Step 6 of 8

Immunosuppression

Réponse immunitaire
 
Les lymphocytes T du receveur reconnaissent les molécules étrangères à la surface des cellules du greffon; ce contact les active et les pousse à sécréter des cytokines de type interleukine (IL-2). Celles-ci vont à leur tour activer des monocytes et des lymphocytes T cytotoxiques (rejet cellulaire) et/ou des lymphocytes B qui produisent des anticorps dirigés contre les antigènes du tissu étranger (rejet humoral) [16]. Les immunosuppresseurs vont interférer avec ce schéma à différents niveaux (Tableau 17.7). 
 
  • Les globulines antithymocytes ou ATG (Thymoglobuline®) et les anticorps monoclonaux comme le basiliximab (Simulect®) ou l'alemtuzumab (Compath®) bloquent les récepteurs des interleukines. Ces substances sont dites d'induction, car elles sont administrées immédiatement après la mise en place du greffon pour diminuer les dangers de rejet aigu chez les receveurs à haut risque (30-50% des cas); elles ne sont prescrites que chez un tiers des patients car leur bénéfice en terme de survie est indécis [6,14].
  • L’expression des gènes des interleukines dans les lymphocytes T est inhibée par la ciclosporine A (Sandimmun®) et le tacrolimus (Prograf®, Advagraf®), deux agents anti-calcineurine.
  • La synthèse des brins d’ADN lors de la division cellulaire des lymphocytes peut être bloquée par l’azathioprine (Imurek®) et le mycophénolate (Cellcept®, Myfortic®), qui sont des agents antiprolifératifs ou antimétabolites.
  • L’interaction entre l’interleukine et son récepteur active une enzyme importante de la division cellulaire (mTOR, mammalian target of rapamycin) ; ainsi, le passage de la phase G1 à la phase S de la division cellulaire est inhibé par le sirolimus (rapamycine, Rapamune®) et l’everolimus (Certican®) dans toutes les cellules en prolifération. Ces deux substances protègent contre la vasculopathie du greffon, mais potentialisent la néphrotoxicité des inhibiteurs de la calcineurine, ralentissent la cicatrisation et induisent une thrombopénie [17]. Elles ne sont pas en première ligne de l'immunosuppression clinique, mais sont plutôt réservées aux cas qui développent une coronaropathie ou des néoplasies.
  • La prednisone inhibe l’expression des gènes codant pour les cytokines; elle a des effets anti-inflammatoires puissants. La méthylprednisolone (Solumédrol® 500-1'000 mg) est la forme intraveineuse prescrite comme premier médicament au déclampage de l'aorte.
 

 
Immunosuppression clinique
 
L’immunosuppression doit être particulièrement puissante pendant la phase précoce, lorsque la réponse immunitaire est la plus forte. Elle peut devenir moins aggressive au fur et à mesure que le temps passe sans rejet. C’est la raison pour laquelle certains centres pratiquent un traitement d’induction avec la globuline anti-thymocyte ou le basiliximab additionnés de corticothérapie à haute dose pendant les trois premiers jours. Cette technique a l’avantage de retarder la mise en route des substances néphrotoxiques comme les inhibiteurs de la calcineurine et de diminuer l’incidence des rejets cellulaires pendant la première année; mais elle s’accompagne d’une certaine augmentation des épisodes infectieux et peut-être des néoplasies [5]. Beaucoup de centres ont renoncé à démarrer la perfusion de thymoglobuline avant la sortie de CEC à cause de ses effets hémodynamiques puissants (vasoplégie, cardiodépression) et ne la débutent qu’après stabilisation aux soins intensifs.
 
L’immunosuppression idéale est un fragile équilibre entre le risque de rejet et celui d’infection ou de néoplasie. Actuellement, elle est essentiellement basée sur une triple association: un inhibiteur de la calcineurine (de préférence tacrolimus), un agent antiprolifératif (mycophénolate) et un stéroïde (prednisolone) [5,16]. Les doses de ces substances sont progressivement dégressives au cours de la première année, selon le degré de tolérance vis-à-vis du greffon.
 
  • La ciclosporine A avait révolutionné la transplantation lors de son introduction en 1981, mais elle a des effets secondaires importants : néphrotoxicité, tremblements, hypertension artérielle, hirsutisme, troubles électrolytiques. Elle est remplacée par le tacrolimus, qui est sensiblement plus efficace et qui présente moins d'effets secondaires [3,15].
  • Le mycophénolate mofétil (Cellcept®) et l’acide mycophénolique (Myfortic®) ont remplacé l’azathioprine (Imurek®) dans la majorité des cas, car ils ont réduit de moitié la mortalité à 1 an, diminué de 12% les épisodes de rejets aigus et baissé de 25% l’incidence de vasculopathie coronarienne du greffon [4].
  • La prednisone, inhibitrice des cytokines et anti-inflammatoire, affiche une liste impressionnante d'effets secondaires sur le long terme, qui incite à en sevrer progressivement les patients entre 6 et 24 mois, ce qui peut être le cas chez 76% des malades [8].
 
En peropératoire, le traitement consiste en une induction par deux substances: 
 
  • Méthylprednisolone (Solumédrol®), 500-1000 mg en CEC avant le déclampage de l'aorte;
  • Thymoglobuline: 1-4 mg/kg; substance sèche à diluer dans 500 ml NaCl 0.9%; administrer sur 6 heures par voie centrale, éventuellement précédé de clémastine (Tavegyl® 2 mg iv); débuter 30 minutes après le Solumédrol, ou après stabilisation hémodynamique aux soins intensifs.
L'immunosuppression postopératoire est en constante évolution. L'exemple mentionné dans le Tableau 17.8 est une synthèse des protocoles utilisés actuellement en Suisse. 
 

Suivi de l’immunosuppression
 
Le monitorage de l’immunosuppression est axé sur la biopsie endomyocardique (cathétérisme par voie veineuse jugulaire interne droite ou fémorale). La classification histologique est mentionnée dans le Tableau 17.9. Le rythme des biopsies est le même que celui des échocardiographies de contrôle.
 
  • 1er mois :         chaque semaine;
  • Mois 2-3 :         toutes les 2 semaines;
  • Mois 4-6 :         toutes les 3-4 semaines;
  • Mois 6-12 :       toutes les 6-8 semaines;
  • Mois 12-24 :     tous les 2-3 mois;
  • Mois 25-60 :     tous les 6-8 mois;
  • > 5 ans :          une fois par année. 
Il existe d’autres moyens pour suivre l’efficacité de l’immunosuppression [2,5,11,16].
 
  • Le taux sérique des substances immunosuppressives ; à noter que la réponse individuelle est très variable.
  • La détection d’anticorps anti-HLA donneurs-spécifiques dans le sérum et du fragment C4d du complément au niveau des capillaires biopsies.
  • Test de l’ATP libéré par les lymphocytes activés (ImmuKnow™), peu sûr. 
  


Rejet aigu
 
Le rejet aigu survient chez environ un quart des patients, mais il est responsable de 12% des décès survenus pendant les deux premières années [12]. Il est le fruit de deux mécanismes différents [2,5,13,14]. 
 
  • Rejet cellulaire, au cours lequel les cellules T effectrices produisent une réaction inflammatoire et une lyse cellulaire du greffon; c’est le phénomène prédominant.
  • Rejet humoral, dans lequel les allo-anticorps du receveur dirigés contre les antigènes HL-A de surface du donneur attaquent l’endothélium du greffon. Les anticorps induisent l'activation locale de la cascade du complément qui provoque les lésions tissulaires. Il en résulte un processus inflammatoire caractérisé par une activation de l'endothélium, un relargage de cytokines, une infiltration locale de macrophages, une augmentation de la perméabilité capillaire et des thromboses microvasculaires [2]. Cette voie est significative chez les patients hypersensibilisés, notamment par des grossesses, des infections virales (CMV) ou des transfusions, qui sont porteurs de nombreux anticorps préformés contre le système HL-A.
La crise de rejet est rare pendant la première semaine post-opératoire, et survient le plus souvent pendant les six premiers mois (10-30% des cas); son incidence diminue par la suite. La présentation clinique va de la simple dysfonction ventriculaire au choc cardiogène [2,7,9]. 
 
  • Signes d'insuffisance cardiaque s'aggravant rapidement: tachycardie, hypotension, cardiomégalie;
  • Baisse de l'amplitude des complexes QRS à l'ECG, développement d'arythmies et déviation axiale, troubles diffus de la repolarisation;
  • A l'échocardiographie, dysfonction ventriculaire droite et/ou gauche, hypokinésie, dysfonction diastolique restrictive;
  • Clinique: fièvre, inappétence, fatigue, perte pondérale. 
Le diagnostic de certitude se pose par la biopsie myocardique. Le rejet cellulaire aigu est caractérisé par un infiltrat inflammatoire où prédominent les lymphocytes et les macrophages et par des lésions cellulaires des myocytes allant jusqu’à la nécrose. On distingue plusieurs stades [13].
 
  • Stade 0 : pas d’évidence d’infiltrat inflammatoire ni de nécrose cellulaire ; pas de rejet.
  • Stade 1 (rejet léger) : infiltrat mononucléaire (lymphocytes/histiocytes) périvasculaire et/ou interstitiel ; il peut exister un foyer de lésion cellulaire par coupe.
  • Stade 2 (rejet modéré): deux ou davantage de foyers de cellules mononucléaires associés à des lésions cellulaires des myocytes.
  • Stade 3 (rejet sévère): processus inflammatoire diffus, avec de multiples zones de lésions cellulaires des myocytes, présentes dans la majorité des fragments biopsiques.
Le rejet humoral aigu survient chez des malades présensibilisés et porteurs d’antigènes préformés. On distingue des lésions capillaires avec œdème de l’endothélium et accumulation de macrophages intravasculaires. Cette image doit être confirmée par immunohistochimie (immunofluorescence des IgG, IgM, IgA, du complément C3d et C4d, coloration des macrophages et des capillaires) [2].
 
Immunosuppression du rejet aigu
 
Le rejet se définit sur la base de 2 examens: la biopsie myocardique et l'échocardiographie. Les stades de rejets sont définis d'après la nomenclature de l'International Society for Heart and Lung Transplantation [1,2,13]. Les critères de traitement et le protocole d'immunosuppression en cas de rejet cellulaire font l'objet du Tableau 17.9. Dans le rejet humoral, deux mesures supplémentaires peuvent s'ajouter à l'inhibition des lymphocytes T et B: l'extraction des allo-anticorps par plasmaphérèse et leur inhibition par les immunoglobulines IGg [2].
 
Complications du traitement immunosuppresseur
 
Leur efficacité même rend les immunosuppresseurs actuels dangereux pour une série de processus physiologiques comme la défense infectieuse, le renouvellement des muqueuses ou la coagulation. La complication majeure est évidemment l’affaiblissement des résistances vis-à-vis des agressions infectieuses et du développement des tumeurs. La moitié des transplantés présente des épisodes infectieux, dont 37% sont considérés comme sévères; dans la série du CHUV, les agents responsables sont des virus (36% des cas), des bactéries (27%), des champignons (15%) et des protozoaires (4%). Ils sont à l’origine de 25% des décès [10]. Un antimycosique est souvent nécessaire pour prévenir les mycoses gastro-intestinales et le cotrimoxazole pour la prophylaxie des infections à Pneumocystis.
 
 
 Immunosuppression
L’immunosuppression est basée sur cinq types de substances
    - Corticostéroïde (méthylprednisolone) en doses dégressives (sevrage en 1-2 ans)
    - Inhibiteurs de la calcineurine (ciclopsporine A, tacrolimus)
    - Inhibiteurs du mTOR (sirolimus, everolimus)
    - Inhibiteurs de la synthèse d’ADN (mycophénolate mofétil, acide mycophénolique)
    - Anticorps monoclonaux anti-lymphocytes (thymoglobuline, basiliximab) pour une induction immunosuppressive pendant les 3 premiers jours
La combinaison la plus classique est la triple association d’un anti-calcineurine (ciclosporine ou tacrolimus), de mycophénolate et de prednisolone.
 
Les complications majeures de l’immunosuppression sont liées à la baisse des défenses immunitaires (infections et néoplasies) et au frein du renouvellement cellulaire (thrombopénie, lésions muqueuses)


©  BETTEX D, CHASSOT PG, Janvier 2008, Dernière mise à jour, Avril 2018
 

Références
 
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  2. COLVIN MM, COOK JL, CHANG P, et al. Antibody-mediated rejection in cardiac transplantation. Emerging knowledge in diagnosis and management. A scientific statement of the American Heart Association. Circulation 2015; 131:1608-39
  3. GUETHOFF S, MEISER BM, GROETZNER J, et al. Ten-year results of a randomized trial comparing tacrolimus versus cyclosporine A in combination with mycophenolate mofetil after heart transplantation. Transplantation 2013; 95:629-34
  4. HAMOUR IM, LYSTER HS, BURKE MM, et al. Mycophenolate mofetil allow cyclosporin and steroid sparing in de novo heart transplant patients. Transplantation 2007; 83:570
  5. HUNT SA, HADDAD F. The changing face of heart transplantation. J Am Coll Cardiol 2008; 52:587-98
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  7. LUND LH, EDWARDS LB, KUCHERYAVAYA AY, et al. The Registry of the International Society for Heart and Lung Transplantation: thirty-second official adult transplant report – 2015: focus theme: early graft failure. J Heart Lung Transplant 2015; 34:1244-54
  8. OAKS TE, WANNENBERG T, CLOSE SA, et al. Steroid free maintenance immunosuppression after heart transplantation. Ann Thorac Surg 2001; 72:102-6
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  13. STEWART S, WINTERS GL, FISHBEIN MC, et al. Revision of the 1990 Working Formulation for the Standardization of nomenclature in the diagnosis of heart rejection. J Heart Lung Transplant 2005; 24:1710-20
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  15. YE F, YING-BIN X, YU-GUO W, et al. Tacrolimus versus cyclosporin microemulsion for heart transplant recipient: a meta-analysis. J Heart Lung Transplant 2009; 28:58-66
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