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Hémodynamique maternelle
Il n’est guère possible de fonder une stratégie de prise en charge pour la parturiente souffrant de cardiopathie sur des études comparatives contrôlées et randomisées, parce que cette combinaison est rare et parce que la plupart des publications sont des registres de cas, des rapports d'experts ou des revues de la littérature. Par conséquent, il est utile de rappeler les principales modifications hémodynamiques de la grossesse pour définir une attitude qui soit cohérente avec cette situation spéciale comprenant en particulier les points suivants:
- Augmentation du volume circulant;
- Baisse des résistances artérielles;
- Augmentation de la fréquence et du débit cardiaque;
- Anémie et hypercoagulabilité.
Volume intravasculaire et pression artérielle
La grossesse se caractérise par une diminution relativement discrète de la pression systolique et plus importante de la pression diastolique. Ce phénomène est évident dès le premier trimestre et plus prononcé au cours du deuxième trimestre [10]. Il s’atténue au cours du troisième trimestre, avec des valeurs qui deviennent proches de celles que l’on mesure avant la grossesse. De nombreux facteurs peuvent interférer avec les valeurs de pression artérielle, notamment l’âge, la parité et les facteurs ethniques; les femmes obèses ont une pression artérielle plus élevée tout au long de la grossesse [2]. Les résistances artérielles périphériques (RAS) baissent significativement pendant le premier semestre et atteignent leur nadir pendant le deuxième trimestre (chute d'environ 40%) [8]. Ce phénomène s'accompagne d'une augmentation de 50-80% du flux plasmatique rénal et de la filtration glomérulaire (Figure 22.1) [4,9].
Figure 22.1 : Evolution des principaux éléments hémodynamiques au cours de la grossesse. A: flux plasmatique rénal. B: filtration glomérulaire. C: débit cardiaque. D: volume systolique. E: fréquence cardiaque. F: volume plasmatique [d'après référence 9].
Le volume intravasculaire augmente de 35-50% au cours de la grossesse; cette élévation débute à la 6-8ème semaine et culmine à 30 semaines. Proportionnellement, le volume plasmatique croît plus que la masse des érythrocytes, respectivement 50% versus 20-30%, participant ainsi au phénomène d’"anémie physiologique" de la parturiente. L’activation du système rénine – angiotensine via les oestrogènes et la progestérone favorise une rétention hydrosodée par le biais d’une sécrétion d’aldostérone et d’hormone anti-diurétique [4]. Une augmentation de la concentration plasmatique de prostaglandines (PGI2 et PGE2) s’associe à une diminution de la réponse vasoconstrictrice à l’angiotensine II, permettant ainsi de conserver un volume intravasculaire augmenté en présence d’une pression artérielle normale. Cette hypervolémie relative et cette anémie physiologique trouvent leurs raisons d’être au cours d’une grossesse normale, mais elles participent fréquemment à une détérioration hémodynamique maternelle en présence d’une pathologie cardiaque préexistante. A l’accouchement, chaque contraction utérine provoque une autotransfusion de sang qui augmente encore le volume circulant.
Fréquence et débit cardiaque
Au cours d’une grossesse normale, la fréquence cardiaque maternelle augmente progressivement de 15-25% et atteint son maximum au troisième trimestre [10]. Le débit cardiaque s'élève de 40-50%. Cette augmentation, parallèle à l’élévation de la consommation d’oxygène, débute de manière prononcée dès la 8ème semaine de gestation et culmine entre la 24ème et la 28ème semaine [5]. L’augmentation du débit cardiaque (DC) est donc secondaire à deux phénomènes [10].
- L’augmentation du volume circulant accroît la précharge ventriculaire ; en conséquence, l’élévation du volume télédiastolique ventriculaire augmente le volume d’éjection via le mécanisme de Frank-Starling. Le volume systolique augmente graduellement jusqu'à la fin du deuxième trimestre.
- Au cours du deuxième trimestre, l’augmentation du DC devient de plus en plus tributaire de l’élévation de la fréquence cardiaque.
Les ventricules subissent un remodelage important: leur masse myocardique augmente de 40-50%, sans pour autant que la contractilité soit modifiée [6]. L'augmentation du volume circulant s'accompagne d'une dilatation des 4 chambres cardiaques (6% pour le VG et 20% pour le VD) et souvent de régurgitations valvulaires mineures au niveau des valves mitrale et tricuspide (mais pas au niveau aortique) [3]. La consommation d’oxygène (VO2) augmente progressivement jusqu’à la fin du troisième trimestre pour atteindre 125-130% des valeurs de la femme non enceinte. En cas de jumeaux, le DC est plus élevé de 15%. L'augmentation du débit circulatoire n'est pas uniforme à travers l'organisme: le flux sanguin s'élève de 10 fois dans l'utérus, de 2 fois dans les seins et dans les reins mais ne se modifie pas dans le cerveau et le foie. Le DC s’élève encore de 50-80% pendant le travail et immédiatement après l’accouchement [10]. Cette adaptation physiologique est probablement le principal facteur de décompensation cardiovasculaire en présence d’une cardiopathie sévère, notamment les sténoses valvulaires et l’hypertension pulmonaire.
Circulation utéro-placentaire
Le développement progressif de la circulation utéro-placentaire influence considérablement la physiologie cardiovasculaire de la femme enceinte. Le débit sanguin utérin (DSU) représente environ 3% du débit sanguin maternel au cours du premier trimestre et 10-15% au cours du troisième trimestre. Il est caractérisé par une absence d’autorégulation. Il est directement proportionnel à la pression moyenne de perfusion utérine (PPU) et inversement proportionnel aux résistances vasculaires utérines (RVU).
DSU ~ PPU / RVU
Par conséquent, une stimulation alpha-adrénergique diminuera le DSU par le biais d’une augmentation des RVU, alors qu’une stimulation béta-adrénergique n’aura que peu d’effet sur le DSU, parce les artères utérines sont spontanément dilatées au maximum. Le lit vasculaire utéro-placentaire est un système à haut débit et basse résistance. Quel que soit le contexte clinique, la pression moyenne de perfusion utérine reste un élément critique, mais ce n’est pas le seul.
Syndrome de compression aorto-cave
Le syndrome de compression aorto-cave se manifeste chez presque toutes les femmes enceintes au cours du troisième trimestre, lorsqu’elles sont allongées sur le dos [7]. La compression de la veine cave par l’utérus compromet le retour veineux et le remplissage ventriculaire droit, provoquant une chute du débit cardiaque. Un réflexe de compensation, via les barorécepteurs, augmente le tonus sympathique, les résistances périphériques et la fréquence cardiaque pour tenter de maintenir la pression artérielle. Néanmoins, 10% des patientes présentent des symptômes compatibles avec un syndrome de compression aorto-cave, à prédominance cave lorsqu’il s’exprime par une hypotension maternelle et à prédominance aortique lorsqu’il s’exprime par une bradycardie fœtale. Une prédisposition vaso-vagale et un réseau de circulation paravertébrale collatérale peu développé peuvent contribuer à la genèse de ce syndrome. Ce mécanisme peut devenir critique lorsque les traitements interfèrent avec l’activation du système sympathique (hypotenseurs, béta-bloqueurs, inhibiteurs de l'enzyme de conversion, anesthésie générale ou locorégionale).
Coagulation
La grossesse est une période d'hypercoagulabilité. On assiste à une élévation du fibrinogène et des facteurs de coagulation (facteurs VII, VIII, X, von Willebrand), et à une augmentation de l'adhésivité plaquettaire. Au cours du 3ème trimestre, l'élévation particulière du fibrinogène et du facteur VII crée même un milieu de résistance à l'héparine [11]. A cela s'ajoute la stase veineuse cave inférieure due à la compression par l'utérus gravide. Il résulte de cette situation que le risque de thrombose est 5 fois plus élevé pendant la grossesse, et persiste pendant 3 mois post-partum [1].
Modifications cardiovasculaires pendant le post-partum
Le pic d’augmentation de la fréquence et du débit cardiaque a lieu immédiatement après l’accouchement. Par la suite, les paramètres cardiovasculaires se normalisent progressivement au cours des 12 à 16 semaines qui suivent la délivrance placentaire. En fait, le volume d’éjection, le volume télédiastolique et le débit cardiaque restent élevés et les résistances vasculaires périphériques abaissées pendant plusieurs mois après l’accouchement [10]. Cette normalisation est très variable d’une patiente à l’autre et il n’est pas rare d’observer une décompensation cardiovasculaire pendant cette période, plus particulièrement en présence de sténose mitrale et aortique.
Adaptation cardiovasculaire à la grossesse |
La grossesse se caractérise par une régulation hémodynamique particulière
- Augmentation du volume circulant
- Baisse des résistances artérielles
- Augmentation de la fréquence et du débit cardiaque
- Augmentation du volume plasmatique, anémie, hypoalbuminémie
- Hypercoagulabilité
- Compression aorto-cave
Le débit utéro-placentaire est pression-dépendant parce qu’il ne possède pas d’autorégulation.
Chaque contraction utérine représente une autotransfusion. L’accouchement et le post-partum provoquent une augmentation supplémentaire du débit cardiaque. Le retour à la normale prend plusieurs mois.
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© CHASSOT PG, THORIN D, NEFF R, KERN C, Octobre 2005, dernière mise à jour, Novembre 2018
Références
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- CLAPP JF 3rd, SEAWARD BL, SLEAMAKER RH, HISER J. Maternal physiologic adaptations to early human pregnancy. Am J Obstet Gynecol 1988; 159:1456-60
- DUCAS RA, ELLIOTT JE, MELNYK SF, et al. Cardiovascular magnetic resonance in pregnancy: insights from the Cardiac Hemodynamic Imaging and Remodeling in Pregnancy Study (CHIRP). J Cardiovasc Magn Res 2014; 16:1
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