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Thrombocytopénie induite par l’héparine (HIT)

La thrombocytopénie induite par l’héparine (TIH), ou HIT (heparin-induced thrombocytopenia), est un état prothrombotique déclenché par des anticorps IgG dirigés contre le complexe formé entre l’héparine et le facteur-4 des plaquettes (PF4). Cet ensemble IgG-héparine-PF4 active la plaquette, qui relâche alors le PF4, prêt à former d’autres complexes avec l’héparine. Il s’ensuit une activation intense des plaquettes, qui libèrent leurs microparticules et déclenchent la cascade de la coagulation par la voie extrinsèque (facteur tissulaire et facteur VIIa) avec production massive de thrombine. Ce syndrome présente plusieurs caractéristiques [7,14,16].
 
  • Exposition à un traitement d’héparine pendant 5-10 jours; le risque est de 1-5% avec l’héparine non-fractionnée (HNF) et de 0.1-1% avec les héparines à bas poids moléculaire (HBPM) ; il est de 1-5% après chirurgie cardiaque ou trauma [6].
  • Thrombocytopénie: chute du taux de plaquettes d’au moins 50%.
  • Thromboses veineuses et artérielles, avec leur cascade de complications (35-80% des cas): embolie pulmonaire, infarctus myocardique, AVC, nécroses cutanées. En général, les thromboses veineuses sont prédominantes, mais les thromboses artérielles sont plus fréquentes en chirurgie cardiaque. Une CIVD est présente dans 10-20% des cas.
  • Taux élevé d’anticorps anti-héparine. Ce taux est corrélé avec les complications thrombotiques au cours de l’héparinothérapie, mais il se négative au-delà de 3 mois car les anticorps ont une durée de vie inférieure à 100 jours.
Les problèmes cliniques sont liés à l’excès de thrombine, non à la thrombocytopénie [6]. Il existe deux types de syndrome [7].
 
  • Type I: chute transitoire des plaquettes due à un effet direct de l'héparine sur les thrombocytes, sans signification clinique;
  • Type II: syndrome thrombocytopénique massif accompagné d'un état hyperthrombogène.

Le syndrome est suspecté chez tout patient sous héparine qui développe une thrombocytopénie ou une thrombose dans les 5-15 jours après le début du traitement. Sa probabilité est évaluée par un score qui a une haute valeur prédictive négative, mais une faible valeur prédictive positive (Tableau 8.5A) [14]. Il existe également un score spécialement dédié à la situation après CEC (Tableau 8.5B) [13].
 




 
 
Les scores intermédiaire et élevé obligent à tester la présence d’anticorps anti-complexe héparine-PF4, qui est diagnostique [7,16].
 
  • Tests immunologiques (ELISA): dosage direct des anticorps; la sensibilité de ces tests est élevée, mais leur spécificité est modérée;
  • Tests fonctionnels: activation plaquettaire en présence d’héparine et libération de sérotonine; plus difficiles à réaliser, ces tests sont considérés comme la référence. L'héparine HNF doit être interrompue au minimum 4 heures et les HBPM au moins 12 heures avant le test.
Certaines situations sont à risque élevé (> 1%) et réclament un dosage des plaquettes tous les 2-3 jours pendant 2 semaines, particulièrement les jours 5, 7 et 9; ce sont tout particulièrement l’administration d’héparine postopératoire (incidence en orthopédie 1-5%), les suites de la chirurgie cardiaque (incidence 1-5%) ou d'une assistance ventriculaire (incidence 10%), et la chirurgie du cancer (incidence 1-2%) [7]. La prévalence est moindre en obstétrique et dans les indications médicales à l’héparine. Les femmes sont deux fois plus souvent atteintes que les hommes [14]. Après chirurgie cardiaque, l’apparition ou la persistance d’une thrombocytopénie au-delà du 4ème jour est toujours suspecte, car la baisse des plaquettes liée à la CEC, qui débute dès la fin de la pompe, se résout normalement après 4 jours. Le pic d’incidence de HIT survient entre le 5ème et le 15ème jour postopératoire. La mortalité du syndrome est de 5 à 30%, en général liée aux complications des thromboses. Leur prophylaxie est handicapée par le fait qu’elles peuvent survenir en même temps que la thrombocytopénie [6].
 
Le traitement consiste à interrompre immédiatement l’administration d’héparine (HNF et HBPM) et les contacts avec la substance (rinçage, cathéter enduit d'héparine). L'héparine est remplacée par un agent qui bloque la cascade au niveau du facteur Xa: argatroban, bivalirudine, désirudine, danaparoide ou fondaparinux. Une plasmaphérèse peut éliminer jusqu'à 80% des complexes IgG-héparine-PF4 [7]. La transfusion de plaquettes n’est indiquée qu’en cas d’hémorragie grave, mais non en fonction du taux de thrombocytes. En effet, le risque de saignement est faible et la transfusion plaquettaire augmente le risque de thrombose. L’anticoagulaion doit être prolongée pendant 6 semaines en cas de thrombocytopénie isolée et 3 mois en cas de thrombose associée [8]. Un antivitamine K (INR 2.0-3.0) est donc introduit dès que les plaquettes ont récupéré un taux normal (≥ 150’000/mcL), avec un recouvrement d’au moins 5 jours par l'anticoagulant en perfusion. 
 
Chirurgie cardiaque en cas de HIT
 
Lorsqu’un patient souffre de thrombocytopénie induite par l’héparine ou en a souffert dans son anamnèse, deux possibilités se présentent [7,16].
 
  • Les anticorps anti-héparine sont présents :
    • Si la chirurgie est élective : attendre que les tests soient négativés (environ 3 mois); on peut alors utiliser de l’héparine pour la CEC.
    • Si la chirurgie est urgente : utiliser des alternatives à l’héparine, à savoir bivalirudine si la fonction rénale est normale, argatroban en cas d’insuffisance rénale. Adjonction possible : protection plaquettaire.
  • Les tests pour les anticorps anti-héparine sont négatifs (taux < 0.4):
    • Utilisation d’héparine pour la CEC.
  • Dans les deux cas, on évite l’HNF et les HBPM en pré- et en postopératoire.
  • Les tests sont répétés 72 heures après l'administration d'héparine.
Les anticoagulants à disposition en lieu et place de l’héparine n’ont pas d’antagoniste et ne sont pas renversées par la protamine. Leur élimination dépend de leur demi-vie sérique (voir Inhibiteurs directs de la thrombine, Tableaux 8.1 et 8.2) et de l’utilisation d’un circuit d’hémofiltration en fin de CEC [1,4,5,8,16].
 
  • Bivalirudine (Angiox®) : inhibiteur réversible direct de la thrombine et de l'activation plaquettaire. Début d'activité: 2-10 minutes; demi-vie : 25 min (doublée en cas d'insuffisance rénale) ; élimination rénale. Le plus facile à manipuler pour la CEC, mais avec un risque de thrombose dans le réservoir ou dans l’oxygénateur si le débit de la machine est interrompu, car l’élimination de la bivalirudine par protéolyse plasmatique continue dans le sang immobilisé. Il faut donc prévoir des shunts artério-veineux, un CellSaver™ sur la récupération du sang, un rinçage intermittent du réservoir veineux et un stockage du sang dans des poches citratées. La même protéolyse survient dans les pontages non-perfusés; la cardioplégie doit donc être administrée toutes les 15 minutes [7]. La bivalirudine augmente linéairement l'ACT, le TP, le PTT et le TT; le test le plus fiable est le temps d'écarine (ECT, ecarin clotting time), mais il n'est pas réalisable dans tous les laboratoires. Dosage : bolus 1 mg/kg + 50 mg dans le liquide d’amorçage de la CEC + perfusion 2.5 mg/kg/h. On vise un ACT ≥ 450 sec au moyen de bolus additionnels de 0.1-0.5 mg/kg [10]; l'ECT visé est 400-500 sec [16]. La perfusion est arrêtée 10-15 minutes avant la fin de la CEC. L’ultrafiltration n’est utilisée qu’après la CEC pour acccélérer l’élimination de la bivalirudine. 
  • Argatroban (Argatroban Injection®) : molécule synthétique qui se lie sélectivement et réversiblement à la thrombine. Demi-vie : 40-50 minutes ; élimination hépatique. Dosage : bolus 0.1-0.2 mg/kg iv + 0.05 mg/kg dans le liquide d’amorçage de la CEC + perfusion 5-10 mcg/kg/min (immédiate et continue) pour ACT 350-400 sec et aPTT 1.5 à 3 fois la valeur de base ; bolus supplémentaires si nécessaire : 2 mg. Retour à une coagulation normale 2-4 heures après l’arrêt de la perfusion. L’argatroban est le médicament de choix en cas de dysfonction rénale.
  • Danaparoïde sodique (Orgaran®) : inhibition prédominante du facteur Xa. Demi-vie de 7 heures pour l’activité anti-IIa et de 25 heures pour l’activité anti-Xa ; élimination rénale. Dosage : bolus iv 1’500-2'000 U + 5’000-10'000 U dans le liquide d’amorçage de la CEC ; ajout de 1'500 U après 2 heures. Très difficile à gérer en CEC et très hémorragipare dans le postopératoire.
  • Lépirudine (Refludan®) : forme recombinante de l’hirudine, inhibiteur irréversible de la thrombine découvert chez la sangsue. Demi-vie sérique de 10 min, demi-vie d’élimination 1-1.5 heure, mais inhibition irréversible de la thrombine ; élimination rénale. La meilleure surveillance est l’ECT (temps de coagulation par l’écarine du sang total citraté). Dosage : bolus 0.25 mg/kg + 0.2 mg/kg dans le liquide d’amorçage de la CEC + bolus 5 mg pour ACT > 350 sec (imprécis) ; perfusion 0.15 mg/kg/h. La production de lépirudine a cessé en 2012.
La bivalirudine, seule substance testée dans des études contrôlées, est considérée actuellement comme le premier choix pour remplacer l’héparine en chirurgie cardiaque [9,10,14]. Deux autres substances sont à disposition en cas de HIT, mais ne sont pas utilisables pour la CEC à cause de leur administration sous-cutanée.
 
  • Désirudine (Iprivask®) : forme recombinante de l’hirudine. Demi-vie d’élimination : 2-3 heures. Dosage suggéré en cas de HIT : 15-30 mg/12h sous-cutané selon l’aPTT, mais l’expérience avec cette substance est très limitée.
  • Fondaparinux (Arixtra®) : analogue synthétique de la séquence de pentasaccharides de l’héparine, inhibition sélective du facteur Xa. Demi-vie : 16-17 heures ; excrété par les reins, il doit être évité en cas d’insuffisance rénale ou diminué de moitié si la clairance de la créatinine est de 30-50 mL/min. Dosage : 7.5 mg/jour par voie sous-cutanée (10 mg/j > 100 kg). Toutefois, l'efficacité du fondaparinux n'est fondée sur aucune étude randomisée; la susbtance a même été soupçonnée de pouvoir déclencher un HIT [16].
  • Anticoagulants oraux anti-Xa (rivaroxaban, apixaban, edoxaban): en investigation.
L'inhibition des plaquettes (thromboplégie) est une option additionnelle à l’anticoagulation. Elle consiste à anticoaguler les patients avec de l'héparine, et à bloquer parallèlement l'agrégation plaquettaire induite par l'action des anticorps IgG préformés sur les complexes PF4-héparine au moyen d'un antiplaquettaire de courte durée d’action. Bien que réagissant encore à l'héparine, les patients ne courent plus un risque excessif de thrombo-embolie et de thrombocytopénie [15]. 
 
  • Héparine (dose habituelle) + prostacycline (Iloprost®) : augmentation de l’AMPc intraplaquettaire et inhibition de l’activation. Demi-vie 15-30 min. Perfusion de 3-12 ng/kg/min (moy 7.6 ng/kg/min), réglée selon le test HIPA (Heparin-induced platelet aggregation) pour une activation < 5% [3]. La perfusion est diminuée de moitié après la protamine et réduite au quart à l'arrivée aux soins intensifs; elle est stoppée 1 heure plus tard [15]. Inconvénients: l'iloprost provoque une hypotension (réglée par noradrénaline), et les tests HIPA peropératoires prennent du temps (30-40 minutes).
  • Héparine (bolus 5'000 UI et perfusion 1'000 UI/h) + tirofiban (Aggrastat®) : bloqueur du récepteur GP IIb/IIIa des plaquettes, responsable de la liaison de celles-ci avec le fibrinogène (voir Figures 8.12 et 8.13). Demi-vie : 2 heures. Bolus 0.4 mcg/kg, puis perfusion 0.15 mcg/kg/heure. Arrêt 1 heure avant la fin de la CEC [11].
  • Héparine (dose habituelle) + cangrelor (Kengrexal®) : inhibiteur réversible direct du récepteur P2Y12 commercialisé dans le cadre de la PCI et du syndrome coronarien aigu, encore en essai clinique dans cette indication. Demi-vie 9 minutes. Perfusion 0.75 mcg/kg/min [2,12]. Interruption 30 minutes avant la protamine.
 
 
 Thrombocytopénie induite par l’héparine (HIT)
Le HIT (heparin-induced thrombocytopenia) est déclenché par des anticorps dirigés contre le complexe formé par l’héparine et le facteur-4 des plaquettes (PF4), dont la conséquence est une activation/consommation des thrombocytes et la mise en route de la chaîne de la coagulation. Caractéristiques :
    - Traitement d’héparine pendant 5-10 jours
    - Thrombocytopénie (chute > 50%)
    - Thromboses veineuses et artérielles
    - Taux élevé d’anticorps anti-héparine (atténué au-delà de 3 mois)
    - Incidence : 1-5% avec HNF, 0.1-1% avec HBPM, plus fréquent après chirurgie
    - Mortalité : 5-10%
 
Traitement : arrêt de l’héparine et remplacement pas une alternative administrées par voie sous-cutanée (traitement à long terme) :
    - Désirudine (Iprivask®
    - Fondaparinux (Arixtra®)
Substances utilisables pour l’anticoagulation de la CEC en cas de HIT :
    - Bivalirudine (Angiox®), facile à manipuler
    - Argatroban (Argatroban Injection®), préférable en cas d’insuffisance rénale


© CHASSOT PG, MARCUCCI C, Décembre 2013, dernière mise à jour, Novembre 2019
 
 
Références
 
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  2. ANGIOLILLO DJ, FIRSTENBERG MS, PRICE MJ, et al. Bridging antiplatelet therapy with cangrelor in patients undergoing cardiac surgery. JAMA 2012; 307:265-74
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