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Douleur postopératoire

Une antalgie efficace est nécessaire non seulement pour le confort du malade, mais aussi pour l'assurance d'une ventilation adéquate, d'une mobilisation précoce et d'une réduction des complications cardiovasculaires [9].
 
La sternotomie est assez douloureuse, bien qu’elle le soit moins qu’une thoracotomie. Près de la moitié des patients se plaint de douleurs sévères ; 62% ont très mal lors des mouvements et 78% lors d’expectorations ou de physiothérapie respiratoire [16]. Sur une échelle analogique visuelle de 0 à 10 (VAS), ils se situent en moyenne au niveau 4-5 pendant les 2 premiers jours et au niveau 3 du 3ème au 6éme jour [18]. La douleur de la sternotomie est liée à plusieurs phénomènes: incision proprement dite, coagulation, éventuelle fracture sternale ou costale, rétraction et dislocation de l'articulation chondrocostale postérieure, dissection du lit de l'artère mammaire interne [4]. En plus de la sternotomie, les sites de prélèvements vasculaires (veine saphène interne, artère radiale) et les passages de drains sont également la cause de douleurs importantes. A cela s'ajoute les myalgies et les douleurs articulaires secondaires à l'installation sur la table d'opération. 
 
Outre une sédation adéquate (dexmédétomidine, perfusion de propofol à bas débit, midazolam), le confort est assuré par une analgésie postopératoire intense qui peut revêtir différentes formes médicamenteuses [2,9,11,18].
 
  • Opiacés : il n’y a pas de différence significative entre les différences substances; le choix dépend des habitudes locales. La technique la plus efficace est la PCA (patient-controlled analgesia); la moins chère est la morphine.
    • Morphine: 0.02 mg/kg/h < 65 ans, 0.01 mg/kg/h > 65 ans.
    • PCA: fentanyl (bolus 10 mcg, perfusion 1 mcg/kg/h), rémifentanil (bolus 0.25-0.5 mcg/kg, perfusion 3 mcg/kg/h).
  • Opioïde: oxycodone (Targin®), 10-40 mg/12 heures per os.
  • Analgésiques non-morphiniques : bien que moins efficaces que les opiacés, de nombreuses substances intraveineuses et orales sont utilisables. Les protocoles varient selon les institutions.
    • Tramadol (Tramal®), 100 mg iv 3-4 x/24 heures.
    • Kétorolac (Toradol®, inhibiteur COX-1) 30 mg iv 3x/24 heures; dose maximale: 90 mg/24 heures pendant 2 jours.
    • Paracétamol, 1 g iv toutes les 6-8 heures.
    • Kétamine (Ketalar®), 10-20 mg/h en perfusion.
    • AINS oraux: acide méfénamique, ibuprofen, etc ; les anti-COX-2 sont à éviter car ils augmentent significativement le risque cardiovasculaire [19].
    • Dexmédétomidine (Dexdor®), 0.2-1.0 mcg/kg/h en perf; cet α-2 agoniste a un effet sédatif et co-analgésique qui permet de diminuer les doses d'opiacés. Il réduit l'incidence de délire postopératoire, mais il induit une bradycardie et une hypotension [21].
    • Gabapentine en doses progressives : commencer avec 100 mg 2x/j et augmenter jusqu’à 2'400 mg/j maximum. La gabapentine est un antiépileptique plutôt réservée aux douleurs neurogènes ou chroniques, mais elle diminue jusqu'à 60% les besoins en antalgique sans impact significatif sur la sédation ou le délai d'extubation [15].
    • Alternative à la gabapentine : prégabaline, 50 mg 3x/j, jusqu’à 600 mg/j.
  • Anxiolyse; comme le stress et l'angoisse favorisent le ressenti douloureux, les sédatifs sont co-analgésiques.
    • Propofol, 1.5 mg/kg/h.
    • Dexmédétomidine 0.2-0.7 mcg/kg/h; ne cause pas de dépression respiratoire.
    • Midazolam 1-4 mg/h; de préférence chez les malades encore intubés; efficace mais retarde l'extubation et augmente le risque de délire chez les personnes âgées. 
Les techniques d'analgésies loco-régionales comprennent de multiples facettes qui vont de l'infiltration locale à la péridurale. Elles sont concentrées sur les douleurs d’origine thoracique, mais n’ont malheureusement aucun effet sur celles liées aux prélèvements vasculaires périphériques, à l'exception des opiacés intrathécaux. Comme les patients de chirurgie cardiaque sont anticoagulés en cours d'intervention, leur risque principal est celui de l'hémorragie. Il est faible dans les blocs de champs, mais dramatique à l'intérieur du canal rachidien, où son incidence probable est de 1:3'600 cas [14,17].
 
  • Blocs de champ et infiltrations loco-régionales; réalisés en fin d'intervention, ils diminuent le besoin en opiacés et sont particulièrement utiles dans les protocoles d'extubation précoce.
    • Infiltration intercostale parasternale bilatérale en fin d'intervention (bupivacaïne, ropivacaïne); l'antalgie est efficace et la réduction des opiacés significative. Elle peut être entretenue sur 24-72 heures par une perfusion continue au moyen d'un cathéter [1,10].
    • Blocs intercostaux : utiles pour l’antalgie immédiate après une incision de thoracotomie, ils ne sont pas adaptés pour traiter la douleur d’une sternotomie qui nécessiterait de bloquer une dizaine de niveaux des deux côtés.
    • Bloc paravertébral : injection dans le triangle bordé par la plèvre, l’apophyse transverse vertébrale et les muscles paravertébraux de 15-20 mL de lidocaïne ou de bupivacaïne. Ce bloc est peu risqué, même chez des malades anticoagulés ; on peut laisser un cathéter en place pour une administration continue. Il est aussi efficace que la péridurale, mais moins dangereux. Pour être opérant lors de sternotomie, le bloc doit être bilatéral [5].
  • Analgésie péridurale thoracique : elle offre la meilleure qualité d’analgésie et de confort, atténue la réponse au stress et diminue les complications respiratoires [6,8]. Vu le danger qu’elle présente lors de l’anticoagulation en CEC, son rapport risque/bénéfice reste incertain [13,22]; cependant, le risque d'hématome épidural (1:3'550 cas) est voisin de celui des péridurales thoraciques placées en chirurgie générale [12,17]. Au niveau cervico-thoracique, le dosage habituel est de 2 mL/h de bupivacaïne 0.75%. La péridurale est plutôt indiquée pour les opérations sans CEC (voir Chapitre 4, Analgésie péridurale).
  • Analgésie intrathécale : une injection unique (morphine 0.5 mg + sufentanil 50 mcg) par voie lombaire pratiquée immédiatement avant l’induction suffit à octroyer 5 à 24 heures d’antalgie postopératoire. Le risque hémorragique est faible vu que l'héparine est administrée plus d'une heure après l'injection (voir Chapitre 4, Analgésie intrathécale) [3,20].
La manière d’opérer a une influence considérable sur les souffrances postopératoires. La technique chirurgicale modifie la douleur postopératoire.
 
  • Mini-incisions (mini-sternotomie supérieure, mini-thoracotomie, incisions de thoracoscopie, prélèvement endoscopique de la saphène).
  • Rétraction progressive et dosée du sternum en évitant toute fracture.
  • Coagulation très localisée du lit de l’artère mammaire interne lors de son prélèvement en évitant de léser les nerfs intercostaux.
  • En fin d’intervention, l’infiltration de l’incision de sternotomie avec de la bupivacaïne est une possibilité d'une certaine efficacité.
  • Ablation précoce des drains thoraciques.
Le passage à la chronicité survient malheureusement dans 4 à 11% des cas [4,7,18]. Les facteurs de risque sont l’obésité, le prélèvement mammaire, le jeune âge et le besoin élevé en antalgique dans le postopératoire. On retrouve aussi d’autres étiologies : retard de consolidation sternale, fragments cassés de fils de pace-maker épicardique, formation de névromes, dommages aux nerfs intercostaux, particulièrement lors du prélèvement de la mammaire. 
 
 
 
Analgésie postopératoire
La moitié des patients se plaint de douleurs importantes au niveau de la sternotomie, particulièrement avec les accès de toux ; cette douleur va en decrescendo dès le 3ème jour. Plus forte est la douleur ressentie, plus risqué est son passage à la chronicité.
 
L’antalgie comprend trois volets: opiacés intraveineux (PCA), analgésiques non-morphiniques et AINS, techniques loco-régionales. 


© CHASSOT PG, MUSTAKI JP, BOVY M, Juin 2008, dernière mise à jour, Décembre 2019
 
 
Références
 
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