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Cardiomyopathies
Cardiomyopathie du péripartum
La cardiomyopathie du péripartum est un diagnostic d'exclusion pour une insuffisance ventriculaire congestive qui survient dans le dernier mois de grossesse ou les premiers mois postpartum (le plus souvent dans la première semaine qui suit l'accouchement), en l'absence d'antécédents ou de cardiopathie d'étiologie déterminée [3,22]. Elle est plus fréquente chez les parturientes âgées et chez les multipares, et survient dans 1:4'000 naissances dans les pays industrialisées mais jusqu'à 1:300 en Haïti et 1:100 au Nigéria [20]. Aux USA, les femmes noires sont 3 fois plus souvent atteintes que les blanches, et leur mortalité est 5 fois plus élevée (22% au lieu de 4%) [14]. La pré-eclampsie, la multiparité et l'hypertension artérielle sont des facteurs prédisposant [2].
L'affection se présente comme une défaillance cardiaque accompagnée de dyspnée, d'orthopnée, de tachycardie et de stase (râles pulmonaires, OAP, œdème périphérique). A l'échocardiographie, le VG est le plus souvent dilaté, la fonction systolique très abaissée (FE < 0.35), les oreillettes agrandies; l'atteinte du VD péjore le pronostic [22]. La dilatation ventriculaire occasionne une insuffisance mitrale et tricuspidienne (Figure 22.12) [2]. Le taux de thrombus intracardiaque (30%) et de thrombo-embolie (7%) et le plus élevé de toutes les cardiomyopathies [7]. Les arythmies ventriculaires sont fréquentes, le tiers des décès étant attribués à une mort subite [12]. Les troponines et le BNP/NT-proBNP sont augmentés. L'histologie révèle un processus inflammatoire, une fibrose et une perte de myocytes. Comme la maladie s’accompagne d’une élévation du taux d’anticorps anti-actine/myosine, il est possible qu’elle soit déclenchée par le relargage d’antigènes lors de l’accouchement. Plusieurs éléments étiopathogéniques se détachent actuellement : 1) une chute des oestrogènes, qui favorisent normalement l’adaptation du myocarde aux besoins de la grossesse; 2) une production de prolactine anormale, qui est cardiotoxique; 3) une libération de déclencheurs toxiques par le placenta en fin de gestation; 4) un déséquilibre en faveur d'un stress oxydatif incontrôlé; et 5) une composante génétique commune avec la cardiomyopathie dilatative [2,22,24]. Le plus souvent, la délivrance améliore la situation.
Le traitement est basé sur celui de la cardiomyopathie dilatative et de l'insuffisance systolique [2,22].
- Diurétique (chlorothiazide, diurétique de l'anse; spironolactone contre-indiquée), dérivé nitré, β1-bloqueur (métoprolol).
- IEC et ARA: contre-indiqués pendant la grossesse, mais utilisables dans le postpartum.
- Agents inotropes, contre-pulsion intra-aortique, assistance ventriculaire, ECMO; vu la haute probabilité de récupération, une attitude thérapeutique agressive est justifiée [1,19].
- Bromocriptine: (2.5-5.0 mg/j): agoniste dopaminergique à activité anti-prolactine (cessation de la lactation) qui diminue le taux de complications et de décès de 80% à 10% [23], améliore la fraction d'éjection du VG de 25% et offre une pleine récupération (FE > 50%) dans deux tiers des cas [15].
- Anticoagulation: l'héparine et les HBPM sont sûres pendant la grossesse, alors que les agents anti-vitamine K sont tératogènes; les nouveaux anticoagulants oraux (dabigatran, xabans) sont contre-indiqués pendant la grossesse et l'allaitement. L'anticoagulation doit être continuée pendant au moins 2 mois dans le postpartum [9].
- Assistance circulatoire: ECMO, assistance ventriculaire externe (Impella™, TandemHeart™).
La mortalité de l'épisode aigu est actuellement inférieure à 2% dans les pays industrialisés, mais sur le long terme, la mortalité globale est de 6-16%; elle est plus élevée chez les femmes noires [4,17]. Environ 60% des femmes récupèrent une fonction cardiaque normale et guérissent sans séquelles ni complications; chez 15%, la fraction d'éjection du VG reste ≤ 0.35 [2,20]. Le degré de récupération est d'autant meilleur que la fonction ventriculaire était moins atteinte pendant la période aiguë. Une grossesse ultérieure présente un risque de décompensation ventriculaire gauche et de décès proportionnel au degré de dysfonction du VG: 67% de récidive lorsque la FE est < 0.45 et 33% lorsqu'elle est > 0.5 [9,11].
Les principes pour l'anesthésie consistent à abaisser la postcharge et à stimuler la contractilité (voir Chapitre 13, Cardiomyopathie dilatative). L'anesthésie péridurale est adaptée à ce but à la condition que le bloc soit d'installation très progressive; la rachianesthésie est contre-indiquée à cause de sa sympathicolyse trop brutale. L'accouchement par voie basse est préférable dans les cas stables, mais la césarienne, souvent accélérée, est recommandée lorsque la décompensation du VG progresse rapidement, car la délivrance diminue les risques de complications graves pour la mère et pour l'enfant [21]. L’équipement doit comprendre un monitorage invasif : cathéter artériel, voie veineuse centrale, ETO en cas d’anesthésie générale. Un séjour aux soins intensifs est nécessaire dans le postopératoire.
Cardiomyopathie du peripartum |
Insuffisance ventriculaire congestive qui survient le plus souvent dans le péripartum ou la 1ère semaine après l'accouchement. Mortalité globale: 2-16%. Taux de récupération sans séquelles: environ 60%.
Traitement: diurétique, dérivé nitré, β1-bloqueur, agent inotrope, anticoagulation (taux de thrombo-embolie élevé), assistance ventriculaire; un traitement agressif est justifié vu le jeune âge des patientes et le bon pronostic. La délivrance améliore la survie de la mère et de l'enfant.
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Insuffisance ventriculaire
En cas de cardiomyopathie dilatative avec dysfonction du VG, on considère que le risque pour la parturiente est important mais non prohibitif tant que la FE est ≥ 0.4 ; lorsqu’elle est ≤ 0.35, le risque maternel est très élevé et l’interruption de grossesse doit être envisagée [21].
Cardiomyopathie hypertrophique
La cardiomyopathie hypertrophique est caractérisée par une insuffisance diastolique, une tendance aux arythmies et un effet obstructif de la chambre de chasse du VG (effet CMO). Sous béta-bloqueur et/ou verapamil, la grossesse est bien tolérée. La prise en charge de l'accouchement dépend de la sévérité de l'effet CMO. Lorsqu'il est important, la rachianesthésie est contre-indiquée et l'ALR rachidienne doit éviter à tout prix une vasodilatation artérielle et une baisse de précharge [21]. Un vasoconstricteur est en général nécessaire. Le taux de complications cardiaques est de 25%, principalement pendant le 3ème trimestre et le postpartum; un quart des femmes accouche prématurément [13].
Coronaropathie et infarctus
Une coronaropathie stable sans ischémie active ni dysfonction ventriculaire ne pose en général pas de problème majeur pour une grossesse [21]. La situation est différente dans un syndrome coronarien aigu, qui est 3-4 fois plus fréquent pendant la grossesse que dans la vie courante de femmes du même âge [16]. On estime qu'il survient dans 1:16'000 cas, particulièrement lorsque la mère est âgée (≥ 35 ans), fumeuse, diabétique, hypertendue, obèse ou issue d'une famille à haute incidence de coronaropathie [18,23]. La mortalité maternelle est de 5-7% (jusqu'à 18% dans le péripartum) et celle de l'enfant de 5-15% [10,23].
L'infarctus aigu survenant chez la femme gravide présente quelques particularités [8,10,23].
- Les trois quarts des cas sont des STEMI situés sur l'IVA (territoire antérieur).
- La moitié des infarctus est liée à une dissection coronarienne spontanée, particulièrement pendant le 3ème trimestre et le péripartum et probablement associée à un excès de progestérone qui friabilise la paroi vasculaire.
- Plus de la moitié des cas se complique d'une défaillance du VG (FE < 0.4), de choc cardiogène et/ou d'arythmies; la contre-pulsion intra-aortique ou l'ECMO sont envisageables chez la femme enceinte [1,19].
- L'athéromatose coronarienne est présente dans moins d'un tiers des cas.
- Un spasme coronarien est responsable de l'ischémie dans 15% des cas.
La prise en charge de ces syndromes coronariens aigus suit les recommandations thérapeutiques habituelles, mais avec certaines dérogations [8,10,23].
- Un traitement non-invasif est préférable dans les cas stables (non-STEMI); β1-bloqueur, nitroglycérine, éplérénone, héparine/HBPM, aspirine, clopidogrel, bloqueurs calciques (si FE ≥ 0.5); les IEC sont contre-indiqués.
- L'angiographie coronarienne est indiquée et faisable en maintenant le taux d'irradiation le plus faible possible (< 5 rads) et en protégeant l'abdomen.
- Les manipulations intracoronariennes sont dangereuses en cas de dissection aiguë, dont une forte proportion cicatrise spontanément.
- En cas de mise en place de stent, on a recours de préférence à des stents passifs (BMS, bare-metal stent) [21]; outre l'aspirine, le clopidogrel est requis pendant un mois.
- Les pontages aorto-coronariens sont un dernier recours en cas d'échec de l'angioplastie percutanée ou de son impossibilité.
- La thrombolyse est à éviter pendant la grossesse (risque d'hémorragie placentaire nécessitant une césarienne d'urgence, d'abortus et de saignements du post-partum); elle est dangereuse en cas de dissection aiguë.
Les agents utérotoniques (methylergométrine, oxytocine, prostaglandine) peuvent induire des vasospasmes coronariens accompagnés d’une baisse des résistances artérielles systémiques et d'une augmentation des résistances vasculaires pulmonaires et de la fréquence cardiaque, ce qui est une combinaison particulièrement dangereuse en cas de coronaropathie [5,6].
Arythmies
Les arythmies, dont le pronostic dépend de la cardiopathie sous-jacente, sont traitées en fonction de la compatibilité des substances avec le développement fœtal [6].
- La cardioversion et la défibrillation sont sûres; l’énergie requise est la même qu’en-dehors de la grossesse.
- Certains béta-bloqueurs (labétalol, métoprolol, sotalol), les bloqueurs calciques, l’adénosine, la procainamide et la lidocaïne sont des médicaments sans risque majeur.
- L’amiodarone peut induire un hypothyroïdisme néonatal, une dysfonction rénale et différentes anomalies neurologiques; elle n'est utilisable qu'en cas d'arythmie réfractaire aux autres thérapies.
- La thermo-ablation est possible, mais doit être reculée au 2ème trimestre et s’accompagner d’une protection radiologique très stricte du fœtus.
Hypertension artérielle
L'hypertension artérielle (HTA) survient dans 15% des grossesses, en général à partir de 20 semaines de gestation. Le seuil de traitement est fixé à 140/90 mmHg chez la femme enceinte. Des valeurs ≥ 170/110 mmHg constituent une urgence médicale et une indication à une hospitalisation. Le traitement de première intention est l’alpha-méthyldopa ou un béta-bloqueur (labétalol, métoprolol). Le second choix se porte sur un anticalcique (nifédipine per os, isradipine iv) ou la nitroglycérine iv. Les IEC et les ARA sont contre-indiqués pendant la grossesse (voir Tableau 22.5). Les diurétiques sont à éviter car ils peuvent abaisser le flux utéro-placentaire [21].
Infarctus et hypertension |
Infarctus pendant la grossesse: 3-4 fois plus fréquent que dans la classe d'âge correspondante. Mortalité maternelle 5-7%, mortalité de l'enfant 5-15%. Particularités:
- En général STEMI dans le territoire de l'IVA
- Dissection coronarienne spontanée dans 50% des cas
- Présence de dysfonction gauche sévère ou de choc cardiogène dans la moitié des cas
Prise en charge:
- Si non-STEMI stable: traitement médical
- Si STEMI: angioplastie et pose de stent (stents passifs BMS); PAC en cas d'échec
- Pas de thrombolyse
Traitement de l’hypertension artérielle : alpha-méthyldopa, sotalol, Mg2+, dérivés nitrés; IEC et ARA contre-indiqués.
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© CHASSOT PG, THORIN D, NEFF R, KERN C, Octobre 2005, dernière mise à jour, Novembre 2019
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