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Anticoagulation pour la CEC

Héparine
 
La CEC nécessite une anticoagulation totale pour éviter les accidents thrombotiques (voir Chapitre 8 Coagulopathie peropératoire). La dose de charge d’héparine est de 300 UI/kg pour les opérations en CEC et de 250 UI/kg pour les interventions à cœur battant. Le pic d'activité est atteint en un seul temps circulatoire; la demi-vie est d'environ 2.5 heures. La valeur minimale de l’ACT (activated coagulation time) pour démarrer la CEC est de 400 secondes pour les circuits standards, et de > 300 secondes pour les circuits pré-héparinés. Elle est de > 300 secondes pour la chirurgie à cœur battant. Pour les TAVI et les Mitraclip, la dose d'héparine est 100 UI/kg et l'ACT attendu > 250 secondes. La dose d'héparine est administrée avant la canulation aortique par la voie veineuse centrale (anesthésiste) ou directement dans l'OD (chirurgien), après aspiration pour contrôler le retour de sang; elle est suivie d'un rinçage pour être sûr que la totalité de la dose soit injectée et par l'annonce à voix haute que l'héparine a été donnée; le chirurgien et le perfusioniste savent ainsi que l'on peut dès lors récupérer le sang par les aspirations de CEC. L'ACT de contrôle est mesurée 3 minutes plus tard. Si l'ACT est < 400 secondes, on ne commence pas la CEC sans ajouter une dose supplémentaire d'héparine (5'000 – 10'000 UI). L'anticoagulation continue par héparinisation intraveineuse pendant 2 à 4 jours préopératoires peut épuiser les réserves en antithrombine III de l’organisme, et empêcher une anticoagulation efficace en CEC; l'ACT n'atteint pas la valeur recherchée. Le traitement est l’administration d'antithrombine III (Kybernin®, Atenativ®, 800-1'000 UI pour un adulte). 
 
Un antifibrinolytique diminue les risques hémorragiques, particulièrement chez les patients sous antiplaquettaires [5,9]. L'aprotinine (Trasylol®) a été utilisée à cet effet pendant une douzaine d'années, mais il s'est révélé que, outre le risque de choc anaphylactique, elle augmente le taux d'insuffisance rénale d'ictus, d'évènements cardiaques et de mortalité par rapport à l'acide tranexamique ou à l'acide ε-amino-caproïque [8]. La plupart des centres ont choisi de remplacer l’aprotinine par l’acide tranexamique (Anvitoff®, Cyclokapron®). Bien que légèrement moins efficace pour diminuer les pertes sanguines et les reprises chirurgicales dues à une hémorragie, il ne déclenche pas de réactions allergiques ni de dysfonction rénale postopératoire. Les dosages décrits dans la littérature varient de 10 à 100 mg/kg. Il est important d’administrer une première dose avant la CEC (15-30 mg/kg), suivie d’une perfusion (2-25 mg/kg/h) ou d’une répétition de la première dose dans la CEC, et d’une dose après la CEC [10]. La dose habituelle est de 30 mL/kg et la dose maximale est de 150 mg/kg. L’augmentation des doses accroît le risque de convulsions postopératoires [6]. 
 
Le sang récupère une capacité de coagulation normale dès que 60% des plaquettes sont fonctionnelles, mais il n’y a pas d’antidote aux antiplaquettaires. Lorsque ces derniers sont irréversibles, leur effet ne disparaît que par le renouvellement des plaquettes (10%/jour). Dans l’attente, seule une transfusion de thrombocytes frais peut rétablir la coagulabilité sanguine. Le taux plasmatique d’une substance étant négligeable après 3 demi-vies, on peut estimer que les plaquettes transfusées fonctionneront normalement, alors que celles du patient sont encore bloquées, dans un délai de 24 heures après la dernière prise de clopidogrel, (demi-vie du métabolite actif: 8 heures) et de 12 heures après la dernière prise de prasugrel (demi-vie du métabolite actif: 4 heures).
 
En ce qui concerne les substances qui ont une action réversible, le délai de 3 demi-vies est suffisant pour que les thrombocytes du patient récupèrent une fonction adéquate. Les délais suivants permettent donc d’opérer dans des conditions normales :
 
  • 72 heures après l’arrêt de l’abciximab (demi-vie 23 heures) ;
  • 36-48 heures après l’arrêt du ticagrelor (demi-vie 7-12 heures) ;
  • 6 heures après l’arrêt de la perfusion d’eptifibatide ou de tirofiban (demi-vies 2 heures) ;
  • 20-60 minutes après l’arrêt de la perfusion de cangrelor selon la durée du traitement (demi-vie 6 minutes, mais risque de cumul).
A cause de sa liaison réversible avec le récepteur, le ticagrelor a cependant la capacité de diffuser entre les plaquettes en fonction de l’équilibre de masse, de se lier aux nouvelles plaquettes mises en circulation, et de migrer sur les plaquettes fraîchement transfusées. Sa forte liaison aux protéines plasmatiques assure également un vaste réservoir de substance susceptible d’interférer avec les récepteurs disponibles. Dans ce cas, l’inhibition de l’agrégabilité est directement proportionnelle au taux sérique pour toutes les plaquettes. La transfusion plaquettaire perd alors de son efficacité. Bien qu’il n’augmente pas le risque hémorragique par rapport au clopidogrel, le ticagrelor altère considérablement l’efficacité d’une transfusion plaquettaire pendant les 2-3 jours qui suivent la dernière prise, si bien que l’hémorragie, lorsqu’elle survient, est plus difficile à juguler [7].
 
Une opération conduite dans des délais plus courts peut nécessiter la transfusion de plaquettes. Toutefois, une perfusion de thrombocytes actifs en grand nombre peut déclencher une thrombose au niveau de plaques instables ou dans des stents non encore endothélialisés [1]. Ce risque impose d'opérer dans un état d'hypocoagulabilité. 
 
Examens
 
La disponibilité de nouveaux appareils pour évaluer la chaîne coagulatoire en salle d'opération, comme le thromboélastogramme, permet de stratifier l'administration des différents facteurs hémostatiques en fonction des déficits spécifiques décelés au lieu de perfuser une abondance de divers agents de manière indiscriminée. L’utilisation de ces tests au sein d’un algorithme basé sur l’administration ciblée de procoagulants permet de diminuer le taux d’hémorragie postopératoire, la consommation de produits sanguins et la morbidité par rapport à la prise en charge conventionnelle (voir Chapitre 8, Tests peropératoires) [3,4,11].
 
  • ACT (valeur normale 110-150 secondes); 
  • Thromboélastogramme (ROTEM™); 
  • Fibrinogène si Fibtem < 15 mm;
  • Numération thrombocytaire et test d'agrégabilité plaquettaire (VerifyNow™, Multiplate™) si anomalie des plaquettes ou traitement antiplaquettaire autre que l'aspirine;
  • Temps de coagulation (Tc), TP, TPT et activité anti-Xa si anticoagulation orale préopératoire. 
L'ACT est contrôlé 3 minutes après l'administration de l'héparine avant la CEC, puis aussi souvent que nécessaire pendant la CEC. Il est recontrôlé 10 minutes après l'administration de protamine. Idéalement, le thromboélastogramme est répété trois fois au cours d'une intervention.
 
  • Au début de l'intervention avant la CEC, comme valeur de base (facultatif).
  • Après le déclampage aortique, avant la mise en charge, essentiellement Fibtem et Heptem. Le cas échéant, préparation des facteurs de coagulation déficitaires, notamment du fibrinogène si le Fibtem est < 15 mm (voir Figure 8.19) [3,11].
  • Après l'administration de protamine (environ 10 minutes).
Dégeler du PFC ne se justifie que lorsqu'on s'attend à une hémorragie majeure (chirurgie de l'aorte thoracique ou de la paroi ventriculaire, reprise, anticoagulation préalable, etc), mais non pour son apport en facteur de coagulation, qui est très faible. Une proportion PFC:sang de 1:1 est recommandée en cas d'hémorragie massive après chirurgie cardiaque [2].

 
 
Anticoagulation et CEC
Anticoagulation par héparine non-fractionnée pour la chirurgie cardiaque:
    - CEC:                                   300 UI/kg    ACT visé: > 450 secondes
    - Pontages à cœur battant:   250 UI/kg    ACT visé: 350 secondes
    - TAVI et Mitraclip:                 100 UI/kg    ACT visé: 250 secondes
Administration d’un antifibrinolytique (acide tranexamique 15-30 mg/kg) avant et après la CEC
 
Tests de coagulation: ROTEM (avant CEC, avant mise en charge et après protamine), test d'agrégabilité plaquettaire (si anomalie thrombocytaire ou traitement antiplaquettaire), TC, TP, TPT, anti-Xa si traitement anticoagulant oral.


© CHASSOT PG, BETTEX D, MARCUCCI C, Septembre 2010, dernière mise à jour, Décembre 2018
 
 
Références
 
  1. CHASSOT PG, MARCUCCI C. Thérapie antiplaquettaire. Potentiels et dangers des nouveaux agents. Cardiovasc 2010; 9:9-12
  2. DELANEY M, STARK PC, SUH M, et al. Massive transfusion in cardiac surgery: The impact of bood component ratios on clinical outcomes and survival. Anesth Analg 2017; 124:1777-82
  3. GÖRLINGER K, DIRKMANN D, HANKE AA ; et al. First-line therapy with coagulation factor concentrates combined with point-of-care coagulation testing is associated with decrease allogeneic blood transfusion in cardiovascular surgery.     Anesthesiology 2011 ; 115 : 1179-91
  4. GÖRLINGER K, FRIES D, DIRKMANN D, et al. Reduction of fresh frozen plasma requirements by perioperative point-of-care coagulation management with early calculated goal-directed therapy. Transfus Med Hemother 2012 ; 39 :104-13
  5. HARDER S, KLINKHARDT U, ALVAREZ JM. Avoidance of bleeding during surgery in patients receiving anticoagulant and/or antiplatelet therapy. Clin Pharmacokin 2004; 43: 963-81
  6. KOSTER A, SCHIRMER U. Re-evaluation of the role of antifibrinolytic therapy with lysine analogs during cardiac surgery in the post aprotinin era. Curr Opin Anaesthesiol 2011; 24:92-7
  7. KOZEK-LANGENECKER SA, AFSHARI A, ALBALADEJO P, et al. Management of severe perioperative bleeding : Guidelines from the European Society of Anaesthesiology. Eur J Anaesthesiol 2013; 30:270-82
  8. MANGANO DT, TUDOR I, DIETZEL C, et al. The risk associated with aprotinin in cardiac surgery. N Engl J Med 2006; 354:353-65
  9. McILROY DR, MYLES PS, PHILLIPS LE, SMITH JA. Antifibrinolytics in cardiac surgical patients receiving aspirin: a systematic review and meta-analysis. Br J Anaesth 2009; 102:168-78
  10. UMSHEID CA, KOHL BA, WILLIAMS K. Antifibrinolytic use in adult cardiac surgery. Curr Opin Hematol 2007; 14:455-67
  11. WEBER CF, GÖRLINGER K, MEININGER D. Point-of-care testing : a prospective randomized clinical trial of efficacy in coagulopathic cardiac surgery patients. Anesthesiology 2012 ; 117 : 531-47
 
04. Spécificités de l'anesthésie pour la chirurgie cardiaque