96-1.04) après pontage aorto-coronarien chez les patients qui ne souffrent ni d’infarctus ni d’ischémie myocardique active [5]. Bien qu'il n’offre pas de protection contre la FA dans cette étude, le β-blocage reste conseillé pour la prévention des arythmies postopératoires [28]. Les substances de choix sont le métoprolol, le bisoprolol, le carvedilol et le nébivolol [28].
  • Les statines améliorent le pronostic de la chirurgie coronarienne (baisse de l’incidence de FA et d’AVC) et semblent diminuer la mortalité postopératoire [20], bien que certaines études récentes ne confirment pas ces résultats [32]. Elles présentent un risque d'insuffisance rénale, particulièrement chez les patients souffrant de néphropathie [2,32]. Elles doivent être maintenues jusqu’à l’intervention et reprises dès que possible en postopératoire chez les patients qui sont sous traitement avec une fonction rénale normale, mais il est probablement imprudent d'initier un traitement avant l'intervention chez ceux qui n'en prennent pas et qui souffrent d'une élévation chronique de la créatinine (voir Autres agents) [14,28]. 
  • Le blocage du système rénine-angiotensine par les inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC), les antagonistes des récepteurs de l'angiotensine II (ARA) et les inhibiteurs directs de la rénine (aliskiren) met la pression artérielle sous la seule régulation du système sympathique et de la vasopressine; la sensibilité à l'hypovolémie augmente. Comme l'anesthésie inhibe le système sympathique, la seule régulation de la pression qui subsiste est celle de la vasopressine, qui est un système lent. La pression artérielle devient très dépendante de la précharge (volémie), particulièrement chez les malades qui ont une courbe de Starling redressée (fonction systolique normale, dysfonction diastolique, HVG); de plus, l'anesthésie provoque une veinodilatation centrale qui pénalise encore la précharge. Sur le long terme, les IEC et les ARA freinent la réponse sympathique; ils ont donc davantage d'effet hémodynamique chez les patients qui les consomment depuis longtemps [4]. Sous IEC et ARA, les épisodes hypotensifs sont fréquents et profonds dès l'induction de l'anesthésie; ils se doublent d'une chute des RAS: 30% des patients sous IEC sont hypotendus à l'induction et 22% présentent un degré significatif de vasoplégie pendant et après la CEC [6,26]. La recommandation est donc de stopper ces médicaments 24 heures avant l'intervention lorsqu'ils sont prescrits pour une hypertension artérielle et chez les malades hémodynamiquement instables [4,28]. Leur interruption ne provoque pas d'effet rebond et n'influence pas la mortalité [15,22]. Par contre, il est possible de les maintenir lorsqu'ils font partie du traitement d'une insuffisance ventriculaire systolique (baisse de postcharge), parce que dans ce cas la courbe de Starling est aplatie et peu sensible à la volémie (Figure 4.15) [9]. Ils sont repris au plus vite après l'intervention car ils semblent réduire l'incidence de fibrillation auriculaire [25]. 
  • Un nouvel agent (Entresto®) constitué de l’association de valsartan et de sacubitril, un inhibiteur de la néprilysine (substance physiologique qui dégrade les peptides natriurétiques), est en passe de devenir un élément majeur dans le traitement de l'insuffisance ventriculaire. En l'absence de données concernant le périopératoire, il est prudent d'appliquer les mêmes règles que pour les IEC, en sachant qu'on est en présence de deux vasodilatateurs au lieu d'un. Dans l'attente d'une expérience clinique suffisante, il est probablement prudent d'interrompre l'Entresto® 24 heures avant l'opération.
 

Figure 4.15: Relation schématique entre la volémie et la pression artérielle [9]. L'individu normal (A) maintient sa pression sur une large plage de volémie par l'action de l'angiotensine II: vasoconstriction des vaisseaux de résistance et de capacitance; la pression ne chute qu'en hypovolémie extrême. Chez le malade traité avec des IEC (B), la pression devient dépendante de la volémie et varie linéairement avec elle, parce que le mécanisme compensatoire de l'angiotensine II est bloqué. Le malade en insuffisance cardiaque traité avec des IEC (C) présente une dépendance identique mais sa courbe est plus plate parce que la pente de sa courbe de Starling est plus faible; le risque d'hypotension est moindre. 
 
  • Les anticalciques sont des vasodilatateurs des vaisseaux de résistance (artères) mais non de capacitance (veines centrales); l'hypotension est fonction des RAS (traitement: vasoconstricteur α). Il est préférable de les maintenir.
  • Les α2-agonistes (clonidine, dexmédétomidine) limitent la tachycardie et l'hypertension, et induisent de plus une sédation et une analgésie; ces effets sont tout bénéfice en peropératoire, et diminuent l'incidence de complications cardiaques postopératoires. Toutefois, ils inhibent la libération de nor-adrénaline aux terminaisons sympathiques, et interfèrent de ce fait avec l'activité de la dopamine, qui est atténuée, et celle de la dobutamine, qui est accentuée [24].
  • Il est préférable d'interrompre les diurétiques à cause du risque d'hypovolémie, d'hypokaliémie, d'hyponatrémie et d'hypomagnésémie.
  • La digitale est maintenue si elle est prescrite pour ralentir la réponse ventriculaire dans les tachyarythmies supraventriculaires; en cas d'insuffisance ventriculaire, elle est interrompue. 
  • D'une manière générale, tous les anti-arythmiques sont maintenus en préopératoire, bien que ceux du groupe I prolongent l'effet des curares. L'amiodarone prévient efficacement la FA mais provoque un bloc sympathique α et β qui peut être à l'origine d'hypotension et de bradycardie.
  • Les β-boqueurs, le sotalol et l’amiodarone réduisent l’incidence de FA postopératoire, dont le taux est de 25-50% sans traitement.
 
 
Médicaments préopératoires en chirurgie cardiaque
β-bloqueurs : 
    - Maintien et contrôle de la fréquence cardiaque à < 65 batt/min (sauf si FE < 30%)
    - Recommandés en pré- et postop pour la chirurgie coronarienne chez les patients souffrant d’infarctus myocardique ou d’ischémie active
Statines: 
    - Maintien et reprise en postopératoire
    - Recommandées 1-2 semaines préopératoires pour la chirurgie coronarienne
Inhibiteurs de l’enzyme de conversion et anti-angiotensine II : 
    - Stop si prescrits pour hypertension artérielle
    - Maintien si prescrits pour insuffisance ventriculaire
Anti-calciques : maintien
Dérivés nitrés : maintien
Anti-arythmiques : maintien
Digitale : stop
Diurétiques : stop
Antidiabétiques : stop antidiabétiques oraux le jour opératoire, insuline selon besoin (en peropératoire: perfusion continue)
 
 
Anticoagulants 
 
Les anticoagulants sont interrompus avant l'intervention pour une durée qui correspond à 5 demi-vies vu le risque hémorragique élevé d'une opération en CEC (voir Tableaux 8.11 et 8.12) (pour plus de détails, voir Chapitre 8 Les anticoagulants). Les délais d’interruption préopératoire habituellement proposés avant la chirurgie cardiaque sont les suivants [3,10,14,18,28]. 
 
  • Héparine non-fractionnée               4-6 h    
  • HBPM prophylactique                     12 h (24 h si clairance créatinine < 50 mL/min)
  • HBPM thérapeutique                       24 h (48 h si clairance créatinine < 50 mL/min)
  • Fondaparinux (Arixtra®)                  72 h (4-6 jours si clairance créat. < 50 mL/min)
  • Dabigatran (Pradaxa®)                    48-72 h (3-5 jours si clairance créat < 50 mL/min)
  • Apixaban (Eliquis®)                         48 h (3-4 jours si clairance créat < 50 mL/min)
  • Edoxaban (Lixiana®)                       48 h (3-5 jours si clairance créat < 50 mL/min)
  • Rivaroxaban (Xarelto®) 5-10 mg     24 h (2-3 jours si clairance créat. < 50 mL/min)           
  • Rivaroxaban (Xarelto®)15-20 mg    48 h (3-4 jours si clairance créat < 50 mL/min)
  • Sintrom®, Coumadine®                   5 jours (contrôle INR à J-5 et J-1)  
  • Marcoumar®                                   10 jours (contrôle INR à J-10 et J-1)
  • Désirudine (Iprivask®)                    10 h
  • Bivalirudine (Angiox®)                     4-10 h    
  • Danaparoïde (Orgaran®)                48 h
  • Argatroban (Argatroban Inj®)          4 h
Les anticoagulants coumariniques sont remplacés 3 à 5 jours auparavant par de l'héparine non-fractionnée (10'000-20'000 UI/jour) que l’on interrompt 6-12 heures préopératoires ; on recherche un aPTT égal à 1.5 fois la valeur de départ. L’INR ne doit pas descendre en dessous de 1.5 en cas de prothèse mécanique aortique et de 2.0-2.5 en cas de prothèse mécanique mitrale sans protection par une héparine. La substitution n'est pas nécessaire pour les nouveaux anticoagulants oraux ni pour les situations à risque thrombo-embolique faible à modéré (CHA2DS2 ≤ 2), mais elle est impérative pour les situations à haut risque (prothèse valvulaire mécanique, FA avec sténose mitrale, CHA2DS2 ≥ 4, thrombo-embolie < 4 semaines) [28]. Une perfusion d'héparine en cours pour un infarctus menaçant n'est pas stoppée avant l'opération, mais continuée jusqu'à la canulation artérielle de CEC; elle peut également être remplacée par une dose de 5'000 UI d'héparine à l'induction. L’héparinisation intraveineuse continue pendant 2 à 4 jours préopératoires peut épuiser les réserves en antithrombine III de l’organisme et empêcher une anticoagulation efficace en CEC, car la chute de l’antithrombine est de 5-10% par jour. Le traitement est l’administration de concentré d’antithrombine, sous forme humaine purifiée ou recombinante ; la dose recommandée est 500-1'000 UI pour un adulte.
 
    
Anticoagulants en chirurgie cardiaque
Interruption préopératoire des anticoagulants :
    - Héparine non-fractionnée   0-4 h (maintenir si syndrome coronarien aigu)
    - HBPM prophylactique         12 h
    - HBPM thérapeutique           24 h (48 heures si clairance créatinine < 50 mL/min)
    - Coumarines                         5 jours (Marcoumar® 10 jours), substitution par de l’héparine dès que INR < 2.0
    - Fondaparinux (Arixtra®)       72 h (4 jours si clairance créatinine < 50 mL/min)
    - Dabigatran (Pradaxa®)        48-72 h (4 jours si clairance créatinine < 50 mL/min)    
    - Apixaban (Eliquis®)              48 h (4 jours si clairance créatinine < 50 mL/min)
    - Edoxaban (Lixiana®)            48 h (4 jours si clairance créatinine < 50 mL/min)
    - Rivaroxaban (Xarelto®)        48 h (≥ 3 jours si clairance créatinine < 50 mL/min)
    
Antiplaquettaires
 
Les antiplaquettaires sont le pivot thérapeutique de la prise en charge des patients souffrant de plaques instables ou porteurs de stents (voir Tableau 3.9A). Ils ne doivent être interrompus que le temps minimal requis pour éviter un risque hémorragique excessif lors de l'héparinisation en CEC. Les recommandations concernant l'aspirine sont les suivantes [28,29].  
 
  • Maintien de l’aspirine (75-160 mg/j) en préopératoire (PAC et OPCAB) ;
  • Interruption de l’aspirine 3-5 jours avant l’intervention dans les cas à haut risque hémorragique et chez les patients qui refusent les transfusions ;
  • L’aspirine n’est jamais interrompue chez les porteurs de stents coronariens, ni chez les patients souffrant de syndrome coronarien aigu. 
La bithérapie antiplaquettaire (aspirine + clopidogrel/prasugrel/ticagrelor) est un prédicteur indépendant du risque hémorragique (OR 1.8-4.7) et des besoins transfusionnels (OR 2.2-5.7) [10,11]. Les recommandations actuelles concernant les durées d’interruption des antiplaquettaires avant des pontages aorto-coronariens sont les suivantes (pour plus de détails, voir Chapitre 29, Recommandations pour la chirurgie cardiaque) [3,7,10,14,17,18,28,29,31].
 
  • Ticagrelor (Brilinta®, Brilique®)      3-5 jours (selon risque hémorragique)
  • Clopidogrel (Plavix®)                     5 jours 
  • Prasugrel (Efient®)                        7 jours
  • Cangrelor (Kengrexal®)                1-2 heures
  • Eptifibatide (Integrilin®)                 4 heures
  • Tirofiban (Aggrastat®)                   4 heures
  • Abciximab (RheoPro®)                  24 heures
Par contre, le double traitement antiplaquettaire n’est interrompu que 48-72 heures lorsqu’il est prescrit pour un syndrome coronarien aigu ou pendant la phase précoce de ré-endothélialisation après une angioplastie percutanée simple (< 2 semaines) ou après pose de stents (stents passifs : < 4 semaines; stents actifs 1ère génération: < 6 mois; stents actifs 2ème-3ème génération: < 1-3 mois). La revascularisation à coeur battant est particulièrement indiquée dans ces circonstances parce que moins hémorragipare [14,23].
 
Lors de décision difficile, l’utilisation de tests d’activité thrombocytaire (Multiplate™, VerifyNow™, etc) permet de mieux cibler la thérapeutique optimale en fonction du risque opératoire et du risque thrombogène [21,29]. Ces tests ont une meilleure valeur prédictive que le délai entre l’opération et la dernière prise de clopidogrel. Un faible répondeur souffrira moins de l’interruption du clopidogrel qu’un malade qui y est très sensible. D’autre part, la durée d’interruption peut être réduite car un faible répondeur saigne moins qu’un individu normal sous antiplaquettaire [8]. Ces variations individuelles sont beaucoup moins prononcées avec le prasugrel et le ticagrelor.
 
Pour éviter un trop long défaut de couverture antithrombotique chez les patients à haut risque ischémique sans augmenter excessivement le risque hémorragique, on peut remplacer le clopidogrel/ticagrelor/prasugrel par un agent antiplaquettaire de courte durée d’action [29]. Le tirofiban (Aggrastat®, 0.1 mcg/kg/min) et l’eptifibatide (Intergilin®, 1-2 mcg/kg/min) sont des anti-GP-IIb/IIIa avec une demi-vie de 2-2.5 heures. Après avoir stoppé le clopidogrel/ticagrelor 5 jours, ou le prasugrel 7 jours avant l’intervention, le tirofiban ou l’eptifibatide sont administrés en perfusion dès le 5ème ou le 4ème jour préopératoire, et sont arrêtés 6-8 heures avant l’opération [27]. Celle-ci a lieu pendant la fenêtre de récupération fonctionnelle des plaquettes, ce qui réduit le risque hémorragique. Le cangrelor intraveineux est une alternative très intéressante, puisque sa demi-vie est de 9 minutes et que son activité disparaît en < 1 heure. Commencée 3-5 jours auparavant, la perfusion (0.75 mcg/kg/min) n’est interrompue que 1-2 heures avant l’opération; la récupération de la fonction plaquettaire est totale au moment de l’intervention [1]. La perfusion est redémarrée dans les 12-24 heures postopératoires, et le clopidogrel, le ticagrelor ou le prasugrel prennent le relai dès que possible, en général dans les 24-48 heures. L’aspirine n’est pas interrompue.
 
    
Antiplaquettaires en chirurgie cardiaque
Gestion préopératoire de l’aspirine :
    - Maintien de la prévention secondaire (75-160 mg/j) en préopératoire (PAC et OPCAB)
    - Interruption 3-5 jours avant l’intervention dans les cas à haut risque hémorragique et chez les patients qui refusent les transfusions
    - Pas d’interruption chez les porteurs de prothèses valvulaires mécaniques ou de stents coronariens, ni en cas de syndrome coronarien aigu
Gestion préopératoire de la bithérapie (aspirine + clopidogrel/prasugrel/ticagrelor) :
    - Interruption du ticagrelor:    3-5 jours (selon risque hémorragique)
    - Interruption du clopidogrel: 5 jours
    - Interruption du prasugrel:    7 jours
    - Interruption maximale de 24-48 heures (préférentiellement pas d’arrêt) en cas de syndrome coronarien aigu ou de stents coronariens récents
      (BMS: < 4 semaines, DES : < 1-3 mois selon le type de stent)
Substitution du clopidogrel/prasugrel/ticagrelor par un antiplaquettaire de courte durée en perfusion (eptifibatide, tirofiban, cangrelor) en cas de risque hémorragique et de risque thrombotique très élevés ; maintien de l’aspirine.


© CHASSOT PG, BETTEX D, MARCUCCI C, Septembre 2010, dernière mise à jour, Décembre 2018
    
 
Références 
 
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04. Spécificités de l'anesthésie pour la chirurgie cardiaque