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Impact de l’échocardiographie
L’échocardiographie transthoracique (ETT) ou transoesophagienne (ETO) est la seule technique qui permette une exploration cardiaque anatomique et fonctionnelle au lit du malade [15]. De ce fait, elle est un instrument diagnostic privilégié dans les soins intensifs postopératoires. La technique transthoracique est la plus rapide et la moins invasive, mais les fenêtres d’accès sont souvent limitées, particulièrement chez les patients en ventilation contrôlée avec un haut niveau de PEEP et chez les patients chirurgicaux : immobilisation sur le dos, pansements, drains thoraciques, fils de pace-maker, pneumothorax, etc ; dans ces conditions, le taux d’échec voisine 25% [1]. Lorsqu’il est praticable, l’examen transthoracique est préférable chez les patients en respiration spontanée. Il permet de diagnostiquer une tamponnade circonférentielle, une dysfonction droite ou gauche et une ischémie myocardique ; il devient la seule issue possible lorsque l’ETO est contre-indiquée (lésion traumatique cervicale, tumeur ou chirurgie de l’œsophage). Lorsque l’ETT est insuffisante, la voie transoesophagienne permet une visualisation idéale, mais réclame une sédation profonde et n’est facile que chez un malade intubé. Elle offre une imagerie de qualité supérieure et permet de diagnostiquer aisément une hypovolémie, une tamponnade localisée, une dissection aortique, un FOP, une endocardite ou une source d’embolie artérielle. L’ETO est le meilleur examen pour rechercher la cause d’une hypotension inexpliquée, et pour évaluer le fonctionnement des valves natives ou des prothèses valvulaires.
L’échocardiographie apporte des informations indispensables à la prise en charge clinique dans une série de domaines des soins intensifs (voir Chapitre 25 Echocardiographie en soins intensifs) [1,4,5,13].
- Instabilité hémodynamique majeure inexpliquée par le monitorage conventionnel (cathéter artériel, cathéter pulmonaire, PiCCO, etc) (48-67% des examens de soins intensifs).
- Choc hypovolémique, hypovolémie à PVC et PAPO normales en cas de dysfonction diastolique, obstruction dynamique de la CCVG;
- Choc cardiogène sur dysfonction du VG ou du VD, altérations de la cinétique segmentaire sur ischémie, cardiomyopathie du sepsis;
- Choc distributif avec fonction ventriculaire conservée;
- Tamponnade;
- Dissociation électromécanique et arrêt cardiaque;
- Embolie pulmonaire;
- Valvulopathie aiguë (rupture de cordage, endocardite).
- Complications spécifiques de la chirurgie cardiaque (25% des examens de soins intensifs) : dysfonction ventriculaire (50% des cas), hypovolémie (25%), tamponnade (10%), sténose sous-aortique dynamique ("effet CMO"), dysfonction valvulaire, dysfonction de prothèse. L’ETO corrige le diagnostic posé avec les données de monitorage conventionnelles dans 50% des cas.
- Complications après infarctus myocardique : altérations de la cinétique segmentaire, infarctus droit, insuffisance mitrale, rupture de pilier, rupture pariétale, communication interventriculaire (CIV), hémopéricarde.
- Endocardite infectieuse (19% des examens) : végétation, abcès, insuffisance valvulaire, rupture de cordage, déhiscence de valve prosthétique, fuite paravalvulaire. La sensibilité de l’ETO est > 95%.
- Dissection aortique, traumatisme thoracique fermé (8% des examens).
- Source d’embolie artérielle (7% des examens) : thrombus dans l’appendice auriculaire gauche ou dans l’OG (FA), thrombus dans le VG en regard d’une zone akinétique, athéromatose sévère de l’aorte ascendante ou descendante, végétations mitrale ou aortique, tumeur intracardiaque gauche, embolie paradoxale en présence de FOP. L’ETO est nécessaire pour exclure un thrombus auriculaire gauche avant une cardioversion.
- Hypoxémie réfractaire : embolie massive, insuffisance droite aiguë, FOP, shunt intra-pulmonaire. Le FOP ou la CIA sont diagnostiqués par le flux couleur à travers le septum interauriculaire ; le diagnostic de shunt droite-gauche se fait par un test aux microbulles.
L’échocardiographie offre une fenêtre sur l’évaluation hémodynamique qui est complémentaire de celle du monitorage des pressions et du débit et qui est particulièrement pertinente dans le contexte postopératoire de la chirurgie cardiaque [1,5,7,8,13].
- Fonction systolique du VG : évaluation globale, degré de dilatation, présence d’une insuffisance mitrale fonctionnelle, calcul de la fraction d’éjection et mesures quantitatives (Doppler tissulaire).
- Fonction diastolique du VG : hypertrophie concentrique, évaluation du degré de restriction, interprétation des pressions de remplissage.
- Fonction ventriculaire droite : dysfonction, dilatation, hypertrophie, présence d’une insuffisance tricuspidienne, calcul non invasif de la pression artérielle pulmonaire systolique, appréciation du degré d’interdépendance ventriculaire, position du septum interventriculaire, présence de thrombus en transit (embolie pulmonaire).
- Evaluation de la volémie : évaluation du degré de remplissage des cavités indépendante de la compliance de celles-ci, degré de tension des parois, oscillations du septum interauriculaire, distensibilité des veines caves, variation des flux d’éjection en IPPV.
- Diagnostic d’un effet d’obstruction dynamique de la chambre de chasse du VG (effet CMO).
- Evaluation anatomique et fonctionnelle des valves cardiaques : quantification des sténoses et des insuffisances, contrôle fonctionnel postopératoire, recherche d’endocardite.
- Evaluation d'une hypoxémie réfractaire et de shunt intracardiaque : dysfonction droite en cas de SDRA, d'embolie pulmonaire ou de PEEP excessive, foramen ovale perméable, CIV post-infarctus [9].
- Diagnostic de tamponnade et de compression isolée d’une ou plusieurs cavités cardiaques.
- Assistance ventriculaire (CPIA, ECMO, LVAD): indications, positionnement, ajustement du débit (taille du VG, position du septum interventriculaire), évaluation du sevrage [11].
- Evaluation de la contractilité segmentaire : ischémie aiguë liée à une obstruction de pontage coronarien, infarctus.
- Diagnostic des complications d'une ischémie aiguë (rupture de paroi, CIV, etc).
- Exploration de l’aorte thoracique : dissection A et B, anévrysme, rupture, athéromatose.
- Recherche d’une source d’embolie systémique.
- Aide au placement de sondes, de canules ou de cathéters centraux.
L’échocardiographie est le moyen le plus performant et le plus rapide pour faire le diagnostic étiologique d’une hypotension réfractaire, alors que le cathéter pulmonaire de Swan-Ganz est essentiel pour gérer le remplissage des malades en hypervolémie (surcharge liquidienne, stase gauche, maladie mitrale, insuffisance rénale), et pour calculer en continu le débit cardiaque, les résistances vasculaires et la SvO2 (Figure 23.1) [10].
Figure 23.1 : Les deux phases de la courbe de Frank-Starling et de la courbe de compliance déterminent les meilleures techniques de monitorage. Ces deux phases sont séparées par un pointillé jaune vertical. Lorsque le malade est en hypovolémie, la courbe de Starling est très verticale (phase de recrutement), et les variations du volume de remplissage se traduisent par de fortes variations du volume systolique (VS); la courbe de compliance (relation P/V de remplissage), au contraire, est pratiquement horizontale, ce qui signifie que les variations du volume de remplissage ne s'accompagnent que de minimes variations des pressions (PVC, PAPO). En hypervolémie, la situation est inversée, puisque la courbe de Starling est plate et la courbe de compliance redressée; dans cette situation, il n'y a plus de variations du VS avec les variations de remplissage (perte des indices dynamiques), mais une très bonne corrélation des variations de pression de remplissage avec le volume télédiastolique du ventricule. A : A gauche, en hypovolémie, ce sont les indices éjectionnels dynamiques (variations ventilatoire de la pression artérielle, du VS et du flux aortique) ou les mesures indépendantes de la compliance (surfaces des cavités à l’ETO, oscillations du septum interauriculaire) qui sont les plus pertinentes. B : A droite, en hypervolémie, ce sont les pressions de remplissage fournies par la Swan-Ganz (PVC, PAPO) qui entretiennent la meilleure relation avec le volume de remplissage.
Cette figure illustre la complémentarité de l'ETO et du cathéter pulmonaire. D'autre part, l'ETO offre une vision de l'anatomie dynamique du cœur ou de la fonction des ventricules, et l’examen Doppler permet des quantifications hémodynamiques très pertinentes chez le malade en état critique [16]. Toutefois, elle est beaucoup moins performante que la Swan-Ganz ou le PiCCO pour le calcul du débit cardiaque [2].
Selon les études, l’impact diagnostic de l’ETO en soins intensifs oscille entre 44% et 90% (moyenne 67%), les modifications de prise en charge médicale entre 10% et 60% (moyenne 36%) et les décisions chirurgicales entre 2% et 69% (moyenne 14%) [6]. De son côté, l’ETT modifie le diagnostic chez 29% des patients et la prise en charge médicale dans 41% des cas ; dans 8% des situations, l’examen conduit à une sanction chirurgicale en urgence [12]. L’échocardiographie a donc une très forte retombée thérapeutique et présente un excellent rapport coût/bénéfice en soins intensifs.
L’ETO fournit en général des images de bien meilleure qualité que l’ETT en soins intensifs postopératoires à cause des restrictions imposées par les pansements, l’immobilisation du patient et la ventilation en pression positive ; son taux de succès est > 90%, alors qu’il n’est que 50% pour l’ETT. Toutefois, l’ETO est plus invasive, plus complexe et moins rapide que l’ETT, qui reste l’examen le plus simple et le plus profitable [13]. L’arrivée sur le marché de machines simplifiées d’excellente qualité pousse à une utilisation plus large de l’ETT par des non-cardiologues en postopératoire sous forme d'un examen simplifié (FoCUS: focused cardiac ultrasound) permettant l'évaluation rapide d'un état hémodynamique instable [3,8,14]. Il est capital que cette évolution s'acompagne d'une formation adaptée aux besoins des anesthésistes et des intensivistes, afin qu’ils soient à même de procéder à des examens ciblés de manière indépendante, tout en respectant les critères exigés pour une formation adéquate (voir Chapitre 25 Formation des intensivistes) [7,8,15].
Echocardiographie |
L’échocardiographie permet un diagnostic hémodynamique et cardiologique au lit du malade, mais demande une formation adéquate.
- Voie transthoracique (ETT) : rapide, non-invasive, difficile à cause des drains et pansements
- Voie transoesophagienne (ETO) : sédation ou intubation requise, bien meilleure qualité
Apport dans le postopératoire :
- Evaluation de la volémie
- Evaluation de la fonction ventriculaire systolo-diastolique droite et gauche
- Evaluation de la cinétique segmentaire
- Diasgnostic différentiel d’une hypotension ou d'une hypoxémie réfractaire
- Diagnostic de tamponnade, de sténose sous-aortique dynamique
- Evaluation des valves (fuites, endocardite) et de l’aorte thoracique (dissection, traumatisme)
- Recherche de source d’embolie (AVC) et de shunt (hypoxémie)
- Evaluation d'une assistance ventriculaire, aide au sevrage
- Guidage pour le placement de sondes et de cathéters
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© CHASSOT PG, MUSTAKI JP, BOVY M, Juin 2008, dernière mise à jour, Octobre 2018
Références
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23. Complications après chirurgie cardiaque
- 23.1 Introduction
- 23.2 Sevrage ventilatoire
- 23.3 Complications cardio-vasculaires
- 23.3.1 Bas débit cardiaque
- 23.3.2 Hypotension et vasoplégie
- 23.3.3 Hypertension et vasoconstriction
- 23.3.4 Dysfonction ventriculaire droite
- 23.3.5 Médicaments cardiovasculaires
- 23.3.6 Valvulopathies
- 23.3.7 Infarctus myocardique
- 23.3.8 Réouverture sternale et tamponnade
- 23.3.9 Arythmies
- 23.3.10 Problèmes hématologiques
- 23.4 Complications pulmonaires
- 23.5 Complications neurologiques
- 23.6 Complications rénales
- 23.7 Complications abdomino-digestives
- 23.8 Complications infectieuses et métaboliques
- 23.9 Conclusions