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Elévation du flux pulmonaire et hypertension artérielle pulmonaire (HTAP)
 

Les cardiopathies congénitales peuvent augmenter ou abaisser le débit pulmonaire (Qp) (Tableau 14.6). L'augmentation du flux sanguin pulmonaire par un shunt G-D ventriculaire ou artériel (CIV, canal atrio-ventriculaire, truncus arteriosus, shunt aorto-pulmonaire chirurgical, transposition des gros vaisseaux + CIV) entraîne une élévation progressive des résistances artérielles pulmonaires (RAP), responsable secondairement d'une hypertrophie du VD. L'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) est définie par une PAP moy > 25 mmHg au repos, ou des résistances vasculaires pulmonaires (RAP) > 300 dynes•cm•s-5 (> 3 U Wood/m2) [3,5]. Comme la PAP du nouveau-né met environ 2 mois à baisser à sa valeur adulte normale, l'hypertension pulmonaire est déterminée comme telle seulement à partir de 3 mois d'âge [7]. Elle survient dans 50% des cas de CIV et de canal AV, où il y a surcharge de volume et de pression, mais dans seulement 10% des CIA, où il y a surcharge de volume uniquement. Elle apparaît dans la petite enfance lors de CIV, mais seulement à l'âge adulte en cas de CIA (voir Hypertension pulmonaire pédiatrique) [8]. 


Le stress pariétal vasculaire provoqué par le flux pulmonaire excessif empêche la normalisation des RAP pendant les premiers mois de vie et cause une extension de la musculature lisse dans des vaisseaux périphériques qui ne sont normalement pas musculaires. La persistance d’un haut débit pulmonaire et d’une PAP excessive induisent une hypertrophie de la média des artères plus proximales et une extension de la musculature lisse dans les vaisseaux périphériques qui ne sont normalement pas musculaires. Elle conduit progressivement à une prolifération intimale, à des lésions plexiformes et à une fibrose adventitielle accompagnée de réaction inflammatoire et de thrombus disséminés (Figure 14.12) [9,10]. 



Figure 14.12 : Image anatomo-pathologique d’une artériole pulmonaire en cas de syndrome d’Eisenmenger. 1 : hypertrophie de la média. 2 : prolifération intimale. 3 : fibrose [10]. La paroi d’une telle artère ne peut plus être collabée par les pressions ventilatoires en ventilation mécanique.

Finalement, l'arborisation est inhibée et le nombre des vaisseaux distaux diminue : l'HTAP est fixée et irréversible. C'est le syndrome d'Eisenmenger, caractérisé par une PAP moyenne > 50 mmHg et des résistances vasculaires pulmonaires > 800 dynes•cm•s-5. La PAP est telle que le flux à travers le shunt G-D est alors bidirectionnel ou renversé (PAP suprasystémique). Face à cette surcharge de pression, le VD subit une hypertrophie massive et s’épaissit considérablement. Les deux ventricules ont une masse égale pendant la vie intra-utérine ; s’il est exposé dès la naissance à une postcharge élevée, le VD conserve une structure fœtale et s’hypertrophie parallèlement au VG [4]. Il résiste mieux à l'accroissement de postcharge que lorsque celle-ci survient secondairement pendant la vie adulte. Le devenir des enfants souffrant de cardiopathie congénitale est meilleur que celui des enfants souffrant d'HTAP primaire idiopathique et que celui des adultes souffrant d'HTAP médicamenteuse ou thrombo-embolique [2].

  • CIA:                                                     survie de 90% à 40 ans;
  • Syndrome d'Eisenmenger:                  survie de 80% à 10 ans;
  • HTAP primaire idiopathique:               survie de 66% à 5 ans;
  • Maladie thrombo-embolique:              survie de 35% à 5 ans.

Le pronostic de l’HTAP est étroitement lié à la fonction droite. Il est sombre dès que le VD dysfonctionne et se dilate. En effet, l’HTAP est fonction de la capacité du VD à générer chroniquement des pressions pulmonaires élevées. Dès que le VD défaille, la PAP tend à redescendre, alors que la situation hémodynamique empire et que les RAS continuent à augmenter. L'accroissement du flux pulmonaire et la compression des voies aériennes par des vaisseaux dilatés et hypertrophiés conduisent à une diminution de la compliance ventilatoire, à une augmentation des résistances aériennes et à une élévation du travail respiratoire. L'importance de ces conséquences va conditionner l'opérabilité et les risques liés à la période postopératoire. Si la correction chirurgicale est précoce, l'HTAP se corrige progressivement, mais si le rapport RAP/RAS est déjà > 0.4 (PAPm/PAM > 0.7), l’intervention n’est plus possible [1]. La trisomie 21 est hautement associée à l'HTAP non seulement dans le cadre du canal AV, mais encore en relation avec le syndrome d'apnée du sommeil, les fausses routes, la bronchoaspiration et le reflux gastro-oesophagien fréquents chez les mongols [11].
 

Hypertension artérielle pulmonaire (HTAP)
Définition de l’HTAP : PAPmoy > 25 mmHg au repos
Syndrome d'Eisenmenger (HTAP irréversible): PAP moy > 50 mmHg, RAP > 800 dynes•cm•s-5 et shunt bidirectionnel avec cyanose (shunt G-D + composante D-G) 
Critère d’opérabilité: rapport RAP/RAS < 0.4
Le pronostic de l’HTAP est étroitement lié à la fonction droite. Il est sombre dès que le VD dysfonctionne et se dilate


 
Calcul échocardiographique de la PAP systolique

Il n'est pas nécessaire de disposer d'un cathéter pulmonaire pour mesurer les pressions de l'AP. On peut en réaliser une estimation fiable par échocardiographie, pour autant que le malade présente une insuffisance tricuspidienne (IT). Or celle-ci survient dès que la pression droite augmente, c'est-à-dire chez presque tous les patients souffrant d’hypertension pulmonaire. La vélocité maximale du jet systolique de l'IT est fonction du gradient de pression qui règne en systole entre le VD et l'OD. L'équation simplifiée de Bernoulli établit la relation entre la vélocité et la pression:

ΔP  =  4 (Vmax)2

où ΔP est le gradient de pression entre le VD et l'OD en systole et Vmax la vélocité maximale de l'IT.

La pression de l'OD est estimée (10 mmHg en moyenne) ou mesurée par la PVC. En l'absence de lésion au niveau de la chambre de chasse droite et de la valve pulmonaire, la pression systolique du VD est égale à la pression systolique de l'AP. La pression de l'OD doit être additionnée à la valeur du gradient VD-OD pour trouver la valeur de la PsystVD. L'équation devient:

PAPs  =  4 (Vmax IT)2  +  POD

A l'échocardiographie, le capteur Doppler est aligné avec le jet de l'IT et la machine opère directement le calcul (voir Figure 15.7). Toutefois, la corrélation globale de ce calcul avec la mesure directe de la PAPs par un cathéter pulmonaire de Swan-Ganz est assez modeste (r = 0.7) [12]. Chez les congénitaux, ce calcul peut être faussé par deux situations [6]:

  • Une sténose sur la voie d’éjection du VD; la PAs du VD n’équivaut pas à la PAPs;
  • Une CIV; la pression du VD est contaminée par celle du VG.

En présence d'une CIV, il est possible de calculer la pression systolique du VD par la vélocité du flux dans le shunt G-D. La vélocité maximale du shunt mesure la différence de pression en systole entre le VG et le VD; soustraite de la pression artérielle systémique (en l'absence de pathologie aortique), elle donne la pression systolique du VD:

PsystVD  =  PAsyst  -  4 (Vmax CIV)2

        
 

Calcul de la pression pulmonaire systolique
A l’échocardiographie :     PAPsyst  =  4 (Vmax IT)2  +  POD  (seulement si la voie d'éjection du VD est normale)
              
En cas de CIV:                  Psyst VD  = PAsyst - 4 (Vmax CIV)2



© BETTEX D, BOEGLI Y, CHASSOT PG, Juin 2008, dernière mise à jour Mai 2018


Références

  1. ABMAN SH, HANSMANN G, ARCHER SL, et al. Pediatric pulmonary hypertension. Guidelines from the American Heart Association and American Thoracic Society. Circulation 2015; 132:2037-99
  2. BENZA RL, MILLER DP, BARST RJ, et al. An evaluation of long-term survival from time of diagnosis in pulmonary arterial     hypertension from REVEAL. Chest 2012; 142:448-56
  3. BLAISE G, LANGLEBEN D, HUBERT B. Pulmonary arterial hypertension. Pathophysiology and anesthetic approach. Anesthesiology 2003; 99:1415-32
  4. BRONICKI RA, BADEN HP. Pathophysiology of right ventricular failure in pulmonary hypertension. Pediatr Crit Care Med 2010; 11(Suppl):S15-S22
  5. CERRO MJ, ABMAN S, DIAZ G, et al. A consensus approach to the classification of pediatric pulmonary hypertensive vascular diasease : report from the PVRI Pediatric Taskforce, Panama 2011. Pulm Circ 2011 ; 1 :286-98
  6. CHASSOT PG, BETTEX DA. Anesthesia and adult congenital heart disease. J Cardiothorac Vasc Anesth 2006; 20:414-37
  7. IVY DD, ABMAN SH, BARST RJ, et al. Pediatric pulmonary hypertension. J Am Coll Cardiol 2013; 62:D117-26
  8. OECHSLIN E. Eisenmenger's syndrome. In: GATZOULIS MA, WEBB GD, DAUBENEY PEF, Eds. Diagnosis and management of adult congenital heart disease. Edinburgh, Churchill Livingstone 2003, pp 363-77
  9. PALEVSKY HI, SCHLOO BL, PIETRA CC, et al. Primary pulmonary hypertension: Vascular structure, morphometry, and responsiveness to vasodilator agents. Circulation 1989; 80:1207-21
  10. RABINOVITCH M, HAWORTH SG, CASTANEDA AR, et al. Lung biopsy in congenital heart disease: a morphometric approach to pulmonary vascular disease. Circulation 1978; 58:1007-22
  11. RIGBY ML, ROSENTHAL M. Cardiorespiratory interactions in paediatrics. "It's (almost always) the circulation stupid!" Paed Respir Rev 2017; 22:60-5
  12. THUNBERG CA, GAITAN BD, GREWAL A, et al. Pulmonary hypertension in patients undergoing cardiac surgery:     pathophysiology, perioperative management and outcome. J Cardiothorac Vasc Anesth 2013; 27: 551-72


 

14. Anesthésie pour la chirurgie cardiaque pédiatrique