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Améliorations possibles
Le but étant évidemment d’offrir le maximum de sécurité à nos patients, quelles sont les possibilités d’améliorer les résultats dans une discipline complexe en charge de situations à risque comme l’anesthésie cardiaque ? Il s’agit d’abord d’admettre qu’une médecine sans erreur n’existe pas, et de trouver des solutions optimales portant sur le plus grand nombre de points d’impact [11]. Il s’agit ensuite de remplacer une culture hospitalière basée sur la hiérarchie et le respect de l’autorité par une culture de la sécurité basée sur la collaboration et le respect de certaines règles. Le changement consiste à passer d’une mentalité "blâmer pour les erreurs" à une attitude "apprendre par les couacs" [20].
Niveau institutionnel
Sur le plan institutionnel, le renforcement de la sécurité peut être abordé par une série de facettes différentes.
Identifier les risques et les zones d’insécurité : recherche les complications les plus fréquentes, les plus sévères, les moins acceptables, les plus faciles à prévenir.
- Rendre le système plus robuste à la survenue des erreurs humaines : dilutions médicamenteuses opérées par la pharmacie, étiquetage codifié avec des couleurs et/ou des formes différentes, ergonomie optimale des appareils, double contrôle de l’identité du malade et de l’opération prévue à l’entrée en salle d’opération, etc.
- Utiliser les check-lists générales déjà recommandées, telle celle de l’OMS qui marque les trois temps principaux de l’intervention (entrée en salle, incision et sortie de salle). On peut obtenir cette check-list sur le site de l’OMS : http://whqlibdoc.who.int/publications/2009/ 9789241598590_eng_checklist.pdf. Les contrôles portent sur l’identité du patient, ses particularités médicales, le site opératoire, le matériel et les problèmes anticipés (voir Tableau 2.1) [7,9,19]. La checklist hollandaise concernant le peropératoire et le périopératoire est consultable sur : http://www.surpass-checklist.nl/home.jsf [1].
- Utiliser des check-lists adaptées aux différentes situations cliniques d'anesthésie et aux situations aiguës rencontrées en salle d'opération; elles pallient les manquements liés au stress et aux défauts de mémorisation ou de raisonnement propres aux situations critiques (voir Gestion globale de l'équipe) [21].
- Utiliser un document écrit préformaté pour les remises de cas et pour la transmission des données entre la salle d’opération et les soins intensifs (feuille de transmission, voir Figure 4.29).
- Mettre au point des algorithmes de panne pour la prise en charge réflexe des situations à haut risque : intubation difficile, traitement de la défaillance ventriculaire, de l’ischémie aiguë, de la crise hypertensive, de la sortie de circulation extracorporelle, etc. Dans les cas particuliers, des plans sont pré-établis par l’équipe en fonction de la situation.
- Disposer dans chaque salle d'opération et pour chaque membre de l'équipe d'un manuel simple contenant les protocoles, les recommandations et les marches à suivre des diverses procédures (Guidelines, Directives), ainsi que les algorithmes des situations d'urgence; ce manuel peut se présenter sous forme de livret ou sous forme informatique. Malheureusement, la compliance avec les recommandations est modeste dans le corps médical, qui les ressent comme une frustration à son autonomie et qui en critique la disparité [6].
- Suivre des étapes codifiées pour intégrer la gestion du risque dans la prise en charge des patients à tous les niveaux [17].
- Ne pas accepter de risque disproportionné par rapport au bénéfice (par exemple, stopper les antiplaquettaires chez un porteur de stents actifs récents pour diminuer les pertes sanguines d’une opération élective qui peut attendre la fin du traitement, comme une cure de varices) ;
- Prendre un risque calculé lorsque le bénéfice attendu est largement supérieur aux accidents potentiels (par exemple, interrompre la bithérapie antiplaquettaire avant une cure d’anévrysme intracérébral ne souffrant pas de délai) ;
- Respecter l’avis de la personne la plus expérimentée et s’en remettre à sa décision ;
- Apprendre à résister aux pressions, notamment chirurgicales, au désir de prouver ses compétences, et au plaisir de satisfaire toutes les demandes.
- Adopter un système anonyme, confidentiel et non punitif de rapport et d’analyse des incidents critiques ou des accidents (incident report), de manière à ce que l'événement dangereux survenus aux uns puisse profiter à l’accroissement des connaissances de tous (Figure 2.8) [15]. Apprendre de ses erreurs est la meilleure manière de ne pas les répéter. Identifier les points fragiles est le seul moyen de parer aux désastres potentiels. Un tel système existe en Suisse par voie électronique (Critical Incident Reporting and Reacting Network, CIRRNET) :
- http://www.sgar-ssar.ch/CIRRNET-CIRS-National-Anesthe.166.0.html?&L=1
- https://www.cirrnet.ch/index.asp
Figure 2.8: Exemple de système de signalement des incidents critiques, sous la forme d'un Recueil d'Evènements Critiques et Indésirables (RECI) tel qu'il fonctionne au CHUV (Lausanne).
- L’analyse des incidents critiques permet d’éviter de nombreuses catastrophes parce qu’ils sont beaucoup plus fréquents que les accidents et parce qu’ils partagent les mêmes causes.
- Améliorer l’ergonomie des salles d’opération et du matériel d’anesthésie, limiter le va-et-vient du personnel, diminuer le bruit ambiant, standardiser les emplacements de chaque objet important.
Niveau comportemental
Les médecins, naturellement individualistes, ont tendance à sous-estimer lourdement leur tendance physiologique à commettre des erreurs. Obnubilés par un sentiment de toute-puissance, ils tendent à les scotomiser, ou à les considérer comme une défaillance, donc une faute professionnelle. C’est un état d’esprit qu’il faut faire progressivement évoluer par différents moyens.
- Renforcer la cohésion du travail en équipe (teamwork). Ceci implique d’abandonner l’esprit hiérarchique qu’a cultivé le mandarinat au profit d’un système d’équipartition des responsabilités et de rétrocontrôle mutuel des activités. Le partage des informations, la communication adéquate, la répartition claire des tâches et le respect des mêmes attitudes en cas de problème inattendu sont des prérequis fondamentaux au succès d’une journée opératoire.
- En cas de crise, l’équipe doit retrouver momentanément un système hiérarchique dirigé par un team leader choisi pour sa compétence ; celui-ci va centraliser les informations et organiser les activités au sein de l’équipe.
- S’entraîner sur simulateur. En médecine, les gestes à risque (intubation, pose de voies vasculaires, loco-régionale) sont malheureusement entraînés sur des malades réels. Le simulateur offre des possibilités très étendues d’apprentissage sans compromettre la santé d’un patient. D’autre part, il permet au personnel de s’habituer aux situations de crise de salle d’opération et d’apprendre à les gérer en équipe coordonnée ; revoir l’enregistrement de la manière dont on a pris en charge un événement critique est la meilleure manière de se convaincre de l’importance des facteurs humains [6,12]. Le simulateur offre une preuve objective du comportement individuel dont l’évaluation reste autrement très subjective, notamment lorsqu’il s’agit de sélectionner le personnel.
- La répétition d'un geste sur simulateur avant son exécution sur un patient améliore nettement sa réalisation. Cet "échauffement" est utile pour les gestes techniques, mais non pour la gestion de crise [8,13].
- Intensifier la formation aux incidents critiques, que ce soit en enseignement théorique (exemples, démonstrations), en simulateur (entraînement) ou dans les conditions réelles lorsque survient un problème (discussion, debriefing). Lors de la surchauffe soudaine du réacteur de Fukushima (11 mars 2011), le personnel de la centrale ignorait la manière de redémarrer manuellement le système de refroidissement, dont la commande automatique avait été interrompue par le tsunami. L’accident du vol Rio-Paris (1er juin 2009) est en partie lié à un défaut de formation des copilotes aux situation aiguës, mais rares, qui peuvent survenir en altitude de croisière. La limitation des horaires du personnel médical en formation (50 heures par semaine) est un fort handicap pour l’acquisition d’une expérience adéquate dans les situations critiques.
- Sélectionner des individus (médecins, infirmières, techniciens, gestionnaires) capables de bien gérer le stress, de résister aux pressions, de maintenir leur niveau de vigilance et de se comporter de manière homogène en équipe, alors que la sélection actuelle n'est basée que sur les connaissances intellectuelles et les performances techniques. L’évaluation des capacités humaines (Non-technical skills, NTS), par exemple au simulateur, porte essentiellement sur cinq points (www.abdn.ac.uk/iprc/ants) [2,3,4] :
- Attention à la situation (recherche d’informations, vigilance, anticipation) ;
- Capacité décisionnelle (identification des options, choix, ré-évaluation) ;
- Organisation des tâches (planification, choix des priorités, respects des standards) ;
- Travail en équipe (communication, relation avec les collaborateurs, entraide);
- Gestion du stress et de la fatigue (résistance à la pression, gestion du repos).
- Ce type de sélection s’est déjà avéré être un moyen fiable de prédire les performances du personnel de salle d’opération [5].
- Sélectionner des individus qui présentent suffisamment de sens des responsabilités et de rigueur intellectuelle pour s’investir avec la même énergie et la même perspicacité dans un geste banal ou dans une intervention sophistiquée.
- Créer une culture de la sécurité au sein de l’équipe soignante et de la gestion hospitalière : pourchasser la banalisation des déviances, assurer le respect des routines d’activités et des recommandations de sécurité (guidelines), éviter de se laisser enfermer dans des situations à couple serré.
Il est capital de garder en permanence à l'esprit que toute activité, médicale ou autre, présente un certain potentiel à mal tourner et de savoir qu’on ne modifie que la probabilité d’incidence des accidents ; l’effet de toutes ces mesures n’est apparent que sur le long terme. La seule preuve de leur efficacité est qu'il ne se passe rien d'anomal ; le succès est ici un non-évènement.
La Déclaration d’Helsinki pour la sécurité des patients en anesthésie (Helsinki Declaration on Patient Safety in Anaesthesiology) résume les options de base nécessaires à améliorer les conditions de sécurité en salle d’opération (Figure 2.9) [10,16]. Elle exprime l’opinion des Sociétés d’Anesthésie Européennes. Elle est téléchargeable sur le site :
- http://www.euroanesthesia.org/sitecore/content/Publications/Helsinki%20Declaration.aspx
- http://www.euroanesthesia.org/sitecore/Content/Publications/Helsinki%20Declaration/Text%20of%20the%20Helsinki%20Declaration.aspx
Helsinki Declaration on Patient Safety in Anesthesiology |
Background Anaesthesiology shares responsibility for quality and safety in Anaesthesia, Intensive Care, Emergency Medicine and Pain Medicine, including the whole perioperative process and also in many other situations inside and outside the hospital where patients are at their most vulnerable.
We, the leaders of societies representing the medical speciality of anaesthesiology, met in Helsinki on 14 June 2010 and all agree that:
Today we pledge to join with the European Board of Anaesthesiology (EBA) in declaring the following aims for improving Patient Safety in Europe. Close cooperation between European organisations will be required to achieve these goals, for which the input and efforts of the European Society of Anaesthesiology (ESA) will be instrumental:
This declaration emphasises the key role of anaesthesiology in promoting safe perioperative care. Continuity
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Figure 2.9: Déclaration d’Helsinki sur la sécurité en anesthésie, approuvée par l’European Society of Anaesthesiology (ESA) et par les sociétés nationales européennes [D'après: Mellin-Olsen J, Staender S, Whitaker DK, Smith AF. The Helsinki Declaration on patient safety in anaesthesiology. Eur J Anaesthesiol 2010 ; 27 :592-7].
D’autre part, la Société Suisse d’Anesthésie et de Réanimation (SSAR) a établi des standards et des recommandations pour l'anesthésie [14]. Elle met également à disposition sur son site internet un certain nombre de résumés (flyers) concernant la sécurité de différents actes d’anesthésie :
- http://sgar-ssar.ch/Flyer-Avis-de-securite.67.0.html?&L=1
- http://sgar-ssar.ch/Securite-de-la-qualite-en-anes.57.0.html?&L=1
Dans cet ouvrage, les recommandations proposées n’ont pas valeur de loi ni de consensus, mais sont guidées par l’idée d’offrir la sécurité optimale. Elles ont été pensées pour des services d’enseignement où l’inexpérience des jeunes médecins impose des marges de sécurité importantes, car il leur manque encore le jugement clinique fondé sur l’expérience personnelle pour être capable d’adapter la technique d’anesthésie à la particularité de chaque patient. Ce jugement est une base essentielle de la pratique médicale (judgment-based medicine), qui ne doit pas être voilée par la tendance actuelle de donner la prépondérance à l’évidence issue d’études comparatives (evidence-based medicine) ; ces dernières n’ont pas la capacité de mettre en évidence des évènements rares mais potentiellement catastrophiques [18].
Niveau existentiel
Malheureusement, un bloc opératoire n'est pas un terrain neutre. C'est une zone de souffrance pour les malades et de stress pour les soignants, une zone où se pratique une médecine technique et naturellement déshumanisée comme l'exprime l'adage chirurgical "On ne fait pas une bonne médecine avec de bons sentiments". Un endroit où l'on incise son prochain pour en extraire la maladie ou pour en redresser la malfaçon est par nature un lieu de violence. Toute l'attention y est concentrée sur une vésicule, une valve ou un fémur parce que le succès de l'opération en dépend. Cette vacance de l'être du patient transfert la relation humaine du pôle médecin-malade vers celui de la relation entre soignants. Or ceux-ci ont choisi leur métier sans être le moins du monde préparés à la tension qui règne entre des personnes hypercompétentes, plutôt individualistes et persuadées de leur pouvoir. Le chirurgien est un thaumaturge tout-puissant et grand prêtre de la messe quotidienne. L'anesthésiste vit un jeu érotique avec la mort: il fait disparaître la conscience du malade à l'induction avec une dose d'hypnogène et de curare qui entrainerait le décès s'il n'assurait pas la survie en prenant en charge la ventilation et la circulation, puis ressuscite le patient à la fin de l'intervention en le réveillant quand il en a décidé. Le personnel infirmier, thuriféraire des dieux du stade, participe à la griserie de cette magie mais souffre de n'être qu'un second rôle. Personne n'a été sélectionné ni entrainé en fonction de ses capacités relationnelles à travailler en équipe. Dans le huis clos de la salle d'opération, tous les ingrédients sont ainsi réunis pour des journées vécues dans le mal-être et régulièrement au bord du drame. La fréquence du burnout, objet du chapitre suivant, n'est donc pas une surprise.
Améliorations possibles de la sécurité |
Robustesse contre les erreurs : ergonomie des appareils, préparations médicamenteuses codifiées, contrôles d’identité du patient et du type d’intervention prévu, check-list Algorithmes et plans pré-établis par l’équipe pour les situations à risque
Cohésion, communication et culture de la sécurité au sein de l’équipe soignante
Sélection du personnel non seulement en fonction de ses de ses performances intellectuelles et techniques mais aussi en fonction de ses qualités comportementales (Non-technical skills)
Apprentissage de la gestion des crises sur simulateur : vigilance, anticipation, réaction au stress, leadership, algorithmes, évitement de l’effet tunnel et des couplages serrés
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© CHASSOT PG CLAVADETSCHER F Mars 2010, mise à jour Janvier 2012, Juillet 2017
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