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Revascularisation coronarienne (OPCAB)

La revascularisation coronarienne à cœur battant (OPCAB, off-pump coronary artery bypass) représente moins de 20% des revascularisations chirurgicales, la majeure partie de celles-ci étant conduites en CEC (voir Chapitre 10, OPCAB) [16]. Les évidences dont on dispose actuellement pour cerner les populations bénéficiant le plus de la chirurgie à cœur battant laissent penser qu'elle est indiquée dans les catégories de patients suivantes [1].
 
  • Patients avec anamnèse d’AVC;
  • Patients à haut risque (âge > 75 ans, fragilité, insuffisance rénale, insuffisance respiratoire);
  • Polyvasculaires avec une athéromatose avancée de l’aorte ascendante (chirurgie sans clampage aortique);
  • Patients sous double thérapie antiplaquettaire, sous anticoagulant (FA à risque) ou refusant les transfusions.
Mais l'OPCAB demande des performances de haut vol de la part du chirurgien comme de l'anesthésiste. Plus encore que dans les pontages en CEC, la qualité des prestations chirurgicales et anesthésiques conditionne le pronostic : les patients pris en charge par le 10% des anesthésistes les plus performants ont une morbi-mortalité 3 fois moindre que celle des malades suivis par les anesthésistes les plus balourds [5]. Vue les difficultés techniques, les avantages restreints et le risque d'une revascularisation de moins bonne qualité à long terme, les pontages à coeur battant sont plutôt en déclin actuellement [13].

Perturbations hémodynamiques

Au cours d'une revascularisation à coeur battant, le coeur est déplacé et redressé pour obtenir une bonne exposition des vaisseaux coronariens; il est également comprimé localement pour diminuer les mouvements de sa paroi (Vidéos). D’autre part, le clampage du vaisseau pour réaliser l’anastomose implique un certain temps d’ischémie aiguë (voir Chapitre 10, Perturbations hémodynamiques) [3].
 
  • La verticalisation du coeur place les oreillettes sous les ventricules ; leur pression s’accroît sans rapport avec le remplissage ; à l’ETO, leur taille augmente.
  • La compression pariétale par le stabilisateur restreint le remplissage diastolique ; la paroi concernée devient rigide et immobile, bien que souvent s’épaississant encore; les flux auriculo-ventriculaires sont de type restrictifs.
  • Lorsqu’on dresse le ventricule gauche, le coeur se plie au niveau du sillon auriculo-ventriculaire ; cette distorsion de l’anneau mitral et de l’anneau tricuspidien induit une insuffisance valvulaire.
  • Lors d’anastomoses très proximales, il se peut que la chambre de chasse du VG ou du VD soit coudée ; la situation est alors la même que dans une sténose dynamique sous-aortique ou sous-pulmonaire (effet CMO). On peut également voir apparaître une insuffisance aortique.
  • L’ischémie aiguë entraîne une altération de la cinétique segmentaire sous forme d’akinésie dans les territoires vascularisés par le vaisseau clampé.


    Vidéo: Verticalisation du coeur par traction sur la face postérieure du péricarde au cours d'une revascularisation coronarienne à coeur battant (OPCAB).


    Vidéo: Verticalisation du coeur et immobilisation de la zone opératoire au cours d'une anastomose sur l'artère circonflexe (paroi latérale); on voit particulièrement bien le mouvement de torsion systolique du ventricule gauche.
     
Les oreillettes se retrouvent sous leur ventricule, dans lequel le sang doit monter en diastole. Les pressions auriculaires sont donc plus élevées de 60-150% par rapport aux pressions télédiastoliques ventriculaires correspondantes [10] ; elles doivent le rester pour assurer un remplissage adéquat des ventricules [12]. La pression artérielle systémique baisse alors que la pression artérielle pulmonaire (PAP) augmente. A l'échocardiographie, la taille des oreillettes devient plus grande que celle des ventricules (voir Figure 10.3) [4,10].



Figure 10.3 : Changement de volume de l'OG et du VG lorsque le coeur est verticalisé. A. Vue ETO 2-cavités à 90° du coeur dans sa position normale. La taille de l'OG est environ le tiers de celle du VG. B. Sans modifier la position de la sonde d'ETO, le coeur a été placé en position verticale pour intervenir sur sa paroi postérieure. Les dimensions relatives de l'OG et du VG se sont inversées. L'OG, qui est sous le VG, est plus grande que le VG dont le volume a diminué de moitié.

Echocardiographie transoesophagienne

Un examen détaillé de l’anatomie cardiaque, des valves, de la contraction segmentaire et de la fonction ventriculaire droite et gauche doit impérativement avoir lieu en début d’intervention pour pouvoir servir de comparatif lorsque des modifications s’installent en cours d’opération. L’impact de l’ETO au cours de la chirurgie à coeur battant porte sur plusieurs points.
 
  • Recherche d’éventuelles contre-indications à une opération à coeur battant (thrombus intraventriculaire, insuffisance aortique importante); le foramen ovale perméable peut devenir une cause d'hypoxémie par shunt droite-gauche lors des manipulations du cœur [2].
  • Evaluation dynamique pendant les anastomoses : effet du stabilisateur, apparition d’altérations de la cinétique segmentaire (hypokinésie sévère ou akinésie), détérioration de la fonction ventriculaire globale.
  • Diagnostic différentiel des causes d’instabilité hémodynamique : ischémie, dysfonction VG ou VD, hypovolémie, torsion excessive du coeur, insuffisance valvulaire majeure ; vu les modifications de position, les pressions de remplissage ne sont plus un guide fiable.
  • Surveillance de la taille des ventricules : guide pour l’administration des vasopresseurs, du volume et des agents inotropes ; tolérance du VG à l’augmentation de postcharge ou au β-blocage (éventuelle dilatation ou baisse excessive de fonction systolique).
  • Contrôle du succès des anastomoses par la récupération d’une contractilité segmentaire normale en postopératoire.
L'ETO est un moyen de surveillance extrêmement précieux en chirurgie à coeur battant, même si la présence d'air entourant le coeur dressé dans le péricarde et l'utilisation de compresses enfouies postérieurement dans le voisinage de l'oesophage limitent considérablement ses performances [3,7,14]. La position transgastrique est habituellement inutilisable, le coeur étant décollé du diaphragme, mais la position rétrocardiaque à mi-oesophage permet de visualiser les 16 segments des ventricules en utilisant les plans 4-cavités, 2-cavités et long-axe, même si les images sont parfois de mauvaise qualité (Vidéos). De cette manière, on peut identifier correctement au moins 14 segments dans 94% des anastomoses sur la CD, dans 83% des anastomoses sur la CX et dans 76% des anastomoses sur l'IVA [18]. Un sac plastic souple ou un gant chirurgical rempli de liquide cristalloïde enfoui au fond du péricarde à la place des compresses permet de rétablir une imagerie transgastrique lorsque celle-ci est nécessaire.


Vidéo: affichage simultané (split-screen) de trois boucles en mémoire et d'une image en temps réel (encadrée), permettant la comparaison en cas d'altérations aiguës de la cinétique segmentaire.


Vidéo: affichage en mémoire de la situation de base des trois insuffisances valvulaires d'un patient (IM, IA et IT); l'image en temps réel monitore la fonction du VG en court-axe.

L'ETO met en évidence des altérations de la cinétique segmentaire (ACS) dans 40-64% des cas d’OPCAB (Vidéo), alors que le segment ST ne permet d’identifier que 8-19% des évènements ischémiques [11,18]. Le stabilisateur à lui seul diminue la contractilité du segment sous-jacent dans 23% des cas [18]. Pendant l’interruption du flux coronarien, le degré de modification de la contractilité est inversement porportionnel à celui de la collatéralisation du segment concerné [8]. Le segment distal à l'anastomose montre une baisse de vélocité tissulaire et un allongement systolique pendant l'ischémie [15]. L'utilisation d'un shunt intracoronarien pendant l'anastomose rétablit la contractilité du segment dans la plupart des cas [9]. L'importance des ACS a une valeur pronostique. En effet, plus la modification est profonde, plus elle a tendance à persister après le rétablissement du flux (voir Figure 10.15) [18].


Vidéo: vue 2-cavités montrant une akinésie antérieure aiguë pendant la confection du pontage aorto-coronarien sur l'IVA à coeur battant. La paroi antérieure est immobile mais elle est d'épaisseur et d'échogénicité normales.



Figure 10.15 : Altération de la cinétique segmentaire en cours d'OPCAB. Dans cette étude, les deux tiers des patients présentent des ACS (altération de la cinétique segmentaire) en cours d’intervention ; un tiers récupère entièrement à la revascularisation (ACS transitoires), mais un tiers conserve un certain degré de dysfonction segmentaire (ACS persistants). Ces derniers sont les malades qui présentent les ACS les plus importants en cours d’intervention. Score d’ACS : 1 : normokinésie ; 2 : hypokinésie ; 3 : akinésie ; 4 : dyskinésie [Wang J, et al. Transesophageal echocardiography for monitoring segmental wall motion during off-pump coronary artery bypass surgery. Anesth Analg 2004; 99:965-73].


La moitié des ACS récupère rapidement et complètement une fois l'anastomose complétée, 33% ne récupère que partiellement et 17% ne récupère pas du tout [11]. Il est intéressant de noter que 71% des complications cardiaques postopératoires se retrouvent chez les patients qui n'ont pas récupéré de leur ACS en peropératoire, mais aucune complication n'est enregistrée chez ceux qui ont une contractilité segmentaire normale en fin d'intervention.

L'ETO est aussi une technique de choix pour évaluer la fonction ventriculaire et le volume du ventricule en télédiastole, notamment pour juger si le VG tolère la postcharge qui lui est imposée lorsqu'on utilise des vasopresseurs pour maintenir la pression de perfusion coronarienne. Comme on évite les catécholamines β-stimulantes avant la revascularisation, seul l'ETO permet de juger à quel moment la situation devient suffisamment critique pour en commencer l'administration. L'ETO met aussi en évidence le degré de dysfonction diastolique propre à la verticalisation du coeur par l'analyse du flux mitral. Les flux mitraux et veineux pulmonaires sont de type restrictif, démontrant ainsi une dysfonction diastolique significative (voir Figure 10.16) [4].


    
Figure 10.16 : Flux de type restrictif (en bas) tel qu'il apparaît lors de la dysfonction diastolique aiguë qui accompagne les modifications de position du coeur. Par rapport au flux normal (en-haut), la vélocité maximale du flux E est élevée, mais son temps de décélération (Edt) est bref.

La position verticale maintenue par des compresses et par le stabilisateur de l'anastomose a pour effet de plier le cœur au niveau du sillon auriculo-ventriculaire et de provoquer une distorsion de l'anneau mitral et de l'anneau tricuspidien. L'anneau est déformé à telle enseigne que la valve fuit; une IM modérée-à-sévère se développe chez environ 60% des malades pendant ces manoeuvres (Vidéo) [4]. L’apparition d’une IM sévère est plus fréquente chez les malades qui souffrent déjà d’une régurgitation mitrale modérée. La reconstruction tridimensionnelle montre que le déplacement mécanique du cœur tord l'anneau mitral, particulièrement lors d'anastomose sur la face latérale (artère circonflexe) [4]. Avec une ventouse qui suspend le VG par l'apex, la déformation de l'anneau mitral est moins brutale, mais il perd sa forme en selle lors des anastomoses sur la circonflexe et sur la coronaire droite (IVP), ce qui aggrave l'IM (voir Figure 10.6) [17].


Vidéo: insuffisance mitrale apparue au cours des manoeuvres de redressement du coeur; la perte de contact des cavités gauches avec l'oesophage se traduit par une piètre qualité d'image.



Figure 10.6 : Modifications de la forme de l'anneau mitral reconstruit en 3 dimensions à partir d'images ETO. A. Forme normale en selle de l'anneau mitral lorsque le coeur est dans sa position normale. B: L'anneau est tordu lorsque le coeur est dressé verticalement. C: L'anneau est replié sur lui-même lorsque le coeur est placé en position pour une anastomose sur la face latérale [4]. D: Forme en selle normale; la double flèche rouge indique la hauteur de l'anneau (environ 7 mm); Ao: valve aortique. E: L'anneau est aplati lors d'anastomose sur l’artère circonflexe. F: Il en est de même lors d'anastomose sur la face postérieure (IVP) [d'après: Toyama Y, et al. Morphologic evaluation of the mitral annulus during displacement of the heart in off-pump coronary artery bypass surgery. J Cardiothorac Vasc Anesth 2018; 32:334-40].

L'insuffisance mitrale (IM) peut devenir importante et causer l'apparition d'une onde "v" majeure (> 30 mmHg) sur la PAPO en l'absence de signe de décompensation gauche ou d'ischémie myocardique. Il peut aussi arriver que la distorsion de l'anneau provoque un effet de sténose. Le phénomène peut se rencontrer au niveau de la valve aortique, une insuffisance mineure (IA) pouvant se transformer en régurgitation momentanément sévère à la faveur des manipulations.

L’impact de l’ETO sur la prise en charge chirurgicale et anesthésique est considérable. Sur une série de 744 cas à cœur battant, l’impact global est significatif dans 27.4% des cas [6] :
 
  • Pathologies inconnues obligeant à modifier la stratégie chirurgicale (CIA, IM ou IA majeure impliquant un remplacement valvulaire): 1.3%;
  • Conversion en CEC pour dysfonction ventriculaire : 1.6%;
  • Dysfonction du VG entraînant la mise en place d’une CPIA : 3.2%;
  • Athéromatose aortique justifiant une chirurgie tout artérielle : 4.1%;
  • Révision d’une anastomose après pontage: 5.2%;
  • Nouvelle altération peropératoire de la cinétique segmentaire: 10.3%.
 
Utilité de l’ETO en revascularisation coronarienne à coeur battant
Recherche d’éventuelles contre-indications à l’OPCAB
Suivi de la fonction ventriculaire, de la volémie et de la tolérance du VG aux manipulations
Suivi de la cinétique segmentaire des territoires pontés
Mise en évidence de l’apparition d’IM, d’IT ou d’IA
Diagnostic différentiel d’une instabilité hémodynamique (hypovolémie, dysfonction VG, dysfonction VD, ischémie, positionnement inadéquat)
La restriction hémodynamique est maximale lors des anastomoses sur la circonflexe et les marginales

Après reperfusion, la persistance de nouvelles altérations de la cinétique segmentaire a une valeur pronostique pour les complications cardiaques postopératoires. La mesure du flux coronarien et de sa pulsatilité est utile pour juger de la qualité des anastomoses.


© CHASSOT PG, BETTEX D. Novembre 2011, Août 2019; dernière mise à jour, Mars 2020


Références
 
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27 Echocardiographie, 3ème partie