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Complications cardiorespiratoires
Dysfonction ventriculaire
Une dysfonction ventriculaire est fréquente chez les congénitaux; elle est responsable de 45% des décès [16]. Elle est liée à plusieurs phénomènes.
- Remodelage ventriculaire dû à la malformation: insuffisance d'un VD sous-aortique fonctionnant comme ventricule systémique, sphéricisation d'un ventricule unique (VU), par exemple; la fonction est meilleure lorsque le VU est de type anatomique gauche. La dysfonction diastolique avec baisse de compliance est courante; elle réclame des pressions de remplissage supérieures à la norme.
- Durée de vie avec la malformation: plus la correction chirurgicale est tardive, plus le remodelage est important. Même une malformation bien supportée chez le jeune comme une CIA finit par décompenser le VD vers la cinquantaine. D’autre part, les opérations palliatives ne protègent pas les ventricules comme le font les corrections totales.
- Type de surcharge: une surcharge de volume est mieux supportée qu'une surcharge de pression. Cette dernière conduit à une aggravation de la tension de paroi, à une inadéquation du débit coronaire et à une faible tolérance aux déséquilibres peropératoires entre l'apport et la demande en oxygène. Dans un shunt G-D, le VD décompense lorsque la pression systolique pulmonaire augmente au-delà de 60 mmHg (50% de la valeur systémique).
- Cyanose: la VO2 myocardique dépasse le DO2 au moindre effort; les épisodes de dysfonction sont fréquents. La baisse de la pression de perfusion myocardique due au shunt et les occlusions microvasculaires de l'hyperviscosité induisent une ischémie chronique qui se traduit par des lésions irréversibles.
- Ischémie: elle peut être due à la malformation, à la correction chirurgicale, à la cyanose, aux occlusions microvasculaires de l'hyperviscosité, ou à une athéromatose coronarienne de l'adulte. En cas d’HTAP, elle menace le VD dès que la PAP diastolique dépasse la PAM systémique: la perfusion du VD n'a plus lieu qu'en systole.
- Palliation: les opérations palliatives maintenant des conditions hémodynamiques anormales.
A l'exception de la CIA, de la CIV simple et du canal artériel opérés dans les premières années de vie, toutes les cardiopathies congénitales altèrent plus ou moins profondément la fonction ventriculaire. Même lorsque les malformations sont anatomiquement corrigées, la performance des ventricules n'est pas normalisée, et des tests plus sophistiqués que la simple fraction d'éjection (FE) prouvent que la fonction myocardique n'est pas optimale. Par ailleurs, les modifications morphologiques des cavités ventriculaires empêchent d'utililser les approximations géométriques habituelles pour le calcul de la FE. Les dimensions systoliques et diastoliques sont de meilleurs éléments d'appréciation. Pour le VG, les valeurs limites de diamètre sont de 2.5 cm/m2 en systole et 4.5 cm/m2 en diastole (en court-axe en échocardiographie). Pour le VD, la forme complexe de la cavité ventriculaire ne peut être correctement mesurée que par les nouvelles technologies de reconstruction 3D en IRM ou en échocardiographie [5,6].
Chez les congénitaux, l'insuffisance cardiaque concerne le plus souvent le ventricule droit. La surcharge de volume (CIA, insuffisance tricuspidienne ou pulmonaire majeure) entraîne une hypertrophie excentrique et une dilatation du VD; elle est bien tolérée pendant une longue période de vie, mais elle s'accompagne d'un risque élevé d'arythmie ventriculaire réfractaire [6]. Une augmentation chronique de postcharge dès la naissance (sténose pulmonaire, HTAP) n’induit pas de dilatation du VD mais une hypertrophie de type concentrique. La fonction droite reste adéquate tant que la pression intraventriculaire est < 50% de la pression gauche et qu’il n’y a pas de surcharge de volume associée (comme lorsque survient une insuffisance tricuspidienne) [19]. Mais les capacités de compensation sont dépassées en dix à trente ans. Lorsqu’il fonctionne comme ventricule systémique (hypoplasie du VG, transposition des gros vaisseaux), le VD défaille au cours de la deuxième ou troisième décade si aucune correction chirurgicale n'est intervenue. Aucun traitement médical n'est efficace à long terme sur l'insuffisance droite des congénitaux [14,17]. C'est la raison pour laquelle le traitement de la défaillance du VD est polypragmasique (Tableau 15.7) [8].
Après une CEC, la dysfonction ventriculaire droite peut être très sévère dans les cas de cardiopathies complexes. La plupart du temps, les combinaisons de dobutamine et noradrénaline se révèlent insuffisantes. Une association de milrinone et d'adrénaline est le plus souvent la seule solution efficace, complétée par un vascoconstricteur (noradrénaline, vasopressine) et relayée si nécessaire par le levosimandan. Toutefois, l'effet de ce dernier met plusieurs heures à s'installer et oblige à commencer son administration dès l'induction [15].
Dysfonction ventriculaire |
A l’exception de la CIA, de la petite CIV et du canal artériel opérés en bas âge, la fonction ventriculaire des congénitaux ne peut jamais être considérée comme normale. Le manque de réserve, la dysfonction ou la défaillance ventriculaire tiennent à plusieurs phénomènes :
- Remodelage anatomique, opération palliative
- VD sous-aortique (systémique), ventricule unique
- Longue durée de vie avant correction
- Surcharge de pression, moins bien tolérée que surcharge de volume
- Cyanose
- Ischémie chronique
Chez les congénitaux, la défaillance droite est plus fréquente que celle du VG. Elle est aussi plus difficile à gérer.
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Arythmies
Les arythmies compromettantes sont très fréquentes chez les congénitaux adultes, puisqu'elles représentent plus de la moitié des motifs d'hospitalisation d'urgence et 20% des causes de décès [9,17]. Les principaux facteurs de risque indépendants sont la dysfonction du ventricule systémique (FE < 30%), la dilatation du VD, l'élargissement du QRS (> 180 ms), les incisions chirurgicales sur les parois cardiaques et l'âge avancé (> 20 ans) au moment de l'opération [2,17]. La prévalence d’arythmie augmente avec l’âge: elle est de 38% > 50 ans [3]. Les arythmies doublent le risque de complications et augmentent la mortalité de 50% [3]. Elles peuvent être intrinsèques à la malformation : Wolff-Parkinson-White dans la maladie d'Ebstein, bloc AV dans le canal AV, tachycardie ventriculaire dans la tétralogie de Fallot et la TGV; certains malades ont deux nœuds atrio-ventriculaires. Elles peuvent aussi être secondaires à la chirurgie: bloc AV après cure de VSD périmembraneuse, tachyarythmies supraventriculaires après cure de CIA et après opération de Fontan ou de Senning [18]. Les tachyarythmies sus-jonctionnelles sont courantes chez les patients qui ont des oreillettes distendues, et les blocs de branche chez ceux qui ont une hypertrophie ventriculaire. Dans la FA, les scores comme le CHA2DS2-VASc ne sont pas performants chez les congénitaux, dont le risque thrombo-embolique est plutôt lié à la complexité et à la gravité de la cardiopathie [10].
Les arythmies par ré-entrée résistent aux traitements médicamenteux et nécessitent une ablation des faisceaux aberrants qui peut être difficile lorsque l’anatomie est très modifiée [12]. La tachycardie ventriculaire peut survenir dans toutes les pathologies, mais est particulièrement fréquente chez les Fallot corrigés qui développent une insuffisance pulmonaire et une dilatation du VD [7]. Le taux de mort subite est plus élevé que dans la population normale ; il augmente de 2-5% par décade [1,18]. Les affections les plus à risque de mort subite sont la tétralogie de Fallot, la sténose aortique, le cœur univentriculaire, la TGV et la TGV corrigée. Lorsqu’elles surviennent en peropératoire, les arythmies doivent être immédiatement traitées de manière agressive, car elles ont une forte tendance à dégénérer en arythmies malignes. Les malades à risque doivent être équipés de patches de défibrillateur collés avant l'induction.
L’implantation de pace-maker et/ou de défibrillateur n’est pas rare chez ces patients. Malheureusement, les modifications anatomiques dues à leurs malformations rendent souvent impossible la mise en place d’électrodes par voie endoveineuse. On a donc fréquemment recours à des électrodes épicardiques qu’il faut implanter par sternotomie sous anesthésie générale [20]. Dans les cas de shunt D-G résiduel, la présence d'électrodes intracardiaques justifie une anticoagulation systémique [2].
Arythmies |
Les arythmie sont fréquentes et responsables d'environ 20% des décès. Principaux facteurs de risque:
- Dysfonction sévère du ventricule systémique (FE > 30%)
- Dilatation du VD
- Atriotomie ou ventriculotomie, présence de patches intracardiaques
- Age > 20 ans au moment de la correction chirurgicale
- QRS élargi
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Dysfonction respiratoire
Les congénitaux adultes ont des fonctions pulmonaires statiques anormales comparées à celles d'individus du même âge, mais leurs pathologies retentissent sur les échanges gazeux [13].
- Lors de shunt G-D, la compliance est abaissée car le volume sanguin intrapulmonaire est élevé; le travail ventilatoire est accru.
- En cas de shunt D-G, le sang qui court-circuite les poumons correspond à une augmentation du mélange veineux (effet espace-mort) [11]. La pression télé-expiratoire de CO2 (PetCO2) sous-estime donc la PaCO2 réelle. Ces malades hyperventilent chroniquement pour compenser la faible épuration de CO2. La réponse à l'hypercarbie est normale, mais la réponse hypoxémique est très diminuée [4].
- Lorsque la désaturation artérielle est due à un shunt, l'augmentation de la FiO2 n'a que peu d'influence sur la SaO2.
A cela s'ajoutent les éventuelles séquelles d'interventions cardiaques précédentes et les déformations squelettiques d'anomalies associées (scoliose, par exemple).
Echanges gazeux |
Les cardiopathies congénitales influencent les échanges gazeux:
- Shunt G-D: diminution de la compliance
- Shunt D-G: effet espace-mort; la PetCO2 sous-estime la PaCO2
- La désaturation due à un shunt n'est pas corrigée par la FiO2
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© BETTEX D, CHASSOT PG, Janvier 2008, dernière mise à jour Janvier 2018
Références
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15. Anesthésie lors de cardiopathie congénitale chez l'adulte
- 15.1 Introduction
- 15.2 Nomenclature et physiopathologie
- 15.3 Approche par pathologies
- 15.3.1 Classification
- 15.3.2 Moyens diagnostiques
- 15.3.3 Retours veineux anormaux
- 15.3.4 Communication interauriculaire (CIA)
- 15.3.5 Canal atrio-ventriculaire (Canal AV)
- 15.3.6 Maladie d'Ebstein
- 15.3.7 Communication interventriculaire (CIV)
- 15.3.8 Hypoplasie ventriculaire
- 15.3.9 Tétralogie de Fallot
- 15.3.10 Shunt mixte
- 15.3.11 Sténose pulmonaire
- 15.3.12 Anomalies de la voie éjectionnelle du VG
- 15.3.13 Transposition des gros vaisseaux (TGV)
- 15.3.15 Coarctation de l'aorte
- 15.3.14 TGV naturellement corrigée
- 15.3.16 Anomalies artérielles
- 15.4 Considérations générales pour l'anesthésie
- 15.5 Conclusions