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Repères anatomiques

Pour s’orienter dans la multitude des cardiopathies congénitales, il est pratique de se référer à un concept de base adopté par les anatomo-pathologistes, qui est celui d'une analyse segmentaire. Celle-ci divise le coeur en trois segments (Figure 14.27) [6,7].
 

Figure 14.27 : Analyse segmentaire. Le coeur est divisé en trois segments connectés par deux jonctions. A noter que les valves mitrale et tricuspide appartiennent au segment ventriculaire, alors que les valves aortique et pulmonaire sont liées au segment artériel [7].
 
  • Le segment auriculaire, qui comprend les oreillettes et les grandes veines;
  • Le segment ventriculaire, qui comprend les ventricules et les valves auriculo-ventriculaires;
  • Le segment artériel, qui comprend l'aorte et l'artère pulmonaire avec leurs valves respectives.
Ces trois segments sont liés entre eux par deux jonctions :
 
  • La jonction atrio-ventriculaire,
  • La jonction ventriculo-artérielle. 
Cinq critères sont utilisés pour déterminer les structures anatomiques du coeur [3].
 
  • Situs: il peut être solitus (normal) ou inversus (hétérotaxie): comme le situs est concordant avec le status abdominal sauf dans de très rares cas, il est essentiellement défini par la position de l'oreillette droite (OD) qui reçoit la veine cave inférieure (VCI) ou, à défaut, les veines sus-hépatiques en provenance du foie. L'incidence de l'hétérotaxie est de 0.8 pour 10'000 naissances [4].
  • La concordance ou la discordance de deux segments successifs: au lieu de se suivre dans une position normale (concordance), deux segments peuvent être dans une position relative inappropriée (discordance); l'axe gauche-droit de l'un est à 180° par rapport à celui de l'autre.
  • Les connections segmentaires: les parties jonctionnelles entre les segments sont le canal atrio-ventriculaire entre les oreillettes et les ventricules, et l'infundibulum entre les ventricules et les artères.
  • Les marqueurs propres de chaque chambre cardiaque; le VG, par exemple, est défini par la présence de deux piliers, d'une valve mitrale bicuspide, de trabéculations fines et d'une chambre de chasse partiellement fibreuse.
  • Les anomalies associées: ce peut être une structure dysmorphique, une lésion obstructive, une valvulopathie ou un défaut dans un septum (shunt).
Chaque segment est défini par sa morphologie intrinsèque, car la position et la taille des cavités cardiaques ne permettent pas de les identifier à coup sûr: chacune peut être permutée, atrophique, hypertrophiée, absente ou du mauvais côté. Les descriptions anatomiques des structures et des pathologies faites dans ce chapitre seront essentiellement basées sur l'imagerie échocardiographique et illustrées par des schémas et des images obtenues par échocardiographie transoesophagienne (ETO) [2].
 
Segment auriculaire
 
Le situs cardiaque est déterminé par la position des oreillettes. Dans la vaste majorité des cas, il est identique au situs abdominal; les discordances trans-diaphragmatiques ne surviennent que dans des pathologies sévères et très rares. C'est la jonction avec la veine cave inférieure (VCI) qui permet d'identifier l'OD; en l’absence de VCI, ce sont les veines sus-hépatiques qui se jettent dans l'OD. L'OD et le foie, faciles à repérer, sont donc du même côté. Les veines pulmonaires peuvent s'aboucher ailleurs que dans l'oreillette gauche (OG) en cas de retour veineux pulmonaire anormal.
 
Les oreillettes peuvent encore se différencier par leur anatomie propre. L'OD a un appendice auriculaire court, obtus et pyramidal; elle abrite la fossa ovalis du septum interauriculaire et reçoit l'insertion de la valve d'Eustache; sa paroi est partiellement trabéculée; la frontière entre la partie lisse et la partie trabéculée est marquée par une crête (crista terminalis) qui court d’une veine cave à l’autre (Figure 14.28). L'OG, dont la paroi est entièrement lisse, a un appendice auriculaire en forme de doigt, long et pectiné; sa surface endothéliale est lisse. L’OD reçoit les veines sus-hépatiques, par l’intermédiaire ou non d’une veine cave inférieure. Les bronches, les segments pulmonaires et les organes abdominaux ont les caractéristiques du status atrial.


Figure 14.28 : Critères anatomiques définissant l’OD en vue bi-cave 100°. 1 : veine cave inférieure (VCI) ; à défaut de VCI, ce sont les veines sus-hépatiques (VSH) qui se drainent dans l’OD. 2 : membrane d’Eustache. 3 : fosse ovale. 4 : crista terminalis. 5 : appendice auriculaire, large et obtus. 6 : partie trabéculée.  Il est capital de déterminer quelle oreillette est l’OD parce que ceci permet de définir le situs.
 
Il arrive que les deux oreillettes aient les mêmes caractéristiques anatomiques : on parle d’isomérisme ou oreillettes en miroir. L’isomérisme droit (deux OD) est habituellement associé à une absence de rate (asplénie), alors que l’isomérisme gauche (deux OG) est caractérisée par des rates multiples (polysplénisme) [4].
 
Jonction auriculo-ventriculaire
 
La jonction entre le septum interauriculaire, le septum interventriculaire, le feuillet septal de la valve tricuspide et le feuillet antérieur de la valve mitrale forme la crux interne du coeur. Ces quatre structures peuvent présenter un défaut de coalescence et laisser un orifice au centre du coeur: c'est le canal atrio-ventriculaire (canal AV), ou endocardial cushion defect. Normalement, l'insertion septale de la valve tricuspide est plus distale de 0.7 cm/m2 par rapport à celle de la valve mitrale. Les deux valves sont sur le même plan en cas de canal atrio-ventriculaire (Figure 14.29) [5].
 

Figure 14.29 : Jonction auriculo-ventriculaire. Dans la situation normale, l’insertion septale de la valve tricuspide est dans une position plus apicale que celle de la valve mitrale. Le décalage est de l’ordre de 0.7 cm/m2. Les deux valves sont sur le même plan lors de canal auriculo-ventriculaire commun (canal AV). 
 
La jonction atrio-ventriculaire est concordante quand les oreillettes et les ventricules se suivent dans le bon ordre. Elle est discordante lorsque chaque oreillette est connectée au ventricule contro-latéral. En cas de discordance, la valve tricuspide reste attachée au ventricule droit (VD) et la mitrale au ventricule gauche (VG). Lorsque les deux oreillettes sont reliées à un seul ventricule, on parle de ventricule à double entrée, ou double-inlet ventricle. Si une valve atrio-ventriculaire s'ouvre sur les deux ventricules à la faveur d'une communication interventriculaire (CIV), on parle d'overriding; cette malformation peut être complétée de straddling lorsque des cordages de la valve vont s'insérer à travers la CIV sur une paroi du ventricule controlatéral (Figure 14.30).
 

Figure 14.30 : Jonction atrio-ventriculaire. A: surplomb (overriding);  la valve mitrale surplombe le septum, son orifice s'abouche dans les deux ventricules, mais l'appareil sous-valvulaire est du même côté. Elle est connectée au ventricule qui reçoit > 50% de sa surface. B: Straddling; l'appareil sous-valvulaire de la valve qui surplombe, en l’occurrence la mitrale, est inséré des deux côtés du septum; une partie des cordages croise la CIV. 
 
Segment ventriculaire
 
Un ventricule est composé de trois parties: une chambre d'admission, un corps trabéculé et une chambre de chasse. On considère comme un ventricule une chambre qui reçoit plus de 50% de l'ouverture de la valve auriculo-ventriculaire correspondante; en dessous de cette valeur, on la considère comme une chambre rudimentaire. La position, la forme et la taille sont des repères traîtres pour définir quel ventricule est le droit ou le gauche, car ces données peuvent être profondément perturbées. D'autres critères sont utilisés pour les différencier (Figure 14.31) [1].
 
      
  

Figure 14.31 : Différentiation du VD et du VG. Le VD est relié à une valve tricuspide (1) et contient 3 piliers dont un est situé sur le septum (2) ; sa chambre de chasse est entièrement musculaire (3) ; il présente une forte trabéculation (4) et en général une bande modératrice musculaire bien différenciée (5). Le VG est connecté à une valve à 2 feuillets (6) et ne contient que 2 piliers (antéro-latéral et postéro-médian) (7), dont aucun n’est implanté sur le septum ; il est faiblement trabéculé (8) et sa chambre de chasse comprend une partie fibreuse à la continuité entre la valve aortique et le feuillet antérieur de la mitrale (9). Le décalage entre les insertions septales de la tricuspide et de la mitrale (10) différencie le VD (insertion basse) du VG (insertion haute) (vue 4-cavités 0-20°) ; cet élément est perdu en cas de canal AV, puisque dans cette pathologie les deux valves sont insérées au même niveau.
 
Un ventricule droit se distingue par:
 
  • La présence d'une valve tricuspide, insérée plus bas que la valve mitrale (sauf dans le canal AV);
  • Trois muscles papillaires, dont un est inséré sur le septum interventriculaire;
  • Des trabéculations épaisses et la présence d’une bande modératrice (travée musculaire qui traverse la cavité);
  • Une chambre de chasse conique et entièrement musculaire (infundibulum); il n'y a aucune continuité entre les valves tricuspide et pulmonaire qui sont normalement séparées l'une de l'autre par la voie d'éjection gauche.
Un ventricule gauche se reconnaît à:
 
  • La présence d'une valve bicuspide (mitrale), insérée au-dessus de celle de la valve tricuspide (sauf dans le canal AV);
  • Deux muscles papillaires (ou un seul), dont aucun n'a une insertion sur le septum interventriculaire;
  • Des trabéculations plus fines;
  • Une chambre de chasse partiellement fibreuse, avec une continuité entre la valve mitrale et la valve aortique.

Jonction ventriculo-artérielle
 
La jonction est concordante ou discordante selon que le ventricule est connecté au vaisseau approprié ou non; la transposition des gros vaisseaux (TGV) est le cas le plus fréquent de discordance ventriculo-artérielle: le VD est connecté à l’aorte et le VG à l’AP. Un ventricule à double issue (double-outlet ventricle) est caractérisé par une disposition dans laquelle plus de 50% d'une valve ventriculo-artérielle est connecté au même ventricule, qu'il soit droit, gauche ou unique (Figure 14.32). Les valves peuvent manifester un overriding, mais le straddling est impossible puisqu'elles n'ont pas de cordages.
 

Figure 14.32 : Pathologies de la jonction ventriculo-artérielle. A : situation normale, l’aorte (Ao) et l’artère pulmonaire (AP) se croisent à 45°, l’AP étant antérieure. L’AP se reconnaît au fait qu’elle se bifurque en deux branches 4-5 cm après son origine. L’aorte ascendante est un long tube qui ne donne aucune branche avant les vaisseaux de la crosse; les nombreuses anomalies coronariennes ne permettent pas d’utiliser l’implantation des coronaires comme un critère définissant l’aorte. B : ventricule droit à double issue (VDDI, double-outlet right ventricle ou DORV); la bascule du septum, avec ou sans CIV, fait que les deux vaisseaux sont originaires du VD. C : transposition des gros vaisseaux (TGV); l’aorte est issue du VD et l’AP du VG; à l’échocardiographie, les deux vaisseaux sont parallèles en vue long-axe 120°, les deux valves sont sur le même plan en court-axe (0-40°). En général, les gros vaisseaux sont parallèles dans le plan sagittal lors de D-TGV (aorte antérieure, AP postérieure) et côte-à-côte dans le plan frontal lors de L-TGV. D : tétralogie de Fallot; la racine aortique est élargie et déportée sur la droite; elle est est à cheval sur la CIV. L'AP est sténosée à son origine. E : truncus arteriosus; l'aorte et l'AP sont issues du même vaisseau selon diverses combinaisons; ce vaisseau est ouvert aux deux ventricules [4].

Segment artériel

Deux vaisseaux sont issus du coeur, l'aorte, qui est postérieure, et l'artère pulmonaire (AP), qui est antérieure; en situation normale, ils se croisent dès leur origine. L’aorte ne donne ses premières branches que distalement dans la crosse, alors que l’AP se bifurque en deux branches après 2-3 cm. Les coronaires ne sont pas un critère de différenciation car elles peuvent être issues de l'aorte ou de l’AP (syndrome ALCAPA : anomalous left coronary artery from pulmonary artery). Lorsque leur septation embryologique ne s'est pas produite, les deux vaisseaux sont fusionnés en un seul (truncus arteriosus) [4].
 
Shunts et obstructions
 
Le shunt est une communication entre la circulation systémique et la circulation pulmonaire qui peut se situer à différents niveaux.
 
  • Retour veineux: veines pulmonaires drainées dans un collecteur en continuité avec l'OD;
  • Niveau auriculaire: CIA;
  • Niveau de la crux: canal AV;
  • Niveau ventriculaire: CIV; 
  • Niveau artériel: canal artériel, collatérales aorte-AP.
Les obstructions surviennent essentiellement dans les voies d'éjection des deux ventricules et dans l'aorte; elles peuvent être dynamiques (hypertrophie musculaire concentrique de la chambre de chasse) ou statiques (membrane sous-valvulaire, sténose valvulaire, sténose artérielle).
 
  • Voie droite: sténose dynamique de la CCVD, atrésie ou sténose de la valve pulmonaire, hypoplasie de l'AP (typiques de la tétralogie de Fallot);
  • Voie gauche: membrane dans la CCVG, sténose aortique (bicuspidie);
  • Aorte: hypoplasie, coarctation.
Les lésions obstructives imposent un excès de postcharge au ventricule concerné, qui subit une hypertrophie concentrique. En présence de shunt, elles modifient le rapport des pressions entre les circulations droite et gauche.
 
 
 
Nomenclature
L’analyse segmentaire divise le cœur en 3 segments (auriculaire, ventriculaire et artériel) et 2 jonctions (auriculo-ventriculaire et ventriculo-artérielle). L’examen anatomique d’une cardiopathie congénitale comprend 5 étapes :
    - Définition du situs à partir de l’OD
    - Définition des différentes chambres (nombre, position) 
    - Examens des jonctions AV et ventriculo-artérielle (concordance ou discordance)
    - Recherche de shunts
    - Recherche de lésions obstructives
 

© BETTEX D, BOEGLI Y, CHASSOT PG, Juin 2008, dernière mise à jour Mai 2018


Références
 
  1. ANDERSON R, HO SH: Echocardiographic diagnosis and description of congenital heart disease: Anatomic principles and     philosophy. In ST JOHN SUTTON MG (ed): Textbook of echocardiography and Doppler in adults and children. Cambridge     (MA): Blackwell Science, 1996, 711-743
  2. BETTEX D, CHASSOT PG. Transesophageal echocardiography in congenital heart disease. In: BISSONNETTE B, edit.     Pediatric anesthesia. Basic principles, State of the art, Future. Shelton (CO): People’s Medical Publishing House (USA), 2011,     1186-1212
  3. DUPUIS C, KACHANER J, FREEDOM R, PAYOT M, DAVIGNON A. Cardiologie pédiatrique, 2ème édition. Paris, Flammarion, 1991, pp 137-42
  4. KLOESEL B, DINARDO JA, BODY SC. Cardiac embryology and molecular mechanisms of congenital heart disease – A primer for anesthesiologists. Anesth Analg 2016; 123:551-69
  5. PICCOLI GP. Morphology and classification of complete atrioventricular defects. Brit Heart J 1979; 42:633-9
  6. SHINEBOURNE EA, MACARTNEY FJ, ANDERSON RH. Sequential chamber localization. Logical approach to diagnosis in congenital heart disesase. Brit Heart J 1976; 38:327-40
  7. VAN PRAAGH R.  Terminology of congenital heart disease. Glossary and commentary. Circulation 1977; 56:139-43
 
14. Anesthésie pour la chirurgie cardiaque pédiatrique