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Technique d’anesthésie
La technique d’anesthésie pour la revascularisation coronarienne est dominée par quatre considérations générales [3].
- Les connaissances actuelles sur la protection contre l'ischémie par le pré- et le post-conditionnement incitent à recommander le sevoflurane ou l'isoflurane plutôt que les agents intraveineux avant, pendant et après la CEC, ou pendant toute la durée des pontages à coeur battant [1,2,3,4,5,9,10,11].
- La prise en charge hémodynamique vise à diminuer la mVO2, à augmenter le DO2 et à maintenir la pression de perfusion coronarienne.
- Le taux d'infarctus postopératoire est davantage lié aux épisodes ischémiques survenant après la CEC qu’avant celle-ci, parce que le malade que l'on induit et celui que l'on sort de salle d'opération après la revascularisation n'est pas le même individu d’un point de vue physiopathologique.
- La gestion de l’anesthésie vise une extubation rapide, sauf dans les cas à haut risque ou les longues CEC.
Malgré les évidences cliniques et expérimentales en faveur l'utilisation systématique d'agents halogénés pour profiter des effets de préconditionnement, comme le préconisent les recommendations américaines [3], la littérature récente ne permet pas d'affirmer que cette attitude modifie significativement le pronostic des patients [6]. En l'état actuel de nos connaissances, on peut simplement dire que le maintien de l’anesthésie par les halogénés présente des avantages probablement supérieurs à ceux des agents intraveineux pour la chirurgie de revascularisation coronarienne.
Phase pré-revascularisation
Avant la revascularisation, l'anesthésie est dominée par la nécessité de maintenir la perfusion coronarienne, qui est précaire, et d'économiser la dépense en oxygène du myocarde. L’incidence d’ischémie coronarienne est de l'ordre de 20-30%. Même si l’ischémie myocardique est parfois sans relation avec l’hémodynamique, on veille constamment à maintenir les conditions les plus favorables.
- Fréquence cardiaque basse (50-65 batt/minute) ; l'anesthésie doit être assez profonde pour éviter toute tachycardie lors de l'intubation, de l'incision, de la sternotomie, et de la manipulation de l'aorte ascendante, qui sont les moments les plus stimulants ; au besoin, bolus répétés d'esmolol (10 mg) et anesthésie locale (spray laryngé, lidocaïne intrapéricardique).
- Pression de perfusion normale (PAM 75-80 mmHg), maintenue si nécessaire avec des bolus de phényléphrine (Néosynéphrine®, max 1 mg) ou une perfusion de noradrénaline ; dans le contexte de l’ischémie myocardique, l'hypotension est plus dangereuse que l'hypertension. La PAM doit être très briévement abaissée pendant la canulation aortique.
- Précharge normale ; l'administration de 500 mL de cristalloïde est largement suffisante pour maintenir la normovolémie ; un excès de volume augmente la tension de paroi télédiastolique, cause d'une augmentation de la mVO2. D'autre part, la CEC est une source d'hypervolémie importante, qui justifie une attitude restrictive dans l’administration liquidienne. On préférera donc gérer l’hypotension par un vascoconstricteur plutôt que par du volume de perfusion.
- Transport d'O2 élevé ; on évite l'anémie (Hb ≥ 100 gm/L) et l'hypoxie (FiO2 0.5 – 0.8).
- Consommation d'O2 basse ; on évite toute administration de catécholamine β, sauf en cas de défaillance ventriculaire ou de bradycardie extrême (fréquence < 40 batt/min), car une diastole trop longue dilate le ventricule. Un débit cardiaque abaissé (1.5 – 2-2 l/min/m2) est toléré tant que la SvO2 ou la ScO2 sont normales (> 55% et > 65%, respectivement) et le taux de lactate acceptable (< 2 mmol/L).
Compte tenu de ces exigences, le choix de la technique d'anesthésie relève du jugement clinique de l'anesthésiste. Il est basé sur quatre points.
- Le risque ischémique (tronc commun, angor instable, infarctus menaçant, etc);
- Le risque hémodynamique (dysfonction ventriculaire, valvulopathie, etc);
- Les contraintes non-cardiaques (comorbidités médicales, âge, difficulté d'intubation, etc);
- La possibilité d’un réveil rapide ou la probabilité d’un suivi postopératoire complexe.
La technique choisie doit assurer l'anesthésie, l'analgésie, les échanges gazeux et l'équilibre hémodynamique. Bien que tous les intermédiaires soient possibles, le très large éventail des situations pathologiques peut être réparti en deux catégories.
- Cas lourds (ASA IV) : patient âgé (≥ 75 ans), dysfonction ventriculaire gauche (FE < 0.35 sans béta-blocage) ou dilatation ventriculaire gauche (diamètre télédiastolique > 4.0 cm/m2), dysfonction ventriculaire droite, hypertension pulmonaire, pathologie valvulaire sévère, angor instable, affection médicale grave (insuffisance rénale dialysée, BPCO sévère, etc), anévrysme ventriculaire important, CEC longue ou sous hypothermie profonde (< 25°C), intervention en urgence sur un patient en choc cardiogène ou sous assistance circulatoire.
- Cas simples (ASA II-III) : patients de moins de 65 ans en bon état général, sans comorbidité ni hypertension pulmonaire, FE > 0.5 (ou > 0.4 en cas de béta-blocage), angor stable, nombre de PAC < 4, temps de CEC < 90 minutes, clampage aortique < 80 minutes, température maintenue > 32° C en CEC, intervention élective.
Dans les cas lourds, la priorité est à la stabilité hémodynamique. Plus le patient est compromis, plus le contrôle hémodynamique doit être serré. Le choix se porte sur une technique basée sur de hautes doses d’opiacés.
- Induction avec étomidate (0.3 mg/kg) ; l’adjonction d’une dose de fentanyl (250-500 mcg) ou de sufentanil (50 mcg) amortit les à-coups hémodynamiques de l’intubation.
- Fentanyl 50 mcg /kg ou sufentanil 15 mcg/kg (dose totale).
- Isoflurane ou sevoflurane (≥ 1 MAC) pendant toute la durée de l’anesthésie et de la CEC ; assure le sommeil et le préconditionnement, limite les risques d’éveil et de mémorisation sous opiacés (anesthésie insuffisante).
- Appoint : midazolam 5-15 mg.
- Monitorage spécial : cathéter artériel pulmonaire ou PiCCO.
Dans les cas simples, on opte de préférence pour des doses faibles d’opiacés et un réveil rapide ; cette technique de fast-track permet d’extuber précocement (< 2 heures), de diminuer les complications respiratoires, de simplifier les soins postopératoires et d’économiser sur la durée de séjour en soins intensifs.
- Induction avec étomidate ou propofol ; éviter le midazolam pour permettre un réveil rapide.
- Fentanyl ≤ 20 mcg/kg, sufentanil 5-10 mcg/kg (dose totale).
- Isoflurane ou sevoflurane (≥ 1 MAC) pendant toute la durée de l’anesthésie et de la CEC ; assure le sommeil et le préconditionnement, limite les risques d’éveil et de mémorisation, et permet une extubation rapide.
- Réchauffement optimal et contrôle strict de la température post-CEC (T° vésicale et/ou rectale > 35°C).
- Pour les interventions courtes chez les patients stables, possibilité d’alfentanil (2-3 mcg/kg/min avec dose de charge à l’induction) ou de rémifentanil (0.2 – 0.5 mcg/kg/min sans dose de charge).
- Pas de midazolam ni de morphine; dexmédétomidine dès la fin de la CEC.
- L’anesthésie combinée avec une péridurale cervico-thoracique ou une rachianesthésie est discutée au Chapitre 4, Anesthésie loco-régionale. Ses bénéfices sont incertains [3].
Pour bénéficier au maximum de la cardioprotection, l'isoflurane ou le sevoflurane sont administrés en continu à 1 MAC pendant toute l'intervention, y compris pendant la CEC [1]. Autant que possible, cette concentration est maintenue constante, éventuellement augmentée pendant les phases très stimulantes (incision, sternotomie, ouverture de l'écarteur sternal, refroidissement, relâchement de l'écarteur, mise en place des fils métalliques). Comme il est un stimulant sympathique et augmente les résistances vasculaires pulmonaires, le desflurane n’est pas indiqué pour l'anesthésie des PAC. La technique d'anesthésie pour les interventions en CEC est décrite en détail dans le Chapitre 4, et pour les opérations à cœur battant dans le Chapitre 10.
Phase post-revascularisation
Après la CEC, le malade est revascularisé, donc théoriquement à l'abri d'une ischémie myocardique liée au déséquilibre de la balance DO2/VO2. Cependant, l'hémodynamique est perturbée et nécessite en général des catécholamines α et β pour maintenir sa stabilité (voir Chapitre 4, Insuffisance ventriculaire post-CEC). On tolère une fréquence cardiaque jusqu’à 80 batt/min. Si la revascularisation est complète et qu’il n’existe pas de signe d’ischémie, le seuil de transfusion est fixé à ≤ 80 gm/L Hb. Les épisodes ischémiques que l'on rencontre dans cette période sont liés à plusieurs phénomènes.
- Embolisation d'air dans les pontages et dans la coronaire droite;
- Embolisation de particules athéromateuses lors des anastomoses ou lors d'une thrombendartérectomie;
- Coudure, tension excessive ou obstruction d'un pontage, obstruction d'une anastomose;
- Thrombose aiguë et infarcissement;
- Sidération (stunning);
- Spasme de pontages artériels;
- Revascularisation incomplète (territoire ayant pâti de l’arrêt cardiaque, de l’hypothermie et de la cardioplégie sans avoir le bénéfice de la revascularisation);
- Hypotension systémique sévère (PAM < 60 mmHg pendant > 10 minutes).
Les altérations de la cinétique segmentaire qui signent une ischémie tronculaire transmurale ont une valeur pronostique pour l'incidence d'infarctus postopératoire lorsqu'ils persistent malgré la correction des éléments déclenchants [7,8]. La phase de reperfusion myocardique peut parfois déclencher des arythmies malignes (TV, fibrillation ventriculaire itérative) extrêmement résistantes au traitement pharmacologique et nécessitant des défibrillations à répétition (jusqu’à 50 épisodes en 6 heures). La tenacité de l’anesthésiste et du chirurgien est capitale pour la survie du patient, car ces arythmies ne durent que quelques heures ; si l’on réussit à passer ce cap, le devenir postopératoire du malade est normal.
La mise en route d’une perfusion de propofol en fin d’intervention (5-10 mg/kg/heure) permet le transport et l’installation aux soins intensifs ou en salle de surveillance aiguë. Si les respirateurs de soins postopératoires le permettent, on continue l’halogéné. L'anesthésie pour les pontages à coeur battant (OPCAB) est décrite au Chapitre 10 ; le Tableau 10.2 en résume la technique de prise en charge. L’extubation est précoce (< 2 heures) pour autant que la situation le permette (voir Chapitre 4 Critères d’extubation). L’aspirine est reprise dans les 6 heures postopératoires [3].
Principes lors d’anesthésie pour les PAC |
Optimaliser le rapport mDO2/mVO2.
Préconditionnement par halogéné (sevoflurane ou isoflurane, 1 MAC) avant, pendant et après la CEC.
Phase pré-CEC: le patient souffre d’ischémie myocardique active.
- Favoriser le DO2: PAM > 80 mmHg, Hb ≥ 90 gm, FiO2 ≥ 0.5
- Abaisser la mVO2: FC 50-65 batt/min, éviter les amines béta
- Maintenir le rapport PAM / FC > 1
Phase post-CEC: myocarde revascularisé, mais risques particuliers.
- Dysfonction ventriculaire post-CEC
- Ischémie sur problèmes chirurgicaux (anastomose, coudure, embolie)
- Spasme de pontages artériels
- Revascularisation incomplète
- Sidération myocardique
- Hémorragie, tamponnade
- Arythmies de reperfusion
Extubation rapide et confort postopératoire optimal (dexmédétomidine).
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© BETTEX D, CHASSOT PG, RANCATI V, Janvier 2008, dernière mise à jour, Novembre 2019
Références
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- FRÄSSDORF J, DE HERT S, SCHLACK W. Anaesthesia and myocardial ischaemia/reperfusion injury. Br J Anaesth 2009; 103:89-98
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- JULIER K, DA SILVA R, GARCIA C, et al. Preconditioning by sevoflurane decreases biochemical markers for myocardial and renal dysfunction in coronary artery bypass graft surgery. Anesthesiology 2003; 98:1315-27
- LANDONI G, GRECO T, BIONDI-ZOCCAI G, et al. Anaesthetic drugs and survival: a Bayesian network meta-analysis of randomized trials in cardiac surgery. Br J Anaesth 2013; 111:886-96
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