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Embolectomie chirurgicale d'urgence 

L'embolectomie chirurgicale a été tentée pour la première fois par Trendelenburg en 1908. Elle reste une mesure dont les indications tiennent du sauvetage [3].
 
  • Collapsus hémodynamique persistant malgé le traitement chez les patients âgés de < 65 ans.
  • Embols massifs en transit dans les cavités droites (CT-scan, échocardiographie); une indication particulière est le thrombus enclavé dans un foramen ovale perméable (FOP) ré-ouvert par la surpression dans l'OD.
  • Embols proximaux non fragmentés dans les artères pulmonaires.
  • Contre-indications ou échec de l'anticoagulation et de la thrombolyse (traumatisme ou chirurgie dans les 3 semaines précédentes, hémorragie active, AVC ou lésion intracrânienne).
Ces situations représentent environ 5-15% des cas d'embolie massive [6]. La mortalité opératoire moyenne oscille entre 6 et 15%; elle est directement fonction du degré d'effondrement circulatoire préopératoire [1,4]. Le délai entre l'embolisation et le début de la CEC est en moyenne de 4-6 heures, ce qui limite l'intervention aux patients qui ont survécu à l'épisode initial, et qui sont dans le voisinage immédiat d'un service de chirurgie cardiaque. 
 
Lorsque le massage cardiaque (MCE) devient nécessaire, la mortalité voisine 100%. En effet, le MCE fragmente les embols et rend toute intervention chirurgicale illusoire. Les patients candidats à une embolectomie ne doivent donc pas être massés, mais maintenus hémodynamiquement par des perfusions de catécholamines (dobutamine, nor-adrénaline, adrénaline), ou placés sous assistance circulatoire (ECMO, CEC fémoro-fémorale). En cas de choc cardiogène par insuffisance droite aiguë sans image de thrombus en transit, la thrombolyse est préférable à la chirurgie.
 
Pour l’anesthésiste, le malade souffrant d’embolie pulmonaire massive présente un tableau physiopathologique particulier.
 
  • Le VD est en insuffisance congestive sur une postcharge massivement augmentée;
  • La dilatation du VD repousse le septum interventriculaire vers la gauche, ce qui diminue le remplissage du VG (pseudo-tamponnade gauche);
  • Le débit cardiaque et la pression artérielle systémique sont effondrés;
  • La pression de perfusion coronarienne du VD est compromise;
  • La dilatation aiguë du VD le fait toucher le péricarde, qui restreint son extension; de ce fait, le comportement hémodynamique est voisin de celui de la tamponnade.
La priorité hémodynamique est quadruple.
 
  • Baisser la précharge droite (nitroglycérine, position en contre-Trendelenburg);
  • Soutenir la fonction droite (dobutamine, milrinone + adrénaline, nor-adrénaline);
  • Baisser la postcharge droite si cela est possible (hyperventilation, NO);
  • Soutenir la perfusion systémique: dobutamine, nor-adrénaline, adrénaline, contre-pulsion intra-aortique, ECMO). 
La situation est urgente et l'induction doit être rapide. L'équipement consiste en voies veineuses périphériques, cathéter artériel de préférence fémoral car cette canulation est plus facile chez un patient choqué, introducteur de Swan-Ganz par voie jugulaire interne (sans passage du cathéter pulmonaire), cathéter 2-3 lumières si le temps le permet. A cause de la stase droite, la pression jugulaire est élevée et peut faire croire à une ponction artérielle. Dès que l'intubation est effectuée, mise en place de la sonde ETO pour évaluer la fonction des ventricules, la volémie, la présence d'un FOP et le passage éventuel de thrombus en transit dans les cavités droites.
 
L’étomidate reste l’agent d’induction le plus sûr chez un malade en état de choc cardiogène. Le maintien de l’anesthésie est assuré par du fentanyl/sufentanil et du sevoflurane ou du midazolam. Bien qu’elle soit une aide nécessaire pour améliorer les pitoyables échanges gazeux, la ventilation en pression positive (IPPV) pose un problème particulier puisqu’elle augmente encore la postcharge du VD. Cet accroissement des RAP effectives (Pit moy augmentée de 6-10 mmHg) est faible par rapport à la postcharge extrême que subit déjà le VD (PAPsyst 50-80 mmHg), mais cette petite augmentation peut suffire à décompenser complètement la situation. La tolérance à l’IPPV dépend donc du degré de décompensation droite. Elle est meilleure si la PAP est très haute (50-80 mmHg), car cela signifie que le VD est encore suffisamment performant pour générer de hautes pressions. Lorsque le VD est en défaillance aiguë, la PAP est modérément élevée (< 50 mmHg) et l’IPPV est mal supportée. Cette tolérance peut être testée avant l’induction par une manoeuvre de Valsalva ou une CPAP au masque en observant la traduction hémodynamique sur la pression artérielle (cathéter artériel en place avant l’induction). En peropératoire, on veillera à hyperventiler en maintenant la pression intarthoracique moyenne (Pitm) la plus basse possible (volume courant 4-6 mL/kg, fréquence environ 20/min, rapport I:E de 1:3-4), en se rappelant que l’IPPV n’est que modérément efficace pour rétablir les échanges gazeux dans cette situation, puisque l’hypoxémie est due à l’obstruction du lit artériel pulmonaire et non à une perte en efficacité alvéolaire. Les vasodilatateurs pulmonaires comme le NO sont peu utiles car l'hypertension pulmonaire est de nature essentiellement obstructive et mécanique; ils n'agissent que sur la composante de vasoconstriction hypoxique réactionnelle.
 
L’opération se déroule en CEC normothermique. La présence de thrombus en transit dans l’OD oblige à canuler les deux veines caves séparément et distalement, en évitant toute manipulation intempestive. Les thrombi en transit dans l'OD et/ou le VD sont retirés par une atriotomie droite, en prenant un soin particulier d'un éventuel enclavement dans le FOP àcause du risque d'embolie systémique. Les caillots sont extirpés de l'AP par une artériotomie pulmonaire d'environ 5 cm, en général sans arrêt circulatoire [2,6]. Les caillots frais n'adhèrent pas à la paroi et sont prudemment extraits à la pincette large. La sortie de pompe peut être très lente à cause de la dysfonction droite; une assistance par ECMO peut être requise [5]. Le temps de CEC moyen est de 70 minutes. La mortalité hospitalière est de 9.1% dans les embolies majeures et de 23.7% dans les embolies massives; elle est de 32% chez les malades qui ont fait un arrêt cardiaque réanimé dans le préopératoire [4]. 
 
Dans le postopératoire, les zones pulmonaires infarcies peuvent saigner abondamment. Si l’embolie est clairement unilatérale, il est prudent d'équiper le patient d'un tube endotrachéal à deux lumières. Le cathéter de Swan-Ganz ne peut être introduit en voie pulmonaire qu'après l'embolectomie, mais l’introducteur est mis en place à l’induction. 

 
 
Embolectomie pulmonaire
Réservée à des cas particuliers (choc cardiogène, échec ou contre-indication de la thrombolyse, patients < 65 ans, embols en transit, embols dans un FOP, embols proximaux dans l’AP), elle est une intervention à haut risque pratiquée sous CEC chez des patients en insuffisance congestive droite aiguë. Il n’y a pas de parallélisme entre l’insuffisance droite et la PAP.
 
Recommandations :
    - Baisser la précharge droite (nitroglycérine, position en contre-Trendelenburg) 
    - Soutenir la fonction droite (dobutamine, milrinone + adrénaline, nor-adrénaline) 
    - Baisser la postcharge droite si cela est possible (hyperventilation normobarique, NO)
    - Tolérance variable à l’IPPV (tester avec une manoeuvre de Valsalva pré-induction) 
    - Induction étomidate + fentanyl ou sufentanil, maintien avec fentanyl/sufentanil + sevoflurane/midazolam
    - Equipement: cathéter artériel, voie veineuse centrale, introducteur (Swan-Ganz mise en place après la CEC), ETO


©  BETTEX D, CHASSOT PG, Janvier 2008, Dernière mise à jour, Avril 2018
 
 
Références
 
  1. AGNELLI G, BECATTINI C. Acute pulmonary embolism. N Engl J Med 2010, 363:266-74
  2. JABER WA, FONG PP, WEISZ G, et al. Acute pulmonary embolism. With an emphasis on an interventional approach. J Am Coll Cardiol 2016; 67:991-1002
  3. JAFF MR, McMURTRY MS, ARCHER SL, et al. Management of massive and submassive pulmonary embolism, iliofemoral deep vein thrombosis, and chronic thromboembolic pulmonary hypertension. Circulation 2011; 123:1788-830
  4. KEELING WB, SUNDT T, LEACCHE M, et al. Outcomes after surgical pulmonary embolectomy for acute pulmonary embolus: a multi-institutional study. Ann Thorac Surg 2016; 102:1498-502
  5. KONSTANTINIDES SV, TORBICKI A, AGNELLI G, et al. 2014 ESC Guidelines on the diagnosis and management of acute pulmonary embolism. Eur Heart J 2014; 35:3033-80
  6. MEYER G, TAMISIER D, SORS H, et al. Pulmonary embolectomy: A 20-year experience at one center. Ann Thorac Surg 1991; 51:232-6