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Décanulation et administration de protamine
La décanulation de CEC procède dans l'ordre suivant: canule de cardioplégie – canule veineuse – canule aortique. En cas de canulation séparée des deux veines caves, une des canules est souvent retirée avant la sortie de pompe pour améliorer le retour veineux vers l'OD. Tant que la canule artérielle est en place, le perfusioniste peut aisément remplir le patient en cas de perte sanguine, mais cette facilité peut conduire à une surcharge aiguë de volume, qui est visible dans le champ opératoire par la dilatation soudaine du VD. La pression artérielle doit être abaissée momentanément pour la décanulation aortique (PAM 50 mmHg), sans quoi la bourse de fermeture risque de déchirer la paroi.
Après avoir soigneusement examiné le résultat opératoire à l'ETO, on peut décanuler l'oreillette droite et commencer l'administration de protamine. Habituellement, on injecte la première moitié de la dose lentement (maximum 50 mg/min) par une voie veineuse périphérique, puis on enlève la canule aortique et l'on donne la deuxième moitié de la protamine. Cette manière de faire permet de diminuer l'hémorragie lors de la décanulation artérielle et d'éviter la formation de thrombus dans l'aorte. Si la canule artérielle est en position fémorale ou sous-clavière, on ne commence la protamine qu'après rétablissement complet de la circulation dans l'artère. Dès que l'administration de protamine a débuté, on arrête les aspirations de la machine de CEC pour passer aux aspirations perdues et au CellSaver™. En effet, des caillots peuvent se former dans le réservoir et l'oxygénateur, ce qui oblige à changer le circuit au cas où l'on doit repartir en pompe pour un problème aigu.
La protamine, extraite originellement du sperme de saumon et produite actuellement par génie génétique, est une molécule polycationique chargée positivement qui forme des complexes stables avec l'héparine, qui est chargée négativement. Elle dissocie les complexes héparine-antithrombine. Sa demi-vie plasmatique est de 7 minutes. Un mg de protamine (100 UI) neutralise 1 mg d'héparine (100 UI). Habituellement, on administre une dose de protamine correspondant aux 80% de la dose d'héparine. Un ACT fait 5 minutes après la fin de la protamine doit être dans une limite de ± 10% par rapport à la valeur de départ. Malheureusement, la relation entre le taux d'héparine et l'ACT post-CEC est non-linéaire et peu performante. Un dosage basé sur l’héparinémie réelle du patient (système Hepcon/HMS™), sur la thromboélastographie (HEPTEM) ou sur un algorithme pharmacocinétique conduit à donner des quantités moindres (rapport protamine/héparine 0.5-0.8:1) et réduit de ce fait l'hypocagulabilité, la fibrinolyse et la dysfonction plaquettaire engendrées par la protamine (voir ci-dessous) [1]. Les agents procoagulants (acide tranexamique, fibrinogène, facteurs de coagulation, thrombocytes, etc) ne sont perfusés qu'après la fin de la protamine, lorsque l'effet de l'héparine a disparu. Un thromboélastogramme (ROTEM™) permet d'objectiver les besoins en cas de coagulopathie persistante.
La protamine présente plusieurs effets secondaires immédiats, dont l’incidence varie de 1 à 13% des cas (moyenne 2.6%) [1,3,4].
- Libération d'histamine, qui se caractérise par une vasodilatation importante avec baisse de précharge et de postcharge; elle est directement proportionnelle à la vitesse d'administration (réaction de type I), raison pour laquelle il est recommandé de perfuser la protamine diluée dans 100 mL NaCl 0.9% en 10 minutes. Il est très fréquemment nécessaire d'accélérer les perfusions et de donner un vasoconstricteur (néosynéphrine ou nor-adrénaline) pour contrecarrer cet effet.
- Hypertension pulmonaire ; le complexe héparine-protamine déclenche la libération de thromboxane A2, qui est un vasoconstricteur pulmonaire; la PAP s’élève de 25-50%.
- Réaction antigène – anticorps (IgG et IgE) (réaction de type II); plus rare, celle-ci se rencontre chez les diabétiques traités par une insuline stabilisée avec de la protamine (protamine-Zn), chez les malades réopérés qui ont déjà reçu de la protamine, chez les patients allergiques aux poissons, et chez les hommes vasectomiés.
- Réaction anaphylactoïde déclenchée par le complexe héparine-protamine en activant directement la voie classique du complément (C4a) sans l'intermédiaire d'une réaction antigène-anticorps (réaction de type III, qui survient dans 1.5% des cas). Le tableau clinique est celui d'une réaction anaphylactique foudroyante avec hypotension profonde; la libération massive de thomboxane, déclenche une hypertension pulmonaire et une bronchoconstriction qui peuvent être catastrophiques. Le traitement comprend l'hydrocortisone, la prostaglandine E1 et des vasoconstricteurs (noradrénaline, vasopressine, bleu de méthylène). Dans les cas extrêmes, la prise en charge immédiate consiste à retourner en CEC, puis à recommencer le sevrage lorsque l'hémodynamique systémique et pulmonaire est contrôlée; l'héparine n'est pas antagonisée, ce qui implique des pertes sanguines considérables.
- En l’absence d’héparine, ou en excès par rapport à l’héparine (rapport protamine/héparine > 1.3:1), la protamine a un effet anticoagulant par trois mécanismes différents. Elle provoque une thrombocytopénie et une diminution de l'agrégabilité paquettaire d'environ 50%; elle freine l'activation des des facteurs V et VII; elle induit une fibrinolyse [1]. Les pertes sanguines augmentent de 26% lorsque le rapport héparine:protamine est 1.3 au lieu de 0.8 [5].
La protamine a un effet cardiotoxique direct qui va jusqu'à une diminution des performances systoliques de 75% [7]. Les patients sont sensibilisés à la protamine par une précédente opération cardiovasculaire ou par une insuline contenant de la protamine comme stabilisateur; les malades allergiques aux protéines de poisson sont susceptibles de développer une réaction violente [2]. Les patients à risque peuvent être anticoagulés avec de la bivalirudine, dont l'effet n'est pas reneversé par la protamine, ou opérés avec des circuits de CEC pré-héparinés et une héparinisation systémique réduite (100 UI/kg), ce qui permet éventuellement d’éviter l’administration de protamine [6]. Une dose de stéroïde pendant la CEC (500 mg méthylprednisolone) et une injection très lente (perfusion sur 20 minutes) par une voie périphérique peuvent diminuer l’intensité de la réaction chez un malade allergique.
Décanulation et protamine |
Ordre de décanulation: canule de cardioplégie – canule veineuse – canule aortique
La protamine neutralise l’héparine 1 UI:1 UI. La dose administrée correspond à 80% de la dose d'héparine. Un ACT fait 5 minutes après la fin de la protamine doit être dans une limite de ± 10% par rapport à la valeur de départ. Un excès de protamine a un effet anticoagulant.
Effets secondaires de la protamine:
- Vasoplégie systémique
- Vasoconstriction pulmonaire
- Réaction antigène-anticorps si patient déjà en contact ou allergique aux poissons
- Réaction anaphylactoïde avec état de choc
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© CHASSOT PG, GRONCHI F, Avril 2008, dernière mise à jour, Avril 2018
Références
- BOER C, MEESTERS MI, VEERHOEK, VONK ABA. Anticoagulant and side-effects of protamine in cardiac surgery: a narrative review. Br J Anaesth 2018; 120:914-27
- FINLEY A, GREENBERG C. Heparin sensitivity and resistance : management during cardiopulmonary bypass. Anesth Analg 2013 ; 116 :1210-22
- KIMMEL SE, SEKERES M, BERLIN JA, et al. Mortality and adverse events after protamine administration in patients undergoing cardiopulmonary bypass. Anesth Analg 2002; 94:1402-8
- LOWENSTEIN E, ZAPOL WM. Protamine reactions, explosive mediator release and pulmonary vasoconstriction. Anesthesiology 1990; 73:373-8
- MEESTERS MI, VEERHOEK D, DE LANGE F, et al. Effect of high or low protamine dosing on postoperative bleeding following heparin anticoagulation in cardiac surgery. Thromb Haemost 2016; 116:251-61
- MUKADAM ME, PRITCHARD D, RIDDINGTON D, et al. Case 7-2001. Management during cardiopulmonary bypass of patients with presumed fish allergy. J Cardiothorac Vasc Anesth 2001; 15:512-9
- PEVNI D, FROLKIS I, IAINA A, et al. Protamine cardiotoxicity and nitric oxide. Eur J Cardiothorac Surg 2001; 20:147-52
07. La circulation extra-corporelle
- 7.1 Introduction
- 7.2 Machines et circuits de CEC
- 7.2.1 Schéma général
- 7.2.2 Liquide d’amorçage et hémodilution
- 7.2.3 Drainage et réservoir veineux
- 7.2.4 Oxygénateur
- 7.2.5 Echangeur thermique
- 7.2.6 Pompes
- 7.2.7 Circuit artériel et filtre
- 7.2.8 Aspiration
- 7.2.9 Circuit de cardioplégie
- 7.2.10 Drainage du VG (venting)
- 7.2.11 Hémofiltration
- 7.2.12 Mini - CEC
- 7.2.13 Anticoagulation en CEC
- 7.2.14 Agents antifibrinolytiques
- 7.3 Physiopathologie de la CEC
- 7.3.1 Caractéristiques
- 7.3.2 Aspects hématologiques
- 7.3.3 Syndrome inflammatoire systémique (SIRS)
- 7.3.4 Hémodynamique
- 7.3.5 Hypothermie
- 7.3.6 Embolies gazeuses
- 7.3.7 Bilan hydrique et métabolique
- 7.3.8 Fonction cérébrale
- 7.3.9 Fonction rénale
- 7.3.10 Fonction hépato-splanchnique
- 7.3.11 Fonction pulmonaire et ventilation en CEC
- 7.4 Pharmacologie de la CEC
- 7.5 Déroulement de la CEC
- 7.6 Sevrage de la CEC
- 7.6.1 Sortie de pompe
- 7.6.2 Purge des cavités gauches
- 7.6.3 Préparation à la mise en charge
- 7.6.4 Mise en charge
- 7.6.5 Période post-CEC immédiate
- 7.6.6 Décanulation et administration de protamine
- 7.6.7 Hémostase et coagulation
- 7.6.8 Arythmies post-CEC et entraînement électro-systolique
- 7.6.9 Insuffisance ventriculaire après CEC
- 7.7 Protection myocardique et CEC
- 7.8 Incidents et accidents
- 7.9 CEC hors chirurgie cardiaque
- 7.10 Conclusions