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Tamponnade postopératoire
Diagnostic
L’incidence de la tamponnade varie de 0.2 à 8.4% des cas selon le type d’opération cardiaque, mais la lésion est à l'origine d’environ 10% des hypotensions postopératoires [3,10]. La tamponnade est un diagnostic clinique caractérisé par un choc cardiogène restrictif accompagné d’hypotension, de bas débit et de tachycardie. Ses mécanismes physiopathologiques ont été décrits au chapitre précédent (voir Chapitre 16 Physiopathologie) ; on ne mentionnera ici que les caractéristiques principales de la tamponnade postopératoire. Après chirurgie cardiaque, la tamponnade est un diagnostic souvent difficile, dont les critères sont différents de ceux de la tamponnade rencontrée en cardiologie. En effet, les signes classiques ont été décrits chez des malades respirant spontanément et souffrant d’épanchement liquidien circonférentiel, alors que dans le postopératoire, les patients sont très souvent sous ventilation assistée/contrôlée, ont un péricarde encombrés de caillots et de fibrine et sont fréquemment hypovolémiques (voir Chapitre 16 Tamponnade postopératoire). Cette situation crée de nombreuses différences dans les manifestations cliniques et échocardiographiques (Tableau 17.13) [4,12].
- Elévation de la POD et de la PAPO : absente si le patient est hypovolémique ou si la compression ne concerne qu’une seule cavité ou qu’un gros vaisseau (AP, VCS).
- Tachycardie : la présence d'un bloc AV nécessitant un entraînement fixe par pace-maker peut bloquer la fréquence cardiaque, alors que celle-ci est exagérée en cas d'hypovolémie.
- Epanchement : il est sévère lorsque sa largeur est > 2 cm (soit > 700 mL chez un adulte), mais ceci ne concerne que les épanchements liquidiens séreux ou séro-sanguinolents (Figure 17.17) (Vidéo). Le retentissement clinique dépend de la vitesse d'accumulation du liquide. En postopératoire, le péricarde n'est pas rempli de liquide séreux donnant un espace sans écho autour du cœur (echo-free space), mais il contient du sang, des caillots et de la fibrine qui forment au contraire une gangue plus ou moins opaque.
- "Danse" du cœur dans le liquide (swinging heart) et ECG alternant : typiques de l'épanchement liquidien, ils sont absents lorsque le péricarde est envahi de sang, de thrombus et de fibrine qui bloquent les mouvements du coeur (Vidéo).
Vidéo: Epanchement liquidien inférieur en vue court-axe transgastrique, avec une compression majeure du VG; le coeur "danse" dans le liquide.
Vidéo: Epanchement liquidien circonférentiel en vue 4-cavités; le coeur donne l'impression de danser dans le liquide; la compression porte surtout sur l'OG.
- Collapsus des parois (OD, OG, VD) (voir Figure 17.18) ; ce signe est modifié par la pression de remplissage des cavités (favorisé par l’hypovolémie, retardé ou absent lors d’insuffisance congestive) et par l’épaisseur des parois (absent en cas d’hypertrophie ventriculaire) (Vidéo) [7]. Il est absent lors de compression localisée par un thrombus.
Vidéo: Invagination de l'OD lorsque la POD devient inférieure à la pression intrapéricardique.
- Exagération de la variation respiratoire de la pression artérielle et du flux mitral (≥ 25%) (pulsus paradoxus) : amplifié par l’hypovolémie, ce signe est très atténué, voir absent, en ventilation en pression positive (IPPV) et lors de tamponnade localisée [8]. Malgré la tamponnade, il est absent dans les situations suivantes : insuffisance congestive du VG, insuffisance aortique sévère, shunt intracardiaque [3].
- Dilatation non-pulsatile de la veine cave inférieure (vue sous-xyphoïdienne ou transgastrique); typique d'une élévation majeure de la POD, elle n'est pas spécifique de la tamponnade et survient en cas de défaillance droite, d'hypervolémie ou d'insuffisance tricuspidienne sévère.
- Compression localisée d’une seule cavité cardiaque, que ce soit une oreillette (Figure 17.19), un ventricule (Figure 17.20) ou un gros vaisseau (Figure 17.21) (Vidéo). Même un épanchement liquidien peut être cloisonné par de la fibrine et une réaction fibreuse, et ne comprimer qu’une seule structure. La pression de remplissage dans les autres chambres peut rester normale; il n'y a pas d'égalisation des pressions (POD = PtdVD = PAPO = POG).
- Tamponnade pleurale : un hémothorax gauche dû à l'hémorragie du lit de l'artère mammaire interne (AMI) peut infiltrer le péricarde par la fenêtre de passage de l'AMI et comprimer sélectivement le VG.
Vidéo: Compression massive de l'OG par un gros thrombus postéro-latéral à l'oreillette; celle-ci est réduite à une mince lame.
Figure 17.17: Images échocardiographiques d'épanchement péricardique liquidien circonférentiel. A: vue transoesophagienne rétrocardiaque 4-cavités avec épanchement antérieur (flèche verte) et postérieur (flèche jaune). B: vue transthoracique sous-xyphoïdienne. C: vue transgastrique; la double flèche verte indique que la dimension de l'épanchement est supérieure à 2 cm.
Figure 17.18: Image d'échocardiographie transoesophagienne en 4-cavités de collapsus pariétal dû à l'accumulation liquidienne péricardique. A: invagination de la paroi libre du VD en protodiastole, lorsque sa pression de remplissage est la plus basse. B: invagination de la paroi de l’OD pendant la télédiastole, lorsqu'elle achève de se vider dans le ventricule (descente "y" sur une courbe de pression auriculaire normale). EP: épanchement. L’agrandissement des ventricules en diastole (D, flèche jaune) refoule le liquide autour des oreillettes et les comprime ; à l’inverse, la systole ventriculaire (S, flèche verte) crée de l’espace et dégage les oreillettes.
Figure 17.19: Images échocardiographiques transeosophagiennes de tamponnade postopératoire : caillot comprimant sélectivement une oreillette. A : vue 4-cavités; un thrombus comprime l'OG sur ses faces postérieure et latérale. B : vue à 120° (vue sagittale de l'OD) d'un thrombus (flèche verte) comprimant la face antérieure de l'OD; la veine cave supérieure (VCS) se trouve à droite de l'image. TH : thrombus.
Figure 17.20: Images échocardiographiques transeosophagiennes de tamponnade postopératoire. A: épanchement cloisonné inférieur en vue long-axe transgastrique comprimant la face inférieure du VG; il est situé entre le diaphragme et le ventricule. B : épanchement pleural et péricardique comprimant la face latérale du VG. EP: épanchement péri-cardique. VM: valve mitrale.
Figure 17.21 : Images de tamponnade comprimant sélectivement l'artère pulmonaire après une opération de Bentall. A: Image en court-axe basal centrée sur l'aorte ascendante (Ao) et la chambre de chasse du VD (CCVD) montrant un caillot contre l'origine de l'AP (flèche). B: le tronc de l'AP est comprimé et sa lumière rétrécie. C: au flux couleur, il ne passe qu'un filet de sang à haute vélocité à travers l'AP. Ce patient présentait une POD élevée, mais une PAP et une PAPO basses. En vue 4-cavités, ce thrombus est invisible.
Ainsi, les signes classiques de la tamponnade peuvent être modifiés ou absents dans la compression postopératoire [2]. De plus, les signes cliniques sont altérés par les variations de volémie et par la dysfonction ventriculaire. Face à une hypotension et une tachycardie, le diagnostic différentiel avec l'insuffisance ventriculaire droite, la dysfonction gauche ou l'hypovolémie est souvent ardu, d'autant plus que la dysfonction diastolique, qui entraîne une augmentation des pressions de remplissage, est fréquente après chirurgie cardiaque.
Indication au drainage
Dans le postopératoire de chirurgie cardiaque, la première indication à une ré-exploration péricardique et médiastinale est une hémorragie excessive par les drains: > 400 mL/h pendant 1 heure, > 300 mL/h pendant 2-3 heures, et > 200 mL/h pendant 4 heures [1]. Cependant, de nombreux tableaux cliniques doivent éveiller la suspicion d'une tamponnade et commander une échocardigraphie en urgence: brusque interruption du retour par les drains, hypotension et bas débit réclamant une augmentation du soutien inotrope, tachycardie inexpliquée, élévation asymétrique de la POD et de la PAPO, bas voltage à l'ECG. La combinaison de signes évidents de compression à l’échocardiographie et d’une tachycardie persistante traduit une très haute probabilité de tamponnade. Dans un contexte à risque (rapidité d’installation, anticoagulation, saignement postopératoire, dissection aortique, traumatisme), c’est une indication au drainage d’urgence (Figure 17.22) [11,12].
Figure 17.22 : Schéma de l’indication au drainage péricardique en cas de tamponnade. Les indications sont d’abord cliniques ; elles sont dominées prioritairement par la présence de tachycardie persistante. Une accumulation liquidienne rapide et un contexte à haut risque poussent à intervenir plus agressivement. Plusieurs phénomènes interfèrent avec le diagnostic : le niveau de la précharge (l’hypovolémie aggrave la situation), la ventilation en pression positive (l’IPPV atténue le pouls paradoxal), la localisation de la compression (thrombus), ou la présence d’un épanchement circonférentiel.
On peut utiliser différents scores basés sur la clinique et l’échocardiographie pour épauler la décision de drainer. L'exemple suivant attribue 1 à 4 points à chacun des éléments; l'indication au drainage est posée si la somme est ≥ 6 points [9].
- Etiologie
- Néoplasme, tuberculose 2 pts (chacun)
- Radiothérapie, insuffisance rénale, récidive 1 pt (chacun)
- Virose, immunosuppression, HIV 1 pt
- Dissection aortique, trauma, rupture myocarde 4 pts (drainage chirurgical)
- Epanchement purulent 4 pts (drainage chirurgical)
- Status clinique
- Pulsus paradoxus, tachycardie 2 pts
- Apparition/évolution rapide 2 pts
- Dyspnée, hypertension, oligurie 1 pt
- Echocardiographie
- Epanchement > 2 cm 3 pts
- Epanchement 1-2 cm 2 pts
- Collapsus de l’OG ou du VD 2 pts
- Collapsus de l’OD, congestion de la VCI 1 pt
- Variation respiratoire du flux mitral > 25% 1 pt
Dans l’incertitude, il est en général préférable d’opter pour une attitude agressive, surtout si le malade est tachycarde, car la décompensation peut survenir brutalement lorsque l'expansion diastolique d'une cavité devient soudainement impossible [11]. Une ré-exploration précoce minimise les risques de transfusion, réduit la période de bas débit et son cortège d'insuffisance multi-organique, abaisse le taux de complications et prévient un arrêt cardiaque [6].
Comme la compliance péricardique est très faible (voir Figure 16.1), le retrait de 50 mL de liqu ide peut suffire à décomprimer le cœur, pour autant que l’épanchement soit fluide et non localisé [4]. La ponction sous-xyphoïdienne permet de stabiliser le malade le temps de le transférer en salle d'opération, mais elle est moins utile dans la situation postopératoire que dans la tamponnade liquidienne pure (insuffisance cardiaque ou rénale, polysérosite, lymphome). En cas d’arrêt cardiaque, le massage externe est inefficace et peut faire saigner davantage dans l’épanchement. La seule solution est d’ouvrir le péricarde le plus rapidement possible au lit du malade [5].
Anesthésie
La reprise en salle d’opération est une situation difficile et parfois dramatique. L’hémodynamique à rechercher pour maintenir une certaine stabilité porte sur cinq points.
- Assurer une précharge satisfaisante (perfusats, transfusions) pour une PVC > 10 mmHg et une PAPO > 15 mmHg.
- Assurer la pression de perfusion systémique par une vasoconstriction artérielle (phényléphrine, nor-adrénaline) pour compenser le faible volume éjecté.
- Maintenir la fréquence cardiaque ; la tachycardie est le seul moyen de compenser le très faible volume systolique.
- Maintenir la fonction systolique par un agent inotrope positif.
- Ventiler avec la pression intrathoracique moyenne la plus faible possible (fréquence élevée, volume courant 4-6 mL/kg, rapport I:E 1:3-4) ; la tolérance à l’IPPV peut être testée avant l’induction par une manœuvre de Valsalva en observant l’impact sur la courbe de pression artérielle.
- Hémodynamique recherchée: plein – rapide – fermé.
L’équipement consiste en ECG, SpO2, PetCO2, cathéter artériel (mis en place avant l’induction), ETO, et si possible voie veineuse centrale. L’inducteur le plus sûr est l’étomidate. La kétamine est attractive, mais son effet inotrope négatif sur les fibres myocardique devient prépondérant lorsque la stimulation sympathique centrale ne répond plus chez ces malades physiologiquement épuisés. Le rémifentanil est séduisant par sa rapidité, mais la bradycardie qu’il occasionne est prohibitive lorsque la tachycardie est un moyen majeur pour maintenir le débit cardiaque ; le fentanyl est mieux adapté. L’IPPV est en général assez bien tolérée, pour autant que le malade ne soit pas hypovolémique. La solution de la respiration spontanée amène très rapidement à une situation chaotique et à une cardiodépression à cause des doses importantes de sevoflurane ou de kétamine.
Pour réduire la durée entre l’induction et la décompression, on ne démarre l’anesthésie que lorsque le malade est désinfecté et le chirurgien prêt à inciser. La voie d’abord consiste le plus souvent à reprendre la partie inférieure de l’incision de sternotomie. En cas d’intervention préalable par thoracotomie ou par incision minimalement invasive, la voie sous-xyphoïdienne est la plus fréquemment utilisée. L’ETO est extrêment utile pour localiser les caillots, pour guider l’opérateur dans le drainage de cavités loculées, particulièrement si elles sont postérieures et inférieures, et pour contrôler que la vidange soit complète.
Tamponnade postopératoire |
La tamponnade postopératoire présente trois différences majeures par rapport à la situation classique
- Compression localisée (thrombus) et péricarde cloisonné (fibrine)
- Hypovolémie
- Patient sous ventilation en pression positive
Indication péremptoire au drainage d'urgence : signes de compression (échocardiographie) + tachycardie persistante. Autres éléments en faveur d'un drainage:
- Epanchement > 2 cm
- Caillots, thrombus comprimant une ou plusieurs cavités ou gros vaisseaux
- Péjoration rapide
- Contexte clinique
- Arrêt brusque de retour par les drains
Hémodynamique optimale pour l’anesthésie: plein – rapide – fermé
- Précharge élevée
- Tachycardie
- Vasoconstriction artérielle
- Inotropisme positif
Anesthésie
- Induction étomidate
- Maintien sevoflurane et fentanyl
- IPPV avec bas volume courant, haute fréquence et basse pression
- Délai minimal entre l’induction et la décompression
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© BETTEX D, CHASSOT PG, Janvier 2008, Dernière mise à jour, Avril 2018
Références
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