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CEC de réchauffement
Les capacités d'échange thermique de la CEC en font une excellente solution pour réchauffer rapidement les accidentés hypothermes. L'idée en revient à Kugelberg qui a le premier ramené à la normothermie un patient dont la température centrale était de 21.7°C [6]. Outre un réchauffement homogène, la CEC et l'ECMO (extracorporeal membrane oxygenation) offrent un support qui écarte le risque d'effondrement hémodynamique sur fibrillation ventriculaire ou vasoplégie massive, et qui améliore la perfusion tissulaire par hémodilution. Le coeur est réchauffé avant le reste de l'organisme, et le débit peut être augmenté lors de la vasodilatation périphérique qui s'installe avec la normothermie.
Indications
La CEC est le traitement de choix pour tous les patients dont la température centrale est inférieure à 28°C, quel que soit leur état hémodynamique, et pour ceux qui sont en collapsus circulatoire. Au-dessus de 32°C, un réchauffement par voies externe (couverture chauffante, pièce chaude) et interne (lavage gastrique, perfusions chauffées, dialyse péritonéale) est suffisant. Entre 28° et 32°C, le réchauffement non invasif est recommandé si le rythme cardiaque est sinusal et la pression maintenue.
Chez les accidentés, le problème majeur est l'association de polytraumatismes et d'hypoxie préalable. Les chances de survie sont meilleures si le refroidissement a eu lieu sans étouffement, ou plus rapidement que l'installation de l'hypoxie. La situation idéale pour la victime d'avalanche, par exemple, est d'être peu habillée, peu profonde, et d'avoir une poche d'air devant le visage. Si le refroidissement est rapide, la demande en O2 baisse avant que la suffocation et/ou le collapsus circulatoire n'effondrent l'apport d'O2, et la survie est bonne. En cas de noyade en eau froide, la survie est pénalisée à cause de l'asphyxie concomitante par l'eau, sauf si la tête n’a pas été immergée. La présence de lésions traumatiques (fractures, lésions viscérales, TCC) aggrave dramatiquement le pronostic; lors du réchauffement, le risque d'hémorragie massive et de crush syndrome est très élevé. Les chances de succès sont également différentes selon les circonstances. Les victimes d'avalanche ou d'accidents nautiques sont en général des sportifs en bonne santé, alors que les hypothermes rencontrés en milieu urbain ou dans la campagne sont souvent sans-abris, alcooliques ou drogués. La jeunesse ne semble toutefois plus être un avantage en dessous de 26°C.
Livide, hypertonique, sans pouls, en mydriase et en apnée, un patient froid n'est pas un patient mort, mais il lui ressemble furieusement ! En extra-hospitalier, si les voies aériennes sont libres, on procède à une réanimation cardio-respiratoire selon les recommandations habituelles, avec intubation endotrachéale, massage cardiaque selon le rythme standard en cas d'asystolie, et défibrillation en cas de fibrillation ventriculaire. Lorsque le rythme est encore sinusal ou nodal, l'ECG présente en général une onde d'Osborne, qui est une déflexion positive débutant à la fin du QRS, présente dans presque toutes les dérivations, et dont l'amplitude est proportionnelle à la profondeur de l'hypothermie (Figure 7.58) [8].
Figure 7.58 : ECG d'un patient hypotherme présentant une onde d'Osborne.
Les curares dépolarisants (succinylcholine) sont contre-indiqués à cause du risque d'hyperkaliémie. Le cœur hypotherme ne répond guère aux agents pharmacologiques, dont la circulation et le métabolisme sont dramatiquement ralentis; il est prudent de n'utiliser l'adrénaline que lorsque la température est > 30°C. En cas de fibrillation ventriculaire, il est recommandé de ne pas dépasser 3 essais de défibrillations (puissance maximale), mais d'attendre 30°C pour de nouveaux chocs [10]. La FA est courante lorsque la température centrale est < 32°C ; la fibrillation ventriculaire survient en général < 28°C.
La T° centrale se mesure dans le tiers inférieur de l’œsophage. La température tympanique n'est pas suffisamment fiable car influencée par celle du conduit auditif externe; les thermomètres à infra-rouge sont inopérants en hypothermie, de même que la pulsoxymétrie [3]. On ne déclare le décès que si les voies aériennes sont obstruées (asphyxie évidente) et le patient en asystolie, ou si des lésions traumatiques majeures expliquent le trépas [3,10]. En-dehors de ces circonstances, on ne peut pas déclarer mort un patient hypotherme avant qu'il soit réchauffé à > 32°C [3].
Selon les recommandations suisses pour la prise en charge des accidents de montagne, l’hypothermie est classée en 4 stades [4].
- Stade I : 32-35°C, patient conscient et frissonnant ;
- Stade II : 28-32°C, état de conscience altéré, pas de frissons ;
- Stade III : 24-28°C, patient inconscient, mais signes vitaux présents ;
- Stade IV : < 24°C, signes vitaux absents.
La CEC de réchauffement est clairement indiquée au stade IV, et au stade III si l’hémodynamique est instable ou le réchauffement non-invasif inefficace. Par régression logistique, on a pu faire ressortir trois critères qui sont indépendamment associés à la survie [3,9] :
- Kaliémie < 12 mmol/L ;
- PaCO2 < 80 mmHg ;
- Absence de traumatisme sévère.
Au-delà de ces valeurs, les chances de survie sont nulles parce que des dégâts irréversibles ont eu lieu avant que le malade ne soit refroidi. En deçà de ces valeurs ou en leur absence, il faut réanimer activement en se souvenant que "No one is dead until warm and dead". Toutefois, ces critères ne semblent pas s'appliquer aux enfants; en effet, dans une série de 12 enfants de 2 à 12 ans réchauffés en CEC après noyade en eau froide et température corporelle inférieure à 25°C, ni le pH, ni le potassium, ni la PaCO2 ne se sont révélés être des facteurs discriminants entre les survivants et les non-survivants. Chez les adultes, un potassium > 12 mmol/L est le critère déterminant de lésions irréversibles. Aucun patient n’a survécu au réchauffement à ce niveau d’hyperkaliémie, alors que ceux qui ont une T° centrale abaissée jusqu’à 14°C n’ont présenté aucune séquelle neurologique après réanimation [2].
Chez les victimes d'avalanche, on ne peut pas savoir si une asphyxie a précédé l'hypothermie, ou si cette dernière a protégé l'organisme pendant le collapsus circulatoire et l'arrêt ou la fibrillation ventriculaire. Dans ce cas, les critères suivants réduisent à zéro les chances de survie [1,3,7,10].
- Ensevelissement de > 35 minutes sous la neige avec obstruction des voies aériennes;
- Arrêt cardiaque et obstruction des voies aériennes (étouffement);
- Potassium > 12 mmol/L.
Technique
Actuellement, l’ECMO (voir Chapitre 12 Dispositifs à court terme) est préférée à une CEC standard car les résultats sont sensiblement meilleurs, surtout parce que le SDRA qui survient très fréquemment après la réanimation est mieux pris en charge par une ECMO dans les heures qui suivent [2]. La canulation de l'artère et de la veine fémorale permet de mettre rapidement en route la CEC sans interférer avec les mesures de réanimation (MCE, intubation, etc); elle assure un débit de 5 L/minute chez l'adulte, ce qui autorise à monter la température de 1°C par 5 minutes. Le gradient de température entre le sang du patient et l'échangeur thermique ne doit pas dépasser 10°C. La température du sang ne doit en aucun cas être supérieure à 37°C. L'utilisation de circuits héparinés permet de réduire la dose d'héparine systémique, donc les hémorragies secondaires. Chez les enfants, les vaisseaux fémoraux sont souvent trop fins pour permettre un débit satisfaisant; une sternotomie est alors nécessaire pour procéder à une canulation conventionnelle.
En général, le rythme cardiaque se rétablit entre 25° et 30°C, mais souvent le coeur commence par fibriller; cette fibrillation est habituellement réfractaire aux chocs électriques en dessous de 30°C. Si aucune activité cardiaque n’a repris à 32°C, l’arrêt est définitif [2]. Les patients manifestent des signes de réveil lorsque la température centrale dépasse 32°C. La vasodilatation qui s'installe avec le réchauffement consomme de grandes quantités de cristalloïdes et nécessite en général une perfusion de noradrénaline. Les altérations des facteurs de coagulation et de l'adhésivité plaquettaire au froid rendent l'hémostase difficile et demandent des perfusions de facteurs de coagulation et de plaquettes. Dans le postopératoire, le SDRA (42%), la pneumonie (22%) et l'insuffisance rénale (20%) sont courants [11].
Résultats
La littérature comprend essentiellement des rapports de cas isolés. Les quelques séries publiées donnent un taux de succès sans séquelles neurologiques de 50-60% [2,9,11,12].
Une étude hélvétique a rapporté un taux de survie de 47% (15 patients sortis vivants de l'hôpital sur 32 accidentés hypothermes avec une température moyenne de 21.8°C); le status neurologique est normal chez 14 patients, un seul présentant un léger handicap [12]. Les causes de l'hypothermie étaient l'avalanche, la chute en crevasse, l'immersion en eau froide ou le suicide. Tous étaient en arrêt circulatoire et en mydriase fixe à l'arrivée. La durée moyenne entre la découverte des blessés et la CEC était de 141 minutes, et la durée de CEC de 98 minutes.
Un groupe finlandais a publié une étude groupant 75 patients hypothermes, dont 42 ont pu être réchauffés par des moyens non invasifs parce qu'hémodynamiquement stables [9]. Sur les 25 patients en collapsus cardio-circulatoire, un seul présentait un TCC sévère et un autre une asphyxie préalable; les autres souffrait d'une exposition à l'air froid ou d'une immersion en eau froide. Ces 23 patients, arrivés à l'hôpital sous MCE, avaient une température moyenne de 24°C et ont été massés pendant 106 minutes avant le début de la CEC; celle-ci a duré en moyenne 137 minutes. Quatorze (61%) sont sortis vivants de l'hôpital. Dans une série polonaise de 25 malades réchauffés par CEC (sur 152 cas d'hypothermie accidentelle sévère), quinze (60%) ont survécu sans séquelles [5].
Il n'y a pas de corrélation entre le taux de survie à long terme et le délai depuis l'accident jusqu'au réchauffement ou la température à l'arrivée pour autant qu'elle soit supérieure à 12°C. Comme la récupération fonctionnelle des survivants est excellente, il y a tout lieu d'être agressif dans la prise en charge des hypothermes profonds.
CEC de réchauffement |
Indications : hypothermie accidentelle avec T° centrale < 28°C et instabilité hémodynamique ou arrêt circulatoire. Survie sans séquelles neurologiques dans 55% des cas. Conditions de succès :
- Refroidissement survenu sans asphyxie préalable ni traumatisme majeur
- Kaliémie < 12 mmol/L
- PaCO2 < 80 mmHg
Technique de CEC ou d’ECMO fémoro-fémorale artério-veineuse
- Réchauffer de 1°C par 5 minutes
- Gradient maximal entre T° du sang et de l’échangeur thermique : 10°C
- Température du sang jamais > 37°C
Comme la récupération fonctionnelle des survivants est excellente, il y a tout lieu d'être agressif dans la prise en charge des hypothermes profonds, dont on ne peut pas savoir s’ils sont décédés avant d’avoir été réchauffés
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© CHASSOT PG, GRONCHI F, Avril 2008, dernière mise à jour, Avril 2018
Références
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- BROWN DJA, BRUGGER H, BOYD J, et al. Accidental hypothermia. N Engl J Med 2012; 367:1930-8
- BRUGGER H, DURRER B, ELSENSOHN F, et al. Resuscitation of avalanche victims: evidence-based guidelines of the International commission for mountain emergency medicine (ICAR MEDCOM) intended for physicians and other advanced life support personnel. Resuscitation 2013; 84:539-46
- DURRER B, BRUGGER H, SYME D. The medical on-site treatment oh hypothermia. ICAR-MEDCOM recommendation. High Alt Med Biol 2003; 4:99-103
- JAROSZ A, KOSINSKI S, DAROCHA T, et al. Problems and pitfalls of qualification for extracorporeal rewarming in severe accidental hypothermia. J Cardiothorac Vasc Anesth 2016; 30:1693-7
- KUGELBERG J, SCHULLER H, BERG B, et al. Treatment of accidental hypothermia. Scand J Thorac Cardiovasc Surg 1967; 1:142-6
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07. La circulation extra-corporelle
- 7.1 Introduction
- 7.2 Machines et circuits de CEC
- 7.2.1 Schéma général
- 7.2.2 Liquide d’amorçage et hémodilution
- 7.2.3 Drainage et réservoir veineux
- 7.2.4 Oxygénateur
- 7.2.5 Echangeur thermique
- 7.2.6 Pompes
- 7.2.7 Circuit artériel et filtre
- 7.2.8 Aspiration
- 7.2.9 Circuit de cardioplégie
- 7.2.10 Drainage du VG (venting)
- 7.2.11 Hémofiltration
- 7.2.12 Mini - CEC
- 7.2.13 Anticoagulation en CEC
- 7.2.14 Agents antifibrinolytiques
- 7.3 Physiopathologie de la CEC
- 7.3.1 Caractéristiques
- 7.3.2 Aspects hématologiques
- 7.3.3 Syndrome inflammatoire systémique (SIRS)
- 7.3.4 Hémodynamique
- 7.3.5 Hypothermie
- 7.3.6 Embolies gazeuses
- 7.3.7 Bilan hydrique et métabolique
- 7.3.8 Fonction cérébrale
- 7.3.9 Fonction rénale
- 7.3.10 Fonction hépato-splanchnique
- 7.3.11 Fonction pulmonaire et ventilation en CEC
- 7.4 Pharmacologie de la CEC
- 7.5 Déroulement de la CEC
- 7.6 Sevrage de la CEC
- 7.6.1 Sortie de pompe
- 7.6.2 Purge des cavités gauches
- 7.6.3 Préparation à la mise en charge
- 7.6.4 Mise en charge
- 7.6.5 Période post-CEC immédiate
- 7.6.6 Décanulation et administration de protamine
- 7.6.7 Hémostase et coagulation
- 7.6.8 Arythmies post-CEC et entraînement électro-systolique
- 7.6.9 Insuffisance ventriculaire après CEC
- 7.7 Protection myocardique et CEC
- 7.8 Incidents et accidents
- 7.9 CEC hors chirurgie cardiaque
- 7.10 Conclusions