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Lésions d'ischémie/reperfusion
Deux phénomènes particuliers sont liés à l'ischémie, l'hibernation et le préconditionnement (voir ci-après Préconditionnement). Quatre autres processus sont liés à la reperfusion myocardique : les lésions de reperfusion irréversibles, la sidération, la non-reperfusion et les arythmies.
Hibernation
Entre l'ischémie aiguë sans traduction hémodynamique et la nécrose tissulaire de l'infarctus, il existe tout un éventail dans l'intensité et la durée de la dysfonction ventriculaire. Le myocarde hibernant est du tissu viable mais ischémié de manière continue et chronique, qui présente une dysfonction contractile grave et prolongée, sans signes de nécrose, pouvant s'étendre à tout le ventricule. Cette situation, liée à une hypoperfusion, est un mode d'auto-préservation, rapidement réversible en cas de reperfusion (Figure 9.10A) [4]. Le bas débit coronaire suffit à maintenir la viabilité métabolique, mais non la contractilité; le taux d'ATP est normal mais la densité des récepteurs β est diminuée [18]. La fonction peut être stimulée par des agents ionotropes, mais cette stimulation est potentiellement délétère, car l'hibernation est une forme d'autoprotection myocardique [6]. Une revascularisation myocardique peut restaurer la fonction en l’espace de quelques heures à quelques jours [10]. Malgré la mauvaise fonction préopératoire, le pronostic est excellent si la viabilité du myocarde a pu être démontrée par les tests préopératoires (échocardiographie de stress à la dobutamine, IRM avec contraste, etc) [8].
Figure 9.10 : Hibernation et sidération. A: hibernation; la fonction segmentaire suit la même évolution que la perfusion régionale. B : sidération ; la fonction, effondrée durant la période ischémique, ne remonte que lentement après le rétablissement de la perfusion.
L'examen échographique d'un coeur souffrant d'un infarctus frais laisse voir une zone dysfonctionnelle plus étendue que ne le sera la lésion cicatricielle ultérieure. C'est la zone bordante : la périphérie de la région ischémiée souffre d'une hypocontractilité associée à l'hypoperfusion, qui est une forme d’hibernation. Ce phénomène est réversible lors du rétablissement de la perfusion, alors que la partie centrale nécrosée ne peut plus récupérer.
Sidération (Stunning)
Ce phénomène consiste en une persistance de la dysfonction ventriculaire après revascularisation, alors que l'angor, le segment ST et la perfusion ont récupéré. Malgré le rétablissement de la perfusion coronarienne, la récupération n’est pas immédiate comme dans l'hibernation, et la fonction contractile reste altérée pendant une période allant de quelques heures à plusieurs jours (Figure 9.10B) [3]. Cette lésion fonctionnelle survient à des degrés divers après angioplastie ou après pontage aorto-coronarien. Le myocarde lésé est caractérisé par des lésions ultrastructurales et électrophysiologiques sans nécrose, et par une perte de l'autorégulation coronarienne qui y rend le flux pression-dépendant. Il est "intoxiqué" par des radicaux libres (peroxydes) et par une augmentation du Ca2+ sarcoplasmique [8,21]. Bien que les réserves en ATP soient conservées, le couplage excitation-contraction est défaillant. La dysfonction est systolique et diastolique. Le myocarde sidéré reste stimulable par des agents catécholaminergiques.
Lésions d’ischémie
Lorsque l’apport d’O2 est interrompu, la chaîne respiratoire mitochondriale cesse de fonctionner après une minute, la glycolyse passe en mode anaérobique et l’utilisation des acides gras est stoppée. Le pH intracellulaire commence à chuter et le taux de lactate à monter. En quinze minutes d'ischémie normothermique, l’ATP myocardique baisse de 65%. Vingt minutes suffisent à entraîner des foyers de nécrose myocardique irréversible; ceci survient lorsque le taux d’ATP est < 0.2 nmol/mg [2]. Bien qu’elle puisse fonctionner pendant une quarantaine de minutes, la glycolyse anaérobique ne peut que maintenir le fonctionnement des pompes ioniques, mais non assurer la contraction myocardique; le myocarde ne reste viable que s’il est arrêté. S'il est reperfusé à ce stade, il peut récupérer [7].
Lorsque les pompes dysfonctionnent à leur tour, le Na+ rentre massivement dans la cellule à cause de la chute d’activité des Na+/K+-ATPases et de l’échangeur Na+/H+ qui extrait les valences acides ; cette surcharge sodique provoque un œdème cellulaire. De son côté, le Ca2+ n’est plus repompé par le reticulum sarcoplasmique (RS) par manque d’ATP et s’accumule dans le cytoplasme, où il active les protéases, les lipases et les nucléases [2]. Les canaux MPTP de la paroi mitochondriale (mitochondrial permeability transition pore), qui sont normalement fermés, s’ouvrent lors d’une souffrance ischémique extrême. Cette ouverture signe l’arrêt de mort de la mitochondrie, car elle perd son imperméabilité : elle gonfle, son potentiel de membrane s’effondre, ses cristae se rompent, et ses composants propres comme le cytochrome c et les radicaux libres sont relargués dans la cellule, où ils activent les caspases (enzymes digérant les composants cellulaires) (voir Figure 24.1) [20]. Le cycle de Krebs s'arrête et la cellule meurt.
Figure 24.1 : Schématisation des lésions de l'ischémie. La mitochondrie laisse fuir (par le canal MPTP) des agents oxydants comme le cytochrome C, les ROS (Reactive Oxygen Species) ou superoxydes et des cytokines, qui vont freiner la synthèse d’ATP et activer les caspases qui digèrent la cellule (voir description détaillée au Chapitre 5, Apoptose). e• : chaîne d’oxydo-réduction de la mitochondrie. MTPT : mitochondrial permeability transition pore [d'après réf 20].
Lésions de reperfusion
Le revascularisation rapide (< 2 heures) de l'infarctus de type STEMI a fait chuter sa mortalité d'environ 20% à un taux d'à peine 5%, mais au prix d'une augmentation de l'incidence de dysfonction ventriculaire ultérieure. La raison tient au fait que la reperfusion d’un tissu myocardique ischémié génère des lésions supplémentaires qui s’ajoutent à celles induites par l’interruption circulatoire [2]. Elle met en route une cascade de phénomènes pouvant aboutir à des lésions cellulaires irréversibles (voir Figure 24.2) [7,9,12,19].
- Alors que la cellule ischémique s’était placée sur un mode de survie en anaérobiose, la reperfusion amène soudain un excès d’oxygène aux mitochondries. Il s’ensuit une libération importante de produits très toxiques, les ROS (reactive oxygen species) ou radicaux libres (O2•, OH•, ONOO•); ceux-ci ne sont plus dégradés car l'ischémie a réduit les défenses naturelles contre ces superoxydes (superoxyde dismutase, réductases, etc).
- L'arrivée d'O2 dans une cellule démunie de ses défenses altère les membranes qui deviennent perméable au Ca2+. L’activation des canaux calcique lents (canaux L) et de l’échangeur Na+/Ca2+ qui extrait le Na+ fait rentrer une grande quantité de Ca2+ dans la cellule. L'hypercalcémie intracytoplasmique déjà présente à cause de l'ischémie est encore aggravée.
- L'entrée massive de cations provoque un oedème explosif de la cellule et des organelles intracellulaires à cause du gradient osmotique massif attirant l'eau et les électrolytes vers l'intérieur de la cellule. L'oedème cellulaire, la lésion des membranes et la libération d'enzymes cytotoxiques sont d'autant plus importants que le perfusat contient davantage d'oxygène et de calcium.
- La flambée de ROS ouvre les canaux MTPT (mitochondrial permeability transition pore) de la paroi mitochondriales, qui étaient restés fermés pour protéger la mitochondrie de l'acidose ischémique; les cations pénètrent ainsi dans la mitochondrie et découplent la chaîne d’oxydo-phosphorylation; la production d'ATP s'effondre.
- Les mitochondries utilisent l'oxygène pour le repompage du Ca2+ excédentaire et non pour la formation d'ATP.
- L'excès de Ca2+ intra-mitochondrial y induit la formation de caspases, enzymes digérant les protéines cellulaires, qui fuient dans le cytoplasme par les canaux MTPT.
- Les oscillations brusques du Ca2+ intracellulaire, liées en partie au dysfonctionnement du réticulum sarcoplasmique, engendrent une hypercontracture des myocytes qui peut aller jusqu’au "cœur de pierre" (stone heart).
- L’activation des neutrophiles déclenche une cascade inflammatoire locale et une libération accrue de ROS.
- La vasodilatation massive de la zone ischémiée, qui abolit l’autorégulation, est responsable d’un flux sanguin excessif malgré une pression de perfusion normale, et d’un risque d’œdème et/ou de surpression à l’intérieur de l’organe au moment de la reperfusion.
Figure 24.2 : Schématisation des lésions de reperfusion. La réactivation des canaux échangeurs Na+/H+ et Na+/Ca++ augmente la concentration intracellulaire de Na+ et de Ca2+. Les membranes laissent passer le Ca2+. L'ouverture du canal MPTP (mitochondrial permeability transition pore) laisse entrer les cations dans la mitochondrie et sortir des agents oxydants comme le cytochrome C et les ROS (Reactive Oxygen Species), qui vont activer les caspases (digestion de la cellule), car les enzymes antioxydants font défaut après une période d'ischémie. e• : chaîne d’oxydo-réduction de la mitochondrie.
Il existe donc un paradoxe de l'oxygène et du calcium: alors que leur manque conduit à la nécrose ischémique, leur apport soudain à la cellule qui en a été privée déclenche une cascade d'évènements pathologiques qui sont plus graves que ne l’étaient les dégâts de l’ischémie. La reperfusion après un épisode ischémique est supposée guérir les lésions myocardiques ; or elle contribue à l’aggravation des dégâts cellulaires secondaires à l’occlusion vasculaire et compte pour moitié dans la taille finale de l’infarctus [7,9].
Des interventions thérapeutiques ciblées sur les mécanismes qui entraînent les dégâts au moment de la reperfusion ont un impact sur la taille des infarctus en expérimentation animale, mais n’ont malheureusement aucune application clinique efficace [7]. Bien que certaines substances utilisées dans des préparations animales (nicorandil, cyclosporine A, magnésium, méthylprednisolone, atorvastatine, anticalciques, etc) puissent atténuer les lésions de reperfusion, aucune étude clinique n’a mis en évidence un effet cardioprotecteur significatif [19]. C’est notamment le cas des perfusions de glucose-insuline-potassium (GIK), de magnésium, d'anticalciques, d'antioxydants et d'autres substances actives sur les différents canaux transmembranaires (ranolazine, cyclosporine A), dont les résultats sont inconsistants [1,5,14,17]. D’autres possibilités de protection ont été envisagées sans plus de succès dans la pratique clinique, comme les peptides natriurétiques et les statines à haute dose qui agissent par l’activation des protéines-kinases accélérant la recapture de Ca2+ par le réticulum sarcoplasmique [13]. Seuls les béta-bloqueurs (métoprolol) administrés conjointement à la revascularisation tendent à diminuer les lésions de reperfusion et la taille de l'infarctus, mais au prix d'une élévation du risque de défaillance ventriculaire [12]. Pour l’instant, le préconditionnement, le postconditionnement et le conditionnement à distance sont les seuls éléments qui offrent une protection relativement efficace (voir ci-après).
Non-reperfusion (No-reflow)
Malgré la restauration d’un flux épicardique normal, le flux intramyocardique reste souvent compromis ou absent : c’est le phénomène de l'obstruction microvasculaire, ou no-reflow, qui augmente la taille de l’infarctus, la mortalité et les complications (arythmies, insuffisance ventriculaire). On estime que cette non-reperfusion est présente dans 10-30% des infarctus STEMI revascularisés en urgence et que la perfusion n’est parfaitement rétablie que dans 35-60% des cas d’angioplastie ou de revascularisation chirurgicale [15]. Les causes de la non-reperfusion sont multiples, mais les possibilités thérapeutiques très limitées [11,12,16].
- Lésions endothéliales capillaires, compression externe par l'œdème myocardique et l'hypercontracture due à la surcharge calcique de la reperfusion.
- Micro-embolisation distale d’athéromes, de thrombus et d’amas plaquettaires.
- Vasoconstriction distale intense (sécrétion réduite de NO, excès d'endothéline).
- Nécrose ischémique.
- Conditions métaboliques : hyperglycémie, hypercholestérolémie.
- Possibilités thérapeutiques : diminution du délai de revascularisation, béta-bloqueur (métoprolol), anti-plaquettaire anti-GP IIb/IIIa (abciximab), anti-endothéline E1 (bosentan), anti-thrombexane A2 (aspirine), statines, post-conditionnement (nicorandil, adénosine, cyclosporine). De nouveaux cathéters permettent d’aspirer les débris lors d’angioplastie.
Les arythmies
Les déséquilibres électro-chimiques liés à la reperfusion peuvent entraîner le dysfonctionnement électrique de certaines cellules et occasionner des arythmies ventriculaires malignes réfractaires aux thérapeutiques habituelles. Toutefois, ces arythmies sont en général réversibles si l’on parvient à maintenir la perfusion myocardique pendant quelques heures. Leur prise en charge demande beaucoup de persévérance : certains patients sont sortis de l’hôpital en rythme sinusal après avoir été défibrillés une cinquantaine de fois pendant les premières heures post-CEC.
Ischémie et reperfusion |
Hibernation: forme d'autoprotection dans laquelle le myocarde ischémié devient hypocontractile pour adapter sa mVO2 au faible DO2. L'étendue est variable, mais il n'y a pas de nécrose. La fonction de ce myocarde est stimulable par des catécholamines; elle est récupérable en cas de revascularisation (en quelques heures à quelques jours).
Lésions de reperfusion: l’apport massif d’O2 libère des superoxydes et des radicaux libres toxiques pour la cellule et s’accompagne d’une hypercalcémie sarcoplasmique. Dans un premier temps, la reperfusion aggrave l'état métabolique de la cellule myocardique. Bien que la pression soit normale, le flux sanguin est excessif par rapport à la vasodilatation maximale des zones ischémiées. Des arythmies ventriculaires malignes sont fréquentes, mais potentiellement réversibles.
Sidération: persistance de la dysfonction myocardique après revascularisation alors que la perfusion est récupérée; la durée est de quelques heures à plusieurs jours; la fonction est stimulable par des catécholamines.
Non-reperfusion: absence de flux distal intra-myocardique alors que le flux épicardique est rétabli.
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© BETTEX D, CHASSOT PG, RANCATI V, Janvier 2008, dernière mise à jour, Novembre 2019
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