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Index bispectral
L'index bispectral (BIS™) analyse 4 variables d'un tracé EEG bipolaire (amplitude, fréquence, composition et cohérence de phase) et quantifie la relation entre ces différents composants [13]. Un algorithme (propriété du brevet et non explicité) transforme ces données en un nombre compris entre 0 et 100 qui décrit la puissance relative dans un espace à 4 phases des bandes de fréquences les plus élevées de l'EEG/EMG [21]; ce chiffre représente la profondeur de l'anesthésie. Une valeur de 100 correspond à l'éveil, 0 au coma et 50 à une haute probabilité de sommeil. Le point critique entre amnésie et souvenir se trouve entre 70 et 80; la perte de conscience survient en général entre 60 et 70. L'échelle n'est toutefois par linéaire, le chiffre 40 ne signifiant pas un sommeil deux fois plus profond que 80. La zone de sommeil anesthésique probable correspond aux valeurs situées entre 45 et 60 [13,23].
Le BIS™ est une technique d’apparence séduisante pour se protéger des éveils sous anesthésie. Ceux-ci surviennent dans 0.1-0.2% des anesthésies générales ; dans les situations à haut risque comme la chirurgie cardiaque, la curarisation ou la CEC, l’incidence augmente jusqu’à 1% [24]. La réponse dépend toutefois du type d'anesthésie. Sous anesthésie intraveineuse avec propofol (TIVA), la valeur du BIS prédit adéquatement la réponse au stimulus chirurgical. Les halogénés affichent une corrélation plus modeste, mais les opiacés, la kétamine, le N2O et la dexmédétomidine sont sans effet sur le BIS™ [8,13,25]. Cependant, le chiffre construit par le BIS™ n’est que le marqueur d’un mode d’interprétation de l’EEG. Bien qu’il soit très répandu, l’efficacité du BIS™ et sa pertinence physiologique ont souvent été mis en doute. Les recommandations de l’ASA spécifient que l’évidence clinique est insuffisante pour recommander l’utilisation de routine de ce type de moniteur dont l’efficacité est incertaine en chirurgie cardiaque [1,2,11]. Deux grandes études randomisées, portant l’une sur 2'000 cas dont 540 de chirurgie cardiaque [4] et l’autre sur 6'041 patients dont 2'041 de chirurgie cardiaque [3], démontrent que les protocoles basés sur le BIS ne sont pas supérieurs à ceux basés sur la concentration expiratoire d’halogéné pour prévenir l’éveil peropératoire. Comparant le taux d’éveil et de mémorisation sous anesthésie générale entre un groupe monitoré avec le BIS™ et l’autre avec la concentration expirée de l’halogéné, ces études ne trouvent aucune différence entre ces groupes, ni dans le nombre d’éveils (2 cas dans chaque groupe dans la première, 19 cas dans le groupe BIS et 8 dans le groupe contrôle dans la deuxième) ni dans la MAC d’halogéné (0.81 vs 0.82) nécessaire à maintenir le sommeil. D’autre part, la valeur du BIS™ était largement > 60 dans les 16 cas de mémorisation d’évènements peropératoires [3,4]. Une troisième étude (18'836 patients) ne détecte pas non plus de différence significative dans le taux d'éveils peropératoires entre le suivi par le BIS™ ou par la fraction expirée d'halogéné, mais suggère que le BIS™ est plus performant que l'observation des signes cliniques de réveil [16]. Plus récemment, une revue Cochrane échoue également à montrer que le BIS™ diminue le risque d'éveil peropératoire (incidence 0.5%) [18].
L’intérêt du BIS™ est d’éviter une profondeur excessive de l'anesthésie et une utilisation d’halogénés ou de propofol pour maîtriser une poussée hypertensive qui n’est pas liée à un réveil. Si la profondeur de l’anesthésie est adéquate, il est préférable d’avoir recours à un agent hypotenseur [10]. Cependant, aucune des grandes études n’a démontré qu’une valeur de BIS™ maintenue entre 40 et 60 conduise à des économies d’agents, ni à une amélioration du réveil, ni à une diminution des nausées et vomissements [8]. Le maintien de la concentration d’halogéné entre 0.7 et 1.3 MAC est tout aussi performant. La valeur affichée par le BIS doit être corroborée par les autres signes cliniques de la profondeur de l’anesthésie. Régler les agents assurant le sommeil pour maintenir le seul chiffre d’un moniteur en dessous d’un certain seuil peut conduire à une profondeur excessive du point de vue ventilatoire ou hémodynamique, et devenir de ce fait contre-productif.
Une valeur de BIS basse (< 40) signale un approfondissement excessif de l'anesthésie habituellement associé à une péjoration du devenir clinique, mais aussi à un dysfonctionnement cérébral momentané potentiellement lié à une baisse de l'apport en O2 (bas débit, hypotension, anémie, hypoxie). Ainsi, une heure passée à une valeur < 45 augmente la mortalité de 1.24 fois [19]. D'autre part, la conjonction d'une baisse du BIS < 40 et d'une chute de la PAM < 70 mmHg ("double low") est corrélée avec une augmentation de la mortalité à 30 jours après chirurgie cardiaque lorsqu'elle dure plus d'une heure (OR 1.73-1.99) [15,17]. Si cette situation survient alors que la MAC est basse ("triple low"), la mortalité est quadruplée [26]. Ce dernier point traduit probablement une sensibilité excessive du patient aux halogénés, mais doit alerter sur la dangerosité de valeurs couramment tolérées en salle d'opération.
En l'absence des critères habituels de sommeil (rythme, pression, mouvements, etc), le BIS™ est une des rares données sur la profondeur de l'anesthésie en chirurgie cardiaque. Malheureusement, celui-ci est peu fiable en CEC, car il s'abaisse avec la température et remonte au réchauffement, de manière très variable selon les individus [5,22]. Il passe par exemple de 39 à 14 entre 33° et 28°C [12]. La variation est de 1.8 point de BIS par degré centigrade [28].
Le BIS™ est un moniteur global et non focal de l'activité cérébrale, qui convient mal à la situation où le risque est une embolie ou une ischémie localisée. Dans une étude portant sur 52 patients opérés de carotides en ALR, le BIS™ a affiché une valeur moyenne de 96 (± 2.9) [7]. Cinq patients ont présenté des épisodes d'ischémie cérébrale d'après leur status neurologique ; le BIS a affiché une valeur moyenne de 96.7 pendant ces épisodes. Cette absence de corrélation entre la valeur du BIS™ et l'état neurologique le rend donc inadapté à la surveillance du clampage carotidien. Il pourrait toutefois offrir un mode de surveillance des fonctions cérébrales pendant des états hémodynamiques instables, car il baisse dans les états de bas débit ou d’hypotension sévère [9]. Quelques rapports ont indiqué un effondrement du BIS™ (valeur < 10) lors d'épisodes de souffrance cérébrale ou d'infarcissement [20,27]. Mais le fait que sa valeur chute en cas de collapsus ou d'arrêt circulatoire passager ne fait pas pour autant du BIS un moniteur de l'ischémie cérébrale.
Autres systèmes
Il existe d’autres appareils fondés sur le traitement digital de l'EEG, comme par exemple l'Entropy Module™ et le Narcotrend™.
- Dérivée d'une notion de thermodynamique, l'entropie exprime le degré d'irrégularité et d'imprévisibilité d'un ensemble de signaux. Après une tranformation de Fourrier de l'EEG brut, l'entropie spectrale quantifie la complexité du tracé. Lorsqu'une personne s'endort, l'EEG devient plus régulier, donc son entropie diminue. Comme l'analyse des fréquences de bandes passantes permet de dissocier les ondes électriques cérébrales des ondes musculaires (EMG), l'Entropy Module™ utilise les données cérébrales pour quantifier l'anesthésie et les données musculaires pour évaluer le degré d'analgésie (valeurs optimales: 40-60). L'appareil a des performances voisines de celles du BIS™ [6].
- Le tracé EEG typique du sommeil a été classé en une série de types morphologiques correspondant à la profondeur de l'endormissement et faciles à mémoriser de manière digitale. Le Narcotrend™ compare l'EEG actuel du patient avec ces différents tracés qu'il a en mémoire et détermine ainsi la profondeur du sommeil du malade quantifiée par un chiffre entre 100 (éveil) et 0 (coma). Les résultats sont comparables à ceux du BIS™ [14].
Monitorage neurologique : BIS™ |
Bien qu'il ne soit pas une garantie de la profondeur du sommeil, le BIS est un instrument utile pour évaluer le retentissement cérébral de l'anesthésie. Le sommeil est probablement adéquat lorsque sa valeur est de 45-60. Une valeur basse (< 40) signale un approfondissement excessif et/ou un dysfonctionnement cérébral potentiellement lié à une péjoration du devenir clinique. Le BIS est corrélé à la profondeur de l'anesthésie induite par le propofol; il est moins performant avec les halogénés et n'est pas influencé par les opiacés, la kétamine ni la dexmédétomidine. En chirurgie cardiaque où les critères habituels d'éveil sont perdus (fréquence cardio-respiratoire, pression artérielle, mouvements, pupilles, etc), il est utile par défaut plutôt que par pertinence. |
© CHASSOT PG Août 2010, dernière mise à jour Novembre 2019
Références
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06. Le monitorage en anesthésie cardiaque
- 6.1 Introduction
- 6.2 Electrocardiographie
- 6.3 Pression artérielle
- 6.4 Voie veineuse centrale
- 6.5 Cathéter pulmonaire artériel de Swan-Ganz
- 6.5.1 Historique
- 6.5.2 Justification et impact
- 6.5.3 Indications et contre-indications au CAP
- 6.5.4 Mise en place du cathéter artériel pulmonaire
- 6.5.5 Complications du cathéter pulmonaire
- 6.5.6 Pressions enregistrées
- 6.5.7 Mesure du débit cardiaque
- 6.5.8 Techniques particulières
- 6.5.9 Transport d'oxygène et rapport DO2 / VO2
- 6.5.10 Mesures de l’oxygénation tissulaire
- 6.6 Mesure du débit cardiaque : autres technologies
- 6.7 Surveillance hémodynamique
- 6.7.1 Monitorage de la volémie
- 6.7.2 Indices dynamiques
- 6.7.3 Gestion liquidienne dirigée
- 6.7.4 Evaluation et monitorage de la fonction systolique ventriculaire gauche
- 6.7.5 Evaluation et monitorage de la fonction diastolique
- 6.7.6 Monitorage de la fonction ventriculaire droite
- 6.7.7 Monitorage de l’ischémie
- 6.8 Surveillance respiratoire
- 6.9 Monitorage neurologique
- 6.10 Monitorage de la coagulation
- 6.11 Conclusions