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Lésions spécifiques

Situé juste derrière le sternum, le cœur est facilement lésé en cas de traumatisme thoracique perforant ou de traumatisme fermé, qu’ils soient liés à une arme, à un choc frontal, à une décélération brutale ou à un projectile venant de l’avant. On peut répartir les traumatismes cardiaques en trois catégories.
 
  • La commotion cardiaque;
  • La contusion cardiaque;
  • Les lésions organiques (perforation, rupture valvulaire, tamponnade, etc).
La fréquence des contusions cardiaques survenant lors de traumatisme thoracique est très difficile à estimer, car le diagnostic est peu précis et peu spécifique. Après traumatisme fermé, l'incidence est de 13-35% [3]; moins de 5% de ces contusions cardiaques nécessite un traitement particulier [7]. Les plaies perforantes sont beaucoup plus dangereuses: la mortalité est de 30% pour les patients qui arrivent vivants aux urgences; elle s'élève à jusqu'à 85% pour ceux qui sont arythmiques ou en dissociation électro-mécanique [1]. Un hémopéricarde avec tamponnade est présent dans 90% des cas des plaies par arme blanche ou des plaies par balle, qui sont elles-mêmes quatre fois plus dangereuses que les premières [11]. Les lésions les plus fréquentes portent par ordre décroissant sur le ventricule droit, le ventricule gauche, l'oreillette droite, le septum interventriculaire et l'oreillette gauche [2]. 
 
Le traumatisme cardiaque est codifié par ordre de gravité sur une échelle de 6 stades [5,9].
 
  • I (mineur): modifications ECG mineures, lésions thoraciques sans lésion cardiaque;
  • II (modéré): bloc de branche, sous-décalage ST, plaie tangentielle;
  • III (sérieux): ESV (> 6/min), lacération pariétale, lésion septale, rupture papillaire, insuffisance tricuspidienne, tamponnade;
  • IV (sévère): lésion du VD, de l'OD ou de l'OG, insuffisance aortique;
  • V (critique): lésion/perforation du VG, occlusion coronarienne proximale, perte tissulaire de < 50% du VD;
  • VI (maximal): avulsion cardiaque, perte de > 50% d'un ventricule. 
La mortalité globale est de 13.9%; elle atteint 43% pour les stades III à VI [5].
 
Commotion cardiaque
 
La commotio cordis est une fibrillation ventriculaire suivie de mort subite entraînée par un choc violent sur la zone précordiale. Cet accident survient le plus souvent chez des jeunes au cours de joutes sportives avec des balles dures à haute vélocité (baseball, hockey, pelotte basque, etc). Chez les athlètes blancs, c’est la troisième cause de mort après la cardiomyopathie hypertrophique et les cardiopathies arythmogènes. Son pronostic est catastrophique, mais la formation de secourisme et la présence de défribrillateurs dans les stades a réduit sa mortalité à environ 40-50% [8]. Trois conditions semblent requises pour déclencher la fibrillation ventriculaire.
 
  • La balle doit être petite, dure et très rapide (> 100 km/h);
  • L’impact doit être situé exactement en regard des ventricules, juste parasternal gauche;
  • Le choc doit avoir lieu pendant une étroite fenêtre de 10-20 msec pendant la phase ascentionnelle de l’onde T. Si le choc survient pendant le QRS, il peut entraîner un bloc complet.
Seule une défibrillation immédiate permet de sauver la victime. Le massage cardiaque externe et le coup de poing sur le thorax sont inefficaces. 
 
Contusion cardiaque
 
La contusion cardiaque est une entité un peu floue, liée à un traumatisme thoracique fermé secondaire à un choc sur la poitrine, à une décélération brutale ou à une compression du cœur entre le sternum et la colonne vertébrale. Elle est présente dans près de 35% des traumatismes thoraciques fermés [3]. Les risques immédiats sont essentiellement les arythmies et la dysfonction ventriculaire [10]. 
 
  • Arythmies : en général polymorphes, elle sont dues à un mécanisme de réentrée induit par la zone contuse dont la conduction électrique est anormale.
  • Dysfonction ventriculaire : le VD est le plus souvent atteint parce qu’il est la cavité la plus antérieure et parce qu’il est moins charnu que le VG. Cette dysfonction est péjorée par l’augmentation de postcharge droite due à la contusion pulmonaire et à la ventilation mécanique avec PEEP, très souvent nécessaire.
Le diagnostic est suspecté face à une fracture sternale ou à une fracture de côte antérieure, à un hémothorax ou à un pneumopéricarde (radiographie thoracique). Il est posé sur l’ECG, l’échocardiographie, le CT-scan et le taux d'enzyme cardiaque (CK-MB, troponines, BNP/NT-proBNP) (voir ci-après Diagnostic). Histologiquement, le myocarde contus est similaire au myocarde infarci; il cicatrise et se fibrose de la même manière, mais peut parfois évoluer vers l’anévrysme ou très rarement vers la rupture secondaire. La dysfonction ventriculaire causée par la contusion myocardique se résout en quelques semaines [4].
 
Le cœur peut subir des lésions similaires en cas de tempête sympathique secondaire à un traumatisme crânio-cérébral (TCC) ou à une hémorragie cérébrale (rupture d’anévrysme). On assiste à une vasoconstriction coronarienne intense, à des lésions myocardiques cellulaires et à une désensibilisation des récepteurs béta (non-réactivité aux catécholamines). Ce phénomène s’accompagne d’altérations électriques (ECG), de libération de troponine et de chute de la fonction ventriculaire [10].
 
Lésions organiques du traumatisme fermé
 
Les traumatismes venant en général de l'avant, les structures antérieures sont les plus exposées: ventricule droit, valve tricuspide, oreillette droite, insertion des veines caves. Le moment le plus dangereux pour la décélération est celui où la cavité est remplie de sang, car son énergie cinétique est maximale: en diastole pour les ventricules et en systole pour l’aorte. Une lésion cardiaque survient dans 2-3% des traumatismes thoraciques, avec une mortalité globale de 13.9% [5]. Toutes les structures cardiaques peuvent être touchées, et entraîner des complications requérant un traitement spécifique [3,5,10]. 
 
  • Hémopéricarde et tamponnade (30% des cas): toute déchirure d'une structure cardiaque y conduit. Les origines les plus fréquentes sont une rupture de la paroi libre du VD ou de la racine de l’aorte, et une désinsertion d’une veine cave ou d’une veine pulmonaire (Vidéo). Le diagnostic est suspecté en présence d'une tachycardie et d'une hypotension à pression de remplissage haute (distension jugulaire, PVC élevée), mais ce dernier point est facilement absent en cas d’hypovolémie ou de compression isolée par un thrombus. Le diagnostic est établi par l'échocardiographie. En urgence, le drainage de 50 mL de sang suffisent à décomprimer le cœur dans la mesure où le sang est encore liquide, mais les tamponnades traumatiques contiennent souvent des caillots et de la fibrine qui cloisonnent l'épanchement. 

     
    Vidéo: Vue court-axe transgastrique d'un hémopéricarde compressif avec thrombus à l'apex du VG.
     
  • Hémomédiastin (25% des cas): bien qu’il soit une lésion sans conséquence lorsqu’il est limité, il peut être le signe d’une rupture de gros vaisseaux et l’annonciateur d’une catastrophe hémorragique potentielle.
  • Rupture aortique (10% des cas): voir Lésions de l’aorte thoracique.
  • Lésions valvulaires (1-2% des cas):
    • Insuffisance tricuspidienne (IT): rupture de cordage ou déchirure de feuillet, souvent découverte ultérieurement. Elle ne réclame pas d'intervention en urgence si elle est isolée car elle est bien tolérée, mais une reconstruction secondaire par plastie et anneau prosthétique est nécessaire si l’IT est de degré ≥ III afin de protéger le VD de la dilatation (voir Figure 17.25) (voir Chapitre 11 Pathologie tricuspidienne) [12].
    • Insuffisance mitrale (IM): elle est beaucoup moins bien tolérée, et demande une correction chirurgicale rapide (plastie ou remplacement) si elle est sévère (≥ III, grande onde "v"); elle est également associée à des traumatismes plus violents pour déchirer des structures postérieures.
    • Insuffisance aortique (IA): caractérisée par une pression artérielle diastolique effondrée et encore moins bien tolérée que l'IM, l'IA est souvent associée à une déchirure traumatique de la racine de l'aorte; c'est une indication à opérer en urgence si elle est sévère.
  • La communication interventriculaire (CIV), la rupture cardiaque et les lésions coronariennes sont peu fréquentes dans le traumatisme fermé (< 2% des cas) ; elles sont plus souvent la conséquence de traumatismes ouverts (voir ci-dessous). 
Traumatismes ouverts
 
Les traumatismes pénétrants résultent le plus souvent d’une plaie par arme à feu ou par arme blanche, exceptionnellement d’une fracture de côte. Beaucoup de blessés ne parviennent jamais à l’hôpital parce que l’hémorragie est profuse ou les chambres cardiaques délabrées [11]. La clinique est dominée par la tamponnade, par l’hémorragie intrathoracique ou par la dysfonction ventriculaire. 
 
La rupture cardiaque est une lésion fréquente à l'autopsie, car la mortalité sur le site voisine 75%; elle est rare au déchocage, et sa mortalité dépasse 50% chez les patients qui présentent encore des signes vitaux à l’arrivée [6]. Elle concerne le plus souvent la paroi antérieure du VD ou l’OD, plus rarement le VG et l’OG, mais toute structure cardiaque peut être touchée. Il arrive que les plaies ventriculaires se referment par la contraction myocardique, mais ceci n’est jamais le cas dans l’oreillette. La coronaire la plus exposée est l'IVA. La lésion peut entraîner une tamponnade ou un infarctus. A long terme peut se développer une fistule avec une oreillette ou un ventricule, caractérisée par un shunt, une surcharge de volume, un vol coronarien, et un risque d'endocardite. La CIV se diagnostique à l'échocardiographie et s'objective par l'enrichissement de la saturation de l'hémoglobine dans l'artère pulmonaire.
 
Lorsque l’hémorragie est significative, les lésions directes du coeur sont une indication chirurgicale d’urgence. Des signes échocardiographiques de compression (caillot, hémopéricarde) et une tachycardie soutenue sont deux bons marqueurs de l’indication à explorer le péricarde en urgence, car la tachycardie signifie que le volume systolique est devenu si faible que seule l’augmentation de la fréquence permet de maintenir un débit cardiaque minimal.
 
Le diagnostic est posé par l’échocardiographie; la voie transoesophagienne a une sensibilité supérieure à la voie transthoracique (voir Diagnostic). Le meilleur abord chirurgical est la sternotomie médiane, qui donne un excellent accès aux cavités cardiaques et à l’aorte ascendante. La thoracotomie gauche est nécessaire pour la chirurgie de l’aorte descendante. Dans les pires circonstances, une thoraco-sternotomie antérieure bilatérale (clam-shell) offre un accès maximal aux structures thoraciques. Ces interventions sont évidemment très hémorragipares et les reprises secondaires sont fréquentes. La mortalité opératoire est de l’ordre de 30% [11].
 
Les séquelles tardives ne sont pas rares: syndrome post-péricardotomie, insuffisances valvulaires, shunts ou fistules (CIV, fistules coronariennes), pseudo-anévrysmes ventriculaires.

 
 
Traumatisme cardiaque
Contusion cardiaque : diagnostic imprécis
    - Incidence : 30% des traumatismes fermés du thorax
    - Le plus souvent lésé : paroi libre du VD
    - Conséquences principales : arythmies et dysfonction ventriculaire 
    - Diagnostic : ECG, troponine I élevée, échocardiographie transoesophagienne
 
Lésions organiques du cœur en cas de traumatisme fermé du thorax
    - Hémopéricarde : 30% (rupture du VD, de l’OD, désinsertion de veine cave ou pulmonaire)
    - Hémomédiastin : 25%
    - Rupture aortique : 10%
    - Lésions valvulaires, lésions coronariennes, CIV : 3%
 
Traumatisme direct (arme à feu, arme blanche, fracture de côte) 
    - Plaie précordiale = suspicion de lésion cardiaque 
    - Si choc hémorragique ou restrictif (tamponnade) : urgence chirurgicale


©  BETTEX D, CHASSOT PG, Janvier 2008, Dernière mise à jour, Avril 2018
 
 
Références
 
  1. ARENSIO JA, BERNE JD, DEMETRIADES D, et al. One hundred five penetrating cardiac injuries: A 2-year prospective evaluation. J Trauma 1998; 44:1073-82
  2. BAUM VC. The patient with cardiac trauma. J Cardiothorac Vasc Anesth 2000; 14:71-81
  3. CHIRILLO F, TOTIS O, CAVARZERANI A, et al. Usefulness of transthoracic and transesophageal echocardiography in recognition and management of cardiovascular injuries after blunt chest trauma. Heart 1996; 75:301-6
  4. FRAZEE RC, MUCHA P, FARNELL MB, MILLER FA. Objective evaluation of blunt cardiac trauma. J Trauma 1999; 26:510-19
  5. HANSCHEN M, KANZ KG, KIRCHHOFF C, et al. Blunt cardiac injury in the severely injured – A retrospective multicentre study. PLoS ONE 2015; 10:e0131362
  6. IVATURY RR, ROHMAN M, STEICHEN FM, et al. Penetrating cardiac injuries: Twenty-year experience. Ann Surg 1987; 53:310-7
  7. MAENZA RL, SEABERG D, D'AMICO F. A meta-analysis of blunt cardiac trauma: myocardial contusion. Am J Emerg Med 1996; 14:237-41
  8. MARON BJ, ESTES NAM. Commotio cordis. N Engl J Med 2010; 362:917-27
  9. MATTOX KL, FLINT LM, CARRICO CJ, et al. Blunt cardiac injury. J Trauma 1002; 33:649-50
  10. ORLIAGUET G, FERJANI M, RIOU B. The heart in blunt trauma. Anesthesiology 2001; 95:544-8
  11. ORLIAGUET G, RIOU B. Lésions traumatiques du coeur. Paris: Elsevier et SFAR 2002; 71-86
  12. ZHANG Z, YIN K, DONG L, et al. Surgical management of traumatic tricuspid insufficiency. J Card Surg 2017; 32:342-6