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Précharge du coeur
Volume intrathoracique
La précharge d’un ventricule ne se résume pas à la seule volémie. La précharge du VG se situe dans l’enceinte thoracique, puisqu’elle est constituée par le débit des veines pulmonaires; elle est donc tributaire du régime de pression pulmonaire. La précharge du VD est assurée par le retour veineux des veines caves. La cave supérieure (VCS) est en majeure partie intrathoracique, et représente moins du tiers du débit auriculaire droit chez l'adulte (la moité chez le petit enfant) [2]. La plus grande partie du retour veineux droit est donc assuré par le débit de la veine cave inférieure (VCI), qui provient de la cavité abdominale, laquelle a son propre régime de pression. Le trajet intrathoracique très court de la VCI n'est pas significativement influencé de la pression intrathoracique (Pit).
Le volume sanguin intrathoracique (VSit) représente environ 20% de la volémie. Celle-ci est répartie pour 63% dans le système veineux systémique, pour 15% dans les grosses et petites artères, pour 9% dans la circulation pulmonaire et pour 8% dans le cœur en diastole [4]. Les 4/5èmes du volume total sont donc dans un compartiment à basse pression (5-12 mmHg). La précharge du VG, représentée par le VSit, est tributaire du régime de pression ventilatoire. La relation entre les pressions pulmonaires et la volémie est décrite par les zones pulmonaires de West (Figure 5.87) [6] :
- Zone I : la pression alvéolaire (Palv) est plus élevée que la pression artérielle pulmonaire (PAP) et que la pression la pression veineuse pulmonaire (Pvp) (Palv > PAP > Pvp) ; le flux est interrompu.
- Zone II : la PAP est plus élevée que la Palv, mais celle-ci reste supérieure à la Pvp ; le flux est diminué, mais la pression artérielle pulmonaire d’occlusion (PAPO) mesurée par le cathéter de Swan-Ganz reflète la Palv et non la pression de l’OG.
- Zone III : la PAP est plus élevée que la Pvp, qui est plus haute que la Palv (PAP > Pvp > Palv) ; le flux est libre et la PAPO reflète la POG.
Figure 5.87 : Zones pulmonaires de West. PAP: pression artérielle pulmonaire. Palv: pression alvéolaire. PVP: pression veineuse pulmonaire. Dans la zone I: Palv > PAP > PVP. Dans la zone II: PAP > Palv > PVP. Dans la zone III: PAP > PVP > Palv. La pression alvéolaire représente un obstacle (zone I) ou non (zone III) à la transmission des pressions selon le degré de remplissage vasculaire.
En hypovolémie, la Pvp est si basse que la majeure partie des poumons passe en zone I ou II ; la PAPO reflète alors la pression de ventilation (Palv).
Zones vasculaires abdominales et pompe diaphragmatique
La pression abdominale et la volémie sont les déterminants majeurs du débit de la VCI, donc de la précharge droite. La contraction du diaphragme lors de l'inspirium spontané crée une surpression intra-abdominale et une dépression endothoracique. En situation de normo- et d'hypervolémie, le retour veineux à l'OD est augmenté, car la pression intravasculaire sous-diaphragmatique (PVCI) augmente alors que la POD baisse [2]. L'élévation de la pression abdominale agit comme un piston lorsque la VCI est remplie (PVCI haute). A l'inverse, si la VCI et l'OD sont peu remplies à cause d'une hypovolémie, la surpression abdominale fait collaber le réseau veineux cave qui atteint sa pression critique de fermeture (Pcrit) au niveau du diaphragme: le flux de la VCI baisse. Lors d'un inspirium profond, le flux veineux cave inférieur peut cesser momentanément. La différence entre la pression dans la VCI et la Pabd est la pression transmurale (Ptm) de la VCI (Ptm = PVCI – Pabd). Toute élévation de la Pabd augmente le retour veineux par la VCI si Ptm > Pcrit, mais elle le freine ou l’interrompt si Ptm < Pcrit.
Par analogie avec les zones pulmonaires de West, on peut décrire des zones hémodynamiques vasculaires intra-abdominales pour expliquer ce phénomène [3] : la pression d'amont est représentée par la pression veineuse fémorale (Pvf), analogue à la pression artérielle pulmonaire (PAP). La pression d'aval est la POD, analogue à la pression veineuse pulmonaire (Pvp). La pression environnante est la pression abdominale (Pabd), analogue à la pression alvéolaire (Palv) (Figure 5.88). Les trois zones se définissent comme suit [1].
- Zone I: la pression abdominale est plus élevée que la pression veineuse fémorale et que la POD: Pabd > Pvf > POD; le flux sanguin est stoppé.
- Zone II: la pression abdominale est plus basse que la pression auriculaire droite, mais reste inférieure à la pression fémorale: Pvf > Pabd < POD; le flux est bloqué à l'inspirium spontané lorsque la POD baisse et que la Pabd augmente sous l'effet de la contraction diaphragmatique (collapsus veineux car Pabd > P critique de fermeture de la VCI).
- Zone III: la pression abdominale est basse, la PVCI est plus élevée que la pression auriculaire mais inférieure à la pression veineuse fémorale: Pvf > POD > Pabd; le sang coule librement à travers la cavité abdominale puisque la pression dans la VCI est supérieure à la somme de sa pression critique de fermeture (Pcrit) et de la pression abdominale: PVCI > Pcf + Pabd; le flux vers l’OD est augmenté lorsque le diaphragme se contracte.
Figure 5.88 : Variations de la pression abdominale et retour veineux cave inférieur, ou zones de West abdominales [d'après réf 3]. La pression critique de fermeture (Pcf) est fonction de la pression dans la veine cave inférieure et de la pression qui l'entoure (pression abdominale Pabd); la veine collabe lorsque la Pcf est atteinte, et le retour veineux à l'OD cesse momentanément. Le volume périphérique représente le réseau veineux en amont de l'abdomen (membres inférieurs, etc). Le volume splanchnique représente le réseau veineux intra-abdominal mésentérique, porte, cave inférieur, etc. PVF: pression en veine fémorale. La contraction inspiratoire du diaphragme (flèche brune) augmente la pression abdominale simultanément à la baisse de la pression thoracique.
Une élévation de la pression abdominale, quelle qu’en soit la cause (inspirium spontané, laparoscopie, ascite, obésité, contraction pariétale, G-suits), augmente le retour veineux par la VCI à l’entrée du thorax si la pression transmurale de cette dernière est plus élevée que sa pression critique de fermeture (hypervolémie, zone III). Mais elle bloque le retour veineux si la pression transmurale de la VCI est inférieure à la pression critique de fermeture (hypovolémie, zone II), car le vaisseau collabe au niveau diaphragmatique. Le compartiment veineux abdominal peut donc fonctionner comme une capacitance (zone III) ou comme une résistance collabable (zone II), selon que la pression transmurale de la VCI au niveau du diaphragme est supérieure ou inférieure à sa pression critique de fermeture.
Inversement, si l’on relâche une Pabd chroniquement élevée (curarisation, drainage d’ascite, laparotomie pour iléus, etc), la décompression de la VCI permet à cette dernière de se dilater soudainement, puisque sa Ptm augmente instantanément. Ce phénomène diminue son débit vers l’OD car le sang est momentanément stocké dans ce lit vasculaire dilaté, dont la pression est abaissée: POD > PVCI ; le retour au coeur droit s’effondre. Il faut encore noter que la compression exercée par le diaphragme sur le foie peut induire une augmentation de pression veineuse dans le parenchyme hépatique et accroître le retour par les veines sus-hépatiques même si le débit porte distal est abaissé par l’augmentation de la pression abdominale [2]. Le diaphragme est donc une pompe essentielle pour assurer la précharge du cœur droit.
Chez un malade curarisé et ventilé en pression positive (Intermittent Positive Pressure Ventilation, IPPV), le mouvement du diaphragme est passif, et l’effet de pompe est perdu. Lors de l’inspirium, la Pabd n’augmente pas parce que la musculature de la paroi abdominale est paralysée. Simultanément, la pression intrathoracique (Pit) est élevée par l’IPPV. L’instauration de l’IPPV provoque un déplacement de volume de l'intérieur vers l'extérieur de la cage thoracique de l'ordre de 300 – 600 mL (baisse de précharge), alors que la PAPO et la PVC augmentent de 15 – 25% à cause de l'élévation de la Pit [5]. Le retour veineux par la VCI est donc diminué significativement puisque sa pression d’amont (Pabd) est basse et sa pression d’aval (Pit) est haute. Ceci est d’autant plus marqué que le remplissage est faible. Les effets de la respiration spontanée et de la ventilation en pression positive sont donc potentialisés chez un patient hypovolémique par le développement d’un effet de cascade (vascular waterfall) au niveau du diaphragme (Figure 5.89).
Figure 5.89 : Effet de cascade (vascular waterfall) appliqué aux zones virtuelles abdominales. En zone I, il n'y a pas de flux possible des veines fémorales jusqu'à l'OD. En zone II, le flux est fonction de la différence de pression Pvf – Pabd. En zone III, le flux est tributaire du gradient Pvf – POD, la pression critique de fermeture de la VCI n'est pas atteinte.
Il est donc normal, après une induction très stable, de voir la pression artérielle chuter au moment de la curarisation, alors que le curare choisi n’a en lui-même aucun effet hémodynamique. Plusieurs phénomènes interviennent :
- Augmentation de la Pit moyenne;
- Baisse de la Pabd;
- Stockage de sang dans le lit splanchnique et baisse du volume sanguin intrathoracique;
- Disparition de la contention musculaire des grandes veines des membres (pooling veineux).
Chez un malade curarisé, la position de Trendelenburg n’a que peu d’effet sur la précharge effective du cœur, parce que le poids des viscères abdominaux appuie sur le diaphragme qui est paralysé et augmente ainsi la pression intrathoracique (Pit). Cette élévation de la Pit est du même ordre de grandeur que l’augmentation du retour veineux vers l’OD : la pression transmurale de l’OD, qui représente sa précharge effective, ne se modifie pas. Au contraire, la simple élévation des jambes augmente le retour veineux d’au moins 500 mL chez un adulte sans modifier la Pit si l'abdomen et le thorax restent horizontaux. Cette autotransfusion est donc la parade la plus efficace à l’hypotension chez un patient curarisé. La position de Trendelenburg n'est opérante qu'en respiration spontanée.
Diagramme de Wiggers
Conçu par Wiggers en 1915 [7], ce diagramme représente la synchronisation des événements mécaniques du cycle cardiaque (Figure 5.90). En lui ajoutant les flux tels qu’on peut les enregistrer par échocardiographie, il résume assez succinctement les traits essentiels de la dynamique cardiaque.
Figure 5.90 : Diagramme de Wiggers augmenté des flux de remplissage. Art : courbe artérielle systémique. VG : pression intraventriculaire gauche. OG : pression de l’oreillette gauche. VP : flux dans les veines pulmonaires. VM : flux à travers la valve mitrale. 1: contraction ventriculaire isovolumétrique. 2: phase d'éjection ventriculaire. 3: relaxation isovolumétrique. 4: remplissage rapide. 5: diastasis. 6: contraction auriculaire. OA: ouverture de la valve aortique. FA: fermeture de la valve aortique. OM: ouverture de la valve mitrale. FM: fermeture de la valve mitrale. La même synchronisation et les mêmes variations de pression et de flux se retrouvent dans les cavités droites, mais à des régimes de pression et de vélocités inférieurs.
Précharge cardiaque |
La VCI représente 70% du retour veineux et la VCS 30% (petit enfant: 50/50).
Volume sanguin: 70% dans le système veineux, 15-20% dans le système artériel, 10% dans la circulation pulmonaire. La veine cave inférieure a un trajet intrathoracique très court et n'est pas influencée par la pression thoracique (Pit). Son débit dépend de la pression abdominale (Pabd). La précharge du cœur gauche est le volume sanguin intrathoracique (20% de la volémie).
La contraction diaphragmatique a un effet de pompe pour le retour veineux.
- ↑ Pabd
- ↓ Pit
- ↑ retour veineux à l'OD si Pabd < Pcrit VCI
Toute élévation de la Pabd augmente le retour veineux par la VCI si la pression transmurale (Ptm) de la VCI reste supérieure à sa pression critique de fermeture (Ptm > Pcrit), donc si la VCI est remplie, mais elle le freine ou l’interrompt si Ptm < Pcrit (hypovolémie).
Si IPPV et curarisation: perte de la pompe diaphragmatique (↓ retour veineux).
- ↑ Pit (↑ PVC et PAPO)
- ↓ Pabd
- Stockage de volume dans VCI
- Perte de contention veineuse par les muscles
Après curarisation, le poids des viscères abdominaux augmente la Pit en position de Trendelenburg; la Ptm de l'OD (précharge effective) n'augmente pas malgré l'augmentation du retour veineux par la VCI. Sous curare, seule l'élévation des membres inférieurs élève la précharge réelle de l'OD parce que le retour par la VCI augmente sans que la Pit ne se modifie (thorax et abdomen horizontaux). |
© CHASSOT PG Août 2010, dernière mise à jour Novembre 2018
Références
- ROBOTHAM JL. Cardio-pulmonary interactions: new insights, new directions. In SRLF - Les interactions cardio-pulmonaires. Paris : Arnette, 1994, 159-67
- TAKATA M, ROBOTHAM JL. Effects of inspiratory diaphragmatic descent on inferor vena caval venous return. J. Appl. Physiol. 1992; 72:597-607
- TAKATA M, WISE RA, ROBOTHAM JL. Effects of abdominal pressure on venous return: abdominal vascular zone conditions. J Appl Physiol 1990; 69:1961-72
- VIEILARD-BARON A, MICHARD F, CHEMLA D. Définitions et rappels physiologiques concernant les determinant du statut volémique. Réanimation 2004; 13:264-7
- VON SPIEGEL T, GIANNARIS S, SCHORN B, et al. Effects of induction of anaesthesia with sufentanil and positive-pressure ventilation on the intra- to extrathoracic voilume distribution. Eur J Anaesthesiol 2002; 19:428-35
- WEST JB, DOLLERY CT. Distribution of blood flow and the pressure-flow relations of the whole lung. J Appl Physiol 1965; 19:713
- WIGGERS CJ. Modern aspects of circulation in health and disease. Philadelphia: Lea & Febiger, 1915
05 Physiopathologie cardio-vasculaire
- 5.1 Préambule
- 5.2 Couplage de l'excitation et de la contraction myocardiques
- 5.3 La contraction myocardique
- 5.4 Mécanique ventriculaire
- 5.5 Physiopathologie de la systole
- 5.6 Physiopathologie de la diastole
- 5.7 Remplissage veineux
- 5.8 Interactions cardio-respiratoires
- 5.9 Dysfonction ventriculaire gauche
- 5.10 Fonction ventriculaire droite et circulation pulmonaire
- 5.11 Perfusion coronarienne et ischémie myocardique
- 5.12 Conclusions