Step 8 of 18

Communication interventriculaire (CIV)

La CIV est présente dans 20-25% des malformations congénitales de l’enfant; elle est la cardiopathie la plus fréquente pendant la première année de vie. La prévalence diminue ensuite à 10% parce que plus de 40% des CIV se ferment spontanément pendant l’enfance [8]. Le septum interventriculaire est musculaire, à l'exception de sa partie supérieure située sous la valve aortique, qui est membraneuse. Une communication entre les deux ventricules peut survenir à quatre endroits différents (Figure 14.43) [3].
 
        

Figure 14.43 : Schéma représentant les différentes possibilités anatomiques de communications interventriculaires (CIV). Les CIV basales (septum membraneux, canal AV et infundibulaire (ou supracristale) sont situées près de la chambre de chasse du VD ; de ce fait, leur flux court-circuite la cavité du VG (flèche) [3]. A gauche, schéma du septum interventriculaire vu depuis le VD, avec ses différentes parties anatomiques.
 
  • CIV musculaire: c'est la forme la plus fréquente chez le petit enfant, elle est souvent multiple (swiss cheese septum) et située dans les deux tiers apicaux du septum (Figure 14.44A); elle n’est pas associée à des dysfonctions valvulaires. Elle peut se refermer par hypertrophie du septum (Vidéo).


    Vidéo: CIV musculaire dans le corps du septum interventriculaire (vue long-axe 100°); elle est bien visible au flux couleur, mais mal définie en imagerie bidimensionnelle simple.
     
  • CIV membraneuse ou périmembraneuse (typique de la tétralogie de Fallot): elle peut se fermer progressivement de manière spontanée par occlusion au moyen d'une redondance du feuillet septal de la valve tricuspide. Elle peut être associée à des insuffisances valvulaires (Figure 14.44B) (Vidéo).


    Vidéo: CIV au niveau du septum membraneux sous-aortique, typique de la tétralogie de Fallot.
     
  • CIV de la chambre d'admission (inlet): elle fait partie du canal AV mais peut être isolée; elle apparaît en dessous et entre les feuillets septaux de la valve mitrale et de la valve tricuspide. Elle peut être spontanément occluse par le feuillet septal de la tricuspide (Figure 14.44C) (Vidéo).


    Vidéo: CIV de la chambre d'admisssion; elle est située sous la valve tricuspide et fait partie habituellement du canal AV.
     
  • CIV infundibulaire ou supracristale: elle se situe juste en dessous de la valve pulmonaire et communique avec la chambre de chasse gauche sous la valve aortique; ce voisinage induit fréquemment le prolapsus d'un ou de deux feuillets de la valve aortique (coronaire droit et non-coronaire), ce qui conduit à une insuffisance aortique (IA). On opère dès que possible ce type de CIV pour éviter la survenue d’une IA sévère (Figure 14.44D) (Vidéo).


    Vidéo: CIV supra-cristale, située sous la valve aortique, entre la chambre de chasse du VG et celle du VD; présence d'une minime insuffisance aortique.
     
      
 
Figure 14.44 : Images échocardiographiques transoesophagiennes (ETO) de CIV. A : CIV musculaire située dans le corps du septum interventriculaire. Cette image à l’emporte-pièce est peu fréquente ; souvent les CIV musculaires serpentent dans les trabéculations et ont un parcours difficile à suivre ; de plus, elles peuvent être multiples (swiss-cheese septum). B : CIV membraneuse dans le cadre d’une tétralogie de Fallot ; la valve aortique surplombe la CIV. C : CIV de la chambre d’admission dans un canal AV ; elle est située sous la valve tricuspide, dans la partie proximale du septum interventriculaire. D : CIV supracristale, située entre les deux chambres de chasse, juste en dessous du feuillet coronarien droit de la valve aortique.
 
Outre leur classification anatomique, les CIV sont aussi réparties en fonction de leur impact hémodynamique.
 
  • Type I : CIV restrictive de petite taille (maladie de Roger) ; Qp/Qs < 1.5, rapport PAP/PAS < 0.3, rapport RAP/RAS < 0.3.
  • Type IIa : CIV restrictive large (shunt important) ; Qp/Qs > 2, rapport PAP/PAS 0.3-0.7, rapport RAP/RAS 0.3.
  • Type IIb : CIV non restrictive large ; Qp/Qs > 2, rapport PAP/PAS 0.7-1, rapport RAP/RAS  0.5.
  • Type III : Syndrome d’Eisenmenger (CIV non restrictive large) ; Qp/Qs < 1, rapport PAP/PAS 1, rapport RAP/RAS  ≥ 0.5. 
  • Type IV : CIV à poumons protégés (CIV avec sténose pulmonaire) ; Qp/Qs > 2, rapport PAP/PAS < 0.6, rapport RAP/RAS  < 0.3, gradient VD-AP > 25 mmHg.
La CIV provoque un shunt G-D non-cyanogène qui surcharge la circulation pulmonaire en fonction de sa taille. La CIV provoque une surcharge de volume pour le VG, qui doit propulser le sang à travers le shunt dans le circuit pulmonaire; ce volume lui revient par l'OG (voir Figure 14.11B). C'est donc en premier lieu une insuffisance gauche par surcharge de volume qui guette l’enfant porteur d'une CIV. Lorsque la CIV se situe très haut au niveau de la chambre d'admission et de la chambre de chasse des ventricules, le sang qui emprunte le shunt court-circuite en quelque sorte la cavité ventriculaire droite; le travail de pression et de volume est effectué par le VG. Le VD n'est mis à contribution que lorsque se développe secondairement une hypertension pulmonaire. Celle-ci survient d'autant plus tôt que la CIV est large et que l'arbre pulmonaire est soumis à la pression systémique.
 
Les grandes CIV ont la taille de l’anneau aortique; elles égalisent les pressions entre le VG et le VD. Comme les RAP sont physiologiquement plus basses que les RAS, le volume systolique est dévié vers le lit pulmonaire, dont le flux est excessif. L’enfant devient symptomatique vers 1 mois de vie, lorsque les RAP diminuent : tachycardie, dyspnée, difficultés d’alimentation, retard de croissance. Sans correction, le haut débit pulmonaire et la PAP trop élevée entraînent des lésions vasculaires pulmonaires irréversibles qui aboutissent à un syndrome d’Eisenmenger. Le shunt devient alors bi-directionnel.
 
A l'examen échocardiographique, l'artère pulmonaire et l'OG sont dilatées parce que ce sont les chambres de réception du shunt; le VG est dilaté et hypertrophié par la surcharge de volume, parce qu'il est la pompe motrice à la fois pour le flux systémique et pour le flux de la CIV [3,5]. Le VD est dilaté et hypertrophié en fonction du degré d'hypertension pulmonaire. Le flux couleur révèle le passage G-D et le tourbillon de réception dans le VD. La dimension de la zone d'accélération concentrique dans le VG est proportionnelle à l'importance du shunt lorsque celui-ci est restrictif (Vidéo CIV flux), mais elle est absente lors de très gros shunt car le gradient de pression à travers la CIV est faible et sa vélocité est basse. Lorsque le shunt est majeur, ces images sont systolo-diastoliques; dans les petits shunts, elles ne sont présentes qu'en systole (Figure 14.45). 
 
     

Figure 14.45 : Caractéristiques du flux d’une CIV. Au Doppler couleur, on voit un une zone d’accélération concentrique (PISA, proximal isovelocity surface area) en amont de l’orifice, du côté ventriculaire gauche, et des tourbillons au sein de la cavité du VD ; on peut suivre le flux à travers la CIV. Au Doppler spectral, l’image est celle d’un flux systolo-diastolique à prédominance systolique. La vélocité du flux est fonction du gradient de pression entre le VD et le VG ; elle va diminuer au fur et à mesure que s’installe une hypertension pulmonaire et une décompensation droite. Le flux diastolique peut s’inverser (D-G) en cas de défaillance droite, la Ptd devenant plus haute à droite qu’à gauche. La trace pointillée est celle d’un flux de CIV musculaire, dont le conduit est obstrué momentanément par la contraction myocardique en systole. 
 
En présence d'une CIV, la pression systolique du VD ne peut pas être mesurée avec précision par le biais de la vélocité de l'IT, parce que le jet de la CIV contamine la pression du VD. Mais il est possible de calculer la pression systolique du VD par la vélocité du flux du shunt. La vélocité maximale (Vmax) du shunt mesure la différence de pression en systole entre le VG et le VD; soustraite de la pression artérielle systémique (PAs) (en l'absence de pathologie aortique), elle donne la pression systolique (Ps) du VD :
 
PsVD   =   PAs  -  4 (Vmax CIV)2
 
Les indications à la fermeture chirurgicale de la CIV varient selon l’âge de l’enfant [1,2,7].
 
  • Indications à < 6 mois : insuffisance ventriculaire gauche congestive, retard de croissance. La mortalité voisine 5%.
  • Indications à 6-24 mois : insuffisance ventriculaire gauche, développement d’une HTAP.
  • Indications > 2 ans : persistance d’un shunt modéré ou majeur (Qp/Qs ≥ 1.5:1), surcharge de volume pour le VG ou de pression pour le VD. La mortalité est < 1%.
  • Autres indications : lésion faisant partie d'un syndrome anatomique complexe (canal AV, tétralogie de Fallot), lésion située dans la chambre de chasse à cause du risque d'insuffisance aortique.
  • La mortalité périopératoire devient très élevée si les RAP sont > 6-8 U Wood/m2 ou si le rapport RAP/RAS est > 0.3.
  • A < 1 mois ou < 1 kg, il peut être préférable de pratiquer un banding de l’AP en attendant la réduction des RAP et la croissance de l’enfant.
La CIV est fermée par un patch. La plupart des lésions peut être opérée par voie auriculaire droite (trans-tricuspidienne) pour éviter une ventriculotomie responsable ultérieurement d'arythmies ventriculaires réfractaires; on accède aux CIV supracristales à travers la racine de l’AP. Seules les CIV musculaires apicales doivent être abordées à travers la paroi du VD. Beaucoup de CIV musculaires et certaines CIV périmembraneuses peuvent être occluses par voie percutanée avec une morbi-mortalité très basse (1-2%) [6]. 
 
Après correction, les complications les plus courantes sont l’insuffisance aortique ou tricuspidienne, la CIV résiduelle, l’obstruction d’une chambre de chasse et les blocs de conduction. Les séquelles à long terme de la ventriculotomie sont une dysfonction droite et des arythmies ventriculaires difficiles à juguler. Dans les CIV autres que musculaires, la proximité des faisceaux de conduction rend fréquents les blocs de branche et les blocs AV complets dans le postopératoire (10% des cas), nécessitant la pose d'un pace-maker temporaire ou définitif [6]. Une correction intervenue dans les 2 premières années assure une conservation de la fonction ventriculaire et une circulation pulmonaire normale. 
 
Anesthésie
 
Le choix de la technique d’anesthésie dépend de l’importance du shunt et de la pression pulmonaire [4].
 
  • CIV restrictive avec shunt G-D modeste; comme la PAP est normale ou peu élevée, on recherche les conditions qui diminuent le débit du shunt: vasodilatation artérielle et vasoconstriction pulmonaire. L'induction est possible sous halogénés et l’anesthésie générale (isoflurane) sous légère hypercarbie, FiO2 basse (0.3) et PEEP modérée. L’extubation est rapide. En chirurgie non-cardiaque, l'anesthésie loco-régionale rachidienne remplit bien les conditions requises.
  • CIV non-restrictive avec shunt G-D important; la présence d’une insuffisance ventriculaire et la réserve cardiaque limitée contraignent à une anesthésie basée sur des narcotiques (fentanyl 50-75 mcg/kg au total), avec support inotrope et vasodilatateur (dobutamine, adrénaline-milrinone). Le flux pulmonaire excessif est diminué par augmentation des RAP: hypercarbie (hypoventilation, addition de 2-4% de CO2 aux gaz inspirés), FiO2 basse (0.21-0.3) et PEEP (5-10 cm H2O). L’adéquation du flux systémique est contrôlée par la gazométrie (acidose respiratoire) et la SVO2
  • CIV avec HTAP: un shunt bidirectionnel à travers la CIV oblige à élever les RAS avec un vasoconstricteur systémique et à baisser les RAP avec un vasodilatateur pulmonaire. Crise hypertensive pulmonaire: hyperventilation, approfondissement de l'anesthésie (fentanyl), alcalose, époprosténol, NO. Après correction de la CIV, la musculature pulmonaire reste hyper-réactive aux déclencheurs habituels (acidose, hypoventilation, stress, douleur, hypothermie, etc).
  • L'augmentation du flux pulmonaire élève le travail respiratoire et les résistances dans les voies aériennes; elle diminue la compliance pulmonaire. Le risque d'infections pulmonaires est important. 
Les enfants porteurs de CIV sont très sensibles à l'hypovolémie. Bien que leur volume circulant soit augmenté, une partie de celui-ci ne fait que tourner dans les poumons par le shunt; or cette portion est obligatoire (elle dépend du diamètre de l'orifice), et se trouve sous un régime de pression inférieur à la pression systémique. Une perte de volume circulant se fera donc essentiellement aux dépends du volume qui circule en périphérie systémique. La vasoconstriction artérielle de l'hypovolémie ne fait que déverser une plus grande proportion de volume dans le circuit du shunt au détriment de la perfusion systémique. 
 
Le sevrage de la CEC est en général facile dans les CIV restrictives, le VG soulagé de sa surcharge de volume étant plutôt hyperdynamique; mais il peut être compliqué de poussée hypertensive pulmonaire et de défaillance droite en cas de CIV très large; il faut alors baisser les RAP (hyperventilation, NO) et apporter un support inotrope (dobutamine, milrinone). Après correction de CIV par patch, une petit fuite résiduelle est tolérable pour autant qu’elle soit mineure (diamètre < 2 mm), qu’il n’apparaissent pas de zone de convergence de flux du côté gauche et que l’enrichissement de la saturation en O2 dans l’AP soit < 5% [9]. Lors de CIV multiples, il n’est pas rare que les défects de moindre importance n’apparaissent qu’après la fermeture de la lésion principale (shunt préférentiel). Un examen échocardiographique attentif de la tricuspide est recommandé, car le feuillet septal peut être soumis à une traction lors de la fermeture d'une CIV périmembraneuse ou de la chambre d’admission; d’autre part, la technique de réparation trans-auriculaire droite nécessite une désinsertion partielle de la tricuspide, qui doit être reconstruite. Le degré de fuite résiduelle doit être clairement évalué. Lors d'une réparation de CIV infundibulaire, c'est le feuillet coronarien droit ou le feuillet non-coronaire de la valve aortique qui peut être rétracté et conduire à une insuffisance aortique.
 
Les complications les plus fréquentes sont le shunt résiduel (6-10% des cas), la crise d’HTAP et la dysfonction du VD ou du VG. Un bloc AV survient dans 10% des cas. Une tachycardie jonctionnelle ectopique (JET : junctional ectopic tachycardia) est une arythmie propre au petit enfant et difficile à juguler ; elle cède en général au refroidissement local accompagnée d’amiodarone ou de procainamide [2]. 

 
 
 Communication interventriculaire (CIV)
Caractéristiques :
    - Shunt G→ D non cyanogène, débit pulmonaire augmenté (Qp ↑, Qp/Qs > 1.5)
    - Chambres de réception dilatées : AP, OG, VG
    - Surcharge de volume pour le VG
    - Shunt restrictif : PAP à la limite supérieure de la norme
    - Shunt non-restrictif : HTAP, surcharge secondaire de pression pour le VD, HVD
 
Prise en charge : diminuer le shunt en abaissant les RAS et en augmentant les RAP
 
Recommandations pour l’anesthésie :
    - Ventilation : FiO2 0.3, hypercarbie (sauf si HTAP), P ventil basse 
    - Anesthésie: halogéné (isoflurane)
    - Hypovolémie mal tolérée à cause de la séquestration de volume dans la circulation pulmonaire 
    - Si HTAP: hyperventilation, NO, alcalose, fentanyl
    - Post-op : extubation précoce (si PAP normale), risque de bloc AV
 
 
© BETTEX D, BOEGLI Y, CHASSOT PG, Juin 2008, dernière mise à jour Mai 2018
 
 
Références
 
  1. ABMAN SH, HANSMANN G, ARCHER SL, et al. Pediatric pulmonary hypertension. Guidelines from the American Heart Association and American Thoracic Society. Circulation 2015; 132:2037-99
  2. BENT ST. Anesthesia for left-to-right shunt lesions. In : ANDROPOULOS DA, et al, eds. Anesthesia for congenital heart disease. Oxford: Blackwell-Futura, 2005, 297-327
  3. BETTEX D, CHASSOT PG. Transesophageal echocardiography in congenital heart disease. In: BISSONNETTE B, edit. Pediatric anesthesia. Basic principles, State of the art, Future. Shelton (CO): People’s Medical Publishing House (USA), 2011, 1186-1212
  4. CHASSOT PG, BETTEX DA. Anesthesia and adult congenital heart disease. J Cardiothorac Vasc Anesth 2006; 20:414-37
  5. CHASSOT PG, BETTEX D. Perioperative transoesophageal echocardiography in adult congenital heart disease. In: POELAERT J, SKARVAN K. Transoesophageal echocardiography in anaesthesia. London, BMJ Book, 2004
  6. HONJO O, Van ARSDELL GS. Cardiovascular procedures : surgical considerations. In : BISSONNETTE B, edit. Pediatric anesthesia. Basic principles, State of the art, Future. Shelton (CO): People’s Medical Publishing House (USA), 2011, 1589-608
  7. LUN K, LI H, LEUNG MP. Analysis of indications for surgical closure of subarterial ventricular septal defect without aortic cusp prolapse and aortic regurgitation. Am J Cardiol 2001; 87:1266-70
  8. PERLOFF JK: Survival patterns without cardiac surgery or interventional catheterization: a narrowing base, in: PERLOFF JK, CHILD JS, (eds): Congenital heart disease in adults. 2nd edition. Philadelphia, WB Saunders, 1998, 15-53.
  9. TEE SDG, SHIOTA T, WEINTRAUB R, et al. Evaluation of ventricular septal defect by transesophageal echocardiography: Intraoperative assessment. Am Heart J 1994; 127:585-92
 
14. Anesthésie pour la chirurgie cardiaque pédiatrique