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Mécanismes des arythmies

L'origine des troubles du rythme est le plus souvent multifactorielle, mais il est en général possible d'identifier un paramètre vulnérable typique de chaque arythmie, qui est le plus facile à modifier. Schématiquement, quatre mécanismes principaux conduisent à la naissance des arythmies: la réentrée, l'automaticité, l'activité déclenchée et les canalopathies [3]. Les bradyarythmies sont dues à un défaut d’impulsion ou à un défaut de conduction [5].
 
Réentrée
 
La réentrée est le mécanisme le plus fréquent des arythmies rencontrées en clinique. Une réentrée survient lorsqu'une impulsion se propage à travers un tissu qui a déjà été activé par la même impulsion mais a récupéré son excitabilité. L'existence d'un bloc unidirectionnel localisé permet à certaines impulsions, par exemple une ESV, d'initier le circuit en traversant de manière rétrograde, lorsque sa période réfractaire est terminée, la zone auparavant bloquée en direction antérograde (Figure 20.5) [6]. 
 

Figure 20.5 : Circuits de réentrée. A: Deux voies de conduction tournent autour d'un obstacle; la stimulation primaire chemine à vitesse normale dans une branche, mais est ralentie dans l'autre par une zone à période réfractaire prolongée; toutefois, cette zone se retrouve excitable lorsque l'impulsion qui a contourné l'obstacle revient en sens inverse dans la deuxième branche. De là, elle peut ré-exciter la voie primaire de manière prématurée; c'est la ré-entrée. B: Exemple de réentrée dans le syndrome de Wolf-Parkinson-White. Le faisceau accessoire conduit rapidement l'impulsion entre l'oreillette et le ventricule; le circuit AV fonctionne de manière rétrograde; le résultat est une tachycardie à complexe large.
 
Le front de l'impulsion circule autour d'un obstacle anatomique telle une valve cardiaque ou une zone fonctionnellement inexcitable telle un infarctus ou une cicatrice. L'électrographie bipolaire locale montre que le voltage de la cicatrice (< 0.5 mV) est inférieur à celui du myocarde normal (> 1.5 mV). Le système peut alors induire un mouvement circulaire auto-entretenu. Le traitement vise à bloquer complètement et sélectivement la conduction dans le circuit ou à prolonger la période réfractaire. Ce dernier phénomène est le mécanisme d'action le plus probable pour les médicaments de classe Ia et Ic. Une hétérogénicité tissulaire peut engendrer de multiples réentrées causant une fibrillation.
 
Les antiarythmiques qui dépriment la conduction dans le circuit sans la bloquer et qui inhibent davantage la conduction qu'ils ne prolongent la période réfractaire peuvent faciliter l'apparition d'une réentrée (effet pro-arythmique). L'impulsion bloquée dans l'une des branches du circuit peut cheminer lentement dans l'autre et atteindre, par voie rétrograde, la zone primitivement bloquée après la fin de la période réfractaire de celle-ci, c'est-à-dire lorsque les cellules sont de nouveau excitables. La facilitation des réentrées s'observe surtout avec les substances de la classe I, particulièrement avec celles qui bloquent le plus fortement les canaux Na+ (classe 1C: flécaïnide, propafénone). 
 
Automaticité
 
L'automaticité est la capacité des cellules à se dépolariser spontanément jusqu'au potentiel de seuil et à déclencher un potentiel d'action. Normalement, seules les cellules pacemaker du noeud sinusal, du noeud AV et de quelques structures localisées (crista terminalis, ostium du sinus coronaire, jonction AV, fibres de His-Prukinje) ont cette capacité. L’automaticité ne représente la cause que de 10% des tachyarythmies [6]. Deux phénomènes peuvent survenir.
 
  • L'automaticité des cellules qui en ont la faculté peut être facilitée, ce qui entraîne une accélération de la pente de dépolarisation de la phase 4; c'est l'origine des tachycardies sinusales, auriculaires et jonctionnelles. 
  • L'automaticité peut survenir dans les cellules myocardiques qui ne se dépolarisent pas spontanément en situation normale, mais qui ont un potentiel de repos insuffisamment négatif (-60 mV) en situation pathologique, par exemple en cas d'ischémie aiguë; elles sont alors trop proches du seuil du potentiel d'action; les arythmies engendrées sont les tachycardies auriculaires, ventriculaires et les rythmes accélérés idioventriculaires.
Dans les deux cas, le paramètre vulnérable est la dépolarisation de la phase 4. Celle-ci dépend des canaux Ca2+ lents, puisque les canaux Na+ sont absents (cellules nodales) ou dysfonctionnels (ischémie). La suppression du phénomène par overdrive est possible dans le premier cas, mais pas dans le second. L'automaticité est accentuée par la stimulation béta-adrénergique.
 
Activité déclenchée
 
Ce phénomène est lié à une post-dépolarisation. Il s'agit d'oscillations du potentiel de membrane qui surviennent pendant ou à la fin de la phase de repolarisation (phase 3) (Figure 20.6). 
 

Figure 20.6 : Activité déclenchée due à des oscillations du potentiel de membrane qui surviennent pendant (A) ou à la fin (B) de la phase de repolarisation; dans ce dernier cas, la synchronisation avec l'ECG montre la survenue d'une ESV.
 
Le mécanisme est une augmentation du Ca2+ intracellulaire qui active le système d'échange Na-K et induit un influx de Na+ et une oscillation du potentiel. Ce phénomène survient en cas d'ischémie, d'acidose, d'excès de catécholamines; on le rencontre dans les arythmies de reperfusion; un exemple typique est la torsade de pointe. Le paramètre vulnérable est la repolarisation de la phase 3 et la prolongation de la durée du potentiel d'action (intervalle QT).
 
Maladies des canaux ioniques (canalopathies)
 
Les canalopathies sont des affections des canaux ioniques transmembranaires des cellules cardiaques qui ne s'accompagnent pas de lésion structurelle du cœur. Dans de nombreux cas, la transition entre le rythme normal et la tachycardie ventriculaire (TV) est lié à une désactivation incomplète du courant de K+ vers l’extérieur (repolarisation) et à une moindre activation du courant de Na+-Ca2+ vers l’intérieur (dépolarisation) [1]. Les mutations des 46 gènes identifiés qui codent les canaux ioniques transmembranaires impliqués sont responsables de près de 5-15% des morts subites [4,7,9]. Ce phénomène caractérise un groupe d’affections dans lesquelles le trouble électrique n’est pas accompagné de lésions anatomiques, mais se révèle à l’ECG ou aux manœuvres de provocation par une stimulation vagale ou par l’effort [4]. Il comprend plusieurs mécanismes se recoupant partiellement [8].
 
  • Canalopathie associée à un prolongement de la repolarisatioon (QT long); elle est due à une perte de fonction des canaux potassiques (IKr-IKs) ou à un gain de fonction des canaux sodiques. Elle est typiquement liée aux torsades de pointe.
  • Canalopathie associée à un raccourcissement de la repolarisation (QT court); elle est due à un gain de fonction des canaux potassiques, à une inactivation incomplète des canaux IKr ou à une perte de fonction des canaux calciques.
  • Canalopathie associée à une élévation du point J à l'ECG; elle est due à un déséquilibre pendant la phase I du potentiel d'action, soit par inactivation précoce des courants d'entrée (Na+ et Ca2+), soit par un excès transitoire de courant de sortie potassique (It0). A ce groupe appartiennent le syndrome de Brugada (sus-décalage du point J dans les dérivations droites) et la repolarisation ventriculaire précoce (sus-décalage du point J généralisé ou limité aux dérivations gauches).
  • Canalopathie associée à une libération anormale de Ca2+ par le réticulum sarcoplasmique pendnt la diastole; elle est due à des mutations des canaux RyRs (rianodine) comme la tachycardie ventriculaire catécholaminergique polymorphe, ou du phospholamban comme certains cas de dysplasie arythmogène du VD.
  • Canalopathie associée à la bradycardie sinusale, due à des mutations des canaux responsables du courant pacemaker If.
Un défibrillateur implantable est indiqué chez les patients qui ont déjà fait un épisode de mort subite avortée [2].
 
Bradyarythmies et blocs AV
 
La bradycardie sinusale est un défaut dans la genèse de l’impulsion ; elle peut se présenter sous forme d’arrêt sinusal momentané, ou alterner avec des épisodes de tachycardie auriculaire paroxystique. Lorsque le patient est symptomatique, on parle de maladie du sinus. La prévalence est de 1:600 à partir de 65 ans. Si la fréquence d’émission sinusale est trop basse, le nœud auriculo-ventriculaire prend le relai à une fréquence régulière de 40-50 batt/min. 
 
Un défaut dans la propagation de l’influx électrique est un bloc de conduction atrio-ventriculaire (AV) [5].
 
  • Bloc AV du 1er degré: tous les influx sont transmis mais la conduction est ralentie; l’intervalle PQ est prolongé > 200 msec.
  • Bloc AV du 2ème degré: la conduction est intermittente.
    • Mobitz I (Wenkebach): retard de conduction progressif avec allongement de l'intervalle PQ jusqu'à la disparition d'un complexe ventriculaire; le bloc est situé dans le noeud AV, le pace-maker de la jonction AV prend le relai. La lésion est bénigne.
    • Mobitz II: absence intermittentes de complexes ventriculaires isolés (bloc AV 2:1 ou 3:1), sans allongement préalable de l'intervalle PQ; le bloc est situé distalement au noeud AV. L'onde P qui n'est pas suivie par un complexe QRS peut être dissimulée dans l'onde T de la systole précédente. Le risque est un passage en bloc complet.
  • Bloc AV du 3ème degré (bloc complet): absence de transmission entre l’oreillette et le ventricule; le rythme dépend de pace-makers ventriculaires, qui induisent un rythme très lent (< 40 batt/min) et instable. Plus il est lent, plus le QRS est large. En cas de mise en route retardée du rythme d'échappement ventriculaire, le patient peut subir des syncopes (syndrome d'Adam-Stokes).
  • Bloc de branche (BBG ou BBD).
  • Bloc trifasciculaire: bloc bifasciculaire (BBD et hémibloc G, par exemple) accompagné d'un intervalle PQ allongé; il peut engendrer des syncopes.
Pour la thérapeutique, voir plus loin Pace-makers, Indications.
 
 
 
Mécanismes des arythmies
Mécanismes des tachyarythmies :
    - Réentrée (majorité des cas)
    - Automaticité (10% des cas)
    - Activité déclenchée
    - Canalopathies sans lésion cardiaque structurelle
 
Bradyarythmies : défaut d’impulsion ou défaut de conduction


© CHASSOT PG, RANCATI V, Mars 2008, dernière mise à jour, Octobre 2018
 
 
Références
 
  1. CERRONE M, NOUJAIM S, JALIFE J. The short QT syndrome as a paradigm to understand the role of potassium channels in ventricular fibrillation. J Intern Med 2006; 259:24-38
  2. GEHI A, DUONG DT, METZ LD, et al. Risk stratification of individuals with the Brugada electrocardiogram: A meta-analysis. J Cardiovasc Electrophysiol 2006; 17:577-83
  3. MARRIOTT HJL, CONOVER MB. Advanced concepts in arrhythmias, 3rd edition. StLouis: Mosby, 1998, 47-68
  4. NAPOLITANO C, BLOISE R, MONTEFORTE N, et al. Sudden cardiac death and genetic channelopathies. Circulation 2012; 125:2027-34
  5. PASSANNANTE AN. Prevention of atrial fibrilation in cardiac surgery. Curr Opin Anesthesiol 2011; 24:58-63
  6. PATEL KD, CROWLEY R, MAHAJAN A. Cardiac electrophysiology procedures in clinical practice. Intern Anesthesiol Clin 2012; 50:90-110
  7. SANTAMBROGIO L, BRASCHI A. Conduction abnormalities and anaesthesia. Curr Opin Anaesthesiol 2007; 20:269-73
  8. STAIKOU C, CHONDROGIANNIS K, MANI A. Perioperative management of hereditary arrhythmogenic syndromes. Br J Anaesth 2012; 108:730-44
  9. WEBSTER G, BERUL CI. An update on channelopathies: from mechanism to management. Circulation 2013; 127:126-40