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Equipement et monitorage

Matériel et médicaments

La préparation du matériel nécessaire en salle d'opération peut être longue et il est capital que les médicaments nécessaires soient déjà prêts aux dilutions correspondant au poids de l'enfant (voir Tableau 14.9). Plus l'enfant est jeune, plus il faut être attentif à la quantité de liquide perfusé. Il est prudent de choisir un système qui évite la surcharge volémique par inadvertance, telles des burettes ou des pompes-seringues. Le rinçage continu des capteurs de pression amène un volume de 2-4 mL/h et le flush amène 1-2 mL/sec. Ces chiffres doivent être pris en compte dans l'établissement des bilans. Chez les enfants souffrant de shunt, un soin méticuleux et compulsif est apporté à exclure toute bulle d’air des perfusions, à cause du risque de passage D-G et d’embolisation systémique, notamment cérébrale. Dans notre institution, la dilution des amines vaso-actives en pompe-seringue est calculée de manière simplifiée : pour que 1 ml/heure corresponde à 1 µg/kg/minute, il faut préparer : 3 mg x (poids de l'enfant) ad 50 ml.
 
Si l'on ne prend pas un soin méticuleux pour maintenir le charriot d'anesthésie et l'environnement immédiat de l'enfant dans un ordre soigneux et précis, la place de travail se transforme rapidement en champ de bataille ! Tous les cathéters, munis de rallonges et de robinets d'injection, doivent être fixés, étiquetés et ramenés à la tête de la table d'opération. Le circuit respiratoire doit toujours se trouver d'accès direct, au-dessus de toutes les tuyauteries. Comme beaucoup de personnes sont intéressées ou interviennent dans ce type d'intervention, un anesthésiste doit garder le contrôle et centraliser toutes les informations concernant les médicaments administrés, les perfusions, les transfusions et les bilans. 
 
Pour les petits enfants dont l'hématocrite est  supérieur à 45% ou dont le risque de crise vasospastique pulmonaire est élevé, la salle d'opération doit être chauffée jusqu'à la mise en pompe, après quoi elle est normalement refroidie. Dès la phase de réchauffement de la CEC, elle doit être réchauffée, et le matelas chauffant mis en fonction. Sang et perfusats doivent également être préchauffés.
 

Monitorage standard
 
Outre l'ECG, le stéthoscope précordial/oesophagien et la manchette à pression, le monitorage en anesthésie cardiaque comporte quelques éléments particuliers. L'utilisation de l'oxymètre pulsé (SpO2) est de la plus haute importance, car la saturation systémique est le meilleur critère du rapport Qp/Qs lors de shunts cyanogènes ou de restriction au débit pulmonaire. Elle est un signal d'alarme très rapide de l'adéquation de l'oxygénation et de la perfusion périphérique; ses variations suivent fidèlement celles de la PaO2 chez les enfants cyanosés, parce qu'ils sont situés sur la partie verticale de la courbe de dissociation de l'hémoglobine. L'Hb foetale ne modifie pas significativement la lecture. Le petit enfant doit être équipé de deux capteurs de SpO2, l’un pré-ductal (bras droit) et l’autre post-ductal (pied). Lorsque l'on procède à un banding de l'artère pulmonaire, la SpO2 doit rester supérieure à 85% pour une FiO2 = 0.5. Les nouvelles technologies d’analyse des variations dans l’amplitude de la courbe du saturomètre offrent une possibilité d’évaluer le degré de remplissage et la probabilité de réponse aux perfusions de manière non-invasive. Lors de ligature de canal artériel, la SpO2 aux membres inférieurs permet de détecter une éventuelle ligature de l’aorte descendante, dont les conséquences sont évidemment dramatiques.
 
La capnométrie (PetCO2) est utilisée de routine. Ses variations sont plus importantes que sa valeur absolue, qui est en général plus basse que celle de la PaCO2. L'écart entre la PaCO2 et la PetCO2 est important chez le petit enfant à cause de l'excès de gaz frais ventilatoire qui dilue l'air expiré et de la localisation du point de captage éloigné du gaz alvéolaire. Il est encore creusé par deux phénomènes [3].
 
  • Le shunt D-G, qui est l'équivalent d'un effet espace-mort;
  • Le bas débit pulmonaire, en cas d'obstruction droite ou de sténose de l'artère pulmonaire.
Ceci crée une corrélation négative entre le gradient Pa-Pet du CO2 et la saturation de l'Hb: ce gradient est d'autant plus large que l'enfant est cyanosé [6]. Lorsqu’on manipule le flux pulmonaire (banding, par exemple), la PetCO2 suit bien le débit dans l’AP.
 
Bien que sa corrélation avec les séquelles neurologiques soit discutée, la saturation cérébrale en O2 (ScO2) (NIRS near-unfrared spectroscopy) est très utile tant pour la surveillance de l'oxygénation cérébrale que pour l'évaluation de la circulation périphérique (voir Monitorage neurologique).
 

Cathétérisme artériel
 
La mesure de pression artérielle invasive est nécessaire pour toute opération en CEC et pour les interventions par thoracotomoie, à l'exception de la ligature simple du canal artériel chez le prématuré. Les sites de ponction préférentielles sont l'artère fémorale et l'artère radiale. Dans les cas de coarctation, d'hypoplasie aortique ou de canal artériel, la pression et la saturation doivent être mesurées en amont (membre supérieur droit) et en aval de la lésion. Dans les corrections d’hypoplasie ou d’interruption de l’arc aortique, il est essentiel de disposer de deux cathéters artériels ; dans les coarctations, une manchette à pression au membre inférieur peut remplacer le cathéter artériel fémoral. Si l'enfant est porteur ou doit subir un shunt périphérique systémique-pulmonaire (Blalock-Taussig), il ne faut pas canuler du côté de l'anastomose. Les suites postopératoires probables influencent aussi le choix du site de ponction: l'artère radiale est plus facile à immobiliser chez un enfant vite réveillé alors que l'artère fémorale n'est adéquate que si l'enfant reste ventilé et immobilisé. Pour une chirurgie propre chez des sujets immunologiquement immatures, la ponction artérielle est conduite dans des conditions d'asepsie chirurgicale [4].
 
L'artère radiale est canulée avec un cathéter 24G ou 26G chez les enfants de moins de 5 kg et de 22G entre 5 et 20 kg; on peut également utiliser un cathéter Seldinger 2F. Le taux d'ischémie transitoire des premiers rayons palmaires est de 4-6% [8]. Plus le cathéter est périphérique, plus il a tendance à indiquer une valeur de pression inférieure à la réalité pendant et après la CEC; ce phénomène est partiellement secondaire à la vasoconstriction hypothermique [10]. Les mesures radiales sont plus sensibles à cette altération que celles faites en fémorale. Le choix du côté dépend de la canulation de CEC et des interventions précédentes: on évite le coté d’un shunt de Blalock, la radiale gauche en cas de coarctation ou la radiale droite en cas de canulation aortique en sous-clavière droite. 
 
L'artère fémorale est en général plus aisée à ponctionner par la technique de Seldinger (2F ou 3F) et offre des mesures plus fiables parce que plus centrales. Le taux d'ischémie transitoire de la jambe est de 1 à 3% lors de canulation prolongée [7]. Cependant, les problèmes ischémiques qui surviennent sur les voies artérielles, quelles qu'elles soient, sont invariablement associés à des épisodes de bas débit et/ou d'hypercoagulabilité. Vu la taille du cathéter, le système de PiCCO nécessite une ponction fémorale chez l’enfant.
 
L’artère humérale et l’artère axillaire sont des sites possibles de sauvetage en cas de difficultés ou d’impossibilité d’accès aux voies radiale et fémorale habituelles. Toutefois, il s’agit d’artères terminales vascularisant tout le bras ; leur éventuelle spasme ou thrombose est lourd de conséquence. L’une des 2 artères ombilicales est accessible pendant les premiers jours de vie. Un cathéter peut y être introduit par dissection du cordon, et laissé en place quelques jours. Il donne une pression artérielle centrale adéquate. Lorsque la canulation percutanée est un échec, il est inutile d’abimer plusieurs sites artériels et de perdre un temps précieux par des essais répétitifs et malheureux. Une dénudation avec des instruments microchirurgicaux par un opérateur entraîné permet d’isoler l’artère et d’y introduire le cathéter sous contrôle de la vue. Le Tableau 14.10 rappelle les valeurs hémodynamiques normales pour l'âge.
 
 

Voie veineuse centrale
 
La mise en place d'une voie veineuse centrale (2-3 lumières) est le plus souvent nécessaire, que ce soit pour la mesure de la PVC, l'administration rapide et sûre de médicaments en peropératoire, ou l'administration liquidienne postopératoire. De nombreux sites de ponction sont possibles; il faut tenir compte du risque inhérent à chaque technique, des malformations anatomiques et des habitudes de l'anesthésiste. Pour tous les cas, il est recommandé d'utiliser un cathéter à deux ou trois lumières. Les ponctions multiples et le placement de plusieurs voies sur les mêmes axes élèvent significativement le risque de thrombose veineuse cave supérieure si l'hématocrite est élevé. Les accès à la VCS sont contre-indiqués en cas d’anastomose de Glenn, car une thrombose de celle-ci diminuerait de moitié le débit pulmonaire ; toutefois, certains centres utilisent une cathéter monolumière de faible diamètre (4F) pour y mesurer la pression pulmonaire.
 
Malgré la présence sur le marché de Swan-Ganz 4F et 5F, le cathéter pulmonaire flotté est peu utilisé en cas de cardiopathie congénitale à cause des variations anatomiques qui rendent sa migration aléatoire (CIA, par exemple) ou impossible (sténose pulmonaire). En cas de shunt, les mesures de débit cardiaque par thermodilution sont fausses. En peropératoire, la disponibilité de l'échocardiographie transoesophagienne ou épicardique comble largement cette lacune. D’autre part, l’analyse en continu de la surface sous la courbe artérielle systolique (système PiCCO™) permet de calculer le débit systémique de manière adéquate ; la corrélation avec le calcul par thermodilution est de 0.93 chez l’enfant [5]. Comme la présence d’un shunt invalide la mesure, il est surtout utile pour le postopératoire, lorsque la lésion a été corrigée.
 
L’accès veineux central se pratique avec les mêmes précautions que chez l’adulte (voir Chapitre 06, Voie veineuse centrale, Techniques). Les voies préférentielles sont la veine jugulaire interne droite et les veines sous-clavières. Il existe plusieurs sites possibles de ponction en jugulaire interne (Figure 14.22). 



Figure 14.22 : Voies d’accès veineuse centrale en jugulaire interne droite chez l’enfant. 1 : voie haute de Boulanger. 2,3 : voie du sommet du triangle. 4 : voie basse à l’angle sterno-claviculaire. 5 : voie sous-clavière (1 cm latéralement au milieu de la clavicule chez l’enfant de < 10 kg, 2 cm latéralement au milieu de la clavicule chez l’enfant de > 10 kg) [1].
 
Le repérage du vaisseau avec une sonde à ultrason est d’une grande utilité chez les petits (voir Chapitre 6 Guidage par ultrasons). Les petits enfants ayant un cou court et une grosse tête, la canulation jugulaire est parfois difficile à cause de l’angle de ponction. Le taux de ponction carotidienne est de 10-15%, mais le taux de placement en position cave supérieure est le plus élevé de toutes les voies d’abord [9]. La veine sous-clavière, ponctionnée au tiers médian de la clavicule, est d’anatomie très stable. Le cathéter peut y être laissé confortablement à long terme. Les désavantages sont la compression du cathéter lors de la sternotomie, le risque de pneumothorax et le passage contro-latéral du cathéter (5-20% des ponctions) [2]. La longueur d’insertion du cathéter (en cm) peut être calculée par la formule suivante [1]:
 
  • Enfant de < 100 cm : (taille / 10) - 1 
  • Enfant de > 100 cm : (taille / 10) - 2
L'extrémité du cathéter doit se trouver idéalement à la limite de la réflexion péricardique et parallèle à la paroi vasculaire. La limite du péricarde se trouve 0.5 cm en dessous de la carène chez l'enfant, mais elle est 0.5 cm au-dessus de la carène chez le nouveau-né, ce qui rend le cliché thoracique peu performant pour la localisation du cathéter [4]. Le meilleur moyen de contrôler la position du cathéter une fois celui-ci en place est l’échocardiographie transoesophagienne: en vue mi-oesophagienne bicave (100°), le cathéter doit être au-dessus de la jonction entre la veine cave supérieure et l'OD, juste visible sur l'écran.

La veine fénorale est à considérer lorsque les autres sites sont inaccessibles; elle présente les mêmes risques de thrombose et d'infection que les voies dépendant de la VCS. Elle est située quelques millimètres plus médiane que l'artère. Pendant les 2-3 premiers jours de vie, la veine ombilicale est facile à canuler; le cathéter y progresse par le ductus venosus jusque dans la veine cave inférieure et son extrémité apparaît au-dessus du diaphragme sur la radio du thorax (voir Figure 4.3) [4].
 

Cathéters transthoraciques
 
Les pathologies complexes du petit enfant créent des asymétries profondes entre les différentes cavités cardiaques et une grande labilité hémodynamique postopératoire; cette situation réclame davantage de points de monitorage que chez le grand enfant ou l'adulte. Lorsque la prise en charge postopératoire nécessiterait de connaître la PAP ou la PAPO en continu et que l’anatomie ou la taille de l’enfant ne permettent pas d’introduire un cathéter de Swan-Ganz, il est possible de poser chirurgicalement un cathéter transthoracique dans l’AP et/ou dans l’OG après la CEC. On utilise à cet effet un cathéter central monolumière 20-22G de 10-15 cm. Une bourse autour du site de ponction limite l’hémorragie au retrait du cathéter. Ce type de canulation présente deux dangers.
 
  • L’administration accidentelle de substances et/ou d’air directement dans l’OG; l’étiquetage du cathéter doit être rigoureuse et ne tolérer aucune confusion avec un cathéter veineux central.
  • L’ablation du cathéter au 2-3ème jour peut entraîner une tamponnade.
 
 
Equipement et monitorage des enfants pour la chirurgie cardiaque
ECG, SpO2 (membre supérieur + inférieur), PetCO2, saturation cérébrale (ScO2), ETO (selon tolérance si < 3 kg), T°C (oesophagienne/tympanique + rectale), sonde urinaire, sonde gastrique
 
Voie(s) veineuse(s) périphérique(s), cathéter artériel (éventuellement radial + fémoral), voie centrale 2-3 lumières, éventuellement PiCCO pour la période post CEC/postopératoire 
 
 
© BETTEX D, BOEGLI Y, CHASSOT PG, Juin 2008, dernière mise à jour Mai 2018


Références
 
  1. ANDROPOULOS DA, BENT ST, SKJONSBY B, et al. The optimal length of insertion of central venous catheters for pediatric patients. Anesth Analg 2001; 93: 883-6
  2. ANDROPOULOS DA, STAYER SA, BENT ST. A controlled study of transesophageal echocardiography to guide central venous catheter placement in congenital heart surgery patients. Anesth Analg 1999; 89:65-70
  3. BEUSCH M, LENZ G, KOTTLER B. Arterial to end-tidal CO2 gradients in infants and children with cyanotic and acyanotic congenital heart disease during cardiac surgery. J Cardiothorac Vasc Anesth 1990; 4:S128
  4. DETAILLE T, PIROTTE T, VEYCKERMANS F. Vascular access in the neonate. Best Pract Res Clin Anesthesiol 2010; 24:403-    18
  5. FAKLER U, PAULI C, BAILING G, et al. Cardiac index monitoring by pulse contour analysis and thermodilution after pediatric cardiac surgery. J Thorac Cardiovasc Surg 2007 ; 133 :224-8
  6. FLETCHER R. The relationship between the arterial to end-tidal PCO2 differences and hemoglobin saturation in patients with congenital heart disease. Anesthesiology 1991, 75:210-6
  7. GRAVES PW, DAVIS AL, MAGGI JC, et al. Femoral artery cannulation for monitoring in critically ill children: Prospective study. Crit Care Med 1990; 18:1363-6
  8. HACK WWM, VOS A, OKKEN A. Incidence of forearm and hand ischaemia related to radial artery cannulation in newborn infants. Intensive Care Med 1990,;16:50-3
  9. MALLINSON C, BENNETT J, HODGSON P, et al. Position of the internal jugular vein in children: A study of the anatomy using ultrasonography. Paediatr Anaesth 1999; 9:111-4
  10. RICH GF, LUBANSKI RE, MCLAUGHLIN TM. Differences between aortic and radial artery pressure associated with cardiopulmonary bypass. Anesthesiology 1992; 77:63-6
 
14. Anesthésie pour la chirurgie cardiaque pédiatrique