Step 4 of 8

Anesthésie 

On abordera ici la technique d’anesthésie chez l’adulte [5,22,26,29,33]. La prise en charge de l’enfant est décrite dans le chapitre consacré à la pédiatrie (Chapire 14, Transplantation cardiaque). 
 
Prémédication
 
La thérapeutique du malade consiste en général en un béta-bloqueur, un ou plusieurs vasodilatateurs systémiques (IEC, ARA, sacubitril), un diurétique, un anticoagulant (arythmie, FE < 0.3), un vasodilatateur coronarien, un anti-arythmique et/ou un agent inotrope parentéral, voire un pacemaker-défibrillateur de resynchronisation ou une assistance ventriculaire. L’administration de ces substances n’est pas interrompue et l'anticoagulation n'est pas renversée, mais la fonction débrillatoire doit être suspendue et remplacée par des patches externes. Les insuffisants cardiaques sont souvent sous antidépresseur. Or les IMAO et les thymoleptiques qui bloquent la recapture de la sérotonine interfèrent avec la régulation hémodynamique et la neurotransmission centrale. Les receveurs sont aussi souvent anémiques et en surcharge hydrique; leur fonction thyroïdienne est volontiers perturbée, entre autre par l'amiodarone [31]. Environ 40% d'entre eux sont sous une forme d'assistance ventriculaire mécanique (voir plus loin) [18]. Si l’état du patient le permet, on peut administrer une prémédication anxiolytique (Lexotanil®, Seresta®), mais en cas de décompensation cardiaque, il est plus judicieux de ne pas prémédiquer le malade, et de n’offrir une sédation que sous monitoring en salle d’opération (1-2 mg midazolam iv). On évite complètement les injections parentérales. 
 
Préparation et équipement

La préparation des transplantés est gouvernée par l'impératif de stérilité qu’impose l’immunosuppression. Les va-et-vient en salle d’opération sont réduits au minimum et les portes maintenues fermées. Le circuit respiratoire est stérile. Tout le personnel soignant porte un masque en permanence. Après s’être désinfecté les mains, un anesthésiste pose la voie veineuse. Ganté stérilement, il poursuit avec le cathéter artériel, de préférence radial car l’asepsie y est meilleure qu’en voie fémorale. Dans beaucoup de cas, il est judicieux de pouvoir disposer de deux cathéters artériels (radial + fémoral ou 2 fois radial); un axe fémoral est toujours laissé libre pour une éventuelle canulation de CEC ou d'assistance circulatoire. Lors d'insuffisance rénale préexistante, le cathéter de dialyse est utilisé comme voie d'administration du volume. Ces manœuvres sont exécutées en respectant les règles de propreté habituelles, mais seule la voie centrale est posée de manière strictement stérile. Tous les médicaments sont injectés par la même voie veineuse périphérique, qui est retirée dans les premières heures post-opératoires. Dans la mesure où le patient le tolère sans inconfort, et dans la mesure où l’opérateur est suffisamment habile pour que la canulation soit rapide, la voie centrale peut être mise en place sous anesthésie locale. Dans le cas contraire, elle est introduite après l’induction. La voie choisie est jugulaire interne ou sous-clavière; la ponction jugulaire interne droite doit être aussi peu traumatisante que possible, parce que cette voie est utilisée ultérieurement pour les biopsies endocavitaires. L’équipement consiste en un cathéter 3-4-lumières utilisé comme voie d’apport et de perfusions (catécholamines, immunosuppresseurs), et un introducteur avec cathéter pulmonaire de Swan-Ganz; ce dernier est avancé à 15 cm et protégé dans une housse stérile. Un dispositif mesurant en continu la SvO2 et/ou le débit cardiaque est souhaitable. A cause de  la cardiectomie, des anastomoses à réaliser sur le trajet du cathéter et de l'absence d'hypertension pulmonaire significative, la sonde de Swan-Ganz n'a guère de sens dans la période qui précède la CEC. Elle sera nécessaire après la CEC pour mesurer les pressions pulmonaires, le débit cardiaque et la SvO2, surtout lorsque se développe une insuffisance ventriculaire droite. Aucune substance ni aucune perfusion n’est administrée dans le cathéter pulmonaire tant qu’il n'est pas en place, car les voies proximales débouchent à 30 cm de l'extrémité, donc dans la housse de protection et non dans l'OD ou la VCS.

Les gestes techniques sont en général plus longs que prévu. Il est donc judicieux d'équiper le patient assez à l’avance, de manière à ne pas être bousculé par une accélération éventuelle du prélèvement qui risquerait d’altérer la qualité du travail. Il est préférable que le receveur attende en salle d’opération plutôt que d’imposer une prolongation de l’ischémie au greffon [22]. 
 
Si le patient a déjà subi une intervention de chirurgie cardiaque, on place des patches de défibrillateur externe parce que les adhérences empêchent de glisser les palettes dans le péricarde. La fonction défibrillateur d'un pace-maker triple chambre doit être arrêtée avant l'intervention. 
 
Pré-induction
 
Une sédation intraveineuse (midazolam, 1 mg bolus, à répéter si nec.) est administrée lorsque le patient est anxieux ou que l’attente se prolonge. L’antibiothérapie doit débuter 45-60 minutes avant l’incision pour que le taux sérique soit efficace en temps voulu. L’antibiotique est donc injecté dès que la voie veineuse périphérique est en place. Bien que le choix de l’antibiotique soit propre à chaque institution, on peut formuler des recommandations simples [7,11].
 
  • Une céphalosporine de 1ère ou de 2ème génération chez les patients non-MRSA, à répéter toutes les 4 heures (cefazoline, cefuroxim);
  • Alternative (allergie aux pénicillines): clindamycine (Dalacin® 600 mg), amoxicilline + acide clavulanique (Augmentin® 2.2 g, puis 1.2 g toutes les 6 heures);
  • Chez les patients suspects ou prouvés positifs pour un MRSA: vancomycine seule (Vancocin® 1 gm, ne couvre pas les Gram nég) ou en association avec une des substances précédentes; 
  • Une prescription particulière en fonction de l’antibiogramme lorsqu’une infection est en cours ou en voie de stérilisation;
  • Rinçage de la bouche au gluconate de chlorhexidine 0.12%.
Les patients sous agents anti-vitamine K reçoivent de la vitamine K intraveineuse, mais celle-ci ne sera efficace que dans le postopératoire. Pour l'intervention, le plus utile est l'administration après la CEC de complexe prothrombinique 4-facteurs à raison de 25 UI/kg si la valeur de l'INR est entre 2.0 et 4.0, afin d'obtenir un INR voisin de 1.5 [24]. Le PFC n'est pas une solution acceptable car les facteurs de coagulation y sont trop dilués: leur normalisation demanderait 1.5-2.0 L de ce produit [22]. Il se peut que certains malades soient sous l'effet d'un nouvel anticoagulant oral anti-IIa ou anti Xa; comme leur demi vie est courte (8-12 heures), il est préférable de ne pas renverser leur effet (voir Chapitre 8, Gestion périopératoire). Avant et après la CEC, le patient reçoit une dose d'antifibrinolytique (acide tranexamique). Le sang commandé (4-6 poches) est CMV-négatif et irradié.
 
Avant l’induction, on s’assure une dernière fois de la compatibilité ABO entre donneur et receveur.
 
Induction
 
Comme il est préférable de risquer une induction inutile plutôt que de se hâter pour la mise en place des voies centrales, surtout si le patient est techniquement difficile à ponctionner et si la durée pour l’équiper se prolonge, on induit en coordination avec l'équipe de prélèvement mais avant que le cœur du donneur ne soit visualisé, c'est-à-dire assez tôt pour induire et techniquer dans le calme. Par contre, on ne procède à l'incision que lorsque l'opérateur responsable a examiné le coeur du donneur et annoncé qu’il est satisfaisant, c’est-à-dire après la sternotomie et la péricardiotomie du donneur. En cas de prélèvement à l'extérieur de l'institution, il faut attendre le contact téléphonique de l'opérateur ou du coordinateur de transplantation. La priorité est de minimiser le temps d'attente du greffon: il faut être prêt à l'explantation du cœur du receveur lorsque le cœur du donneur arrive en salle d'opération. Cette remarque s'applique particulièrement aux patients souffrant d'une cardiopathie congénitale dont l'anatomie est complexe et aux malades ayant déjà subi une intervention de cardiochirurgie ou porteur d'un dispositif d'assistance ventriculaire, car dans ces cas la dissection jusqu'à l'explantation du cœur peut être délicate et longue.
 
La transplantation ayant en général lieu en urgence, les patients ne sont souvent pas à jeûn. La technique d'induction sera donc un compromis entre les contraintes liées à l'état hémodynamique et celles d'une séquence rapide. Le ralentissement circulatoire retarde l'installation des effets de toute substance administrée. Il est évident que ces patients sont hypersensibles aux effets inotropes négatifs de la kétamine, des barbiturés, du propofol et des halogénés. Leur débit est dépendant du remplissage et de la postcharge; leurs ventricules sont très peu compliants. De ce fait, le propofol, qui diminue la précharge et la postcharge, doit être manipulé avec infiniment de précaution. Chez l'insuffisant cardiaque terminal, qui vit en stimulation sympathique permanente, l'effet inotrope négatif propre de la kétamine sur la fibre myocardique devient apparent, car il n'est plus contre-balancé par sa stimulation sympathique centrale. La baisse de la postcharge (isoflurane) est bénéfique pour autant que la pression de perfusion soit conservée. Les catécholamines sont administrées selon les besoins. Des doses élevées sont souvent nécessaires parce que le nombre et le couplage des récepteurs béta sont altérés dans le coeur chroniquement insuffisant. Dans ces conditions, les catécholamines indirectes (éphédrine, dopamine) sont peu efficaces [23]. Seules les catécholamines à effet direct (dobutamine, adrénaline) ou les substances qui agissent pas une autre voie (milrinone, levosimandan) sont pleinement fonctionnelles.
 
L'induction doit être très lente pour en atténuer les effets hémodynamiques. Agents recommandés [4,5,26,29]: 
 
  • Etomidate: 0,3 mg/kg.
  • Vécuronium 0.1 mg/kg, cisatracurium 0.15-0.2 mg/kg, rocuronium 0.6-1.2 mg/kg.
  • Si "estomac plein": suxaméthonium, 1 mg/kg ou séquence inversée avec double dose de vécuronium (0.3 mg/kg) ou de rocuronium (1.5 mg/kg); protection par une manoeuvre de Selick.
  • Fentanyl : 5-10 mcg/kg en administration progressive pour l’induction; dose totale pour l’opération: 10-50 mcg/kg. Alternatives : sufentanil (2-7.5 mcg/kg, perfusion 0.2-1.5 mcg/kg/h), perfusion de rémifentanil (0.2-0.4 mcg/kg/min).
  • Maintien: sevoflurane (1.5-2.5%) ou isoflurane (0.8-1.5%) selon tolérance. Alternative : midazolam (1.5-2.0 mcg/kg/h).
  • Propofol : inadapté pour l’induction, mais possible en perfusion pour le maintien. 
La sonde d'échocardiographie transoesophagienne (ETO) est introduite immédiatement après l'intubation. L'ETO est certainement la technique la plus performante pour juger du remplissage et de la fonction ventriculaire gauche et droite. Elle permet de détecter un thrombus intracavitaire ou un athérome mobile dont la présence modifie la stratégie de canulation. Elle assure un débullage correct des cavités gauches en fin de CEC et visualise le flux à travers les anastomses après la mise en charge (mise en évidence de sténose nécessitant une reprise immédiate). Les craintes de contamination bactérienne par l’oesophage se sont avérées infondées.
 
Le cas échéant, les perfusions continues à visée hémodynamique (catécholamines, inodilatateurs, dérivés nitrés, etc) sont maintenues jusqu’à la CEC. Dans cette période, le but premier est le maintien d’une perfusion adéquate dans les organes majeurs (cerveau, foie, reins, viscères), même aux dépens du travail cardiaque et de son bilan énergétique, puisque le coeur est condamné à court terme; la priorité est donnée aux organes cibles et non au myocarde. Le maintien du précaire équilibre hémodynamique de ces patients l’emporte sur toute autre considération.
 
La dissection et la cardiectomie peuvent être difficiles et très hémorragiques en cas d’intervention cardiaque préalable. Le danger commence à la sternotomie, car l’OD ou le VD peuvent être accolés sous le sternum et facilement lésés par la scie sternale ; il est prudent d’être préparé à canuler par voie fémorale pour la CEC, afin de pouvoir partir rapidement en pompe en cas de lésion cardiaque. Il en est de même chez les malades souffrant de cardiopathie congénitale, dont l’anatomie est très remodelée. Il arrive de devoir transfuser massivement dans ces conditions. Dans les cas de réopérations et de congénitaux, il faut prévoir que le temps entre l’incision et la mise en place du greffon est prolongé et veiller à ce que cela n’allonge pas excessivement l’ischémie du greffon. Normalement, le receveur est déjà en CEC et son cœur en voie d'explantation lorsque le greffon arrive en salle d'intervention [22].
 
Receveurs sous assistance ventriculaire
 
Actuellement, 43% des patients en attente d'une greffe cardiaque sont sous une forme d'assistance circulatoire, le plus souvent un système à flux continu de type HeartMate II, HeartWare ou HeartMate 3 (voir Chapitre 12 Assistance ventriculaire) [17]. Leur survie moyenne dans l'attente d'une greffe est de ≥ 80% à 1 an et 70% à 2 ans [12]. La présence d'une assistance ventriculaire améliore la fonction polyorganique des futurs receveurs et n'aggrave pas leur mortalité post-greffe, ni leur incidence de rejets ou d'infections, quelle que soit la durée du soutien hémodynamique [9,27]. Toutefois, elle est associée à certaines particularités qui peuvent poser problème [14]. 
 
  • Risque d'allo-immunisation par le contact avec du matériel étranger, par les transfusions et par les produits dérivés du sang (plasma, plaquettes, etc). Il est recommandé de n'administrer que des produits ABO-compatibles, irradiés et déleucocytés chez les malades en liste d'attente.
  • Altération de l'élasticité vasculaire, perte cellulaire dans la media de l'aorte, dilatation aortique et insuffisance de la valve aortique engendrées par la dépulsation du flux fourni par les turbines à flux continu [15]. Le risque de vasoplégie après CEC est considérable.
  • Syndrome de von Willebrand acquis: fragmentation des chaines du facteur vW par l'accélération du sang dans la canule artérielle sortant de la pompe d'assistance. On rencontre également une déficience en facteur XIII.
  • Infections des poches ou des connexions percutanées avec la console motrice (15% des cas); elles réclament un traitement agressif et une couverture antibiotique (céphalosporine de 1ère génération, vancomycine, etc), mais ne sont pas des contre-indications à la greffe si elles sont bien localisées [7]. Toutefois, elles multiplient par un facteur de 5 le risque d'infection post-greffe (OR 4.8) [1]. Prophylaxie antibiotique: tazobactam – vancomycine.
  • Problèmes chirurgicaux liés à la présence des canules d'assistance dans le champ opératoire de la cardiectomie et aux remaniements causés par les interventions précédentes. L'explantation du cœur est prolongée et souvent hémorragique. Le risque de léser le VD à l'ouverture du sternum incite à une canulation fémorale préalable. 
  • Anticoagulation. Elle consiste en général en un agent antivitamine K (AVK) dosé pour un INR de 2.0 à 3.5, bien que les recommandations puissent varier selon les dispositifs. Les nouveaux agents anti-IIa ou anti-Xa ne sont pas utilisés dans ce contexte. Deux options se présentent pour renverser cette anticoagulation avant la greffe: la vitamine K intraveineuse (délai d'action > 6 heures) et les complexes prothrombiniques (PCC 4-facteurs) [24]. Outre les tests habituels (TP, aPTT, ACT, activité anti-Xa), le thromboélastogramme est très utile pour évaluer le status de la coagulation (sauf pour l'effet des AVK).
  • Comme le flux des turbines est dépulsé, le pulsoxymètre est inutile et doit être remplacé par la saturométrie cérébrale (ScO2, NIRS) qui ne dépend pas de la pulsatilité artérielle [21]. Le patient doit être équipé de patches de défibrillateur externe.
Le système d'assistance doit assurer l'hémodynamique du receveur jusqu'à la CEC. Il est important que l'anesthésiste soit familier avec ses réglages (voir Chapitre 12, Assistance ventriculaire). La vitesse de rotation des turbines (HeartMate™, HeartWare™) est ajustée pour fournir le débit systémique adéquat sans effet de suction sur les parois ventriculaires. La puissance (en watt) traduit l'énergie fournie au moteur; elle s'élève en cas d'obstruction et s'abaisse en cas de chute de la précharge (occlusion de canule d'entrée, hypovolémie, tamponnade). Un flux élevé à puissance basse indique une vasodilatation artérielle. Un flux abaissé accompagné d'une hypotension fait suspecter une hypovolémie, une tamponnade, une défaillance du VD, un effet de suction ou une obstruction de canule. La pulsatilité enregistrée sur la courbe artérielle traduit l'éjection propre du VG surajoutée au flux non-pulsatile de la pompe; elle augmente avec l'amélioration fonctionnelle du VG et diminue en hypovolémie. Toutefois, le cœur du receveur est par définition dans une situation terminale et ne contribue plus significativement au débit systémique. L'échocardiographie permet de vérifier que le ventricule est adéquatement vidangé: il ne doit être ni dilaté (stase) ni collabé (effet de succion). Le septum interventriculaire doit être en position neutre; sa bascule dans le VG signale une hypovolémie, une suction excessive ou une défaillance droite. La fonction du VD est essentielle pour assurer la précharge de la pompe. 
 
Les problèmes sont différents chez les malades sous ECMO (extra-corporeal membrane oxygenation) (voir Chapitre 12, ECMO). Les canulations sont le plus souvent fémorales (artère et veine) ou jugulaire (veine), parfois centrale après une intervention récente. L'ECMO représente une augmentation de postcharge pour le VG dont la taille et la fonction doivent être surveillées; moins sa performance est efficace et plus la perfusion du cerveau et du cœur dépend du système d'assistance. Il est donc important de disposer d'un cathéter artériel radial droit pour évaluer la pression de perfusion coronarienne et cérébrale lors de canulation fémorale ou sous-clavière. Un débit de pompe de 60 mL/kg/min correspond à un débit cardiaque de 2.4 L/min/m2. La ventilation est réduite (volume courant environ 4 mL/kg) car l'ECMO assure les échanges gazeux en fonction de la FiO2 et du volume/minute (rapport débit de gaz frais/débit de pompe 1:1); l'augmentation du débit de gaz frais correspond à une hyperventilation. L'anesthésie est basée sur des agents intraveineux car la perfusion pulmonaire est trop faible pour assurer une captation suffisante des halogénés. La pharmacocinétique est modifiée: le volume de distribution des médicaments est augmenté de celui de l'ECMO, et les substances liposolubles (fentanils, midazolam) sont partiellement adsorbées dans les plastiques du circuit [20].

 
 Anesthésie pour la greffe cardiaque (I)
Le receveur est un malade très fragile, en défaillance ventriculaire systolique et diastolique, dont le débit est dépendant de la précharge, très sensible à la postcharge, et excessivement réactif au moindre effet cardiodépresseur. Il est tributaire de la stimulation sympathique intrinsèque.
 
Comme le temps d’ischémie du greffon est limité (4 heures) et que l’induction a lieu avant que le prélèvement ne commence chez le donneur, il faut impérativement faire venir le receveur en salle d’opération assez tôt pour que l’équipement soit réalisable sans hâte. La mise en place des cathéters et la dissection chirurgicale (cardiectomie) peuvent être ardues, particulièrement en cas d’opérations préalables ou d’anatomie particulière (congénitaux). Il faut donc se mettre en piste bien à l'avance, car tout le monde peut attendre sauf le greffon !
 
Technique recommandée :
    - Equipement: 2 voies veineuses périphériques (14-17G), 2 cathéters artériels, voie centrale 4-lumières, introducteur et cathéter pulmonaire,
      cathéter de dialyse si déjà en place; ETO
    - Etomidate (éventuellement midazolam en maintenant la précharge) et fentanyl/sufentanil
    - Maintien : sevoflurane, éventuellement midazolam, remifentanil ou propofol
    - Contre-indiqués pour l’induction : kétamine, thiopental, propofol

La CEC
 
Idéalement, le patient est canulé pour la CEC et son cœur entièrement préparé lorsque le cœur du donneur arrive en salle d’opération. La CEC peut démarrer immédiatement. Il est judicieux de reperfuser le greffon avec une solution de cardioplégie, surtout s’il a été prélevé plus de trois heures auparavant.
 
La technique originale de Shumway laissait en place la paroi postéro-latérale des deux oreillettes, de manière à anastomoser la partie antérieure des oreillettes du donneur à la partie postérieure de celles du receveur, qui comprend l’implantation des veines caves et des veines pulmonaires (Figure 17.2). Bien qu'elle facilite la fermeture d'un foramen ovale perméable, cette technique augmente considérablement la taille des oreillettes: les thromboses, les arythmies, les blocs de conduction et l’insuffisance tricuspidienne ou mitrale sont fréquents. C’est la raison pour laquelle on résèque maintenant la totalité de l’OD et on ne laisse en place que la paroi postérieure de l’OG comprenant l’abouchement des quatre veines pulmonaires (Figure 17.3) . Les veines caves du receveur sont anastomosées à la partie proximale de celles du donneur, qui fait corps avec l’OD du greffon (technique bi-cave de Sievers). L’intervention commence par la suture de l’OG, suivie de celle de l’aorte. On peut alors déclamper cette dernière, ce qui réduit la durée de l’ischémie, et réaliser les anastomoses des veines caves et de l’artère pulmonaire à cœur battant (mais toujours en CEC) [2,3,25]. La reperfusion de cardioplégie toutes les 20 minutes ou après chaque anastomose, si possible avec du sang déleucocyté par un filtre placé sur le circuit de la CEC, diminue l'incidence de dysfonction précoce du greffon [13].

 
Figure 17.2 : Technique chirurgicale de la transplantation cardiaque orthotopique selon la méthode originale de Shumway. Le corps des oreillettes du receveur est conservé; les oreillettes du donneur sont greffées par-dessus, aboutissant à un excès de tissu et de très grandes cavités auriculaires. A: structures laissées en place chez le receveur après la cardiectomie. B: mise en place du greffon [Sources: Kaplan JA, ed. Cardiac Anesthesia, 4th edition. Philadelphia:WB Saunders Co, 1999, p 993 et Estefanous FG, ed. Cardiac anesthesia. Principles and clinical practice. Philadelphia:Lippincott, Williams & Wilkins, 2001, p 643].


Vidéo: Vue 4-cavités d'un greffon cardiaque transplanté selon la technique de Shumway; les ventricules sont normaux, mais les oreillettes sont très agrandies puisque constituées des cavités du donneur et du receveur.
 


Figure 17.3 : Technique chirurgicale de la transplantation cardiaque orthotopique selon la méthode bi-cave de Sievers. Seule la paroi postérieure de l'OG est laissée en place avec les quatre veines pulmonaires; le corps de l'OD et de l'OG est réséqué; l'oreillette droite du greffon est anastomosée par ses veines caves aux veines caves supérieure et inférieure du receveur. A: structures laissées en place chez le receveur après la cardiectomie. B: mise en place du greffon [Sources: Kaplan JA, ed. Cardiac Anesthesia, 4th edition. Philadelphia:WB Saunders Co, 1999, p 993 et Estefanous FG, ed. Cardiac anesthesia. Principles and clinical practice. Philadelphia:Lippincott, Williams & Wilkins, 2001, p 643].
 
Il n’y a pas de modifications significatives par rapport aux techniques habituelles de circulation extra-corporelle. Les patients en insuffisance cardiaque congestive ayant un volume circulant et extracellulaire augmenté (rétention d'eau et de sel), la mise en route d'une hémofiltration en CEC est bénéfique. L’hémofiltration modifiée (MUF modified ultrafiltration) est très utile après la mise en charge pour extraire un maximum de liquide lorsque les malades sont en rétention hydro-saline. Prise en charge anesthésique:
 
  • Curares et vasodilatateurs à la demande.
  • Maintien du sommeil/analgésie pendant la CEC : midazolam, halogéné (sevoflurane), sufentanil, rémifentanil, éventuellement perfusion de propofol.
  • Avant le déclampage de l'aorte: 500 - 1’000 mg de méthylprednisolone (Solumedrol®) sont administrés dans la CEC. Alternative: 500 mg à l'induction et 500 mg à la mise en charge.
  • Après le déclampage: dans certains centres, on administre la thymoglobuline 30 minutes après la prednisolone (1.0 mg/kg de substance sèche à diluer dans 500 ml NaCl 0.9% sur 6 heures par voie centrale). Le risque est une vasoplégie et une cardiodépression. Pour cette raison, beaucoup de centres ne la débutent qu’après stabilisation aux soins intensifs.
     
Les agents inotropes et les vasodilatateurs pulmonaires doivent être préparés pendant la CEC et mis en route avant la sortie de pompe lorsque la situation clinique parle en faveur d'une défaillance ventriculaire ou de RAP excessives (dysfonction ventriculaire droite et/ou gauche à l'ETO, ischémie du greffon > 4 heures, PAP élevée en préopératoire). Le support hémodynamique, presque toujours nécessaire à la sortie de CEC, est par ordre de préférence:
 
  • Dobutamine (5-10 mcg/kg/min).
  • Nor-adrénaline : 0.5-5.0 mcg/kg/min.
  • Milrinone (Corotrop®): bolus 25 mcg/kg (max 1 mg) dans CEC, perfusion 5-10 mcg/min.
  • Adrénaline: bolus 20 mcg, perfusion 0.03 – 0.5 mcg/kg/min.
  • Contrepulsion intra-aortique, ECMO.
  • Levosimendan: dose de charge (facultative) de 8-12 mcg/kg à l'induction ou pendant la CEC, perfusion sur une seule période de 24 heures (0.05-0.3 mcg/kg/min); le bolus est déconseillé à cause du risque d'hypotension sévère.
  • Isoprénaline: bolus 10 mcg (à répéter au besoin), perfusion 0.01 à 0.1 mcg/kg/min ; avantage de vasodilatation pulmonaire et de maintien de la fréquence entre 90 et 110 batt/min, mais baisse importante des résistances systémiques.
     
L’hypertension pulmonaire et la dysfonction droite sont aussi fréquentes que délétères en sortant de CEC. Pour cette raison, l’attitude des auteurs est de débuter un traitement préemptif avant la mise en charge plutôt que d’attendre une dégradation hémodynamique pour mettre en place le traitement: 
 
  • NO (10-30 ppm);
  • Milrinone (bolus 1 mg au réchauffement et perfusion 0.5 mcg/kg/h) avec adrénaline (0.03-0.5 mcg/kg/min);
  • Prostaglandines: époprostenol 2-5 ng/kg/min iv, ou iloprost 10-20 mcg en 20 min par nébulisation, à répéter toutes les 2-4 heures. 
Un protocole très efficace consiste à sortir de pompe systématiquement sous milrinone, adrénaline, noradrénaline et NO. Dès que la situation se révèle stable, la thérapeutique est simplifiée en fonction des besoins.
 
La longue ligne de suture auriculaire entre l'OG du greffon et la paroi postérieure de celle du receveur ainsi que les anastomoses de gros vaisseaux (aorte et artère pulmonaire, veines caves) (Figure 17.3) représentent des sources d’hémorragie importante et, pour certaines, difficiles d'accès. Il faut donc s’assurer de la présence de flacons de sang déleucocyté. Au cours de la transplantation et des trois premiers mois postopératoires, on ne transfuse que du sang irradié. Il est fréquemment nécessaire d'administrer des facteurs de coagulation (selon le thromboélastogramme ou les tests de coagulation), parce que le receveur présente une congestion hépatique chronique entraînant une altération des synthèses protéiques. Les patients ayant subi une intervention cardiaque précédemment et ceux qui sont sous assistance ventriculaire mécanique au moment de la greffe saignent profusément.
 
Sortie de CEC
 
A la fin de la CEC, l’anesthésiste prend en charge un malade différent de celui qu’il a connu jusque-là. Idéalement, le coeur transplanté devrait présenter une fonction normale. Cependant sa performance est momentanément altérée par de nombreux phénomènes, et plusieurs problèmes graves peuvent survenir [22].
 
  • Le myocarde peut avoir souffert chez le donneur (traumatisme thoracique, ischémie coronarienne mal évaluée, tempête sympathique); le VD est plus sensible que le VG à la surstimulation adrénergique.
  • La contractilité est altérée par la période d'ischémie, surtout si elle dure > 4-5 heures.
  • La qualité de la préservation est variable (homogénéité de la perfusion, température).
  • La diminution drastique des récepteurs β dans le greffon le rend peu sensible aux amines β1 (d’où la prescription préférentielle d’adrénaline et de milrinone) [34].
  • La pression pulmonaire du receveur est plus élevée que celle du donneur; elle décompense le VD dès qu'il recommence à battre.
  • La fonction diastolique est altérée par l'œdème myocardique; les pressions de remplissage sont élevées et la dépendance à la volémie accentuée.
  • Le rejet hyperaigu est lié à une incompatibilité ABO qui détruit l'organe. 
     
Le cœur transplanté est dénervé. Il ne réagit qu'aux catécholamines circulantes, mais plus aux stimulations vagales ou sympathiques neurogènes. Son nœud sinusal opère à une fréquence de 90-110 batt/min. En cas de bradycardie (fréquence < 70 batt/min), la stimulation électrique par un pacemaker épicardique est la solution de choix, mais l'isoprénaline peut être utile pour accélérer momentanément le rythme. Il n'existe que peu de moyens thérapeutiques pour améliorer la dysfonction diastolique: limiter la tachycardie, améliorer la relaxation avec des catécholamines béta ou de la milrinone, diminuer la précharge avec un dérivé nitré. 
 
Le sevrage de pompe doit être lent et procéder par paliers; il se fait sous le contrôle de l'ETO parce que celle-ci apporte des informations capitales. 
 
  • Air résiduel dans les cavités cardiaques, nécessitant un débullage soigneux;
  • Fonction ventriculaire droite et gauche;
  • Contractilité segmentaire (éventuelle ischémie par lésion coronarienne);
  • Volémie;
  • Contrôle des anastomoses. 
     
Souvent, les ventricules sont défaillants au moment de sortir de pompe (dysfonction primaire du greffon). L'assistance par la CEC peut se prolonger jusqu'à 25% de la durée de l'ischémie du greffon. Si les agents inotropes ne sufffisent pas à obtenir un débit cardiaque satisfaisant, une ECMO veino-artérielle est mise en place (voir ci-dessous).
 
Les lignes de suture de la VCS et de la VCI peuvent facilement être sténosantes (Figure 17.4). Si le flux est tourbillonnaire et que sa vélocité maximale dépasse 1.5 m/s (correspondant à un gradient de pression de 9 mmHg), il faut envisager la réfection de cette anastomose (voir Figure 27.57) . Il faut également vérifier l’anastomose de l’artère pulmonaire qui peut être sténosée ou coudée, ce qui entraîne une augmentation de postcharge droite, et le fonctionnement de la valve tricuspide, dont l'insuffisance peut entraîner une défaillance du VD.


Vidéo: Vue de l'abouchement de la veine cave inférieure dans l'OD (vue bicave 100°) après transplantation selon la technique de Sievers; l'anastomose cave inférieure est sténosante comme en témoigne la zone d'accélération et le passage tourbillonnaire dans l'OD (la VCI dilatée est à la partie supérieure l'écran).


Vidéo: Vue de l'abouchement de la veine cave supérieure dans l'OD (vue bicave 100°) après transplantation selon la technique de Sievers; l'anastomose cave supérieure est sténosante comme en témoigne le flux couleur accéléré et tourbillonnaire.

 
Figure 17.4 : Sténose de l’anastomose cave en vue transoesophagienne bi-cave (100°). A : sténose de la veine cave supérieure près de son embouchure dans l'OD. Le diamètre est rétréci; le flux couleur est tourbillonnaire, traduisant une accélération pathologique. B : sténose anastomotique de la veine cave inférieure au niveau du diaphragme ; le flux est tourbillonnaire et la Vmax 1.6 m/s. Dans les veines centrales, une vélocité maximale (Vmax) du flux supérieure à 1.5 m/s indique un rétrécissement majeur ; c’est une indication à une reprise chirurgicale immédiate. Les flèches rouges indiquent la direction du flux.
 
Dès que le cœur est décanulé, on peut avancer le cathéter artériel pulmonaire en position bloquée. Comme l'intervention dure en général plus de 4 heures, il est nécessaire d'administrer une deuxième dose d'antibiotique à la 4ème heure (céphalosporine) ou à la 6ème heure (vancomycine, Augmentin®). Le Tableau 17.4 est un résumé de la technique d’anesthésie pratiquée par les auteurs.

 
Après la mise en charge, le risque de vasoplégie systémique (RAS < 800 dynes/s/cm5) est amplifié par une série de facteurs: traitement préopératoire par vasodilatateurs, régulation à la baisse des récepteurs catécholaminergiques après l'utilisation prolongée d'inotropes et de vasopresseurs, syndrome inflammatoire de la CEC, flambée de substances liées à l'immunoréaction contre le greffon, protamine, etc [14]. La prise en charge comprend la phényléphrine, la noradrénaline et la vasopressine. Lorsque ces substances sont insuffisamment efficaces, le bleu de méthylène (1-2 mg/kg en 20 minutes) est une option rationnelle puisqu'il inhibe la synthèse du NO impliqué dans la vasplégie, mais il est contre-indiqué chez les patients sous NO [16]. Cependant, le bleu de méthylène possède une activité de type IMAO qui, en présence d'antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, peut conduire à une hyperactivité sérotoninergique dans le système nerveux central accompagnée d'agitation, de confusion, de myoclonies et d'instabilité du système autonome (hyperthermie, tachypnée, tachycardie) [10].
 
Le rejet hyperaigu est un événement heureusement rarissime, lié à des anticorps préformés contre le donneur; il s'agit le plus souvent d'une incompatibilité ABO non respectée. La performance ventriculaire s'effondre et commande une assistance circulatoire. Le traitement immunosuppresseur est massif et comprend toutes les catégories d'immunosuppresseurs: stéroïde (méthylprednisolone 1-2 g iv), globuline antithymocyte, anticorps monoclonal (basiliximab, alemtuzumab), inhibiteur de la calcineurine (tacrolimus) et anti-métabolite (mycophénolate mofétil). Une plasmaphérèse peut être tentée via le circuit de CEC. La situation est objectivée par une biopsie endomyocardique [6].
 
Le coeur transplanté est un bien précieux; tout doit être entrepris pour maintenir l’hémodynamique. La ténacité est de mise. En cas de défaillance ventriculaire, une contre-pulsion intra-aortique peut significativement améliorer la performance gauche, mais aussi améliorer la perfusion coronarienne du VD, toujours compromise lorsque ce dernier dilate sur une hypertension pulmonaire. En cas d’échec, une ECMO ou une assistance ventriculaire s’impose. 
 
Défaillance droite
 
Le risque hémodynamique principal en sortant de pompe est celui d'une insuffisance ventriculaire droite aiguë, à cause des résistances pulmonaires supranormales du receveur (PAPm ≥ 30 mmHg), auxquelles le coeur du donneur doit soudainement faire face; celles-ci peuvent encore augmenter en raison de la CEC (libération de cytokines, syndrome inflammatoire, etc) et de l'administration de protamine [33]. Pour le greffon, c’est l’équivalent d’une poussée hypertensive pulmonaire (HTAP). Le diagnostic de la décompensation droite, très fréquente après transplantation, se pose sur les éléments suivants.
 
  • Dilatation du VD dans le champ opératoire.
  • Augmentation de la PVC avec onde "v" proéminente.
  • Résistances artérielles pulmonaires (RAP) augmentées, pession artérielle pulmonaire élevée; en cas de dysfonction sévère du VD, la PAP n’est pas élevée car le ventricule est incapable de générer de hautes pressions.
  • Augmentation du gradient PAPmoy – PAPO.
  • A l’ETO : bascule du septum interauriculaire dans l’OG et du septum interventriculaire dans le VG, dilatation majeure des cavités droites, dysfonction de la paroi libre du VD, insuffisance tricuspidienne (IT) de grade > II (Figure 17.5) . Si le foramen ovale est perméable, la surpression de l'OD peut engendrer un shunt D-G cyanogène; le flux couleur et le test aux microbulles permettent de le confirmer.


    Vidéo: Défaillance droite après une transplantation cardiaque; le VD se dilate, l'insuffisance tricuspidienne est majeure, et l'OD est distendue comme en témoigne le bombement du septum interauriculaire dans l'OG.


Figure 17.5 : Evolution d’une dysfonction droite après transplantation cardiaque. A: insuffisance tricuspidienne (IT) degré II juste après la mise en charge. B: 11 minutes plus tard, l’IT a augmenté à un degré III ; le septum interauriculaire est clairement bombé dans l’OG (flèche verte), bien que le VD ne soit pas encore dilaté. Les flèches rouges indiquent les lignes de suture de l’OG.
 
La défaillance du VD pénalise la fonction du VG en diminuant sa précharge par baisse du retour veineux pulmonaire et par empiètement du septum interventriculaire repoussé à gauche en diastole par la dilatation droite. Le traitement de la poussée hypertensive pulmonaire et de l'insuffisance droite comprend plusieurs aspects, qui sont détaillés dans les Tableaux 17.5 et 17.6.
 
  • Ajustement de la précharge du VD selon la PVC: ↑ si hypovolémie ou ↓ si insuffisance congestive.
  • Abaissement de la postcharge du VD par vasodilatation pulmonaire: hyperventilation et alcalose respiratoire, NO, prostacyclines inhalées ou intraveineuses, milrinone inhalée ou intraveineuse.
  • Stimulation inotrope: dobutamine, milrinone + adrénaline, levosimendan.
  • Amélioration de l'aide éjectionnelle du VG au VD, de la position du septum interventriculaire et de la perfusion coronaire par vasoconstriction systémique (↑ RAS): noradrénaline, vasopressine. Cette augmentation de postcharge est d'autant plus nécessaire que les malades sont souvent vasoplégiques après la CEC. La contrepulsion intra-aortique abaisse la postcharge gauche mais améliore la perfusion coronaire.
  • Non-fermeture du péricarde et du sternum.
  • ECMO, assistance ventriculaire. 
     
 


A l'exception de l'alcalose respiratoire et de l'inhalation de vasodilatateurs, tous les agents qui baissent les RAP provoquent également une chute des résistances vasculaires systémiques [8]; aucun n'est spécifique. Ne pas refermer le péricarde ni le sternum est bénéfique en cas de dysfonction droite: le VD peut bénéficier au maximum de l'effet Starling en se dilatant, la compression du VG est diminuée, les pressions pulmonaires sont abaissées. Toutefois, cette mesure n’a en général que peu d’effet après transplantation, car le cœur du donneur est plus petit que le cœur explanté et le péricarde suffisamment vaste pour accommoder la dilatation ventriculaire. Le sevrage du NO est accompagné d'un effet rebond avec augmentation des RAP que l'on peut contrecarrer par la milrinone, le sildénafil ou l'Iloprost en inhalation. Comme les prostaglandines, ces derniers doivent être prolongés plusieurs jours dans le postopératoire [33]. 

Dysfonction primaire du greffon

La dysfonction primaire du greffon (DPG) est une défaillance biventriculaire qui survient dans les premières 24 heures sans cause apparente [13,17]. Comme la définition en est assez vague, l'incidence et la mortalité de cet événement restent très variables selon les séries (moyenne 7.5% et 7-20% respectivement) [13,30]. Cliniquement, la situation est une décompensation congestive avec FE < 0.4, PAPO > 20 mmHg, PVC > 15 mmHg et DC < 2.0 L/min/m2 [19]. Une fois la crise passée, la survie à long terme est identique à la moyenne. Les causes relèvent du donneur (âge, comorbidités, réanimation, instabilité), du receveur (âge, cardiopathie congénitale, insuffisance rénale ou hépatique, assistance circulatoire) et de la procédure (temps d'ischémie, mismatch antigénique, transfusions). Plusieurs facteurs de risque ont été mis en évidence [28]: 
 
  • POD > 10 mmHg;
  • Diabète;
  • Dépendance d'inotropes;
  • Age du donneur > 30 ans;
  • Age du receveur > 60 ans;
  • Durée d'ichémie > 240 minutes. 
     
En attribuant 1 point à chacune de ces données, on peut construire un score dont le nombre de points prédit le risque de souffrir de DPG: 1 point (8.3%), 2 pts (11%), 3 pts (24%), 4-6 pts (> 40%) [28]. Outre un traitement inotrope agressif, la prise en charge est basée sur une assistance circulatoire mécanique (contre-pulsion intra-aortique, ECMO, assistance ventriculaire) [13]. La durée du support hémodynamique est en moyenne de 5 jours avec une ECMO et de 14 jours avec une assistance ventriculaire. La mortalité et le taux de complications sont de moitié dans le premier cas par rapport au second, et les chances de sevrage sont respectivement de 60% et 90% [32]. En cas d'échec, la seule solution est une retransplantation [13,33].
 
 
 Anesthésie pour la greffe cardiaque (II)
A la mise en charge, la situation est dominée par le risque de défaillance droite, car la PAP du receveur est plus élevée que ne l’était celle du donneur. Dans ce cas, prévoir :
    - Hyperventilation normobarique + NO + iloprost nébulisé
    - Dobutamine
    - Milrinone et adrénaline, éventuellement levosimendan
    - Vasodilatation pulmonaire (prostaglandines)
    - Adaptation de la précharge du VD
    - Maintien de la pression systémique (nor-adrénaline, vasopressine, CPIA)
    - Assistance ventriculaire droite
    - Non fermeture du péricarde et du sternum
Les agents inotropes (milrinone + adrénaline) et les vasodilatateurs pulmonaires (NO, Iloprost) doivent être préparés pendant la CEC et mis en route avant la sortie de pompe à cause du risque de défaillance ventriculaire ou de RAP excessives (dysfonction ventriculaire droite et/ou gauche à l'ETO, ischémie du greffon > 4 heures, PAP élevée en préopératoire). 
 
Vasoplégie fréquente après la CEC: noradrénaline, vasopressine, éventuellement bleu de méthylène (contre-indiqué si utilisation de NO)
 
La dysfonction primaire du greffon (incidence 7%, mortalité 7-20%) est secondaire à plusieurs phénomènes :
    - Donneur: âge, dysfonction ventriculaire, ischémie coronarienne
    - Receveur: âge, diabète, POD > 10 mmHg, dépendance d'inotropes, insuffisance organique
    - Greffon: mauvaise préservation, durée d’ischémie > 4 heures, baisse de sensibilité aux amines béta
    - Procédure: mismatch antigénique, problèmes techniques survenus en CEC, transfusions


©  BETTEX D, CHASSOT PG, Janvier 2008, Dernière mise à jour, Avril 2018
 
 
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