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Ischémie et infarctus péri-opératoires
Le poids des évènements peropératoires est tel qu'il peut faire perdre leur valeur prédictive aux indices de risque préopératoire. La tachycardie et l'hypotension prolongées sont des éléments particulièrement puissants pour engendrer des conséquences néfastes dans le postopératoire. Elles sont directement associées à l'ischémie, à l'infarctus et à la mortalité cardiaque (OR 1.41-1.81) [1]. Le taux d'infarctus et de mortalité est également multiplié par un facteur de 2 à 4 (OR 2.4-4.0) par une hémorragie massive entraînant des transfusions répétitives [13]. De ce fait, on a imaginé un score d'Apgar chirurgical basé sur un maximum de 10 points, calculé à partir de 3 données [12].
- Pertes sanguines (mL): 0 (> 1'000), 1 (600-1'000), 2 (100-600), 3 (< 100).
- PAM minimale (mmHg): 0 (< 40), 1 (40-55), 2 (55-70), 3 (> 70).
- Fréquence la plus basse (batt/min): 0 (> 85), 1 (75-85), 2 (65-75), 3 (55-65), 4 (< 55).
Lorsque le score est 9-10, le taux de complications est de 3.6%; il est de 56% pour un score ≤ 4. Ceci représente un risque 16 fois supérieur lorsque le score est au plus bas (RR = 16.1) [12]. Ce type de calcul peut s'appliquer à tous les types de chirurgie [30].
Ischémie aiguë peropératoire
Environ 16% des infarctus périopératoires surviennent au cours de la chirurgie [1]. En peropératoire, la survenue d’une modification profonde (> 2 mm, > 0.2 mV) et durable (> 10 minutes) du segment ST, avec ou sans altération hémodynamique, commande une décision rapide : l’acte opératoire doit être terminé aussi rapidement que possible, que ce soit par une simplification qui permette de l’abréger ou par une interruption pure et simple si cela est faisable. Dans l’intervalle, une série de mesures doit être prise (voir Tableau 9.7 et Tableau 9.8) (voir Traitement du syndrome coronarien aigu).
- Approfondir l'anaesthésie (halogénés) et l'analgésie (opiacés).
- Ventiler à FiO2 0.6-0.8, corriger l'anémie (Hb > 90 g/L).
- Maintenir la normothermie.
- Maintenir l'hémodynamique (noradrénaline 0.03-0.5 mcg/kg/min).
- Nitroglycérine en perfusion: (5 – 20 mcg/kg/min) si la pression artérielle le permet.
- Aspirine 250-500 mg iv.
- Prélèvement de sang pour troponines (si possible test ultrasensible) (t0, t + 1h, t + 3h).
- Echocardiographie (ETO ou ETT) et consultation de cardiologie en urgence au bloc opératoire.
- Antiplaquettaires si le diagnostic est confirmé par le cardiologue et si l'hémostase le permet (accord du chirurgien): ticagrelor (Brilinta™, Brilique™), 180 mg par sonde gastrique, si indisponible ou contre-indiqué à cause du saignement: clopidogrel 300-600 mg par sonde gastrique. Le prasugrel n'entre pas en ligne de compte dans un cadre chirurgical.
- Non-STEMI: fondaparinux (2.5 mg scut), ou enoxaparine (1 mg/kg scut). STEMI: héparine NF en perfusion: bolus de 60 UI/kg, puis perfusion (12-15 U/kg/h, 15'000 – 30'000 UI / 24 heures) pour PTT 50-70 secondes (selon possibilités chirurgicales).
- Béta-bloqueur si tachycardie > 60 batt/min : bolus et/ou perfusion d'esmolol, si la fonction ventriculaire gauche est conservée (FE > 0.35).
- Dilitiazem (0.1 mg/kg/min), efficace seulement sur les spasmes coronariens ; avantage d'être bradycardisant (ne doit pas être associé à un béta-bloqueur).
En cas de surélévation du segment ST (infarctus STEMI), il faut prévenir la thrombose coronarienne et prévoir une angiographie et une revascularisation en urgence (PCI) dès que le patient peut être sorti de la salle d’opération (délai optimal : ≤ 90 minutes) (voir Tableau 9.6).
- Aspirine 500 mg iv.
- Ticagrelor (Brilinta™, Brilique™), 180 mg par sonde gastrique si l'hémostase le permet (accord du chirurgien). Alternative: cangrelor en perfusion dans la salle de cathétérisme.
- Héparine NF comme ci-dessus (selon possibilités chirurgicales).
- Abréger l'intervention ou la terminer le plus rapidement possible; hémostase rigoureuse.
- Angioplastie coronarienne (PCI et pose de stent); transfert immédiat en salle de cathétérisme sans réveiller le patient. Aspects techniques de l'intervention coronarienne percutanée [15,37]:
- Pose de stent dans la foulée de l'angioplastie; l'angioplastie simple au ballon avec renvoi de la pose de stent dans un deuxième temps n'est pas recommandée, sauf en cas de risque hémorragique chirurgical excessif;
- Stents recommandés: stents actifs (DES) de nouvelle génération; ils sont supérieurs aux stents passifs (BMS) en terme de thrombose et de revascularisation secondaire, y compris dans le cadre de l'urgence;
- Reperméabilisation du vaisseau incriminé, revascularisation complète selon les circonstances. En cas de choc cardiogène: revascularisation de la coronaire incriminée seule.
En cas d’hypotension ou de choc cardiogène, on met en route :
- Noradrénaline-dobutamine, milrinone (± adrénaline), levosimendan; ce dermier maintient le meilleur rapport D2/O2 myocardique, mais son plein effet ne se manifeste qu'après environ 4 heures.
- Assistance ventriculaire (Impella™), ECMO, contre-pulsion intra-aortique (particulièrement en cas d'IM).
La présence d'un cathéter péridural pose un problème épineux, car son retrait ne peut avoir lieu que pendant une fenêtre dans le traitement antithrombotique. Si l'on procède à une revascularisation précoce (STEMI), il est probablement préférable de le maintenir en place dans un premier temps, et d'attendre la fin de l'anticoagulation pour le retirer. Mais quel que soit le délai de revascularisation, le patient est sous bithérapie antiplaquettaire. Or le délai d'interruption des agents antithrombotiques pour le retrait du cathéter est le même que celui pour la mise en place de la péridurale (5-7 jours); une discontinutaion de cette durée est impensable dans le premier mois après la pose d'un stent actif pour syndrome coronarien aigu. La solution la moins dangereuse est probablement de maintenir le patient sous perfusion de cangrelor pendant les premières 24-72 heures, puis de laisser une fenêtre de 1-2 heures avant le début du traitement oral (ticagrelor ou clopidogrel); le cathéter est extrait pendant cet intervalle. Si la revascularisation a lieu dans les 24 à 72 heures après l'opération (N-STEMI), il est plus sûr de retirer le cathéter immédiatement dès la fin de la chirurgie. Un test d'agrégabilité plaquettaire est très utile pour déterminer à quel moment procéder à cette ablation avec le minimum de risque hémorragique. La fibrinolyse est contre-indiquée en présence d'une péridurale. Etant très variable selon les patients, la situation doit être résolue au cas par cas.
Lésion myocardique (MINS)
Définie par les troponines à haute sensibilité (TnT/I-hs), une ischémie myocardique postopératoire est présente chez 8-19% des patients à risque intermédiaire et élevé, bien que 58% d’entre eux ne remplissent pas les critères d’un infarctus et que 84% soient asymptomatiques [4,17,34]. Ils souffrent de ce qu’il est convenu d’appeler MINS (Myocardial Injury after Noncardiac Surgery) [4]. Cette souffrance myocardique sans traduction clinique ni électrocardiographique correspond toutefois à une pathologie bien réelle, puisqu'elle est associée à une péjoration significative du pronostic et à une mortalité 3 fois plus élevée (OR 2.9) [27]. Cette mortalité est proportionnelle au taux de troponine. Ainsi, une élévation de 0.02 ng/L, 0.03-0.25 ng/L et de ≥ 0.3 ng/L est associée à une élévation de la mortalité postopératoire de 2.41, 5.0 et 10.5 fois respectivement [36]. Toutefois, l’élévation du taux de troponine postopératoire à des valeurs inférieures à celles admises pour le diagnostic non-équivoque d’infarctus est un marqueur de risque pour les complications cardiovasculaires et générales (embolie pulmonaire, insuffisance respiratoire, AVC, sepsis) plus que pour l’infarctus per se [34]. La question est de savoir si la mise en évidence de MINS réclame une sanction thérapeutique, bien que le taux de troponine soit faible et l’ECG sans altération. Une étude portant sur 667 patients de chirurgie vasculaire a montré que le traitement correspondant à celui d’une ischémie myocardique stable asymptomatique (aspirine, statine, béta-bloqueur, inhibiteur de l’enzyme de conversion et, à long terme, modifications du style de vie) est bénéfique: le risque de complication est nettement diminué (HR 0.63) chez les patients traités activement alors qu'il est augmenté chez ceux qui ne l'ont pas été (HR 2.8) [11]. Mais la prise en charge commence plus tôt, avec le contrôle d'une série de facteurs peropératoires associés à la souffrance myocardique ultérieure: tachycardie, hypotension, hémorragie, hypoxie, stimulation sympathique, douleur, hypercoagulabilité, hypothermie [25].
Comme on ne peut pas doser les troponines chez tous les patients, il est proposé de les surveiller toutes les 8 heures pendant les premières 24 heures, puis quotidiennement jusqu'à 48-72 heures chez les patients qui ont un score de Lee > 2 en chirurgie vasculaire et > 3 en chirurgie non-vasculaire (voir Tableau 3.6A), et chez ceux qui ont un score d'Apgar chirurgical ≤ 7 en fin d'intervention [10,16]. Comme un tiers des patients à risque de coronaropathie présente une augmentation des troponines T au test ultrasensible avant l'intervention (14 ng/L), il est judicieux de disposer d'un dosage préopératoire pour évaluer la variation plutôt que la valeur absolue en postopératoire [26]. Une ascension du taux de troponine commande un ECG et la mise en route d'un traitement anti-ischémique: aspirine, statine, béta-bloqueur, inhibiteur de l’enzyme de conversion, nitroglycérine en cas d'hypertension artérielle; une bithérapie antiplaquettaire, une anticoagulation et une revascularisation peuvent entrer en ligne de compte si le patient présente secondairement un syndrome coronarien aigu (STEMI ou N-STEMI). La question des antiplaquettaires est ardue, car ceux-ci introduisent un risque hémorragique évident dans le postopératoire immédiat; d'autre part, un thrombus est retrouvé moins souvent dans les infarctus post-chirurgicaux que dans les infarctus rencontrés en cardiologie (13% versus 67% des cas), quand bien même la morphologie de leurs plaques est identique [32]. Cette constatation pousse à choisir des dosages d'anti-thrombotique plutôt modestes tant que l'hémostase n'est pas assurée. Même asymptomatique, le patient mérite néanmoins des tests cardiologiques après une ascension de ses troponines (écho de stress, perfusion myocardique, angio-CT), pour évaluer le degré d'activité et de risque de son ischémie myocardique [25]. Ceci peut avoir lieu dans la première semaine postopératoire.
Infarctus postopératoire
Dans environ 60-75% des cas, l’infarctus postopératoire est précédé de longs épisodes de tachycardie et de sous-décalage du segment ST [8,14,20,21] ; il est de type non-Q chez les deux tiers des patients (voir Infarctus postopératoire en chirurgie non-cardiaque) [2,21]. La durée du sous-décalage ST est directement associée à la valeur du pic de troponine enregistré ultérieurement [29]. L’ascension des troponines est tardive, et l’accident survient en général au 3ème ou 4ème jour [22,23]. Cet infarctus est silencieux dans la majorité des cas : l'angor n'est présent que chez 14% des patients [24]. Sa mortalité de 10-15% est trois fois plus élevée que celle de l'infarctus qui survient en dehors d'un contexte chirurgical [18]. Elle est également plus importante en cas de STEMI (31%) que de N-STEMI (8.5%) lorsque la situation requiert une revascularisation d'urgence [28]. Le fait que les infarctus périopératoires présentent moins souvent un thrombus intracoronarien que les infarctus rencontrés en cardiologie traduit l'implication plus fréquente d'une altération du rapport DO2/VO2 dans la genèse des premiers que dans celle des seconds, comme le prouve le fait qu'une hypotension peropératoire (baisse de la PA de ≥ 40% par rapport à la valeur pré-induction pendant ≥ 30 minutes) double le risque de lésion myocardique définie par le taux de troponine postopératoire [19,35]. Le béta-blocage est une prévention efficace chez les malades à risque, mais la meilleure prophylaxie est le maintien rigoureux de la pression artérielle, de la fréquence cardiaque et du transport d'O2. Le traitement est le même que celui de tout infarctus non-STEMI (voir Tableau 9.7).
Dans 22-40% des cas, c’est au contraire une rupture de plaque instable avec thrombose coronarienne qui est à l’origine de l’infarctus [7,14,28]. Cet infarctus, de type STEMI, survient plus tôt, en général dans les 36 premières heures, mais il peut apparaître n’importe quand dans les dix jours qui suivent l’intervention [23]. Il n’est pas précédé de modifications du segment ST; l’élévation des troponines est brusque et précoce. Cet infarctus est typique des thromboses de stent qui peuvent survenir chez les malades revascularisés par PCI. Sa mortalité est alors très élevée (35%) [28,31,33]. La seule prévention efficace est le maintien des antiplaquettaires (aspirine, clopidogrel, ticagrelor, prasugrel) et des statines (prise en charge: voir voir Tableau 9.8) [5,6,9].
Le traitement d’une occlusion coronarienne aiguë postopératoire est l’angioplastie d’urgence (PCI). La thrombolyse est exclue à cause du risque hémorragique excessif immédiatement après un acte chirurgical. La pose de stents est problématique, car le malade est dans une phase inflammatoire massive ; l’activation des thrombocytes est extrême. Le traitement anti-plaquettaire doit donc être maximal (anti-GP IIb/IIIa, clopidogrel, ticagrelor, aspirine). La revascularisation postopératoire d’urgence en cas de STEMI ou de N-STEMI très instable est une situation dangereuse, puisque la moralité de la PCI est de 8-31% dans ce contexte ; c’est toutefois la moitié de celle du traitement médical conservateur [3,28].
Infarctus postopératoire |
De manière schématique, on peut distinguer deux situations différentes:
- Infarctus non-Q précédé de tachycardie et de sous-décalage ST (60-75% des cas); incidence
maximale au 3ème jour postop; mortalité: 10%; prévention: -blocage;
- Infarctus avec onde Q et sus-décalage ST (STEMI) (25-40% des cas), lié à une thrombose
aiguë de plaque ou stent instable; peut survenir précocément; mortalité élevée (moy ≥ 35%);
prévention: antiplaquettaires.
Un infarctus peropératoire de type STEMI est une indication à une revascularisation en urgence (délai optimal : ≤ 90 minutes).
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© BETTEX D, CHASSOT PG, RANCATI V, Janvier 2008, dernière mise à jour, Octobre 2018
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