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Bas débit cardiaque

L'objectif premier de la prise en charge périopératoire est le maintien d'un débit cardiaque satisfaisant par rapport aux besoins de l'organisme. Or toute intervention en CEC porte transitoirement atteinte à la précharge, à la postcharge et à la fonction myocardique systolo-diastolique (voir ci-dessous Figure 23.3). On utilise volontiers la pression artérielle (PA) comme marqueur principal de la performance hémodynamique, en oubliant un peu vite qu'elle est la résultante du travail d'une pompe poussant un certain volume à travers une tuyauterie qui impose une résistance. Le débit cardiaque intègre ces composantes en une seule donnée qui représente le volume de sang distribué dans l'organisme en une minute. Par ailleurs, le volume systolique est une mesure souvent plus intéressante que le débit, car elle est indépendante de la fréquence et permet un meilleur suivi de l'efficacité ventriculaire. Après une intervention de chirurgie cardiaque, on recherche un index cardiaque > 2.0 L/min/m2 pour une fréquence de 80-90 batt/min. 

Un débit cardiaque insuffisant par rapport aux besoins de l'organisme peut être lié à plusieurs types de chocs  (voir Tableau 25.15).
 
  • Choc hypovolémique;
  • Choc cardiogène;
  • Choc restrictif (tamponnade);
  • Choc distributif (vasoplégie post-CEC, hyperkinésie et haut débit);
  • Choc septique (haut ou bas débit).
Sans même mesurer le débit cardiaque, le tableau clinique du choc cardiogène permet de poser le diagnostic de bas débit par les signes d'hypoperfusion périphérique.
 
  • Extrémités moites, pâles et froides;
  • Oligurie;
  • Pouls faible et rapide (pulsus parvus et celer);
  • Stase pulmonaire et mauvais échanges gazeux.
Typiquement, la pression artérielle systolique est < 90 mmHg, la PAM < 65 mmHg, la PAPO > 16 mmHg, les RAS > 1'500 dynes/s/cm5 et le débit < 1.8 L/min/m2; la PA ne répond pas systématiquement au remplissage [14]. Le taux de lactate est élevé (> 2 mmol/L). Toutefois, on ne peut pas poser le diagnostic de choc sur une seule variable, ni considérer la normotension comme un critère d'exclusion [4].

Le monitorage hémodynamique comprend nécessairement un cathéter artériel et une voie veineuse centrale multilumière, mais encore quelques éléments supplémentaires.
 
  • Cathéter artériel pulmonaire si insuffisance droite, pneumopathie sévère, pathologie complexe ou nécessité de mesurer la SvO2.
  • Mesure du volume systolique et du débit cardiaque en cas de non-réponse au traitement initial par thermodilution pulmonaire (Swan-Ganz) ou transpulmonaire (système PiCCO, particulièrement en cas de SDRA).
  • Evaluation de l'oxygénation tissulaire: SvcO2 (voie veineuse centrale), ScO2 (saturation cérébrale en O2), SvO2 (Swan-Ganz).

La réanimation liquidienne doit rester très précautionneuse à cause de la surcharge due à la CEC [4].
 
  • Cristalloïdes (initialement 30 mL/kg en 3 heures), albumine de préférence aux colloïdes; pas de HES.
  • Evaluation basée sur des indices dynamiques (variations respiratoires de la PAM, du VS, du flux aortique, mouvements du septum interauriculaire à l'ETO) et non statiques (PVC, PAPO, volume télédiastolique).
  • PAM visée ≥ 65 mmHg; PAM plus élevée en cas d'anamnèse d'hypertension; hypotension permissive en cas d'hémorragie et en l'absence de coronaropathie.
  • Critère: normalisation du lactate et de la SvO2.
  • Seuil de transfusion: Hb 80 g/, plaquettes < 10'000-20'000/mL.
 
Dysfonction systolique
 
L'insuffisance systolique est une réduction de la contractilité intrinsèque du myocarde (voir Chapitre 12 Rappel physiopathologique). De nombreux facteurs participent à la genèse de la défaillance ventriculaire après une intervention de cardiochirurgie (Tableau 23.2). 
 
 
 
 
  • Défaut de contractilité: 
    • Insuffisance ventriculaire préalable du VG, dilatation (DtdVG court-axe > 4.0 cm/m2);
    • Insuffisance du VD; la fonction du VD est un meilleur critère pronostique que la valeur de la PAP;
    • Défaut de cardioplégie;
    • Sidération myocardique;
    • Ischémie myocardique persistante (revascularisation incomplète) ou nouvelle (problème anastomotique sur des greffons, embolie intracoronarienne, spasme), sidération (stunning).
  • Défaut de précharge: 
    • Hypovolémie, hémodilution, hémorragie;
    • Tamponnade, pneumothorax;
    • Dysfonction diastolique (pressions de remplissage élevées).
  • Excès de postcharge: 
    • Vasoconstriction hypothermique;
    • Surcharge liquidienne et dilatation aiguë du ventricule;
    • Inadéquation de postcharge après remplacement valvulaire;
    • VD: hypertension pulmonaire (HTAPmoy > 35 mmHg), PEEP excessive, défaut de compliance pulmonaire post-CEC par oedème alvéolo-capillaire.
  • Vasoplégie: 
    • Syndrome inflammatoire systémique;
    • Réaction anaphylactique (médicaments, protamine);
    • Insuffisance surrénalienne;
    • Sepsis.
  • Fréquence inadéquate: 
    • Bradycardie (< 60 batt/min), tachycardie (> 110 batt/min);
    • Arythmies (FA, TV).
  • Transport d'O2 insuffisant: 
    • Débit cardiaque < 2 L/min/m2;
    • Echanges gazeux pulmonaires anormaux;
    • Anémie aiguë (Hb < 80 g/L).
  • Problèmes liés au patient: 
    • Age;
    • Insuffisance rénale, diabète;Hypothyréose, insuffisance surrénalienne.
  • Problèmes liés à l'intervention: 
    • Urgence, réopération, opération combinée (valve + pontages);
    • Opération complexe (résection de paroi ventriculaire, CIV, polyvalvulopathie);
    • Réchauffement insuffisant (consommation d'O2 accrue);
    • Traumatisme du myocarde (ventriculotomie, résection);
    • Conditions de charge inadaptées après remplacement valvulaire.
  • Conséquences de la fermeture du péricarde et du sternum: 
    • Modifications des pressions de remplissage et du retour veineux;
    • Effet tamponnade;
    • Augmentation de postcharge et compression du VD;
    • Pneumothorax sous tension.
La dysfonction postopératoire immédiate est d'autant plus sévère que la fonction préopératoire est abaissée et que l'opération pratiquée est à risque élevé. D'autre part, la CEC diminue l'activité des récepteurs β1 myocardiques de 30-50%, et augmente proportionnellement celle des récepteurs β dans la réponse sympathique aux catécholamines [12]. Ceci explique la résistance aux amines de type β1 que l'on peut rencontrer en sortant de pompe, et l'efficacité de l'adrénaline, parce qu’elle a des effets mixtes β et α, ou de la milrinone et du levosimendan, qui agissent par d'autres voies que celle des récepteurs catécholaminergiques. 
 
La dysfonction post-CEC présente une évolution très particulière. Elle s'améliore spontanément pendant la première heure après la mise en charge grâce à la stimulation sympahique endogène, puis s'aggrave pour atteindre son nadir entre la 4ème et la 6ème heure; la fraction d'éjection baisse de 15-20% [9,13]. C'est la période à laquelle les médiateurs libérés sont les plus élevés (fraction C5a du complément, interleukine-6 et -8, TNF, etc) (Figure 23.3). 
 

Figure 23.3 : Evolution de la fonction cardiaque après pontage aorto-coronarien en CEC [9]. Cette courbe est construite à partir de plusieurs références; pour cette raison, la performance myocardique, évaluée de manière différente et à des temps différents selon les études, n'est pas exprimée en unités mais en pourcentage de la valeur préopératoire.
 
L'activité des récepteurs β1, déjà abaissée par la CEC, diminue encore de 25% dans la période postopératoire immédiate [11]. Après pontage aorto-coronarien, par exemple, l'index cardiaque est diminué de 35% à la 4ème heure, alors que la fonction préopératoire était normale [3]. Cette situation implique de maintenir un soutien inotrope positif (amines β1, milrinone) pendant les premières 12 heures postopératoires. La récupération prend en général 8 à 24 heures, mais parfois plusieurs jours; elle est d'autant plus lente que la fonction préopératoire était moins bonne. Outre les déséquilibres de la précharge et des résistances artérielles, la période est encore caractérisée par une altération du tonus sympathique central lié à l'anesthésie et par une augmentation de la demande en oxygène liée au réchauffement. Bien que les exemples donnés concernent la fonction ventriculaire gauche, la performance du VD évolue de manière identique.
 
Insuffisance mitrale
 
La défaillance ventriculaire systolique se manifeste par un bas débit cardiaque, une hypokinésie globale et une dilatation ventriculaire visible à l'examen échocardiographique. La présence ou l'aggravation d'une insuffisance mitrale (IM) est un bon marqueur du degré de dysfonction et de dilatation du VG (Figure 23.4). 
 

Figure 23.4 : Insuffisances mitrales sur dilatation et sur ischémie du VG. A : La faible contraction et la dilatation de la paroi ventriculaire exercent une traction sur les cordages et maintiennent le point de coaptation en-dessous du plan de l’anneau mitral (ligne pointillée blanche) en systole, ce qui empêche la valve d’être étanche. L’importance de l’IM est proportionnelle au degré de dysfonction et de dilatation du VG. B : insuffisance mitrale excentrique par bascule de la commissure antérieure de la valve sur une ischémie aiguë du muscle papillaire antérieur. 
 
Toutefois, l'IM apparaissant ou s’aggravant après chirurgie cardiaque peut être l'indice de plusieurs pathologies dont la thérapeutique est différente et dont le diagnostic différentiel est important.
 
  • Dilatation du VG: ventricule agrandi et dysfonctionnel, IM restrictive centrale de degré ≥ II (Vidéo); 
    • Traitement: catécholamines, inodilatateurs, soutien hémodynamique en CEC, contre-pulsion intra-aortique (CPIA).
  • Excès de postcharge: IM centrale (Vidéo); 
    • Traitement: vasodilatateur.
  • Ischémie segmentaire causant la dysfonction/rupture d'un pilier mitral (Vidéo);
    • Traitement: nitroglycérine, soutien hémodynamique par contre-pulsion intra-aortique (CPIA), réfection de pontage; noradrénaline si PAdiast trop basse, anticalcique (Dilzem®) si spasme coronarien.
  • Prolapsus mitral: IM excentrique avec bascule d'un feuillet dans l'OG (Vidéo);
    • Traitement: adaptation de la contractilité, augmentation de la volémie, vasodilatateur, reprise chirurgicale.
  • Sténose sous-aortique dynamique: aspiration du feuillet antérieur de la valve mitrale dans la chambre de chasse du VG par hypovolémie, baisse de postcharge et stimulation sympathique excessive chez un malade souffrant d'un cavité ventriculaire gauche restrictive (HVG); l’IM est méso-télésystolique (Vidéo).
    • Traitement: arrêt des catécholamines, hypervolémie, vasoconstriction, éventuellement béta-bloqueur.

Vidéo: Insuffisance mitrale sévère de type restrictif due à une dilatation et à une défaillance du VG.


Vidéo: Insuffisance mitrale majeure sur ischémie antérieure aiguë (vue mi-oesophagienne 2-cavités 90°) et excès de postcharge, apparue après des pontages aorto-coronariens.


Vidéo: Prolapsus de la commissure antérieure sur ischémie-rupture du muscle papillaire antérieur (vue 4-cavités 0°); l'IM excentrique est sévère .


Vidéo: insuffisance mitrale excentrique sévère sur prolapsus du feuillet postérieur; le jet d'IM est dirigé vers le septum interauriculaire.


Vidéo: Sub-obstruction dynamique de la chambre de chasse gauche par le déplacement du feuillet mitral antérieur (SAM) en mésosystole; le feuillet se coude et vient au contact du septum interventriculaire en cours de systole (vue long-axe 140°). Ce mécanisme ouvre partiellement la valve mitrale, qui fuit dans l'OG en cours de systole.

Il est essentiel d'élucider le mécanisme de l'IM pour mettre en route le traitement correct. Après une revascularisation coronarienne, l'IM et la dysfonction ventriculaire doivent faire suspecter une ischémie aiguë, qui se traduit à l'ETO par des akinésies segmentaires et à l'ECG par des modifications du segment ST (Vidéos). 


Vidéo: Akinésie totale de la paroi latérale du VG (vue mi-oesophage 4-cavités 0°) après des pontages aorto-coronariens, due à une thrombose de l'anastome sur l'artère circonflexe.


Vidéo: Akinésie antéro-apicale en vue mi-oesophagienne 4 cavités (septum, région antéro-apicale et paroi latérale).


Vidéo: Akinésie antéro-apicale (même cas) en vue mi-oesophagienne 2-cavités 90° (paroi inférieure, apex et paroi antérieure).


Vidéo: Akinésie de la paroi antérieure en vue mi-oesophagienne 2-cavités 90°.
 
Dans les corrections de valvulopathies, l'aggravation hémodynamique momentanée dépend du type de pathologie (voir Valvulopathies). Les lésions ayant entraîné une dilatation ventriculaire (insuffisance aortique ou mitrale) induisent des dysfonctions sévères. Après correction d'une insuffisance mitrale, le VG est dans une situation difficile à cause de l'augmentation brusque de postcharge due à la suppression de la "soupape" que représentait l'insuffisance valvulaire ; il souffre également d’une baisse de précharge (recul sur la courbe se Starling) secondaire à la disparition du retour diastolique du volume de la régurgitation. Il a donc besoin d’un soutien inotrope et d’une baisse de postcharge, et non d’un vasoconstricteur. Dans le cas de sténose mitrale, le problème est lié au petit volume ventriculaire gauche, dont la distensibilité est diminuée, et au faible volume systolique ; dans ce cas, l’hémodynamique est assurée par un vasoconstricteur et par une relative tachycardie. Après correction de sténose aortique, au contraire, la baisse immédiate de la postcharge du VG lui assure une récupération fonctionnelle rapide, dans la mesure où l'hypertrophie ventriculaire n'a pas gêné la préservation myocardique; dès la sortie de CEC, la fonction du VG est améliorée, mais non celle du VD [5].
 
Dysfonction diastolique
 
La fonction diastolique représente la capacité du ventricule à accommoder un remplissage adéquat sous un régime de pression basse et sur un vaste éventail de conditions de charge, au repos comme à l’exercice. Une dysfonction diastolique est très courante après CEC ; son incidence oscille entre 10% et 54% des cas, ce qui représente une prévalence 5-7 fois plus élevée qu’en préopératoire [15]. Son importance, telle qu’on peut la quantifier à l’ETO, a une valeur pronostique pour l'évolution fonctionnelle immédiate [1]. La mortalité liée à l’insuffisance diastolique est de 3-6%, soit la moitié de celle liée à l’insuffisance systolique [10]. L’insuffisance diastolique est secondaire à plusieurs phénomènes :
 
  • Œdème myocardique;
  • Cardioplégie;
  • Manipulations du cœur;
  • Ischémie myocardique, lésion de reperfusion, sidération myocardique;
  • Syndrome inflammatoire systémique;
  • Péjoration d’une dysfonction diastolique préalable : HVG, ischémie, cardiomyopathie.
Cette baisse de compliance aggrave la dysfonction diastolique déjà présente dans toute une catégorie de pathologies [15] :
 
  • Hypertrophie ventriculaire gauche concentrique (hypertension artérielle, sténose aortique);
  • Ischémie myocardique;
  • Age avancé;
  • Obésité, diabète;
  • Cardiomyopathie restrictive.
La dysfonction diastolique et la baisse de compliance conduisent à une augmentation des pressions pour le même volume de remplissage et rendent le débit cardiaque davantage dépendant de la précharge, car le ventricule fonctionne sur une courbe de Starling très redressée (Figure 23.5). 


Figure 23.5: Relations pression/volume du VG en systole (A) et en diastole (B). A: Courbes de Frank-Starling du VG illustrant la relation entre la précharge et la performance systolique. Courbe normale (en vert), courbe en cas de dysfonction systolique (en rouge), et en cas de dysfonction diastolique (en violet). La courbe de Starling du VD (en pointillé) est très plate, ce qui signifie que le débit du VD normal ne dépend que très peu de la précharge. B : Courbe de compliance normale du VG (en bleu) et lors de dysfonction diastolique (en rouge). Dans ce deuxième cas, une pression de remplissage normale (P) correspond un volume ventriculaire plus petit (V’) que la norme (V) en cas de dysfonction diastolique; le sujet peut être hypovolémique avec une POG (PAPO) normale. La normovolémie d’un sujet souffrant de dysfonction diastolique (V’’ rouge) est une pression de remplissage (P’) qui correspond à une hypervolémie (V’’ bleu) chez un sujet normal.
 
Il arrive qu'un remplissage normal requiert une PVC de 10-12 mmHg et une PAPO de 15-18 mmHg, particulièrement chez les patients souffrant d'hypertrophie ventriculaire. L’élévation de la POG retentit en amont, augmente la stase intersticielle et accroît la postcharge du VD. La dysfonction diastolique du VG peut aussi être secondaire à une surcharge droite qui entraîne une bascule du septum interventriculaire vers la gauche en diastole et restreint le remplissage du VG (effet Bernheim) (voir Figure 12.8A).
 
Boucle pression/volume
 
La boucle pression/volume (P/V) est une représentation graphique du travail ventriculaire au cours d'un cycle cardiaque. Elle a l'allure d'un quadrilatère posé sur la courbe de compliance et tournant en sens inverse des aiguilles d'une montre à partir du point télédiatolique (1); la contraction isovolumétrique conduit au point où commence l'éjection (2) et celle-ci se poursuit jusqu'au point télésystolique (3); la relaxation isovolumétrique amène au début du remplissage (4) et la boucle se termine au point télédiastolique (1) en suivant la courbe de compliance diastolique. Lorsqu'on varie le volume de remplissage d'un ventricule, tous ses points télésystoliques se trouvent alignés sur une quasi-droite appelée élastance maximale (Emax) dont la pente représente la contractilité du VG (Figure 23.6). 
 

Figure 23.6: Boucle pression/volume lors d’insuffisance ventriculaire gauche (Ins VG , traits rouges) par rapport à une boucle normale (en jaune). La pente de la droite Emax (élastance maximale, qui reflète la contractilité, en bleu) et abaissée (en rouge) et la compliance ventriculaire (courbe verte) prend une allure restrictive (en rouge). Le volume éjecté (VS : volume systolique) diminue et le travail externe fourni (LVSW, left ventricular stroke work, représenté par la surface de la boucle) est plus faible. L’angle entre la pente Emax et la pente de la compliance est plus fermé. 1 : point télédiastolique; 1 →2 : contraction isovolumétrique; 2 : début de l’éjection; 2 → 3 : phase de l’éjection systolique; 3 : point télésystolique; 3 → 4 : relaxation isovolumétrique; 4 : début du remplissage; 4 → 1 : remplissage diastolique. VS: volume systolique (= Vtd – Vts). Le triangle compris entre la courbe de compliance, la droite Emax et la phase de relaxation isovolumétrique représente le travail de pression du VG.
 
La boucle P/V de l’insuffisance ventriculaire est caractérisée par un abaissement de l'élastance maximale (Emax), qui représente la force de contraction, et par une élévation de la courbe de compliance, qui représente la résistance au remplissage. Ces phénomènes conduisent à une diminution du volume systolique. Le rétrécissement de la surface de la boucle P/V traduit la baisse du travail éjectionnel fourni (stroke work). L’angle entre la pente Emax et la courbe de compliance étant étroit, une augmentation de la précharge par du remplissage déplace la boucle vers le haut et vers la droite, donc vers de plus grandes pressions et de plus grands volumes, mais n’améliore que faiblement le volume éjecté. Seul un effet inotrope positif augmente significativement le VS, parce qu’il redresse la pente de Emax (ouverture de l’angle entre la pente Emax et la courbe de compliance).
 
 
 
Dysfonction ventriculaire post-cardiotomie
Une intervention cardiaque porte atteinte à la fonction ventriculaire. La fonction systolique et la fonction diastolique baissent progressivement pour atteindre leur nadir vers 5-6 heures après la chirurgie; la récupération prend 8 à 24 heures. Cette dysfonction est d’autant plus sévère que l’atteinte ventriculaire était préexistante et que l’opération était longue et complexe. Les besoins en soutien inotrope (dopamine, dobutamine, adrénaline + milrinone) sont très variables et très évolutifs; ils doivent être ré-évalués en permanence en fonction de:
    - La contractilité (adaptée à la valvulopathie, à l’ischémie, etc)
    - La précharge (hypovolémie sur pertes sanguines, hypervolémie par surcharge de la CEC)
    - La postcharge (épisodes fréquents de vasoplégie)
    - La fréquence (variable selon la pathologie, idéal 80 batt/min)
    - La synchronisation (idéal: rythme sinusal)
 
La dysfonction diastolique s’accompagne d’une élévation des pressions de remplissage pour le même volume ventriculaire.

 
Traitement
 
Le choc cardiogène est défini par un bas débit cardiaque (DC < 1.8 L/min/m2) et une pression systolique < 90 mmHg pendant au moins 30 minutes, ou une PAM inférieure de 30 mmHg à sa valeur de base, accompagnés d'une hypoperfusion périphérique (extrémités froides, oligurie, lactate > 2 mmol/L) et d'une congestion pulmonaire (PAPO > 16 mmHg) [4,13]. Le but premier de sa prise en charge est d’assurer une perfusion adéquate aux organes vitaux, c’est-à-dire d’assurer le débit, la pression et le transport (O2, nutriments, élimination des déchêts). La prise en charge vise à ajuster cinq volets différents (Tableau 23.3) [2,7].
 

 
  • Précharge: remplissage adapté à la volémie et à la fonction diastolique;
  • Postcharge: vasoconstricteur ou vasodilatateur selon les RAS;
  • Contractilité: agents inotropes, assistance ventriculaire;
  • Fréquence: anti-arythmiques, pace-maker;
  • Corrections métaboliques: acidose, troubles électrolytiques, anémie, etc.
Chacune de ces composantes a sa part dans la défaillance hémodynamique. La pression artérielle est la résultante des trois premiers éléments. Sa normalisation n'est pas le terme ultime du traitement, car celle-ci peut se faire au détriment du débit cardiaque. En cas de défaillance du VG, par exemple, un vasoconstricteur améliore bien la pression momentanément, mais il augmente la postcharge du ventricule et accentue sa défaillance; le cas échéant, il augmente l'insuffisance mitrale. Le débit baisse et la perfusion périphérique diminue. A l'inverse, vasodilater un malade dont les résistances artérielles systémiques sont excessives (RAS > 1'500 dynes/sec/cm5) n'améliore pas la situation si le volume circulant n'est pas augmenté par un apport liquidien et si le VG n'est pas capable d'élever son volume systolique lorsque sa cavité est restrictive (HVG concentrique, sténose mitrale) ou sa fonction insuffisante. D'autre part, traiter une poussée hypertensive en réduisant les agents inotropes laisse le VG défaillant sans aide face à une postcharge trop haute pour lui. Dans tous ces contextes, l'évaluation du débit est essentielle. 
 
La valeur de la précharge doit être interprétée dans le contexte de la fonction diastolique du ventricule: la PAPO est supérieure à la norme en cas de dysfonction diastolique (HVG concentrique), mais le remplissage la modifie peu lorsque le VG est très compliant (dilatation en cas d'insuffisance aortique, per ex) ou très hypovolémique (courbe de compliance quasi-horizontale à bas volume). La réponse au remplissage (aliquots de 250-500 mL de cristalloïde) doit être soigneusement observée; bien que la PA s'améliore, le volume perfusé peut avoir plusieurs conséquences néfastes.
 
  • Augmentation de la tension de paroi ventriculaire, du stress systolique et de la consommation d'O2 myocardique (mVO2), accentuant le risque ischémique.
  • Accumulation d'oedème interstitiel pulmonaire, freinant les échanges gazeux.
  • Surcharge de volume du VD qui tend à se dilater; le septum interventriculaire bascule dans le VG et réduit le remplissage diastolique de ce dernier.
  • Hypertension veineuse systémique et diminution de la pression de perfusion (PP) des organes (PP = PAM – PV).
Le volume systolique (VS) est lié au débit cardiaque par la fréquence. De ce fait, il traduit mieux la performance myocardique que le DC lorsqu'il est abaissé (VS < 30 mL/m2). Dans ces conditions, la tachycardie est le moyen de restaurer le débit en dépit de la faible éjection; malgré l'augmentation de mVO2 qu'elle représente, la réduire avec un béta-bloqueur effondrerait le DC. Ceci est particulièrement pertinent lorsque la cavité du VG est réduite, comme dans l'HVG concentrique ou la sténose mitrale. La restauration d'un rythme sinusal est particulièrement importante en cas de dysfonction diastolique, car, dans ce cas, le remplissage ventriculaire dépend pour 30-50% du kick auriculaire pour assurer la tension de paroi télédiastolique optimale
 
Pour aider le myocarde, il s’agit aussi de corriger les déséquilibres de la balance DO2/VO2, notamment l’hypoxie, l’anémie et l’ischémie. Ceci commence par l’oxygénation et l’assistance ventilatoire (ventilation par tube endotrachéal avec FiO2 0.5-0.8, aide inspiratoire, NIV, CPAP, masque et O2). En cas de respiration spontanée, le but est de réduire la fréquence respiratoire < 20/min et d’augmenter la SaO2 > 90%. Les anomalies électrolytiques et acido-basiques, ainsi que la volémie et la masse globulaire (Ht > 26%), doivent être normalisées car elles perturbent significativement l’action de toutes les substances cardio-stimulatrices. 
 
L'insuffisance ventriculaire est fréquente après chirurgie cardiaque. Le traitement de ce syndrome post-cardiotomie porte sur plusieurs points d'impact qui sont interdépendants et qui doivent être réévalués en permanence: fonction inotrope, précharge, postcharge (systémique et pulmonaire), fréquence cardiaque, synchronisation. La première étape consiste en un support pharmacologique inotrope (catécholamines, IPDE-3, lévosimendan) et hémodynamique (nor-adrénaline, vasopressine), qui présente le défaut d'augmenter le stress et la consommation d'O2 du myocarde (voir Médicaments cardiovasculaires). En deuxième place viennent les supports circulatoires comme la contre-pulsion intra-aortique (voir CPIA), l'assistance cardiopulmonaire (extracorporeal membrane oxygenation ou extracorporeal life support, voir ECMO) ou les différents dispositifs d'assistance ventriculaire temporaire (Impella™, TandemHeart™, etc; voir Dispositifs à court terme); ils permettent de soulager le ventricule défaillant en remplaçant mécaniquement son activité (LVAD, left ventricular assist device, ou RVAD, right ventricular assist device). Ils peuvent fonctionner comme soutien pendant une à deux semaines en attendant la récupération, comme lors d'une myocardite fulminante, ou comme pont vers une assistance à long terme. La réouverture du sternum est souvent nécessaire dans l’insuffisance droite. Les arythmies doivent être traitées électriquement le plus rapidement possible (pace-maker, cardioversion). La thérapeutique de l’insuffisance ventriculaire est détaillée dans le Chapitre 12 (Défaillance aiguë du VG et Insuffisance droite). 
 
Les besoins en agents inotropes et en volume sont constamment variables après la CEC; aucun régime ne peut être défini par avance, car la situation est très évolutive. Il faut réévaluer en permanence les besoins du patient, changer d'amines selon l'hémodynamique, et suivre les besoins en vasopresseur selon les résistances vasculaires. En effet, des épisodes prolongés de vasoplégie (RAS < 800 dynes•s•cm-5) surviennent dans 5-7% des cas [6]. Ils sont liés aux médicaments (amiodarone, protamine) et aux nombreux mécanismes mis en jeu par la réaction inflammatoire systémique et par l’endotoxinémie (voir Vasoplégie) [8]. Le syndrome vasoplégique survient aussi après chirurgie à cœur battant (sans CEC), mais trois fois plus rarement. Il nécessite un traitement vascoconstricteur intense : nor-adrénaline, vasopressine, parfois bleu de méthylène (voir Chapitre 4, Vasopresseurs). En cas de tachycardie, l'usage de β-bloqueurs est extrêmement dangereux pour deux raisons: 
 
  • La dysfonction ventriculaire sous-jacente est révélée soudainement et la performance cardiaque s'effondre;
  • Le rythme accéléré peut être le seul moyen de maintenir le débit face à un volume systolique bas (sténose mitrale, HVG concentrique, hypovolémie).
Lorsque le soutien pharmacologique se révèle insuffisant, il faut songer assez tôt à la possibilité d’une assistance circulatoire : CPIA, ECMO (extracorporeal membrane oxygenation), ECLS (extracorporeal life support), assistance ventriculaire gauche, droite ou biventriculaire (voir Chapitre 12 Assistance ventriculaire). La sédation doit être profonde pour diminuer la consommation en oxygène. La ventilation en hyperoxie (FiO2 0.5-0.8) et en légère hypocapnie (la PetCO2 est basse à cause du bas débit cardiaque) est bénéfique dans les moments de crise.
 

 
Traitement de l’insuffisance ventriculaire gauche post-cardiotomie
Thérapeutique de l’insuffisance ventriculaire gauche:
    - Adéquation de la précharge et de la postcharge
    - Agents inotropes
    - CPIA 
    - ECMO, assistance ventriculaire
Le traitement ne doit pas viser seulement une augmentation de la pression artérielle, mais une amélioration du volume systolique et du debit cardiaque. Les besoins en catécholamines varient constamment dans le postopératoires et doivent être révisés en consequence dans une vision intégrée du DC, du VS, de la précharge, des RAS et de la fréquence.
 
Les agents inotropes ne sont optimalement efficaces que lorsque les éléments suivants sont sous contrôle: volémie, température, équilibre acido-basique, calcémie, Hb-Ht.


© CHASSOT PG, MUSTAKI JP, BOVY M, Juin 2008, dernière mise à jour, Décembre 2019
 

Références
 
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