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Surveillance anesthésique en CEC
La CEC n'est pas un temps de pause pour l'anesthésiste. Au contraire, il convient d'observer le visage de l'enfant et sa fontanelle, si elle n’est pas close, après le début de la mise en pompe à la recherche d'oedème conjonctival ou de suffusion hémorragique dus à une obstruction cave supérieure par la canule veineuse; celle-ci entraîne une stase veineuse jugulaire et un œdème cérébral. Une mesure constante de la PVC et de la ScO2 détectent rapidement ce phénomène. De même, l'obstruction du flux veineux hépatique provoque une stase hépatique et mésentérique avec ascite et séquestration liquidienne. Les malformations du retour veineux systémique et/ou pulmonaire peuvent être la cause d’une mauvais drainage par la canule veineuse de CEC. Les shunts G-D extracardiaques empêchent de maintenir la pression artérielle systémique à une valeur adéquate; ils doivent être chirurgicalement occlus avant le démarrage de la CEC.
Bien que l'hypothermie en-dessous de 30°C garantisse l'inconscience, il faut assurer l'amortissement du stress, l'analgésie, le sommeil et la relaxation musculaire. Le démarrage de la CEC provoque fréquemment un réveil soudain de l'enfant pour trois raisons [1].
- L'adjonction du volume d'amorçage au volume circulant dilue brusquement les substances en circulation et fait chuter leur taux sérique: le volume circulant d'un bébé de 3 kg passe de 250 mL à 500 mL;
- Les membranes siliconées des oxygénateurs absorbent des quantités importantes de fentanyl;
- Le refroidissement rapide provoque une stimulation sympathique intense.
L'anesthésie doit donc être garantie pharmacologiquement: le midazolam (0.3 mg/kg) ou le fentanyl (10 mcg/kg) sont le plus souvent utilisés à cet effet. En cas de crises vasospastiques pulmonaires, le fentanyl reste l'agent le plus sûr. Dans les cas où elle aurait été choisie comme agent d'anesthésie (pathologie simple, CEC courte, pas d'hypothermie, âge > 3 ans), la perfusion de propofol est continuée pendant toute la CEC.
Une curarisation profonde est nécessaire à la baisse de la consommation d'oxygène en hypothermie. En normothermie, en revanche, les mouvements spontanés sont les seuls critères d'éveil; chez le grand enfant, il est sage de conserver ce monitorage, sauf en cas de frissons (augmentation de la consommation d'oxygène), de mouvements diaphragmatiques intempestifs, ou d'ouverture des cavités gauches (risque d'embolie gazeuse).
On améliore l'homogénéité du refroidissement et du réchauffement et l’on diminue le gradient thermique (<10°C) entre les températures rectale et oesophagienne en induisant une vasodilatation pendant la CEC des petits enfants: isoflurane (1-2%) sur l'oxygénateur, phentolamine (10 mcg/kg), phénoxybenzamine (0.5-1.0 mg/kg). En effet, le déplacement vers la gauche de la courbe de dissociation de l'Hb en hypothermie fait que le sang très froid traversant un tissu encore chaud délivre insuffisamment d'O2 par rapport aux besoins tissulaires [2]. D'une manière générale, c'est le débit de la pompe qui est prioritaire: les résistances périphériques sont manipulées de manière à maintenir le débit adéquat pour l'âge et la température.
La ventilation, inutile tant que les poumons ne sont pas perfusés, est bénéfique dès que le coeur éjecte du sang. En CEC partielle, le sang qui perfuse les coronaires est en majeure partie du sang propulsé par le VG, donc revenu des poumons par les veines pulmonaires; son contenu en O2 augmente si les poumons sont ventilés [3].
Lorsque le cœur ralentit et s’arrête sous l’effet du froid et de la cardioplégie, l’anesthésiste doit surveiller l’ETO afin de détecter une éventuelle dilatation ventriculaire. Celle-ci est toujours possible vu les multiples combinaisons anatomiques des cardiopathies congénitales et l’éventualité d’une malposition des canules. Un drainage du ventricule est souvent nécessaire.
Conduite de la CEC |
Maintenir prioritairement le débit de la pompe; manipuler les RAS en fonction des besoins
Risque de réveil et de mouvement au début de la CEC (hémodilution aiguë)
Assurer le sommeil (midazolam, propofol, halogéné) lorsque la T° est > 30°C
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© BETTEX D, BOEGLI Y, CHASSOT PG, Juin 2008, dernière mise à jour Mai 2018
Références
- DÖNMEZ A, YURDAKÖK O. Cardiopulmonary bypass in infants. J Cardiothorac Vasc Anesth 2014; 28:778-88
- JONAS RA. Flow reduction and cessation. In: JONAS RA, ELLIOTT MJ. Cardiopulmonary bypass in neonates, infants and young children. Oxford : Butterworth, 1994, 67-81
- WHITING D, YUKI K, DINARDO JA. Cardiopulmonary bypass in the pediatric population. Best Pract Res Clin Anaesthesiol 2015; 29:241-56
14. Anesthésie pour la chirurgie cardiaque pédiatrique
- 14.1 Introduction
- 14.2 Physiopathologie
- 14.3 Stratégies hémodynamiques
- 14.3.1 Classification
- 14.3.2 Shunt G → D et débit pulmonaire élevé
- 14.3.3 Hypertension pulmonaire pédiatrique
- 14.3.4 Shunt droit → gauche et débit pulmonaire abaissé
- 14.3.5 Shunt droit → gauche cyanogène et débit systémique abaissé
- 14.3.6 Shunt cyanogène mixte
- 14.3.7 Cardiopathies sans shunt : obstructions et valvulopathies
- 14.3.8 Options thérapeutiques chez le nouveau-né
- 14.3.9 Pharmacothérapie
- 14.4 Techniques d'anesthésie
- 14.5 La CEC chez l'enfant
- 14.6 Approche par pathologie
- 14.6.1 Introduction
- 14.6.2 Repères anatomiques
- 14.6.3 Retours veineux anormaux
- 14.6.4 Communication interauriculaire (CIA)
- 14.6.5 Canal atrio-ventriculaire (CAV)
- 14.6.6 Maladie d'Ebstein
- 14.6.7 Anomalies des valves auriculo-ventriculaires
- 14.6.8 Communication interventriculaire (CIV)
- 14.6.9 Hypoplasie ventriculaire
- 14.6.10 Tétralogie de Fallot
- 14.6.11 Ventricule droit à double issue
- 14.6.12 Atrésie pulmonaire
- 14.6.13 Anomalies de la voie éjectionnelle gauche
- 14.6.14 Transposition des gros vaisseaux
- 14.6.15 Truncus arteriosus
- 14.6.16 Coarctation de l'aorte
- 14.6.17 Anomalies artérielles
- 14.6.18 Transplantation cardiaque
- 14.7 Conclusions