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Effets cérébraux de l'hypothermie

Baisse du métabolisme
 
L'hypothermie a des répercussions sur de nombreux systèmes (Tableau 18.5), mais seuls ses effets sur le cerveau seront abordés ici. La baisse du métabolisme cellulaire par le froid permet de prolonger le temps d'ischémie d'une durée variable selon les organes et selon la température. Le métabolisme cellulaire diminue exponentiellement avec la température: il baisse de 7% par degré C. A 18°C, la consommation d'O2 du cerveau (CMRO2) est de 20% par rapport à sa valeur en normothermie [11]. Seule l'hypothermie permet une diminution du métabolisme cellulaire en dessous de 50%. De plus, elle touche l'activité électrique (50-60% de la CMRO2) aussi bien que le métabolisme basal des neurones (40-50% de la CMRO2), alors que les agents anesthésiques ne modifient que l'activité électrique synaptique [11,17]. Le coefficient d'abaissement du métabolisme par tranche de 10° C (Q10) est variable selon les températures, les espèces, les organes et les âges; pour le cerveau, sa valeur moyenne est de 2.5 chez l'adulte si son activité électrique a été supprimée, alors qu'il voisine 15 lorsque l'activité électrique persiste [12]. Bien qu'elle en soit l'agent principal, l'hypothermie confère un degré de protection qui ne peut pas être expliqué par la seule baisse de la CMRO2. Elle agit aussi par diminution de la libération d'agents cytotoxiques et par freinage de l'activation des récepteurs NMDA [17].

 
Le couplage entre le flux sanguin (FSC) et le métabolisme (rapport normal FSC/CMRO2: 15/1) se modifie à froid: à basse température, le FSC devient luxuriant (rapport 30/1). L'autorégulation du flux sanguin cérébral est conservée en normocapnie et en hypothermie modérée (25-30° C) pour des régimes de pression artérielle moyenne de 50 à 80 mmHg. Elle est perdue en hypothermie profonde (< 25°C). Une mydriase bilatérale fixe s’installe en dessous de 25°, la "burst suppression" survient à 24°C, les potentiels évoqués sensitifs disparaissent à 21-22°C et l'EEG devient isoélectrique à 18-20°C [5,20]. Toutefois, ces températures peuvent être inhomogènes; il peut exister des gradients entre le cortex et le bulbe. D'autre part, le lieu de mesure est important; les endroits les plus fiables sont le bulbe jugulaire (canulation veineuse rétrograde), le tympan (sonde tympanique spéciale) ou les cellules ethmoïdales (sonde standard introduite par le nez jusqu'à buter contre le rhinopharynx). La limite inférieure de température tolérée par le cerveau est probablement 12°C, à la condition que l'hypothermie soit uniforme [10]. En dessous de cette valeur, l'inhibition des transferts membranaires actifs (pompes Na+/K+ et Na+/Ca2+) permet aux ions de diffuser selon leurs gradients électrochimiques, ce qui induit un oedème intracellulaire progressif  [7,16].  
 
Solubilité des gaz
 
La solubilité des gaz dans les liquides augmente lorsque la température baisse. Ainsi, la valeur de la PCO2 mesurée dans un échantillon de sang normal (PCO2 = 40 mmHg) refroidi à 27° n'est que de 23 mmHg, quand bien même aucun échange n'a eu lieu avec l'extérieur, parce que la fraction dissoute du gaz [HCO3] a augmenté. A 20°, le pH apparent normal est de 7.7. En clinique, la régulation acido-basique peut se faire selon deux techniques.
 
  • Selon le mode alpha-stat, le plus souvent utilisé, le contenu total en CO2 est maintenu constant, la lecture se fait comme si le patient était normothermique. Comme la solubilité du gaz est augmentée en hypothermie, la pression partielle de CO2 est plus basse; le sang devient artificiellement alcalin et hypocapnique, mais le rapport [H+] / [OH-] reste constant. Dans cette situation, l'autorégulation cérébrale est intacte, l'acidose extracellulaire est diminuée, le pH intracellulaire est maintenu stable, et les fonctions enzymatiques sont conservées dans leur intégrité [22].     
  • Dans le mode pH-stat, on maintient le pH du sang à 7.4 quelle que soit la température en ajoutant du CO2 au gaz ventilé; le contenu en CO2 augmente (hypercarbie apparente) et le pH baisse. Cette technique provoque une vasodilatation cérébrale hypercarbique qui induit une perfusion luxuriante et qui rend le flux pression-dépendant [14]. L'autorégulation est perdue, et les risques d'oedème cérébral et d'embolisation sont augmentés, mais l’homogénéité de la température est meilleure lorsqu'on refroidit le patient [19]. 
 
La technique alpha-stat est habituellement utilisée pour les CEC en hypothermie modérée (25 – 30°C), car les résultats neurologiques à 6 semaines sont sensiblement meilleurs dans ces conditions [15]. A l’opposé, la stratégie pH-stat offre l'intérêt de doubler le FSC et de déplacer la courbe de dissociation de l'Hb vers la droite. Comme l'homogénéité du FSC est améliorée, la technique pH-stat est indiquée pendant les périodes de refroidissement et de réchauffement des malades amenés à une basse température, car elle favorise la rapidité et l'uniformité des variations thermiques au sein du cerveau [1]. Mais il reste préférable d'assurer un contrôle de type alpha-stat lorsque la température est stable. 
 
Vu la modification de son pKa avec la température, le bicarbonate perd son pouvoir tampon en hypothermie profonde. Si l’on veut corriger une acidose dans ces conditions, il faut administrer des protéines (albumine, PFC), dont la fonction histidine conserve son pouvoir tampon à basse température.
 
Réchauffement
 
La récupération de l'activité électrique du cerveau annonce celle de l'activité physiologique postopératoire. Le risque de déficit neurologique augmente d'un facteur de 1.56 fois pour chaque élévation d'un degré de la température à laquelle l'EEG reprend un tracé d'activité normale [21].
 
Un problème majeur survient au réchauffement du fait que le cerveau devient transitoirement hypertherme (38-39°) [2]. Cet effet rebond est d'autant plus prononcé que le réchauffement est plus rapide. Il augmente la production de radicaux libres et de neuro-excitateurs cytotoxiques, élargit la zone de pénombre périlésionnelle et aggrave le découplage entre l'apport et la demande en O2 [5,18]. Il aggrave profondément la susceptibilité des neurones à l'ischémie et agrandit l'étendue des lésions focales [9,13]. Il diminue l'efficacité de l'autorégulation et rend le flux sanguin cérébral davantage pression-dépendant. Les séquelles neurologiques sont proportionnelles à la rapidité du réchauffement et à la chute de la saturation veineuse jugulaire (< 50%) pendant cette phase [4,5]. Les altérations neuro-psychologiques de type II diminuent lorsque le réchauffement est plus lent [6]. La vitesse de réchauffement ne devrait donc pas dépasser 4° C par 20 minutes (1°C/5 min), ni le gradient de température artère – oesophage la valeur de 2-3°C [3]. Le gradient thermique maximal acceptable est de 10°C entre la T° rectale et la T° oesophagienne (ou cérébrale), et de 10°C entre la T° du sang et celle de l'eau de l'échangeur thermique [8]. 
 
Un des problèmes est la mesure de la température cérébrale, car le cerveau est l'organe le mieux perfusé; il est donc malaisé de mesurer sa température à partir de zones qui le sont moins bien. Le nasopharynx et le tympan sont très proches du cerveau et sont les endroits préférentiels en clinique, mais ils évaluent la température de surface de l'encéphale et sous-estiment la température réelle d'environ 2°C par rapport à la température mesurée dans le bulbe jugulaire (canulation rétrograde de la jugulaire interne) pendant le réchauffement; l'écart est de 3-5°C avec la température rectale ou vésicale [5]. Le cathéter artériel pulmonaire est le site de mesure qui donne les valeurs les plus proches, pour autant que la circulation pulmonaire soit fonctionnelle [18].

 
 
Cerveau et hypothermie
La consommation d'O2 cérébrale baisse de 7% par °C. A 18°C, elle est de 20% par rapport à sa valeur de base. Effets cérébraux de l'hypothermie:
    - Perte de conscience < 30-32°C
    - Perte de l'autorégulation < 25°C
    - Mydriase fixe < 25°C
    - Burst suppression < 24°C
    - Perte des potentiels évoqués < 21-22°C
    - EEG isoélectrique < 20°C
La température cérébrale n'est pas forcément homogène et sa mesure est un problème. Mesures cliniques les plus fiables: nasopharynx contre les cellules éthmoïdale, tympan.
 
L'autorégulation cérébrale est conservée dans le mode alpha-stat alors que le mode pH-stat induit un excès de flux sanguin par rapport aux besoins du cerveau.
 
Le réchauffement de CEC doit être lent (1°C/5 min), car le cerveau tend à devenir hypertherme (38-39°C) à cause de sa très riche vascularisation. L'hyperthermie cérébrale aggrave les risques neurologiques.

©  CHASSOT PG, TOZZI P, BETTEX D, Octobre 2010, Dernière mise à jour, Avril 2018
 
 
Références
 
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  4. CROUGHWELL ND, NEWMAN NF, BLUMENTHAL JA, et al. Jugular bulb saturation and cognitive dysfunction after cardiopulmonary bypass. Ann Thorac Surg 1994; 58:1702-8
  5. GRIGORE AM, FRIEDERICH MURRAY C, RAMAKRISHNA H, DJAIANI G. A core review of temperature regimens and neuroprotection during cardiopulmonary bypass: does rewarming matter ? Anesth Analg 2009; 109:1741-51
  6. GRIGORE AM, GROCOTT HP, MATHEW JP, et al. The rewarming rate and increased peak temperature alter neurocognitive outcome after cardiac surgery. Anesth Analg 2002; 94:4-10 
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  8. GROCOTT HP, MACKENSEN GB, GRIGORE AM, et al. Postoperative hyperthermia is associated with cognitive dysfunction after coronary artery bypass surgery. Stroke 2002; 33:537-41
  9. JONES T, ROY RC. Should patients be normothermic in the immediate postoperative period ? Ann Thorac Surg 1999; 68:1454-5
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  12. MITCHENFELDER JD, MILDE JH. The relationship among canine brain temperature, metabolism and function during hypothermia. Anesthesiology 1991; 75:130-6
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18. Anesthésie pour la chirurgie de l'aorte