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Sevrage rapide (fast-track)

L'assistance ventilatoire prolongée impose la présence du tube endotrachéal qui est en lui-même une cause majeure de complications broncho-pulmonaires (voir Complications pulmonaires). D'autre part, le coût et la durée du séjour en soins intensifs sont un facteur économique qui devient de plus en plus important et oblige à raccourcir le temps de passage du malade [2,8]. Ces impératifs ont montré qu’il existe une fenêtre d’opportunité pour l’extubation, au moment où le patient est réchauffé, réveillé et stable, mais avant que le tube ne représente une gène et soit la cause de complications pulmonaires, c’est-à-dire entre la 1ère et la 8ème heure [7]. Dans l’attente, le malade est ventilé préférentiellement sur le mode Adaptative Support Ventilation (ASV), dans lequel le ventilateur adapte la pression inspiratoire pour assurer une valeur prédéfinie de ventilation/minute (vol/min). Il est recommandé d’utiliser un volume courant inférieur à 10 mL/kg [9].
 
Les définitions du circuit rapide (fast-track) varient quelque peu. Une extubation dans les 8 heures correspond déjà à du fast-track dans beaucoup de centres américains, alors que ce terme est réservé à un sevrage ventilatoire entre 0 et 4 heures dans les pays européens (en Amérique du Nord: ultra-fast-track). Le circuit rapide présuppose une infrastructure hospitalière adaptée: passage rapide en unité de surveillance intensive postopératoire, transfert accéléré en chambre, séjour hospitalier inférieur à 1 semaine [5,6]. Pour être efficace sur le plan logistique, le patient en circuit rapide doit être opéré en début de matinée et l'intervention terminée avant midi. Il peut alors quitter les soins intensifs en fin d'après-midi pour rejoindre une unité de surveillance continue à l'étage. De cette manière, sa place en soins intensifs est disponible pour un cas lourd opéré en deuxième position. Il est évident que ce système à flux tendu ne fonctionne qu'en absence de toute complication anesthésique ou chirurgicale et pour autant que la place soit disponible aux soins intensifs et à l'étage d'hospitalisation, mais on peut s'attendre à une baisse des coûts de l'ordre de 25% par rapport à une hospitalisation standard [12,14].
 
La possibilité de réveil rapide et d'extubation à ≤ 4 heures (pour autant que les critères d’extubation soient remplis) est réservée aux patients à risque faible à modéré et fonction ventriculaire conservée, subissant des interventions simples ou minimalement invasives qui se sont déroulées sans incident (Tableau 23.1) [1,3,12].
 

 
  • Patients de < 75 ans pour opérations courantes.
  • Cardiopathie sans altération majeure de la fonction ni de la géométrie ventriculaire; fraction d'éjection ≥ 0.5 (ou > 0.4 en cas de β-bloquage); PAP normale pour l'âge.
  • Angor stable.
  • Absence de comorbidité majeure.
  • Interventions électives: pontages aorto-coronariens (PAC ≤ 3) ou RVA simples, plastie mitrale sans dilatation du VG, fermeture de CIA, de FOP ou de CIV simples.
  • Chirurgie à cœur battant ou CEC de < 100 minutes; clampage aortique < 90 minutes.
  • Technique opératoire rapide et atraumatique, chirurgie minimalement invasive.
  • Hypothermie légère (≥ 34°C) ou normothermie; réchauffement > 36° en fin d'opération.
  • Technique d'anesthésie et prise en charge peropératoire adaptées au circuit rapide (voir ci-dessous).
  • Contre-indications:
    • Patient débilité, psychiquement ou neurologiquement inadéquat;
    • Coagulopathie, traitement antithrombotique préopératoire autre que l'aspirine;
    • Hémorragie en cours;
    • Comorbidités majeures;
    • Dysfonction ventriculaire, assistance ventriculaire, angor instable, polyvalvulopathie, hypertension pulmonaire;
    • Reprise, urgence;
    • Intervention complexe ou combinée, chirurgie aortique, endocardite; 
    • Longue CEC, hypothermie, arrêt circulatoire; 
    • Indisponibilité du personnel ou des structures hospitalières.
L'extubation en salle d'opération est possible, mais elle est moins confortable pour le patient que dans une salle de soins. Pour remplir les critères d'extubation, elle ralentit le programme opératoire; or l'heure de salle d'opération coûte beaucoup plus cher que l'heure de soins intensifs. D'autre part, un réveil dans l'heure qui suit l'opération ne modifie pas le pronostic ni la durée de séjour en unité intensive par rapport à une extubation immédiate [4,11]. Le patient est pris en charge dans les soins postopératoires par un personnel entrainé à ce type de chirurgie selon un protocole d'antalgie, et de physiothérapie bien établi [5,15]. 
 
  • Disponibilité médicale de soins intensifs.
  • Monitorage hémodynamique complet.
  • Laboratoire au lit du malade (gazométrie, électrolytes, glycémie, ACT, thromboélastographie).
  • Extubation dans les deux heures après l'arrivée de salle d'opération selon les critères de routine.
  • Ventilation non-invasive (NIV), CPAP au masque (5 cmH2O).
  • Physiothérapie respiratoire.
  • Antalgie (score de douleur < 4): 
    • Opiacé en PCA (selon protocole intitutionnel);
    • Tramadol (Tramal®), 100 mg iv 3-4 x/24 heures;
    • Kétorolac (Toradol®), 30 mg iv 3x/24 heures; dose maximale: 90 mg/24 heures pendant 2 jours;
    • Paracétamol, 1 g iv toutes les 6-8 heures;
    • Blocs de champ, infiltrations d'anesthésique local.
  • Sédation: dexmédétomidine (Dexdor®, Precedex® 0.2 – 0.7 mcg/kg/heure).
  • Absence de frissons: normothermie; si frissons: péthidine (Dolantine®, Demerol®, 25 mg).
  • Traitement anti-émétique: métoclopramide (Primperan® 10 mg iv), odansétron (Zofran® 2-4 mg iv en 10 min).
  • Réhabilitation active, mobilisation précoce.
  • Reprise alimentaire dès 24 heures.
 
Lorsque les conditions requises sont remplies, la technique d'anesthésie doit dès l'induction être adaptée à un réveil rapide et à une extubation dans les deux premières heures postopératoires [5]. 
 
  • Induction au propofol (1.0-2.0 mg/kg); en AIVOC, la valeur-cible est 2-4 mcg/mL; maintien au propofol (2-10 mg/kg/heure ; valeur-cible : 1-3 mcg/mL).
  • Induction au propofol et maintien au sevoflurane ou à l’isoflurane (≥ 1 MAC) en cas de revascularisation coronarienne (bénéfice du préconditionnement).
  • Intubation: spray laryngé de lidocaïne 4% pour réduire la poussée hypertensive.
  • Analgésie: doses réduites d'opiacés.
    • Fentanyl: < 15 mcg/kg total;
    • Sufentanil: 0.5 mcg/kg à l'induction puis perfusion 0.25 mcg/kg/h;
    • Rémifentanil: perfusion 0.2 – 1.0 mcg/kg/min;
    • Blocs intercostaux, infiltration parasternale intercostale, blocs paravertébraux.
  • Alternative pour l'analgésie: péridurale cervico-thoracique (bupivacaïne-fentanyl) ou rachi-analgésie (sufentanil-morphine) (voir Chapitre 4 Anesthésie loco-régionale).
  • Curare: rocuronium (0.6-1.0 mg/kg, entretien 0.1 mg/kg par dose), cisatracurium (0.1-0.4 mg/kg, entretien 0.03 mg/kg par dose).
  • Sédation-analgésie: dexmédétomidine 0.2-0.7 mcg/kg/h.
  • Pas de midazolam (autre que 1-3 mg iv en pré-induction), ni de morphine.
Toute la gestion de l'intervention doit être organisée en fonction d'une simplification des suites postopératoires.
 
  • CEC: amorçage rétrograde, mini-circuits, matériaux biocompatibles.
  • Epargne sanguine et restriction des transfusions: seuil de transfusion Hb 70-90 g/L selon les situations, récupération sanguine, hémofiltration modifiée, antifibrinolytique.
  • Apports liquidiens restrictifs évitant l'hémodilution et la surcharge.
  • Normoglycémie.
  • Traitement de l'hypertension/tachycardie par des moyens pharmacologiques (vasodilatateur, béta-bloqueur) et non par l'approfondissement de l'anesthésie. 
Le risque inhérent à l'extubation précoce est de sevrer le patient de l'assistance ventilatoire au moment de la plus grande instabilité hémodynamique et de la plus haute incidence d'ischémie. En effet, la diminution de la fonction ventriculaire après la CEC est à son nadir entre la 4ème et la 6ème heure après l'intervention (Figure 23.3) [13]. 


Figure 23.3 : Evolution de la fonction cardiaque après pontage aorto-coronarien en CEC [13]. Cette courbe est construite à partir de plusieurs références; pour cette raison, la performance myocardique, évaluée de manière différente et à des temps différents selon les études, n'est pas exprimée en unités mais en pourcentage de la valeur préopératoire.
 
Le risque d'ischémie myocardique est le plus grand pendant les 8 premières heures: son incidence est de 45% des cas pendant cette période [10]. Les frissons du réchauffement, qui augmentent la VO2 jusqu’à 400%, sont une gigantesque demande hémodynamique pour le patient; ils doivent absolument être évités (dexmédétomidine, péthidine), au même titre que les poussées hypertensives ou douloureuses. Dans la mesure où le travail cardiaque est normal et la ventilation spontanée satisfaisante, l'assistance respiratoire mécanique n'est probablement pas l'élément critique dans la période postopératoire; mais ceci implique un contrôle rigoureux du confort, de la mVO2 (β-bloqueur) et de la pression artérielle (vasodilatateurs, vasoconstricteurs, volume, etc.). Dans ces conditions, l'incidence de l'ischémie est probablement indépendante du régime de ventilation.

 
 
Sevrage ventilatoire rapide
Lorsqu’elle est possible, l’extubation a lieu dans les 4 premières heures. Une extubation précoce s’applique aux cas à risque faible à modérés. Elle nécessite une adaptation de la technique d’anesthésie (restriction de la dose totale d’opiacés, préférence pour un halogéné ou du propofol, pas de midazolam ni de morphine, loco-régionale) et de chirurgie (intervention courte, normothermie, cœur battant sans CEC, intervention minimalement invasive). Elle s’adresse aux malades jouissant d’une fonction cardiaque satisfaisante, sans comorbidité majeure, même âgés si la situation le permet.


© CHASSOT PG, MUSTAKI JP, BOVY M, Juin 2008, dernière mise à jour, Octobre 2018
 
 
Références
 
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  2. CHENG DCH. Fast-track cardiac surgery: Economic implications in postoperative care. J Cardiothor Vasc Anesth 1998; 12:72-9
  3. CONSTANTINIDES VA, TEKKIS PP, FAZIL A, et al. Fast-track failure after cardiac surgery: development of a prediction model. Crit Care Med 2006; 34:2875-82
  4. DJAIANI GN, ALI M, HEINRICH L, et al. Ultra-fast anesthetic technique facilitates operating room extubation in patients undergoing off-pump coronary revascularization surgery. J Cardiothorac Vasc Anesth 2001; 15:152-7
  5. ENDER J, BORGER MA, SCHOLZ M, et al. Cardiac surgery fast-track treatment in a postanesthetic care unit: 6-month results of the Leipzig fast-track concept. Anesthesiology 2008; 109:61-6
  6. FLYNN M, REDDY S, SHEPHERD W, et al. Fast-track revisited: routine cardiac surgical patients need minimal intensive care. Eur J Cardiothorac Surg 2014; 25:116-22
  7. HATTON KW, FLYNN JD, LALLOS C, et al. Integrating evidence-based medicine into the perioperative care of cardiac surgery patients. J Cardiothorac Vasc Anesth 2011; 25:335-46
  8. HIGGINS TL. Pro: Early endotracheal extubation is preferable to late extubation in patients following coronary artery surgery. J Cardiothorac Vasc Anesth 1992; 6:488-93 
  9. LELLOUCHE F, DIONNE S, SIMARD S, et al. High tidal volumes in mechanically ventilated patients increase organ dysfunction after cardiac surgery. Anesthesiology 2012; 116:1072-82
  10. MANGANO DT, SILISIANO D, HOLLENBERG M, et al. Postoperative myocardial ischemia therapeutic trials using intensive analgesia following surgery. Anesthesiology 1992; 76:342
  11. MONTES FR, SANCHEZ SI, GIRALDO JC, et al. The lack of benefit of tracheal extubation in the operating room after coronary artery bypass surgery. Anesth Analg 2000; 91:776-80
  12. PROBST S, ENDER J. Enhanced recovery from heart surgery. In: ALSTON RP, MYLES P, RANUCCI M, eds. Oxford     Textbook of Cardiothoracic Anesthesia. Oxford: Oxford University Press, 2015, 303-8
  13. ROYSTER RL. Myocardial Dysfunction following Cardiopulmonary Bypass: Recovery patterns, predictors of initropic needs, theoretical concepts of inotropic administration. J Cardiothor Vasc Anesth 1993; 7 (Suppl 2): 19-25
  14. SILBERT BS, MYLES PS. Is fast-track cardiac anesthesia now the global standard of care ? Anesth Analg 2009; 108:689-91
  15. SVIRCEVIC V, NIERICH AP, MOONS KGM, et al. Fast-track anesthesia and cardiac surgery: a retrospective cohort study of 7989 patients. Anesth Analg 2009; 108:727-33
23. Complications après chirurgie cardiaque