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Débit cardiaque et échanges gazeux
Relation PaCO2 - PetCO2
La différence moyenne entre la pression artérielle (Pa) et la pression télé-expiratoire (Pe) de CO2 est habituellement de 3 à 5 mm Hg, mais elle oscille physiologiquement entre 0 et +13 mm Hg. Elle n'est pas toujours constante au cours de l'anesthésie. Trois catégories de facteurs influencent cette différence [2].
- Le rapport ventilation - perfusion (V/Q) ; la diminution du rapport V/Q (effet shunt) creuse très peu la différence entre la PaCO2 et la PeCO2, alors que l'augmentation de ce rapport l'accentue considérablement (baisse du débit cardiaque, effet espace-mort alvéolaire par intubation endo-bronchique ou embolie pulmonaire).
- Débit expiratoire alvéolaire insuffisant au niveau du capteur ; le capteur ne peut donner des valeurs cohérentes de CO2 que s'il reçoit de l'air alvéolaire qui s'est équilibré avec le sang artériel pulmonaire. Chez les petits enfants (poids inférieur à 10 kg), cette condition n'est pas remplie et la PeCO2 est très inférieure à la PaCO2 pour plusieurs raisons :
- Débit expiratoire faible;
- Haut débit de gaz frais;
- Circuits respiratoires ouverts;
- Espace-mort important (connexions, etc);
- Fuites autour du tube endotrachéal;
- PEEP;
- Fréquence respiratoire élevée;
- Volume courant faible.
- Problèmes techniques ; ils relèvent de la calibration de l'appareil et de sa fréquence d'échantillonnage par rapport à la fréquence respiratoire ; la première doit être supérieure à la deuxième pour que les valeurs affichées soient fiables.
Il se peut aussi, plus rarement, que la PeCO2 soit plus élevée que la PaCO2. Cette situation se rencontre surtout lorsque la capacité résiduelle fonctionnelle est diminuée (obésité, grossesse, etc) et qu'elle participe aux échanges gazeux en phase télé-expiratoire, car les zones à V/Q bas se vidangent lentement et influencent la phase terminale du capnogramme. Pour être significatives, les valeurs doivent être observées sur plusieurs cycles respiratoires.
Hypocapnie et hypercapnie
Les modifications ventilatoires du CO2 sont un des meilleurs moyens de varier les résistances pulmonaires sans affecter significativement les résistances systémiques. L'hypercapnie provoque une vasoconstriction pulmonaire (acidose respiratoire et augmentation de [H+]), l'hypocapnie une vasodilatation. L'hypercapnie (PetCO2 > 45 mm Hg) relève de trois causes:
- Hypoventilation alvéolaire;
- Ré-inspiration;
- Augmentation de la production de CO2:
- Réveil, douleur, décurarisation, frissons;
- Métabolisme augmenté (sepsis, hyperthyréose, hyperthermie maligne);
- Laparoscopie, thoracoscopie;
- Relâchement de clamp artériel ou de garrot.
L'hypocapnie est liée à quatre phénomènes:
- Hyperventilation alvéolaire;
- Augmentation de la différence Pa - PeCO2;
- Diminution de la production de CO2 (anesthésie générale profonde, curarisation, hypothermie);
- Baisse du transport de CO2 vers les poumons (bas débit cardiaque).
Relation entre le débit cardiaque et les échanges gazeux
En l'absence de modifications dans la ventilation ou dans la production de CO2, la chute du débit cardiaque entraîne une baisse de la PeCO2 [6]. Deux mécanismes sont impliqués.
- Baisse de la quantité de CO2 transporté vers les poumons par unité de temps.
- Augmentation de la proportion des volumes pulmonaires à rapport ventilation-perfusion élevé (zone I de West, ventilation normale, perfusion nulle) et augmentation de l'espace-mort physiologique par diminution de la pression intravasculaire pulmonaire. Le rapport espace-mort / volume-courant est augmenté (normal 0.2-0.4). Pendant l'expirium, cet espace-mort alvéolaire dilue le CO2 effectivement échangé dans les alvéoles perfusées; la PeCO2 chute proportionnellement.
Quatre mécanismes fonctionnent en sens opposé, et contribuent à rétablir la pression partielle de CO2 dans le gaz alvéolaire [4].
- L'augmentation de l'espace-mort alvéolaire diminue la ventilation alvéolaire effective, d’où augmentation de la PalvCO2 et hypoventilation.
- La baisse de la SvO2 augmente la capacité de transport du CO2 dans le sang veineux (effet Haldane).
- Le contenu en CO2 du parenchyme pulmonaire, quoique faible, tamponne partiellement la baisse de la PalvCO2.
- Le CO2 produit s'accumule dans les tissus périphériques à cause du bas débit sanguin local. Lorsque la situation de bas débit se prolonge, la quantité de CO2 tissulaire devient suffisante pour augmenter la PvCO2 et diffuser dans les alvéoles perfusées; la PeCO2 ré-augmente.
Expérimentalement, il existe une relation linéaire entre la baisse de la PeCO2 et la chute du débit cardiaque exprimées en pourcentage de leur valeur de base: une baisse de 20% de la PeCO2 correspond à une chute de 27% du débit cardiaque [4]. Après 20-30 minutes de bas débit cardiaque, le CO2 tissulaire accumulé repasse progressivement dans la circulation : la PaCO2 remonte, de même que la PeCO2. La relation entre le débit expiratoire de CO2 et le débit cardiaque n'est donc valable que dans les phases aiguës de bas débit (Figure 6.80).
Figure 6.80 : Représentation graphique d'un écran de moniteur au cours d'une hypotension brusque par hémorragie. La PetCO2 suit la chute de pression artérielle (PA), mais la VO2 a une réponse plus rapide que la VCO2 à la chute du débit cardiaque. PA en mmHg. PetCO2 en mmHg. VO2 et VCO2 en mL/min.
La même relation a été trouvée en clinique. La corrélation entre la baisse de la PeCO2 et celle du débit cardiaque est très bonne. Le rapport de ces modifications est de 1:3, c'est-à-dire que la chute de la PeCO2 est le tiers de celle du débit pour des réductions modérées de ce dernier [10]. Cette chute est proportionnellement plus grande lorsque le débit cardiaque est très bas. La corrélation dans le temps est très rapide, mais non permanente ; elle dure au moins 10 minutes, mais la PeCO2 se rétablit sur une période de 50 minutes. Lors du sevrage de la CEC, le débit pulmonaire se rétablit lentement au fur et à mesure que le débit de pompe diminue, et la PeCO2 augmente parallèlement. Malgré l’affichage d’une hypocapnie, il est important de maintenir un régime ventilatoire normal pour éviter tout risque d’atélectasie, car les contraintes techniques dans le champ opératoire limitent l’importance de la PEEP que l’on peut adjoindre.
Ces résultats supposent que la ventilation et le métabolisme restent inchangés. Or le bas débit cardiaque peut diminuer suffisamment l'apport d'oxygène aux tissus pour que le métabolisme aérobie soit freiné et que la production de CO2 diminue ; la PeCO2 baisse d'autant. En cas de ventilation spontanée, la gêne respiratoire contribue à une hypoventilation. En ventilation mécanique, une élévation de la pression alvéolaire augmente le rapport VD/VT. Ces phénomènes interfèrent dans la relation entre la PeCO2 et le débit cardiaque. En résumé, la PeCO2 varie linéairement avec le débit cardiaque lors des modifications aiguës de ce dernier, pour autant que la ventilation et le métabolisme restent inchangés. Elle a une valeur pronostique certaine en cas de réanimation cardiaque. La simplicité et la fiabilité de cette mesure chez un patient intubé en font un test utile pour juger des modifications aiguës de la perfusion pulmonaire.
Une embolie pulmonaire massive ampute soudainement la perfusion pulmonaire et fait chuter brutalement la PeCO2, alors que la PaCO2 s'élève ; l'effet espace-mort est gigantesque. On a ainsi enregistré au cours d'une embolie gazeuse massive une valeur expirée de 13 mmHg alors que la valeur artérielle était de 85 mmHg. En cas d'arrêt cardiaque, la PeCO2 s'effondre immédiatement, et remonte lorsque la perfusion pulmonaire se rétablit ; elle est une fonction linéaire (r = 0.62) de l'index cardiaque [1]. Lors de réanimation cardio-pulmonaire, la présence de CO2 expiré est un bon indice de l'efficacité du massage cardiaque. La PeCO2 obtenue après 5 minutes de réanimation a une valeur pronostique. Si elle reste inférieure à 10 mmHg, la survie est peu probable ; au-dessus de 15 mmHg, le taux de réanimation efficace est élevé. Si l'on place le seuil de signification à 15 mmHg, la valeur prédictive est de 91% [1]. L'administration de bicarbonate peut fausser cette relation au augmentant passagèrement la PeCO2. Lorsqu'on reprend la ventilation en fin de CEC, le CO2 expiré est très bas parce que le circuit pulmonaire est partiellement exclu et que les échanges gazeux sont assurés par l'oxygénateur.
Deux mesures supplémentaires permettent d'accroître la pertinence du monitorage :
- La mesure continue de la fraction inspirée et de la fraction expirée d'O2 (FiO2 et FeO2);
- Les mesures du flux et de la pression dans le système respiratoire au moyen d'un tube de Pitot.
En combinant les mesures du CO2 et de l'O2 inspirés et expirés avec celles des volumes respirés, on peut calculer la consommation d'oxygène (VO2 = 250 ml/min) et la production de CO2. On peut en extraire le débit cardiaque par l'équation de Fick : DC = VO2 / (CaO2 – CvO2). La différence entre la FiO2 et la FeO2 (ΔO2) varie plus rapidement que la FiCO2 et FeCO2 au changement de ventilation et de débit cardiaque, parce que le volume de CO2 de l'organisme (20 L) est bien plus grand que la réserve en O2 des poumons (1 L) [7]. Une hypoventilation soudaine est détectée vingt fois plus vite par la ΔO2. En anesthésie, une baisse de la VO2 est liée à la baisse du tonus sympathique central, à l'hypothermie, à la curarisation, ou à une perte de volume circulant ; la valeur peut diminuer de 75% dans ces circonstances.
La différence entre la valeur veineuse centrale et la valeur artérielle du CO2 (dCO2) exprime l’équilibre entre la perfusion tissulaire globale et l’activité métabolique de l’organisme ; elle se creuse dans les situations de bas débit cardiaque lorsque la perfusion diminue sans modification du métabolisme [8]. Elle se mesure entre la pCO2 en PVC ou en AP et la pCO2 artérielle [3]. Une dCO2 de > 5 mmHg a une sensibilité de 96% pour la prédiction de complications postopératoires, particulièrement dans le choc septique où la SvcO2 est encore normale à cause du défaut d'extraction périphérique d'O2 [9]. L'augmentation brusque de la PEEP de 5 cm H2O diminue le volume systolique et le débit cardiaque d'environ 15% en cas d'hypovolémie; comme elle reflète le DC, la VCO2 dans l'air expiré s'abaisse lors de cette manœuvre. Une chute de la VCO2 de > 11% a une sensiblité de 87% et une sensibilité de 92% pour prédire une réponse positive au remplissage (r = 0.99) [11]. Une augmentation du CO2 expiré (PeCO2) de > 1 mmHg traduit également une réponse positive à l'expansion liquidienne en cas de choc hypovolémique [5]. Ces tests ne sont fiables que si la demande métabolique reste constante pendant leur déroulement.
Surveillance respiratoire |
La PeCO2 varie proportionnellement au débit cardiaque lors des modifications aiguës de ce dernier, pour autant que la ventilation et le métabolisme restent inchangés. L’hypocapnie dure au moins 10 minutes, mais la PeCO2 se rétablit sur une période de 50 minutes. Une embolie pulmonaire massive ampute la perfusion pulmonaire et fait chuter brutalement la PeCO2, alors que la PaCO2 s'élève.
On peut calculer le débit cardiaque par l'équation de Fick : DC = VO2 / (CaO2 – CvO2).
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© CHASSOT PG Août 2010, dernière mise à jour Août 2017
Références
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- GOOD ML. Principles and practice of capnography. ASA Refresher Course 1993; 222:1-7
- HOLDER AL, PINSKY MR. Applied physiology at the bedside to drive resuscitation algorithms. J Cardiothorac Vasc Anesth 2014; 28:1642-59
- ISSERLES SA, BREEN PH. Can changes in end-tidal PCO2 measure changes in cardiac output? Anesth Analg 1991; 73:308-14
- LAKHAL K, NAY MA, KAMEL T, et al. Change in end-tidal carbon dioxide outperforms other surrogates for change in cardiac output during fluid challenge. Br J Anaesth 2017; 118:355-62
- LEIGH MD, JENKINS LC, BELTON MK, et al. Continuous alveolar carbon dioxide analysis as a monitor of pulmonary gaz flow. Anesthesiology 1957; 18:878-82
- MERILAINEN PT. Gas and ventilatoty moniotoring: measurement and application. J Cardiothorac Vasc Anesth 2000; 14:718-25
- MOLNAR Z, SZABO Z, NEMETH M. Multimodal individualized concept of hemodynamic monitoring. Curr Opin Anesthesiol 2017; 30:171-7
- ROBIN E, FUTIER E, PIRES O, et al. Central venous-to-arterial carbon dioxide difference as a prognostic tool in high-risk surgical patients. Crit Care 2015; 19:227
- SHIBUTANI K, MURAOKA M, SHIRASAKI S, et al. Do changes in end-tidal PCO2 quantitavely reflect changes in cardiac output. Anesth Analg 1994; 79:829-33
- TUSMAN G, GROISMAN I, MAIDANA GA, et al. The sensitivity and specificity of pulmonary carbon dioxide elimination for noninvasive assessment of fluid responsiveness. Anesth Analg 2016; 122:1404-11
06. Le monitorage en anesthésie cardiaque
- 6.1 Introduction
- 6.2 Electrocardiographie
- 6.3 Pression artérielle
- 6.4 Voie veineuse centrale
- 6.5 Cathéter pulmonaire artériel de Swan-Ganz
- 6.5.1 Historique
- 6.5.2 Justification et impact
- 6.5.3 Indications et contre-indications au CAP
- 6.5.4 Mise en place du cathéter artériel pulmonaire
- 6.5.5 Complications du cathéter pulmonaire
- 6.5.6 Pressions enregistrées
- 6.5.7 Mesure du débit cardiaque
- 6.5.8 Techniques particulières
- 6.5.9 Transport d'oxygène et rapport DO2 / VO2
- 6.5.10 Mesures de l’oxygénation tissulaire
- 6.6 Mesure du débit cardiaque : autres technologies
- 6.7 Surveillance hémodynamique
- 6.7.1 Monitorage de la volémie
- 6.7.2 Indices dynamiques
- 6.7.3 Gestion liquidienne dirigée
- 6.7.4 Evaluation et monitorage de la fonction systolique ventriculaire gauche
- 6.7.5 Evaluation et monitorage de la fonction diastolique
- 6.7.6 Monitorage de la fonction ventriculaire droite
- 6.7.7 Monitorage de l’ischémie
- 6.8 Surveillance respiratoire
- 6.9 Monitorage neurologique
- 6.10 Monitorage de la coagulation
- 6.11 Conclusions