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Prise en charge

L'insuffisance aortique (IA) aiguë a deux étiologies principales: l'endocardite avec destruction des feuillets de la valve, et la dissection de l'aorte avec désinsertion de feuillets. La dissection de l'aorte s'accompagne souvent d'hémopéricarde et de tamponnade; elle est abordée dans le Chapitre 18  (Chirurgie de l'aorte ascendante) (Vidéo). L'endocardite, dans 80% due aux staphylocoques dorés ou aux streptocoques viridans, atteint le plus souvent la valve aortique (60% des cas), moins fréquemment la mitrale (30%) et rarement la tricuspide [4]. La destruction valvulaire peut être très rapide et déclencher une insuffisance aiguë incompatible avec la survie (Vidéo et Figure 17.16). La présence d'abcès myocardique peut occasionner des blocs atrio-ventriculaires. 


Vidéo: Vue long-axe de la racine aortique dans une dissection A; la membrane ("flap") protrude à travers la valve aortique en diastole, occasionnant une insuffisance majeure.


Vidéo: Végétation pendulaire sur la cuspide non-coronaire dans une endocardite aortique (vue long-axe); les deux cuspides visibles sont atteintes et ne coaptent pas en diastole.
 

Figure 17.16: Insuffisance aortique (IA) aiguë lors d'une endocardite. A: Vue long-axe à l'échocardiographie transoesophagienne; la flêche désigne un végétation, la valve est dévorée par une endocardite aiguë. B: Vue long-axe du même patient avec le Doppler couleur; le jet de l'IA remplit tout le ventricule gauche en diastole. 
 
Le VG normal ne peut pas accommoder l'accroissement soudain de volume que représente le remplissage diastolique sous pression par la régurgitation aortique; il dilate jusqu'à la butée contre le péricarde, et la pression diastolique s'élève. Comme le volume systolique total ne peut pas augmenter suffisamment, le débit antérograde effectif diminue. La stimulation sympathique centrale induite par le bas débit provoque une vasoconstriction périphérique qui aggrave la régurgitation. Ainsi, contrairement à l'IA chronique, le pouls périphérique est faible. La pression diastolique du VG augmente si rapidement par le remplissage rétrograde qu'elle est supérieure à celui de l'OG en cours de diastole: la mitrale se ferme alors prématurément [1]. En raison de la dilatation ventriculaire et de l'IA dirigée vers le feuillet septal de la mitrale, cette dernière n'est plus étanche et fuit: on observe une régurgitation mitrale systolique et parfois diastolique [3]. L'élévation des pressions gauches va conduire à une stase pulmonaire et à l'OAP. La fermeture prématurée de la mitrale empêche d'estimer la pression de remplissage du VG à partir de la PAPO lorsqu'un cathéter pulmonaire de Swan-Ganz est en place. L'effondrement du gradient de pression diastolique entre l'aorte et le VG compromet évidemment la perfusion coronarienne; le risque d'ischémie est important, même si les coronaires ne présentent pas d'atteinte particulière.
 
Comme la mortalité du traitement conservateur est de 90%, la seule thérapeutique est chirurgicale: remplacement valvulaire aortique (RVA) en urgence [2]. La survie immédiate est assurée par un traitement médical agressif portant sur les points suivants [5].
 
  • Soutien inotrope positif: dobutamine, adrénaline + milrinone; la contrepulsion intra-aortique est formellement contre-indiquée, car l'augmentation de la PA diastolique conduit à une aggravation de la régurgitation.
  • Vasodilatation artérielle systémique: perfusion de nitroprussiate; la limite est le maintien d'une pression de perfusion coronarienne adéquate.
  • Maintien d'une fréquence élevée (80-90 batt/min): le raccourcissement de la diastole diminue le volume fuyant dans le VG à chaque battement et freine la dilatation ventriculaire; même si le débit/minute antérograde n'est pas modifié, la tachycardie réduit la fraction régurgitée par cycle cardiaque.
  • Maintien de la précharge à un niveau élevé.
  • Antibiothérapie.
Malgré la bactériémie active et la présence éventuelle d'abcès, la mise en place d'une prothèse valvulaire en urgence est indiquée. La mortalité opératoire est de 5-10% [5]. 
 
Anesthésie
 
Quelques points règlent la manière de conduire l'anesthésie.
 
  • Postcharge: une vasodilatation artérielle systémique est absolument nécessaire; toute augmentation des résistances augmente la fraction régurgitée. Le nitroprussiate de Na est l'agent de choix; on peut aussi utiliser un bloqueur alpha en bolus comme la phentolamine (Régitine®). Les anticalciques ont des effets inotrope et chronotrope négatifs qui sont néfastes. 
  • Précharge: doit être élevée pour compenser le volume régurgitant; en cas de menace ischémique, la nitroglycérine risque d'effondrer le débit cardiaque.
  • Fréquence élevée: la tachycardie raccourcit la diastole, donc fractionne la durée et le volume de régurgitation; le volume télédiastolique ventriculaire baisse, et la PA diastolique augmente; même si cela paraît contradictoire, la perfusion coronaire est améliorée. La fréquence idéale voisine 80-90 battements/minute.
  • Contractilité: doit être améliorée; la fraction d'éjection est un mauvais critère si la postcharge est basse; les agents de choix sont des amines à effet béta pur (dobutamine, isoprénaline), milrinone, levosimendan; l'isoprénaline a un effet vasodilatateur systémique et pulmonaire mais un risque élevé de tachyarythmies. 
  • Résistances pulmonaires: normales tant qu'il n'y a pas d'insuffisance mitrale ni de décompensation ventriculaire droite.
  • Hémodynamique recherchée: plein – rapide – ouvert.

Technique d'anesthésie recommandée pour le remplacement valvulaire aortique d'urgence en CEC.
 
  • Induction
    • Etomidate : seul agent n’altérant ni la précharge, ni la postcharge, ni la contractilité, il est recommandé s’il existe une dysfonction ou une dilatation du VG.
    • Midazolam : adéquat, la baisse du tonus sympathique central entraîne une diminution des RAS ; le risque est une légère bradycardie.
    • Fentanils : administration lente à cause de la bradycardie ; fentanyl et sufentanil sont adéquats, mais le rémifentanil est déconseillé.
    • Eviter une poussée hypertensive à l’intubation avec une anesthésie topique du larynx et de la trachée.
    • Curare : pancuronium. 
  • Maintien de l’anesthésie : rechercher la baisse des RAS et éviter la bradycardie.
    • Isoflurane : agent de choix (↓ RAS et tachycardie) ; sevoflurane : peu d’effet sur les RAS.
    • IPPV ± PEEP (< 8 cm H2O) : bénéfique pour le VG pour autant que le retour veineux soit maintenu.
    • Hypotension systémique : ↑ volume (perfusions), éphédrine ; pas de vasopresseur α.
  • Eviter la bradycardie qui est le risque le plus dangereux.
  • Diminuer les RAS (↓ IA), mais éviter une hypotension diastolique qui compremettrait la perfusion coronarienne, notamment s’il existe des signes d’ischémie.
  • Soutenir la performance contractile; 
    • Dobutamine ;
    • Inodilatateur : milrinone (± adrénaline), levosimendan.
  • Monitorage ETO : 
    • Taille et fonction du VG, degré de dilatation, cinétique segmentaire, fonction du VD ;
    • Evaluation de la volémie ; 
    • Valve aortique : type de lésion, dilatation de la racine de l’aorte, possibilité de conserver la valve, faisabilité d’une plastie ;
    • Post-CEC : fonctionnement de la prothèse, fuite paravalvulaire, IA résiduelle, IM.
  • Cathéter artériel pulmonaire : nécessaire pour évaluer la PAPO et le VS effectif.
    • PAPO : elle traduit la pression capillaire pulmonaire (stase), mais sous-estime la pression diastolique du VG (élevée) en cas de fermeture prématurée de la valve mitrale par la régurgitation aortique ; très utile pour évaluer la PPC en cas d’ischémie (PPC = PAM – PAPO) ;
    • Mesure du VS antérograde, du DC systémique et de la SvO2 (adéquation aux besoins métaboliques) ;
    • Mesure de la PAP si HTAP ou défaillance droite.
  • ScO2 : évaluation du transport d'O2 en périphérie.
 
 
Insuffisance aortique aiguë
Origines principales : dissection/anévrysme de l’aorte ascendante, endocardite aiguë
 
Hémodynamique à rechercher
    - Vasodilatation systémique
    - Fréquence cardiaque élevée (80-90 batt/min)
    - Précharge élevée
    - Stimulation inotrope sans effet alpha (catécholamines béta, inodilatateur)
La contre-pulsion intra-aortique est formellement contre-indiquée


©  BETTEX D, CHASSOT PG, Janvier 2008, Dernière mise à jour, Avril 2018
 
 
Références
 
  1. BRAUNWALD E, BURTON ES. Coronary blood flow and myocardial ischemia. In: BRAUNWALD E, ed. Heart disease. A textbook of cardiovascular medicine. 4th edition Philadelphia, WB Saunders, 1992, 1161-99
  2. COHN LH, BIRJINIUK V. Therapy of acute aortic regurgitation. Cardiac Clin 1991; 9:339-47
  3. DOWNES TR, NOMEIR AM, HACKSHAW BT, et al. Diastolic mitral regurgitation in acute but not chronic regurgitation: Implications regarding the mechanism of mitral closure. Am Heart J 1989; 117:1106-10
  4. MANN T, MCLAURIN LP, GROSSMAN W, et al. Assessing the hemodynamic severity of acute aortic regurgitation due to infective endocarditis. N Engl j Med 1975; 293:108-12
  5. NISHIMURA RA, OTTO CM; BONOW RO, et al. 2014 AHA/ACC Guideline for the management of patients with valvular heart disease. Circulation 2014; 129:e521-643