Step 8 of 17

Sevrage de la CEC

Préparation au sevrage

Le sevrage de la CEC est un moment critique qui doit être préparé et effectué en synergie entre chirurgien, perfusionniste et anesthésiste. Le plan thérapeutique est discuté et établi à l'avance, de manière à éviter les discussions contradictoires et les pertes de temps au moment où des décisions rapides s'imposent. La communication est de toute première importance. Toutes les manœuvres se font en coordination et chacun annonce à haute voix celles qu'il entreprend (Figure 4.21) [1]. 
 

Figure 4.21: Déroulement des évènements précédant la fin de la CEC et la mise en charge. Cadres rouges: activités chirurgicales; cadres bleus: activités anesthésiques.
 
La check-list des contrôles à effectuer avant la mise en charge figure dans le Tableau 4.14.

 
Un certain nombre de conditions doivent être remplies avant la mise en charge.
 
  • Température centrale (œsophage) > 36°C, température rectale > 35°C. Les températures naso-pharyngienne et tympanique, qui représentent la T° cérébrale, sous souvent plus élevées (≥ 38°C) à cause de la dérive hyperthermique du cerveau lors d'un réchauffement rapide; elles ne sont pas un bon critère pour la mise en charge.
  • Placement de l'électrode ventriculaire d'entraînement par le pace-maker; l'électrode auriculaire est en général fixée après la décanulation veineuse.
  • Rythme sinusal ou électro-entraîné par les électrodes de pace-maker à 65-80 batt/min ; la bradycardie ne permet pas de maintenir le débit cardiaque ni la pression artérielle, qui sont optimaux à 80-85 batt/min ; chez les coronariens, le risque ischémique en cas de tachycardie est diminué après revascularisation.
  • Une tachycardie sinusale à ≥ 100 batt/min est en général liée à l'hypovolémie auriculaire et à la présence des canules veineuses dans l'OD; elle cesse avec le remplissage de l'oreillette. Si ce n'est pas le cas, il faut suspecter plusieurs possibilités: hypoventilation (hypoxie, hypercapnie), réveil, excès de catécholamines, anémie, ischémie. Si le traitement de ces causes est inefficace, il est possible de verser du liquide froid sur le nœud du sinus.
  • Tachyarythmie sus-jonctionnelle (flutter, FA): cardioversion synchrone par les palettes internes (2-10 J), amiodarone (150-300 mg en 20 minutes); les β-bloqueurs sont à éviter à cause de leur effet inotrope négatif.
  • Calcium (5 mg/kg CaCl2 par la canule aortique ou la voie centrale): efficace en cas d'hypocalcémie (Ca2+ < 1 mmol/dL) ou d'hyperkaliémie, mais peut provoquer un spasme au niveau des greffons artériels et aggraver les lésions de reperfusion myocardique.
  • Magnésium (1-2 gm MgCl2): indication large en cas d'arythmie, car la CEC est responsable d'une hypomagnésémie et le Mg2+ est inoffensif.
  • Ventilation: les poumons sont ré-expandus par des manœuvres de capacité vitale (insufflation à 30 cm H2O pendant 20 secondes) sous le contrôle de la vue dans le champ opératoire; une manœuvre trop brutale ou une distension pulmonaire exagérée peut déchirer l'anastomose de l'artère mammaire interne. Les sécrétions sont soigneusement aspirées. Le malade est ventilé à FiO2 0.5-0.8, sans halogéné (interruption momentanée en cas de dysfonction ventriculaire pour éviter l'effet inotrope négatif à la mise en charge). La FiO2 est réglée de manière à assurer une SpO2 > 98% (dans la mesure où sa lecture est fiable), contrôlée par une gazométrie (PaO2 ≥ 100 mmHg). Une FiO2 excessive peut aggraver les lésions de reperfusion myocardiques. Il est bon de reprendre la ventilation dès que le cœur bat, si cela ne dérange pas le travail chirurgical, car la géométrie du flux qui sorte de la canule de CEC fait que le sang qui vascularise les coronaires provient essentiellement du sang éjecté par le VG, donc en provenance des poumons. La PetCO2 mesurée par le moniteur d'anesthésie est très basse parce que les échanges gazeux se font encore dans l'oxygénateur de la CEC. Le perfusioniste et le chirurgien doivent s'enquérir de la reprise effective de la ventilation avant la mise en charge.
  • Contrôle du débullage des cavités gauches à l'ETO (Vidéo); le cas échéant, compléter le débullage par secousses, aspiration par la canule de cardioplégie, modification de position, ponction directe, etc.


    Vidéo: présence de multiples microbulles d'air dans les cavités gauche en fin de CEC.
     
  • Les bulles peuvent facilement emboliser dans la coronaire droite et les pontages aorto-coronariens, puisque ces vaisseaux s'abouchent sur la face antérieure de l'aorte ascendante qui est au zénith chez une personne en décubitus dorsal. Cette embolisation occasionne une dysfonction droite et une surélévation aiguë du segment ST dans les territoires concernés; à l'ETO, elle s'accompagne d'altérations de la cinétique segmentaire et d'infiltration aérique très échogène dans la paroi ventriculaire (Figure 25.237). Ces modifications sont de courte durée (< 15 minutes) et disparaissent en augmentant la contractilité (agent inotrope) et la pression de perfusion (vasoconstricteur) ou en ponctionnant le vaisseau à l'aiguille fine si les bulles sont visibles.


    Figure 25.237 : Accumulation d’air dans le cœur gauche en fin de CEC. A : l’air provient de la cardiotomie gauche et des veines pulmonaires droite (VPD) et gauches (VPG) ; il s’accumule aux endroits les plus suré-levés : angle entre le septum interauriculaire et le toit de l’OG, angle mitro-aortique, septum interventriculaire antéro-apical en position de Trendelenburg.  B : vue 4 cavités avec d’innonbrables bulles dans l’OG et le VG, ainsi que deux zones d’accumulation contre le septum inter-auriculaire et dans les trabéculations du septum interventriculaire. C : embolisation d’air dans le muscle papillaire postérieur (territoire de la coronaire droite).
     
  • Agents inotropes: une catécholamine doit être prête à l'usage sur un pousse-seringue. Selon les circonstances (voir ci-dessous), le choix se porte sur la dopamine, la dobutamine ou l'adrénaline ; il est possible d’adjoindre de la noradrénaline (si RAS basses) ou de la milrinone (si RAS hautes, insuffisance droite ou HTAP). 
  • Une vasoplégie est fréquente après une CEC hypothermique ou normothermique; prévoir une perfusion de noradrénaline (0.1-1.0 mcg/kg/min), et si nécessaire de vasopressine (1-4 U/h).
  • Remplissage: volume de la CEC ; ce sang, riche en K+ à cause de la cardioplégie, contient de l’héparine ; son Ht est bas car c’est celui de la CEC. On évite les cristalloïdes (hémodilution excessive) et les colloïdes (risque de coagulopathie avec les amidons et d'insuffisance rénale avec les HES) tant que le circuit de CEC n'est pas vide.
  • Seuils de transfusion: 
    • 70-80 g/L si bonne fonction, revascularisation complète, absence de valvulopathie et d'hémorragie ;
    • 90 g/L si dysfonction ventriculaire, ischémie potentielle, âge > 70 ans, insuffisance respiratoire, rénale ou hépatique.
  • Coagulation: contrôle de l'ACT, du fibrinogène, du facteur XIII et du thromboélastogramme (FIBTEM, HAPTEM); le cas échéant, préparation des facteurs de coagulation déficitaires, notamment du fibrinogène si le FIBTEM est < 15 mm. Dégeler du PFC se justifie essentiellement lorsqu'on s'attend à une hémorragie massive (chirurgie de l'aorte thoracique ou de la paroi ventriculaire, reprise, etc), mais non pour son apport en facteur de coagulation, qui est très faible (voir Figure 8.19) [7,9].
Le champ opératoire et l'écran de l'ETO offrent une vue directe de la fonction des cavités cardiaques et de leur remplissage.
 
  • Par la sternotomie, on voit l'OD et le VD; ceci permet d'apprécier le rythme cardiaque (rythme synchrone, FA, bloc AV complet), le volume et le degré de distension des cavités droites, et la contractilité de la paroi libre du VD. Le VD est dilaté s'il déborde en hauteur la ligne d'incision du péricarde au niveau du diaphragme. 
  • A l'ETO, on apprécie la fonction globale et segmentaire du VG, le volume des cavités, le degré d'hypo- ou d'hypervolémie, l'éventuelle dilatation ventriculaire et la présence d’une IM ou d’une IT (Vidéos). On mesure les indices fonctionnels du VG et du VD; on contrôle le fonctionnement des valves (prothèses, fuite résiduelle, fuite paravalvulaire). Le flux mitral renseigne sur le rythme (flux E et A ou flux unique) et sur l'efficacité de la contraction auriculaire (importance de la composante A). 


    Vidéo: Insuffisance mitrale sévère après des pontages aorto-coronariens sur une ischémie antéro-apicale étendue.


    Vidéo: Insuffisance tricuspidienne sévère sur défaillance droite après transplantation cardiaque; la surcharge de l'OD se traduit par un bombement du septum interauriculaire vers la gauche.
Le principe de Frank-Starling implique que le ventricule doit être correctement rempli pour avoir une contractilité normale. Tant qu'il est vide, le VG ne peut pas retrouver sa force de contraction. S'il était dilaté en préopératoire, son volume de remplissage restera agrandi en sortant de pompe. 
 
Dans les situations où un soutien inotrope est nécessaire, il est conseillé de débuter la perfusion de catécholamines assez tôt avant la mise en charge, de manière à ce que les taux myocardiques soient efficaces au moment où le cœur doit assumer le débit cardiaque. Le meilleur moment est pendant le réchauffement, après le déclampage de l’aorte (Figure 4.21). La dose de charge de milrinone est administrée dans la CEC si possible > 20 minutes avant la mise en charge. Il n’y a pas lieu d'administrer des agents inotropes avant le déclampage de l’aorte puisque les coronaires ne sont pas perfusées ; les seuls effets seront vasculaires périphériques (vasodilatation ou vasoconstriction) et métaboliques (hyperglycémie, acidose). 
 
La vasoconstriction artérielle périphérique est souvent suffisante pour amortir la pression dans l'artère radiale: la pression lue est 25-50% plus basse que la pression aortique. Ce phénomène survient dans 33-45% des cas, principalement chez les patients de petite taille, après une CEC hypothermique (< 32°C) ou un long clampage aortique, et lors d'utilisation de vasoconstricteurs artériels [3,6]. De ce point de vue, un cathéter placé dans une artère fémorale donne des renseignements beaucoup plus fiables. Il en est de même de la forme analogique de la courbe artérielle qui, en l'absence de lésion sur la valve aortique, donne une bonne idée du volume systolique et de la puissance d'éjection du VG (Figure 4.22). 


Figure 4.22: Représentation de courbes artérielles dans différentes situations. A: courbe normale. B: abaissement du dP/dt et de la pression pulsée (PAs – PAd) en cas de dyfonction du VG. C: courbe étroite de l'hypovolémie (petit volume systolique). D: courbe d'une artère rigide (artériosclérose) avec double pic systolique (flèche) du au retour précoce de l'onde réfléchie. E: enregistrement sur le même capteur de la courbe dans l'artère fémorale (équivalente à celle de l'aorte) et de la courbe de l'artère radiale; cette dernière est si altérée après une CEC hypothermique que la pression affichée est 40-50% plus basse que la pression centrale réelle.
 
Si l'on superpose à l'écran les courbes d'artère systémique et d'artère pulmonaire en conservant la même échelle, on peut estimer visuellement deux données importantes.
 
  • La pression de perfusion coronarienne est la différence entre la PAdiast systémique et la PAPdiast (ou la PAPO);
  • Le travail ventriculaire droit est l'équivalent de la différence entre la PAPmoy et la PVC.

Déroulement de la mise en charge
 
La mise en charge doit être d'autant plus lente et progressive que la fonction ventriculaire est diminuée. Il est habituel de procéder par paliers d'un litre/min et de juger de la tolérance du cœur. Toute défaillance doit faire ralentir la cadence et ajuster le soutien inotrope. Toute dilatation ventriculaire droite ou gauche est le signe d'une surcharge excessive. La survenue ou l'aggravation d'une IM ou d'une IT sont d'excellents indices d'une défaillance imminente [1,4,5]. 
 
  • Le premier temps consiste à freiner le retour veineux au réservoir de la CEC de manière à laisser un certain remplissage dans l'OD. Ce volume va être éjecté par le VD et servir de précharge au VG. Le débit cardiaque augmente au fur et à mesure que sa précharge s'élève. L'ETO est un meilleur guide du remplissage gauche que la PAPO, parce que le ventricule souffre d'une certaine dysfonction diastolique après la CEC (œdème myocardique, cardioplégie, manipulations mécaniques); dans ces conditions, le même volume de remplissage correspond à une pression plus élevée. L'ETO renseigne également sur la taille des ventricules, leur fonction et la performance des valves. 
  • Le deuxième temps consiste à diminuer progressivement le débit de la CEC par la canule aortique de 0.5 à 1.0 L/min par minute. 
  • Lorsque l'hémodynamique est stable (PAsyst 80-100 mmHg, PAP normale) alors que la pompe n'est plus qu'à 1.0 L/min depuis au moins 1 minute, le perfusionniste interrompt la pompe et clampe les canules veineuse et artérielle. 
  • Si la situation reste stable (PAsyst > 90 mmHg, IC > 2.0 L/min/m2, image ETO satisfaisante), on enlève la(les) canule(s) veineuse(s) de l'OD. 
La précharge est ajustée en ajoutant du volume par la canule artérielle, par aliquots de 50-100 mL, jusqu'à ce que la pression artérielle et le débit cardiaque ne se modifient plus, ce qui signale qu'on a atteint le plateau de la courbe de Frank-Starling. L'affichage de la PVC en continu permet de voir comment le VD accomode ce remplissage. En cas d'insuffisance ventriculaire, la courbe de Starling est très aplatie, et les variations de précharge ne modifient guère le débit cardiaque (Figure 4.23A). 


Figure 4.23A : Courbes de Frank-Starling du VG illustrant la relation entre la précharge et la performance systolique. Courbe normale (en vert), courbe en cas de dysfonction systolique (en rouge), et en cas de dysfonction diastolique (en bleu). La courbe de Starling du VD (en pointillé) est très plate, ce qui signifie que le débit du VD normal ne dépend que très peu de la précharge. 
 
Il faut alors jouer sur la contractilité (agents inotropes) et les RAS ou les RAP (vasoconstricteurs ou vasodilatateurs). La valeur de pression artérielle à maintenir varie selon les circonstances.
 
  • PAM ≥ 80 mmHg, PAsyst > 100 mmHg en cas d'HTA, de sténose carotidienne, de maladie cérébro-vasculaire ou d'insuffisance rénale;
  • PAM 60-70 mmHg, PAsyst 90-100 mmHg en cas de dilatation du VG ou de risque de déchirure de la paroi aortique au niveau des bourses et des sutures;
  • PAM 50-60 mmHg pendant la décanulation aortique et la suture de la bourse pariétale.
Lorsque les sources hémorragiques majeures ont été taries, le feu vert est donné par le chirurgien pour la neutralisation de l'héparine par la protamine. Pour éviter la catastrophe d'une injection accidentelle en cours de CEC, la protamine n'est jamais préparée à l'avance. Le rapport protamine:héparine varie de 0.5:1 (0.5 mg pour 100 UI) à 1:1 (1 mg pour 100 UI). Le risque de saignements secondaires est plus faible lorsque le rapport protamine:héparine est de 0.8 que lorsqu'il est > 1.3 [8]; en dose excessive (rapport > 1.3:1), la protamine a un effet anticoagulant. Un dosage basé sur l’héparinémie réelle du patient (système Hepcon/HMS™), sur la thromboélastographie (HEPTEM) ou sur un algorithme pharmacocinétique est plus performant que l'évaluation par l'ACT [2]. Il est habituel d'administrer la moitié de la dose calculée après la décanulation de l'aorte, puis de procéder à la décanulation de l'OD, et de terminer ensuite la deuxième moitié de la protamine. Cette cadence est annoncée à haute et intelligible voix par l'anesthésiste. La protamine provoque une vasodilatation systémique et une vasoconstriction pulmonaire dont l'intensité est proportionnelle à la vitesse d'injection, qui ne doit pas dépasser 50 mg/min (dilution dans 100 mL NaCl 0.9% administrés en ≥ 10  minutes). Un choc anaphylactique peut survenir chez les patients qui ont déjà été en contact avec la protamine (réopération, diabétique sous insuline protamine-zinc), qui y sont allergiques (allergie aux poissons) ou qui ont été vasectomiés. En général, l'administration de protamine s'accompagne d'une hypotension systémique neutralisée par l’adjonction d’un vasoconstricteur et de volume de remplissage. Les cas sévères demandent la perfusion d'un anti-histaminique, d'un corticostéroïde, d'adrénaline, de prostaglandine E1 et éventuellement de bleu de méthylène [2]. Dès que l'anesthésiste annonce que l'administration de protamine commence, le chirurgien cesse d'aspirer le sang par les aspirations de cardiotomie et utilise celle du CellSaver™. Après la fin de la protamine, on procède à une série de mesures (voir Tableau 4.15).
 
  • ACT, ROTEM, test d'agrégabilité plaquettaire (si indiqué), fibrinogène (si Fibtem < 15 mm);
  • Hb, Ht, thrombocytes;
  • Gazométrie, glycémie, électrolytes, équilibre acido-basique, lactate; 
  • Administration d'acide tranexamique (30 mg/kg);
  • Test de l'électro-entraînement par le pace-maker;
  • Retransfusion du perfusat contenu dans la machine de CEC après concentration par le CellSaver™ (Ht environ 50%);
  • Retransfusion des flacons prélevés par hémodilution.
Bien qu'une catécholamine doive toujours être prête en sortie de CEC, un soutien inotrope n'est pas obligatoire pour tous les patients. Lorsque la fonction est bonne, la CEC courte et l'intervention sans incident, il est parfaitement possible de mettre en charge sous surveillance échocardiographique sans perfusion de cardiopresseur. Mais ceci n'est adéquat que si l'on garde à l'esprit que la situation est très évolutive et que la fonction myocardique baisse pendant les 5-6 premières heures après la CEC. Il faut donc être constamment prêt à modifier son attitude et à démarrer une catécholamine dès que la situation n'est plus parfaitement contrôlée. Il ne faut à aucun prix laisser s’installer une dysfonction ventriculaire, car on entre immédiatement dans un cercle vicieux : le bas débit cardiaque entraîne une hypotension artérielle et une ischémie coronarienne, conduisant à une réduction supplémentaire de la fonction venriculaire et du débit cardiaque. Dans la majorité des cas, cependant, une catécholamine est nécessaire pour maintenir l'équilibre hémodynamique à cause de la dysfonction ventriculaire passagère qui survient après la CEC (voir Insuffisance ventriculaire post-CEC). Lorsque la perfusion est en cours, la vitesse d’administration des catécholamines est adaptée en permanence aux circonstances et à l'évolution de la fonction systolique. Comme la vasodilatation est fréquente après la CEC, notamment chez les malades sous inhibiteurs de l'enzyme de conversion ou antagonistes du récepteur de l'angiotensine, il est coutumier d'utiliser une perfusion de nor-adrénaline pour maintenir une pression de perfusion adéquate, pour autant que la fonction du VG soit satisfaisante.
 
L'œdème lié à la CEC, la cardioplégie et les manipulations subies par le cœur sont responsables d'une insuffisance diastolique caractérisée par un défaut de compliance des ventricules. D'intensité variable, cette dysfonction diastolique est toujours présente pendant les premières heures postopératoires. Il faut en tenir compte dans l'interprétation des pressions de remplissage. En effet, au même volume télédiastolique correspond une pression plus élevée que normalement. Le patient peut être hypovolémique avec une PVC ou une PAPO apparemment normales (Figure 4.23B). Il arrive qu'un remplissage normal requiert une PVC de 10-12 mmHg et une PAPO de 15-18 mmHg, particulièrement chez les patients souffrant d'hypertrophie ventriculaire. 


Figure 4.23B : Courbe de compliance normale du VG (en vert) et lors de dysfonction diastolique (en violet). Dans ce deuxième cas,  la pression P correspond un volume ventriculaire plus petit (V’) que la norme (V) ; le sujet peut être hypovolémique avec une POD (PVC) ou une POG (PAPO) normale. La normovolémie d’un sujet souffrant de dysfonction diastolique (V’’ violet) est une pression de remplissage (P’) qui correspond à une hypervolémie (V’’ vert) chez un sujet normal.
 
L'hyperkaliémie (5.0-6.5 mEq/L) est fréquente après une CEC, parce que la solution de cardioplégie contient 20 mEq/L de K+. En l'absence d'arythmie, elle ne justifie pas de thérapeutique. Le traitement est recommandé lorsque la kaliémie est > 7.0 mEq/L ou qu'elle entraine des conséquences hémodynamiques ; il consiste en calcium (CaCl2 bolus 5-10 mg/kg) et en perfusion d’insuline + glucose. L'hypomagnésémie est courante et contribue aux arythmies. Il est habituel de prescrire 2 gm de MgCl2.
 
Pour limiter le bilan hydrique et soustraire des déclencheurs inflammatoires, il est fréquent de prolonger l’ultrafiltration (UF) de la CEC par un montage modifié (MUF modified ultrafiltration) mis en route après la fin de la CEC. Le sang est capté sur la ligne artérielle (canule aortique), aspiré par la pompe du circuit de l’ultrafiltration (15-30 mL/kg/min), hémofiltré et renvoyé dans la canule veineuse d’où il regagne l’OD, parce que la canule veineuse en direction du réservoir est clampée. Le circuit du sang est réduit à : aorte – pompe d’UF – appareil d’UF – canule veineuse – OD (voir Figure 7.15B). Le reste de la CEC (réservoir, pompe maîtresse, oxygénateur, etc) est hors-circuit. Ce système retarde la décanulation et l’administration de la protamine, et réclame beaucoup d’attention pour maintenir le remplissage de la CEC et la volémie du patient, mais il diminue significativement le syndrome inflammatoire systémique.
 
Sortie de pompe difficile
 
La mise en charge est facile dans 50% des cas, difficile dans 35-40% et très difficile dans 6-15% [4]. La mortalité postopératoire est directement liée au déroulement de la sortie de pompe : elle est respectivement de 0.7%, 4.5% et 22.4% dans les cas faciles, difficiles et très difficiles. Certains éléments préopératoires prédisent une sortie de pompe malaisée.
 
  • Dysfonction ventriculaire (FE < 0.35), dilatation du VG et/ou du VD;
  • Choc cardiogène (soutien inotrope ou assistance ventriculaire pré-CEC);
  • Hypertension pulmonaire;
  • Ischémie active, infarctus menaçant (surélévation ST persistante);
  • Age > 70 ans, sexe féminin;
  • Comorbidités : BPCO, insuffisance rénale ;
  • Opération en urgence, réopération, longue CEC.
Des évènements survenus en cours de CEC peuvent également occasionner des problèmes majeurs en sortant de pompe.
 
  • Revascularisation coronarienne incomplète, difficultés techniques sur les anastomoses.
  • Sidération (non-reprise fonctionnelle malgré le rétablissement de la circulation), phénomène de no-reflow (absence de perfusion périphérique alors que le vaisseau épicardique débite correctement).
  • Lésion de reperfusion: accumulation de Ca2+ ionisé dans le sarcoplasme, libération de radicaux libres (peroxydes) qui lèsent les lipoprotéines, œdème cellulaire; sur l'ECG, on voit des ondes T inversées et pointues.
  • Prothèse valvulaire de taille insuffisante (patient-prosthesis mismatch), ailette bloquée, fuite paravalvulaire. Lors de remplacement mitral: rupture pariétale postérieure du VG, suture accidentelle de la CX. Lors de remplacement aortique: déchirure de l'anneau aortique.
  • Cardioplégie insuffisante, fibrillation ventriculaire persistante.
  • Dilatation aiguë d'un ventricule: insuffisance aortique, retour veineux excessif, vidange du VG (venting) mal assurée.
  • Résection myocardique étendue.
  • Hypotension prolongée (PAM < 50 mmHg) ou débit insuffisant par rapport à la température.
  • Longue durée de CEC (> 3 heures), clampage aortique de > 2 heures.
  • Syndrome inflammatoire systémique massif.
De nombreuses étiologies concourent à rendre une sortie de pompe difficile. On peut les classer par leurs mécanismes physiopathologiques [5].
 
  • Réduction du retour veineux (POD, POG basses) :
    • Hémorragie ;
    • Hémothorax, hémopéritoine ;
    • Veinodilatation : vasoplégie, choc anaphylactique, sepsis (endocardite) ;
  • Augmentation de la pression auriculaire droite/gauche :
    • Insuffisance VD et/ou VG systolique ;
    • Insuffisance VD et/ou VG diastolique ;
    • Prothèse mitrale ou tricuspidienne trop petite ou défectueuse ; 
  • Restriction au remplissage (POD en général élevée) :
    • Tamponnade ;
    • Pneumothorax ;
    • Syndrome du compartiment abdominal ;
    • Syndome cave (compression, canule) ;
    • Fermeture constrictive du péricarde et du sternum ;
  • Obstruction à l’éjection
    • Sténose dynamique de la CCVG ("effet CMO") ou de la CCVD ;
    • Prothèse aortique trop petite ou défectueuse ;
  • Défaut de couplage ventriculo-artériel :
    • Vasoplégie systémique (↓ RAS) (protamine, SIRS, IEC, sepsis, endocardite) ;
    • Poussée d’HTAP (↑ RAP), hypoxémie, hypercapnie.
 
Retour en pompe
 
Il arrive que le cœur ne puisse pas assurer un débit satisfaisant après la mise en charge. Cette défaillance peut survenir immédiatement ou dans les minutes qui suivent. Elle se manifeste par plusieurs phénomènes.
 
  • Hypotension artérielle persistante (PAsyst < 80 mmHg);
  • Dilatation aiguë du VG et/ou du VD;
  • Chute de la performance ventriculaire à l’ETO (baisse de la FE) ;
  • Insuffisance mitrale de degré > III (ETO), onde "v" massive sur la PAPO;
  • Elévation de la PVC et de la PAPO;
  • Chute du débit cardiaque: IC < 1.5 L/min/m2;
  • Chute de la SvO2 et/ou de la ScO2 < 55% ;
  • Ischémie avec surélévation ST et altérations persistantes de la cinétique segmentaire;
  • Acidose métabolique, échanges gazeux insuffisants.
Le traitement de cette défaillance doit être agressif. Si les catécholamines à haute dose ne sont pas suffisantes, le retour en CEC s'impose rapidement. Si le malade est déjà décanulé ou que l'administration de protamine a débuté, il faut immédiatement injecter par voie centrale une dose complète d'héparine (300 U/kg) et masser le ventricule dans le champ opératoire pour assurer le débit. La recanulation est stressante, difficile et hémorragipare. Dès que la CEC commence, on interrompt les perfusions de cardiopresseurs. Une fois le débit rétabli par la pompe, il existe plusieurs possibilités.
 
  • Soutien en assistance circulatoire pendant 20-30 minutes; efficace s'il s'agissait simplement d'une mise en charge trop brutale;
  • Reprise chirurgicale: réfection de pontage, correction de la prothèse/plastie valvulaire, geste additionnel;
  • Gestion des problèmes ventilatoires (selon gazométrie);
  • Mise en place d'une contre-pulsion intra-aortique (CPIA); le plus adapté en cas d'ischémie myocardique et/ou d’insuffisance mitrale;
  • Mise en place d'une assistance cardio-respiratoire: ECMO (extracorporeal membrane oxygenation);
  • Mise en place d'une assistance ventriculaire (voir Chapitre 12, Assistance ventriculaire).
Lors de défaillance droite, il est judicieux de ne refermer ni le péricarde ni le sternum afin d'éviter l'effet tamponnade de la fermeture sternale sur le VD. La plaie est protégée par une pièce de tissu synthétique cousue à la peau.
 
 
Sevrage de la CEC
Au déclampage de l’aorte, le rythme cardiaque reprend spontanément en quelques minutes ou le cœur fibrille ; dans ce cas, défibrillation par palettes internes (5-20 J, maximum 50 J), à répéter autant de fois que nécessaire (les lésions de reperfusion peuvent entraîner des TV/FV itératives), avec administration de Mg2+, de lidocaïne et/ou d’amiodarone. 
Reprendre la ventilation après des manoeuvres de capacité vitale (surveiller dans le champ opératoire). Surveiller SpO2, SvO2, couleur du patient et du champ opératoire.
Mise en place des électrodes de pace-maker. 
Contrôle du débullage (ETO). 
T° centrale (œsophage) > 36°C, T° périphérique (rectale) > 35°C.
Stabilisation du rythme cardiaque.
Evaluation de la fonction et du volume ventriculaires dans le champ opératoire (VD), à l’ETO (VG) et par la courbe artérielle (l’artère radiale peut être tamponnée par vasoconstriction, l’artère fémorale est plus fiable). 
Utilisation préemptive judicieuse des catécholamines, qui sont débutées assez tôt (mais pas avant le déclampage), de manière à avoir atteint leur taux thérapeutique au moment de la mise en charge. Il est possible de sortir de pompe sans amines si la fonction ventriculaire est bonne (contrôle ETO), la PA normale et le rythme régulier, mais la situation est très évolutive (diminution progressive de la fonction jusqu’à la 6ème heure post-CEC) et le besoin inotrope doit être réévalué en permanence. Il ne faut à aucun prix laisser s’installer une dysfonction ventriculaire et un bas débit cardiaque.
 
La mise en charge se fait par palliers progressifs en diminuant d’abord le retour veineux vers la CEC et ensuite le débit de la pompe. Une mise en charge trop brusque provoque une défaillance biventriculaire aiguë. Lorsque l'hémodynamique est stable (PAsyst 80-100 mmHg, PAP normale) alors que la pompe n'est plus qu'à 1.0 L/min depuis au moins 1 minute, le perfusionniste interrompt la pompe et clampe les canules veineuse et artérielle. Décanulation veineuse immédiate, puis décanulation artérielle (baisser PAsyst < 70 mmHg) dès que l’hémorragie et l’hémodynamique sont bien contrôlées, en général après administration de la moitié de la dose de protamine ; cette substance induit une baisse des RAS et une augmentation des RAP.
 
En cas d’hypotension persistante (PAsyst < 80 mmHg), de bas débit (IC < 1.5 L/min/m2), de dilatation ventriculaire (ETO), d’IM majeure nouvelle, de SvO2 < 55% malgré une thérapeutique maximale, on retourne en CEC pour assistance circulatoire, correction chirurgicale éventuelle et mise en place d’une contre-pulsion intra-aortique (CPIA), d’une ECMO ou d’une assistance ventriculaire.


© CHASSOT PG, BETTEX D, MARCUCCI C, Septembre 2010, dernière mise à jour, Décembre 2018
 
 
Références
 
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04. Spécificités de l'anesthésie pour la chirurgie cardiaque