Step 3 of 17
Induction
Les checklists font partie des éléments introduits ces dernières années pour améliorer la sécurité dans les blocs opératoires. La plus utilisée est celle de l’OMS, qui porte sur 19 données concernant l’identité du patient, ses particularités médicales, le site opératoire, le matériel et les problèmes anticipés (voir Figure 2.6) [13]. On y procède à trois temps différents de l’intervention :
- Sign in : avant l’induction ;
- Timeout : avant l’incision ;
- Sign out : en fin d’intervention, avant le transfert du patient.
L’utilisation systématique de ce contrôle en chirurgie a réduit la mortalité de moitié et le taux de complications graves de 11% à 7%, soit une diminution de 36% [6].
La checklist d'anesthésie concerne également l'appareillage et la présence des agents choisis pour le cas (Tableau 2.1). Les substances habituellement utilisées pour la gestion de l'hémodynamique doivent être à disposition, si possible déjà diluées dans des seringues ou sur des pompes de perfusion (voir Annexe A).
- En seringue pour administration en bolus: éphédrine, phényléphrine, phentolamine ou nitroglycérine, lidocaïne, atropine, éventuellement adrénaline;
- En perfusion: dopamine ou dobutamine, nor-adrénaline, éventuellement adrénaline;
- Antiarythmiques: magnésium, lidocaïne, amiodarone;
- Cas à haut risque (défaillance VG et/ou VD, HTAP): adrénaline, milrinone (perfusions).
A l'arrivée en salle d'opération, la volémie des patients souffrant de cardiopathie est souvent anormale.
- Hypovolémie: jeûne, diurétique, hypertension artérielle, vasodilatateurs;
- Hypervolémie: insuffisance ventriculaire congestive, insuffisance rénale, shunts, sténose mitrale.
On ne saurait trop insister sur la sensibilité au stress des patients cardiaques. Il est particulièrement important de leur offrir une induction dans une atmosphère calme et sécurisante. Une petite dose de midazolam (1-3 mg) peut être nécessaire pour compléter la prémédication et apporter le confort au patient pendant la pose des cathéters. La prophylaxie antibiotique est essentielle en chirurgie cardiaque. Elle consiste en général en une céphalosporine (Zinacef® 1.5-3.0 g, Mandokef 1 g); alternative: clindamycine (Dalacin® 600 mg), amoxicilline (Augmentin® 2.2 g). Elle doit être administrée au moins 45 minutes avant l'incision. C'est donc le premier geste à réaliser dès que la voie veineuse (calibre 17G) est en place. Cette dose devra être répétée 4-5 heures plus tard, éventuellement en salle d'opération si l'intervention se prolonge.
Le cathéter artériel est mis en place avant l'induction sous anesthésie locale et conditions de stérilité chirurgicale; le site de ponction est choisi en fonction des caractéristiques de l'opération (prélèvement artériel, canulation de CEC, clampage aortique) et du patient (accessibilité, qualité du vaisseau); il peut être double (voir Chapitre 6 Monitorage de la pression artérielle). Les intérêts respectifs des voies radiale et fémorale sont les suivants.
- Cathéter radial : accès aisé sauf en état de choc, bonne tolérance dans le postopératoire, maintien facile de la stérilité pendant plusieurs jours. Etant une artère musculaire périphérique, la radiale est sujette à une vasoconstriction intense en cas de CEC hypothermique ou de perfusion de vasoconstricteur ; la courbe est alors amortie et la PA affichée est abaissée de 30-50% par rapport à la pression dans l’aorte (voir Figure 4.22E).
- Cathéter fémoral : l’artère fémorale est palpable et canulable même en cas de choc cardiogène ou hypovolémique ; en peropératoire, elle reproduit fidèlement la pression aortique parce que l’axe ilio-fémoral possède une paroi élastique et non musculaire. Bien que les conditions de stérilité soient difficiles à assurer pendant plusieurs jours, la voie fémorale reproduit fidèlement la pression de perfusion cérébrale et coronarienne (PA aortique).
Avant la canulation artérielle, il est judicieux de se renseigner sur l'utilisation préalable d'une radiale pour la coronarographie, sur d'éventuels prélèvements artériels pour les pontages aorto-coronariens (laisser libre le bras choisi à cet effet) et le côté des prélèvements veineux saphènes ou d'une canulation fémorale de CEC/assistance (ponctionner l'autre fémorale). Dès que la canule est en place, il est utile de prélever un échantillon de sang pour obtenir les valeurs de base du malade (gazométrie à l'air ambiant, glycémie, etc).
La voie veineuse centrale et/ou le cathéter artériel pulmonaire (PAC) sont en général posés une fois le malade endormi (voir Chapitre 6 Voie veineuse centrale). La sonde d'échocardiographie transoesophagienne (ETO) est introduite dès le passage du tube endotrachéal, de manière à contrôler le positionnement des guides de voie centrale.
Séquence d'induction
Devant assurer le sommeil, l'analgésie et l'immobilité, l'induction de l'anesthésie nécessite un hypnogène, un opiacé et un curare (voir Effets hémodynamiques des agents d'anesthésie).
- L'induction de l'anesthésie est assurée par un agent hypnogène (etomidate, propofol). La durée du sommeil profond (stade ≥ III) ne dépasse pas 2-3 minutes avec une dose unique de ces substances. Comme cette durée est plus courte que celle requise pour la relaxation complète avec les curares habituels (3-5 minutes), il est nécessaire de répéter la dose pour assurer le sommeil pendant l'intubation.
- L'effet dépresseur cardiocirculatoire des agents d'induction est par ordre croissant: etomidate < midazolam < propofol < thiopental. Malgré son inhibition momentanée de la synthèse corticostéroïdienne, l'étomidate est l'agent de premier choix en cas de cardiopathie majeure, car il est dépourvu d'effet hémodynamique. Dosages recommandés: étomidate 0.2-0.3 mg/kg, propofol 0.5-1.5 mg/kg lent, midazolam 0.2 mg/kg.
- La durée de la ventilation au masque avec un halogéné entre l'induction et l'intubation permet d'assurer une profondeur d'anesthésie suffisante pour le passage du tube endotrachéal avec le desflurane, mais elle est limite pour le sevoflurane et insuffisante pour l'isoflurane.
- Administré au cours de l'induction, l'opiacé choisi potentialise l'effet de l'hypno-inducteur et atténue les réflexes autonomes déclenchés par la laryngoscopie et par l'intubation. Bien qu'elles provoquent une profonde obnubilation, les hautes doses d'un fentanil n'assurent pas le sommeil.
- Tous les fentanils induisent une stimulation extrapyramidale et une rigidité musculaire importante prédominant au tronc. Cet effet est très variable selon les malades; il est fonction de la dose et de la vitesse d'administration; il peut être atténué par une précurarisation et par la scopolamine en prémédication.
- Lorsqu'elle compromet l'assistance ventilatoire au masque, cette rigidité contraint à une curarisation rapide: suxaméthonium 1.5 mg/kg, mivacurium 0.2 mg/kg, cisatracurium 0.2 mg/kg, rocuronium 1.2 mg/kg ou vécuronium 0.2 mg/kg (doubles doses). Il est important de s'assurer que le malade dorme dès qu'il est curarisé.
- Administrer une haute dose d'opiacé au cours de l'induction n'est pas rationnel du point de vue pharmacocinétique ni efficace du point de vue clinique [3]. Il est bien plus logique de n'injecter qu'une dose réduite (2-5 mcg/kg de fentanyl, 1-2 mcg/kg de sufentanil, 0.2-0.5 mcg/kg de remifentanil) et de faire correspondre les supplémentations itératives aux moments des nociceptions maximales (fentanyl, sufentanil) ou d'utiliser une perfusion continue (rémifentanil, sufentanil). On évite ainsi les périodes d’hypotension où les taux sériques sont excessifs par rapport à la stimulation chirurgicale [11].
- Dans les cardiopathies stables (pontages aorto-coronariens avec fonction ventriculaire conservée, RVA simple, etc), il est possible d'extuber précocement le patient (< 2-4 heures postop). Pour ce faire, la technique d'anesthésie doit être adaptée dès l'induction: restriction des doses d'opiacés, curare à durée d'action < 60 minutes, pas de midazolam hormis une sédation pendant les canulations (voir Choix de la technique d'anesthésie).
Il arrive que des patients ischémiques soient excessivement tachycardes avant l'induction, malgré leur thérapeutique habituelle ou par sous-dosage des β-bloqueurs et des anticalciques. Le plus prudent est de sédater lentement ces malades avec 1-3 mg de midazolam, puis d'observer le degré de réduction de la fréquence obtenu. Le plus souvent, l'adjonction de 2-5 mcg/kg de Fentanyl suffit pour obtenir la normocardie. On peut alors les intuber sous protection d'une anesthésie topique de la trachée. Il est exclu de les intuber si la fréquence cardiaque reste > 90 batt/min. La tachycardie (> 95 batt/min) est directement liée à l'incidence de souffrance myocardique. Dans une population chirurgicale non-sélectionnée, elle est associée à une augmentation de l'infarctus postopératoire (OR 1.71) et de la mortalité (OR 3.16) [1]. Dans l'insuffisance cardiaque, elle péjore le pronostic vital [4]. Chez le coronarien, elle augmente la consommation d'oxygène myocardique (mVO2) et diminue son apport (DO2) par raccourcissement de la diastole. On dispose de quatre moyens pour ralentir le rythme cardiaque.
- Anxiolyse (midazolam) et sommeil (propofol en perfusion lente; fentanyl, sufentanil ou rémifentanil); peu d'effet hémodynamique.
- Béta-bloqueur: doses répétées d'esmolol (10 mg) jusqu'à une fréquence de 60-65 batt/min; effet inotrope négatif.
- Bloqueur calcique: verapamil, diltiazem; lent, effet inotrope négatif prononcé et prolongé.
- Ivabradine (Procoralan® 2.5-5 mg per os): frein à la dépolarisation spontanée du nœud du sinus, sans effet sur la contractilité ni l'hémodynamique [10]. Le pic d'activité est obtenu 1 heure après l'absorption, la demi-vie d'élimination est de 2 heures.
Une pression de perfusion coronarienne adéquate est cruciale pour le maintien de l'apport d'oxygène. Physiologiquement, la perfusion coronarienne du ventricule gauche est assurée par la différence entre la pression diastolique aortique, le mieux représentée en clinique par la PAM mesurée par un cathéter artériel, et la Ptd du VG, définie par la PAPO (PPC = PAM – PAPO). Pendant une anesthésie aux halogénés, une PAM inférieure à 65 mmHg ou une pression de perfusion coronarienne de moins de 50 mmHg sont associées à une ischémie peropératoire [8]. Il est donc logique de considérer que la PAM ne doit pas descendre au-dessous de 75 mmHg, pour conserver une marge de sécurité. Les patients souffrant de sténoses coronariennes risquent une ischémie myocardique dès que leur PAM est inférieure à leur fréquence cardiaque, c'est-à-dire lorsque le rapport PAM / FC est < 1.
La laryngoscopie représente une stimulation vagale importante et l'arrivée du tube dans la trachée déclenche une stimulation sympathique violente. Les deux réactions peuvent être amorties par une anesthésie topique préalable avec de la lidocaïne 2-4%; cette manœuvre évite de trop approfondir l'anesthésie et limite les risques de bradycardie grave pendant la laryngoscopie ou de poussée hypertensive et tachycarde après l'intubation trachéale. Il faut attendre 2-4 minutes après le spray pour que l'effet soit maximal. Par rapport à l'administration intraveineuse, le taux sérique de lidocaïne est plus faible et plus tardif (7 minutes), alors que l'efficacité est identique [12].
Dans les cas où l’induction et la ventilation en pression positive représentent un risque excessif (embolie pulmonaire aiguë, par exemple), il est possible de procéder aux canulations de CEC par voie fémorale sous anesthésie locale et de n’endormir le malade que lorsque la CEC est prète à démarrer. Il faut toutefois équiper le patient (voies veineuses, cathéter artériel et introducteur de cathéter pulmonaire, sonde urinaire) avant de commencer l’intervention.
Intubation difficile
En anesthésie cardiaque, les modes d'induction sont adaptés aux conditions hémodynamiques. Il arrive cependant de se trouver dans la situation d'une intubation difficile, pour laquelle la combinaison d'un fentanil et d'un pachycurare est particulièrement inadaptée. La prudence commande de prévoir une technique d'induction permettant un maintien - ou un retour rapide - en ventilation spontanée en cas de difficulté. De très nombreuses directives proposent des algorithmes d'intubation difficile. Les recommandations anglaises, par exemple, suggèrent quatre phases stratégiques, comme l'algorithme en vigueur dans les institutions de Suisse Romande (algorithme FLAVA, Figure 4.16) [5].
- Plan A: préoxygénation, induction, curarisation, laryngoscopie directe (3 essais maximum); pression cricoïdienne directionnelle (manœuvre de Sellick) pour améliorer la visibilité des cordes vocales; essais avec lames, manches et mandrins adaptés (Cook™, S-Guide™, etc).
- Plan B: en cas d'échec du plan A, passage au vidéolaryngoscope et/ou au masque laryngé/Fastrach™; intubation à travers le dispositif avec ou sans vidéo par fibre optique.
- Plan C: en cas d'échec du plan B, ventilation forcée au masque facial, dispositifs extraglottiques; réveil et décurarisation en cas d'opération élective.
- Plan D: en cas d'échec du plan C et opération vitale ou ventilation impossible, oxygénation transtrachéale sous pression par cathéter, puis cricothyroïdotomie et passage d'une canule ventilatoire.
Figure 4.16 : Exemple d’un algorithme d’intubation difficile (FLAVA: Fondation Latine des Voies Aériennes, 2014).
En s'inspirant des algorithmes en vigueur, on peut proposer la séquence suivante pour la chirurgie cardiaque élective.
- Gargarisme et anesthésie pharyngo-laryngée par lidocaïne topique 2-4%;
- Infiltration bilatérale du nerf laryngé supérieur (1 cm en dessous de la grande corne de l'os hyoïde) avec 5 mL lidocaïne 1-2%;
- Eventuellement anesthésie transtrachéale par la membrane cricothyroïdienne (4-5 mL lidocaïne 4%);
- Installation optimale de la tête et du cou du patient;
- Pas de fentanyl ni de sufentanil (risque d'hypoventilation et de rigidité thoracique);
- Sédation au midazolam (1-3 mg iv) ou perfusion de propofol à vitesse lente si la prémédication est insuffisante;
- Préoxygénation généreuse.
Trois alternatives le plus souvent recommandées dans les situations électives:
- Intubation vigile au fibroscope sous anesthésie locale (spray laryngé).
- Induction + ventilation spontanée au masque O2 / sevoflurane (6 - 8% pendant 5 – 8 minutes); intubation sous contrôle de la vue ou au fibroscope en respiration spontanée.
- Induction au propofol (1-2 mg/kg) + suxaméthonium (1 mg/kg) ou rocuronium (1.2 mg/kg); intubation sur long mandrin malléable (Cook™, S-Guide™, etc) ou par vidéolaryngoscopie (Airtraq™, Glidoscope™, etc). Le rocuronium peut être antagonisé par le sugammadex (Bridion®) en cas d'échec.
Pendant les manœuvres d'intubation, une personne doit surveiller en permanence le comportement hémodynamique, l'ECG et la SpO2 du patient. Il arrive que l'examen préopératoire cause quelque inquiétude à l'anesthésiste au sujet de l'intubation, sans pour autant que celle-ci soit qualifiable de difficile. Il ne faut à aucun prix se laisser piéger dans la situation du malade endormi et curarisé, dont la glotte est invisible et la ventilation au masque inefficace. La prudence s'impose. Dans le doute, une induction au moyen de propofol ou une ventilation spontanée au sevoflurane après une anesthésie topique, permettent de contrôler l'adéquation de la ventilation au masque, de faire une laryngoscopie de visualisation et de prendre une décision tactique: intubation sous pachycurare ou sans curare, mandrins spéciaux ou vidéolaryngoscopie, fibroscopie en spontanée, éventuellement appel à un spécialiste ORL, ou réveil.
Curarisation
En anesthésie cardiaque, la relaxation pariétale n'est pas nécessaire pour la sternotomie, car la résistance à l'ouverture du sternum n'est pas musculaire; elle a lieu au niveau des articulations chondro-costales. Par contre, la curarisation est requise pour d'autres raisons.
- Intubation;
- Paralysie diaphragmatique lors des cardiotomies gauches; un inspirium par le diaphragme entraînerait une aspiration d'air dans les cavités gauches, avec risque d'embolie systémique au rétablissement de la circulation;
- Raisons chirurgicales: microchirurgie, chirurgie à cœur battant, thoracotomie, etc;
- Suppression des frissons (hypothermie, réchauffement) qui augmentent la VO2 jusqu'à 400%; en CEC, une curarisation profonde permet de diminuer la VO2 de 30% [7]; par analogie, la curarisation est efficace en cas de désaturation veineuse (↓ SvO2) sur bas débit cardiaque.
En anesthésie cardiaque, ni l'hémodynamique (déterminée par la CEC), ni l'état des pupilles (en miosis sur les hautes doses d'opiacé), ni la transpiration (due au réchauffement de la CEC) ne sont des signes permettant de juger d'un éventuel réveil. De plus, de nombreux cas d'éveil sous anesthésie surviennent sans modifications de la pression artérielle. Le seul critère fiable est la possibilité de manifester l'inadéquation de l'anesthésie par des mouvements spontanés. Avec un curare, plus rien ne prouve que le malade dorme de manière adéquate. Comme les systèmes de surveillance neurologique (EEG automatisé continu, BIS™, SPI, etc) ne sont malheureusement pas des repères satisfaisants (voir Chapitre 6, Monitorage cérébral) [2], il est donc logique de sous-curariser les patients, ou de ne les curariser qu'en fonction des besoins, et non des les maintenir dans un état de paralysie totale permanente. On peut ainsi conserver une forme de monitorage de la profondeur de l'anesthésie par la survenue de mouvements spontanés. Cette difficulté à évaluer le sommeil est un argument pour le garantir par l'administration continue d'un hypnogène: halogéné à 1 MAC, perfusion de propofol, doses répétées ou perfusion de midazolam.
Modifications hémodynamiques
D'une manière générale, tous les agents d'anesthésie baissent le tonus sympathique neuro-humoral, les baroréflexes, la précharge et les résistances artérielles, mais ils ont en général peu d'effet inotrope négatif direct. A cela s'ajoute la curarisation et la ventilation en pression positive. Il est donc normal que la pression artérielle et le débit cardiaque baissent à l'induction. Tout l'art de l'anesthésie est de limiter cette chute. La clef pour assurer une induction stable est triple:
- Lenteur d'administration des médicaments d'induction;
- Réduction des doses d'hypno-inducteur;
- Correction immédiate des variations hémodynamiques.
La pression artérielle systémique (PA), la fréquence cardiaque (FC) et le volume systolique (VS) peuvent être considérablement modifiés. Ces écarts ont un impact variable selon la cardiopathie.
- Hypotension artérielle: particulièrement dangereuse en cas d'ischémie coronarienne et de sténose valvulaire; la PAM doit être maintenue > 75 mmHg dans ces deux situations, mais doit rester > 60 mmHg dans tous les autres cas.
- Hypertension artérielle: dangereuse en cas d'insuffisance mitrale ou aortique et d'anévrysme ou de dissection aortique; dans ces pathologies, maintenir la PAM à environ 60-70 mmHg.
- Tachycardie: dangereuse en cas d'ischémie coronarienne et de sténose valvulaire; maintenir la fréquence à 60-65 batt/min dans ces cardiopathies.
- Bradycardie: dangereuse en cas d'insuffisance aortique et de dilatation ventriculaire (dysfonction VG, insuffisance mitrale).
- Baisse du débit cardiaque: dangereuse si la SvO2 baisse < 65%. Entre l'induction et l'incision, l'anesthésie est très profonde par rapport à l'absence de stimulation douloureuse. L'index cardiaque peut s'abaisser de manière impressionnante (1.5 -1.8 L/min/m2) sans que cela ne représente de risque, parce que les besoins de l'organisme sont particulièrement bas à ce moment. Tant que la SvO2 reste normale, le rapport DO2/VO2 reste équilibré.
- Chez les coronariens, le rapport PAM / FC (rapport de Buffington) doit rester > 1.
L’hémodynamique est un système multifactoriel complexe qui présente une certaine inertie ; il est donc important d’anticiper les écarts et d’opérer de petites corrections très rapidement, dès l’apparition de faibles changements dans la variable observée. Il suffit d'une faible dose d'hyper- ou d'hypo-tenseur pour contrecarrer une modification de PA si la correction est faite dès que la variation s'installe, sans attendre le nadir ou le pic de pression. L'administration de vasopresseur ou de vasodilatateur doit répondre à la vitesse de la variation hémodynamique et non à sa valeur absolue (voir Figure 4.6).
- En cas d'hypotension sévère, le débit circulatoire est tellement ralenti que le médicament injecté agit très lentement, ce qui incite à répéter les doses; lorsque l'effet recherché s'installe, on court le risque d'un bascule vers une poussée hypertensive.
- La sous-correction par rapport au besoin théorique permet d'éviter l'effet rebond qui crée une sorte de roulis rythmique, chaque dose de médicament administrée renvoyant le paramètre à l'extrême opposé. Ceci n'est possible que si la correction a lieu dès que la déviation commence.
Après l'induction et la connexion au respirateur, une hypotension artérielle est le phénomène le plus courant. Le traitement immédiat porte sur plusieurs points.
- Elévation des jambes à la verticale. C'est la méthode la plus simple, la plus rapide et la plus réversible d'augmenter la précharge (autotransfusion de 300-500 mL) et la postcharge (colonne de sang artériel représentant 60-80 mmHg) chez un malade curarisé. En effet, si le thorax reste horizontal lorsque le retour veineux augmente par l'élévation des membres inférieurs, le volume de l'OD s'élève mais la pression intrathoracique (Pit) n'est pas modifiée. La pression transmurale de l'OD (Ptm = POD - Pit) s'accroit et la précharge du cœur droit augmente, donc le DC s'élève [9].
- En position de Trendelenburg, au contraire, le poids des viscères abdominaux augmente la Pit du même ordre de grandeur que l'augmentation de la POD due au retour veineux, parce que le diaphragme est relâché par la curarisation. De ce fait, la Ptm de l'OD ne change pas, et la précharge effective du cœur n'est pas modifiée; le DC est inchangé [9]. La position de Trendelenburg augmente la pression veineuse cérébrale; en cas d'hypotension artérielle sévère, la pression de perfusion cérébrale (PPc = PAM – Pjugulaire) peut devenir insuffisante. Enfin, s'il est fixé à la tête du patient, le capteur de pression se retrouve en dessous du niveau du cœur lors du Trendelenburg; il affiche alors une élévation de la pression qui est purement artificielle.
- Ephédrine: bolus de 5.0 mg; à faible dose (< 5.0 mg), l'effet vasoconstricteur prédomine sur les veines centrales, ce qui augmente la précharge; à dose plus élevée (5-10 mg), les effets vasoconstricteur artériel et chronotrope positif sont dominants. L'éphédrine est indiquée lorsque l'hypotension est liée à une hypovolémie relative ou associée à une bradycardie.
- Phényléphrine: (bolus de 50-100 mcg); ce vasconstricteur artériel pur induit une bradycardie réflexe; il est indiqué en cas d'hypotension associée à une tachycardie, en cas d'ischémie myocardique ou de sténose valvulaire, et en cas d'arythmie (fibrillation auriculaire). Une absence de réponse hypertensive à la phényléphrine doit faire suspecter la présence d'une IA, d'une IM ou d'une dysfonction du VG.
- Administration de volume (250-500 mL cristalloïde ou colloïde); c'est un pis-aller, car l'augmentation du volume circulant avec un substitut plasmatique n'est pas souhaitable avant l'hypervolémie dilutionnelle causée par la CEC.
Une élévation de la PA à l'intubation est banale si elle n'est que passagère. Si elle se prolonge ou se transforme en poussée hypertensive, un traitement adapté au contexte s'impose.
- Approfondissement de l'anesthésie: isoflurane 5% (vasodilatation artérielle).
- Phentolamine (Régitine®): bolus 1 mg (vasodilatation artérielle); risque de tachycardie.
- Nitroglycérine (Perlinganit®): bolus 50-100 mcg (veinodilatation centrale, baisse de la précharge).
- Esmolol (Brevibloc®): bolus 10 mg, si la FC est > 70 batt/min et la FE > 0.5.
- Nitroglycérine et esmolol sont recommandés chez les patients souffrant d'ischémie coronarienne pour qui la tachycardie est dangereuse.
- Nitroprussiate de Na (Nipruss®): 0.5 – 3 mcg/kg/min en perfusion (vasodilatation artérielle) si l'HTA reste incontrôlable.
- Anesthésie topique des cordes vocales, du larynx et de la trachée 2 minutes avant l'intubation si l'HTA se déclenche à l'induction; spray laryngé de lidocaïne 2-4% intratrachéal.
Tous les médicaments utilisés pour gérer la pression, le débit et le rythme cardiaque sont des agents de courte durée d'action, car leur activité ne doit pas déborder sur la CEC ni, a fortiori, sur la période qui suit la mise en charge.
La combinaison d'un hypno-inducteur non tachycardisant (etomidate, propofol) et d'un fentanil bradycardisant (remifentanil > alfentanil > sufentanil > fentanyl) augmente le risque de bradycardie, particulièrement en présence de β-blocage et en l'absence d'atropine/scopolamine à la prémédication. On peut stabiliser la FC avec de l'éphédrine (bolus 10 mg) ou du pancuronium pour la curarisation (0.1 mg/kg). Mais dans les conditions ci-dessus, la laryngoscopie peut déclencher un ralentissement extrême ou une pause sinusale de durée variable (mais toujours trop longue !). On peut y remédier de plusieurs façons.
- Interruption immédiate de la manœuvre de laryngoscopie.
- Coup de poing sur le thorax pour déclencher une extrasystole, à répéter si nécessaire.
- Anesthésie topique de la base de la langue et des cordes vocales avec un spray laryngé de lidocaïne 2-4%, puis nouvel essai après au moins 2 minutes.
- Atropine (0.5 mg); le degré de cardio-accélération est imprévisible; l'atropine est contre-indiquée en cas de FA car elle peut déclencher une tachyarythmie incontrôlable.
- Isuprel (bolus 10 mcg); en cas de bradycardie réfractaire ou de bloc AV.
La stimulation mécanique de la base de la langue (laryngoscopie) et de la face supérieure des cordes vocales provoque un réflexe vagal, alors que la stimulation de la face inférieure des cordes vocales, du larynx et de la trachée (intubation) induit une stimulation sympathique.
Pose de la voie centrale
Il est exceptionnel que la voie veineuse centrale ou le cathéter pulmonaire doivent être installés sous anesthésie locale avant l’induction. Après l’intubation, il est judicieux d’introduire la sonde d’ETO de manière à pouvoir contrôler en temps réel la position du mandrin dans l’OD. On procède ensuite à la pose de la voie centrale (voir Chapitre 6, Techniques de ponction).
- Installation tête déclive, bras ipsilatéral le long du corps ;
- Désinfection de 2 sites de ponction (jugulaire et sous-clavière), conditions de stérilité chirurgicale ;
- Cas simples : cathéter 2-3 lumières ;
- Introducteur et cathéter pulmonaire de Swan-Ganz selon indications (Tableau 4.1) ;
- Cas complexes : cathéter pulmonaire de Swan-Ganz + voie centrale ;
- Alternative : pose d’un cathéter 3-lumières et d’un introducteur en jugulaire interne droite (ou autre veine centrale selon les possibilités).
En jugulaire interne, le voisinage de la carotide impose de s’assurer de la position exacte de la veine avant de procéder à la pose du cathéter. Deux méthodes sont à disposition : le repérage préalable à l’aiguille fine (21G) ou la ponction guidée par ultrasons (voir Chapitre 6, Guidage par ultrasons). Le cathéter artériel pulmonaire est avancé en position bloquée dès qu'il est mis en place de manière à disposer de données hémodynamiques de base, sauf en cas de sténose aortique serrée ou de risque élevé d'arythmie grave (fibrillation ventriculaire, bloc complet), auquel cas il n'est descendu qu'après l'ouverture du péricarde.
Simultanément à celle de la voie centrale, il est habituel de procéder à la pose de la sonde urinaire. Celle-ci est suivie de la mise en place des sondes de température oesophagienne et rectale (si la sonde urinaire ne comporte pas de mesure de température incorporée).
Installation
Une fois l'équipement terminé, l'installation du patient sur la table d'opération est soigneusement vérifiée, car il restera invisible sous les champs pendant plusieurs heures. Tous les points d'appui sont rembourrés, car l'hypothermie et les épisodes d'hypotension augmentent le risque d'escarre, particulièrement au niveau des talons, du bassin et de l'occiput. Les raccords et les tubulures de perfusion sont vérifiés, car ils seront inaccessibles une fois les bras le long du corps. Le zéro des capteurs de pression est contrôlé. Les yeux sont enduits de pommade ophthalmique protectrice.
Les lésions nerveuses ne sont malheureusement pas rares et très gênantes pour le malade dans les mois qui suivent l'intervention.
- Plexus axillaire: hyperextension d'un bras (prélèvement de l'artère radiale), rétraction sternale excessive; compression par des bourrelets adipeux chez les obèses dont les bras sont serrés contre le thorax.
- Nerf cubital: compression entre l'olécrâne et le bord de la table d'opération.
- Nerf radial: compression contre le cadre lorsque le bras y est fixé.
- Nerf médian: compression par des tubulures ou robinets.
- Doigts et mains: compression, rotation ou hyperextension.
Il est prudent d’installer les obèses avec les bras écartés en croix pour éviter une compression du plexus axillaire. Il en est de même pour les insuffisants rénaux porteurs de fistules artério-veineuses ; celles-ci doivent rester libres et palpables pendant toute l’intervention.
Induction de l’anesthésie |
Avant l’induction : contrôle de l’appareil d’anesthésie, du matériel et des médicaments à disposition ; mise en place de la voie veineuse et du cathéter artériel, de préférence fémoral. Administration de l'antibiotique.
Veiller au confort du patient dans une atmosphère calme.
Un opiacé (3-5 mcg/kg de fentanyl, 1 mcg/kg de sufentanil, 0.2-0.5 mcg/kg de remifentanil) atténue la réaction sympathique de l’intubation mais peut induire une rigidité thoracique obligeant à une curarisation rapide.
L’effet cardiodépresseur des agents d’induction est par ordre croissant: etomidate < midazolam < propofol < thiopental. Vu leur pharmacodynamique, la dose hypnogène doit être répétée avant l’intubation (délai de 4-5 minutes), sauf si le sommeil est approfondi avec du sevoflurane entre l’induction et le passage du tube (le délai est trop court pour l’isoflurane). En cas de bradycardie : anesthésie topique de la base de la langue ; en cas de tachycardie/HTA : anesthésie topique du larynx et de la trachée.
Chez le coronarien, maintenir la FC ≤ 60-65 batt/min avec de l’esmolol si les agents d’induction n’y suffisent pas ; maintenir le rapport PAM / FC > 1.
Maintenir la PAM à 75 mmHg. Si hypotension : jambes verticales, éphédrine ou phényléphrine selon la FC ; éviter de perfuser > 500 mL. Si hypertension : isoflurane 5%, nitroglycérine, phentolamine, esmolol selon la FC. Ne pas intuber pendant une poussés sympathique.
Passage de la sonde d’ETO avant la pose de la voie centrale (contrôle de la position dans l’OD).
Contrôle soigneux de l’installation du patient (points d’appui, compressions nerveuses, etc).
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© CHASSOT PG, BETTEX D, MARCUCCI C, Septembre 2010, dernière mise à jour, Décembre 2018
Références
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04. Spécificités de l'anesthésie pour la chirurgie cardiaque
- 4.1 Remarques générales
- 4.2 Effets hémodynamiques des agents d'anesthésie
- 4.3 Conduite de l'anesthésie en chirurgie cardiaque
- 4.3.1 Prémédication
- 4.3.2 Choix de la technique d'anesthésie
- 4.3.3 Induction
- 4.3.4 Ventilation
- 4.3.5 Période précédant la circulation extra-corporelle
- 4.3.6 Anticoagulation pour la CEC
- 4.3.7 L'anesthésie pendant la circulation extra-corporelle
- 4.3.8 Sevrage de la CEC
- 4.3.9 Période suivant la CEC
- 4.3.10 Insuffisance ventriculaire post-CEC
- 4.3.11 Arythmies post-CEC
- 4.3.12 Réveil et extubation
- 4.3.13 Circuit rapide (fast-track)
- 4.3.14 Besoins liquidiens
- 4.3.15 Epargne sanguine et transfusions
- 4.3.16 Contrôle métabolique
- 4.3.17 Situations particulières
- 4.4 Anesthésie loco-régionale
- 4.5 Médicaments cardiovasculaires peropératoires
- 4.6 Conclusions