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Dysfonction ventriculaire droite 

La défaillance ventriculaire droite (IVD) est liée à plusieurs phénomènes physiopathologiques.
 
  • L’hypertension artérielle pulmonaire précapillaire (HTAP): HTAP primaire idiopathique, cardiopathies congénitales, âge, obésité, SAS, cocaïne, HIV, anorexigènes, protamine.
  • L’hypertension pulmonaire postcapillaire (HTP) : pathologies du cœur gauche engendrant une stase pulmonaire (dysfonction du VG, maladie mitrale). 
  • Les pathologies pulmonaires et l’hypoxie (embolie pulmonaire, BPCO, SDRA, asthme, PEEP excessive, etc) ; la ventilation mécanique avec PEEP peut générer une Pit moyenne (> 15 cm H2O) qui voisine la pression systolique droite normale (20-25 mmHg).
  • L’augmentation de précharge : surcharge de volume par shunt gauche-droit (communication interauriculaire, fistule artério-veineuse), insuffisance tricuspidienne ou excès de volume perfusé.
  • La cardiomyopathie du VD : infarctus, ischémie aiguë, sidération, dépression contractile liée au syndrome inflammatoire (endotoxines, cytokines). 
  • L'interdépendance ventriculaire: le VD est tributaire de l'aide à l'éjection qui lui est apportée par la contraction du VG via l'épaississement systolique du septum; celle-ci est perdue en cas de défaillance gauche. 
  • S'il est soumis à une surcharge de pression simultanément à une hypotension systémique, le VD courre le risque d'une ischémie coronarienne.
Les trois premiers phénomènes sont tous responsables d’une augmentation de la postcharge du VD (voir Chapitre 12, Hypertension pulmonaire). A ces données s'ajoutent des éléments propres à la chirurgie cardiaque.
 
  • Cardioplégie insuffisante par la coronaire droite;
  • Réchauffement en cours d'intervention (le VD est en surface, exposé à la lumière);
  • Embolisation d'air (la CD est implantée très antérieurement sur l'aorte);
  • Augmentation de postcharge par un pneumothorax.
Excellente pompe-volume, le VD est une médiocre pompe-pression. Il maintient son débit sur une vaste plage de précharge, mais une augmentation de sa postcharge se traduit immédiatement par une dilatation ventriculaire (Vtd > 85 ml/m2) et une baisse de performance. Lorsqu'il s'hypertrophie sur une surcharge chronique de pression, le VD présente des caractéristiques qui se rapprochent de celles du VG; il peut alors maintenir son volume éjectionnel sur une plus vaste plage de postcharge, mais perd sa capacité à tamponner les variations rapides de volume car son débit devient précharge-dépendant. La pression systolique maximale momentanée que peut produire un VD normal est 40-60 mmHg. 
 
Dans le cadre de l’anesthésie et des soins intensifs, la prise en charge d’une IVD demande une surveillance invasive : cathéter artériel, échocardiographie transoesophagienne, cathéter pulmonaire de Swan-Ganz (mesure de la PAP, des RAP, du VS, du RVSW et de la FEVD). La thermodilution sous-estime le DC réel en cas d’insuffisance tricuspidienne majeure et le surestime lorsque l’IT est due à une défaillance droite, mais la SvO2 conserve sa relation avec le DC dans les deux cas. Avant d’aborder la thérapeutique, il est important de préciser quelques points [7]. 
 
  • La défaillance droite est un événement dangereux et difficile à traiter, qui entraîne un pronostic très sombre ; il est capital de rester très vigilant face à ce risque, particulièrement après une CEC, et d’avoir une attitude proactive dans toutes les situations à risque d’IVD [13].
  • Les organes souffrent doublement en cas de défaillance droite : le bas débit baisse la pression d’amont et la stase veineuse augmente la pression d’aval. La pression de perfusion (Partère – Pveine) est très diminuée.
  • La ventilation en pression positive doit opposer le minimum d’impédance à l’éjection du VD : pression de plateau minimale, PEEP seulement si indispensable, FiO2 0.5-0.8, fréquence basse.
  • L’hypercapnie permissive provoque une vasoconstriction pulmonaire alors que l’hyperventilation abaisse les RAP ; l’équilibre est donc à rechercher dans une hypocapnie normobarique avec le volume courant minimal pour maintenir une PaCO2 ≤ 35 mmHg.
  • Le débit du VD est très dépendant du rythme sinusal ; un pace-maker peut être nécessaire pour optimiser le traitement [3] ; une fréquence de 80-90/min raccourcit la diastole et diminue le risque de dilatation ventriculaire. Le risque d'arythmie ventriculaire est proportionnel au degré de dilatation du VD.
Le traitement de l'insuffisance ventriculaire droite comprend plusieurs points (Tableau 23.5) [7,9,10,11]. 
 
 
 
 
Il doit être agressif, car l’IVD aggrave dangereusement le pronostic et augmente fortement la mortalité postopératoire [3]. Vu l’interdépendance très étroite entre le VD et le VG (voir Chapitre 12 Rappel physiopathologique), la thérapeutique de l’insuffisance droite doit viser avant tout à rééquilibrer le jeu des pressions et des volumes entre les deux ventricules (rapport PAM/PAPm ≥ 4, septum interventriculaire convexe vers la droite).
 
  • Optimalisation de la précharge ; le VD dysfonctionnel peut nécessiter une PVC jusqu’à 12 mmHg pour assurer son débit systolique ; toutefois, l'augmentation du volume ventriculaire peut accentuer le basculement septal dans le VG et amputer le gain escompté. Un test de remplissage par élévation des jambes permet d’évaluer la situation ; il a l’avantage d’être réversible. En revanche, si la défaillance a déjà entraîné une dilatation ventriculaire et une stase en amont, il faut au contraire diminuer la précharge (PVC < 15 mmHg) : dérivés nitrés, diurétiques, position de contre-Trendelenburg, drainage par les canules de CEC. Il faut se souvenir qu’un VD dysfonctionnel tolère aussi mal l’hypo- que l’hypervolémie.
  • Baisse de la postcharge (voir Chapitre 12 Traitement de l’hypertension pulmonaire) : comme le VD est très sensible à la postcharge, la diminution de l'impédance et de la résistance augmente efficacement le volume éjecté ; on utilise à cet effet les substances qui présentent un effet dilatateur pulmonaire majeur. Les agents vasodilatateurs inhalés (NO, prostacycline, milrinone, nitroglycérine), l’hyperoxie (FiO2 0.8-1.0), l’hyperventilation normobarique et la correction de l’acidose ont l’avantage de n’avoir aucun effet systémique, alors que les hypotenseurs administrés par voie générale abaissent également la pression artérielle, ce qui accentue la dyskinésie septale et diminue la pression de perfusion coronarienne droite. D’autre part, les vasodilatateurs inhalés sont distribués préférentiellement aux zones bien ventilées, alors que les vasodilatateurs systémiques inhibent la vasoconstriction pulmonaire hypoxique et entraînent une hypoxémie. A l’exception du sildénafil, les vasodilatateurs pulmonaires sont potentiellement dangereux dans les hypertensions pulmonaires liées à une stase gauche (défaillance du VG, maladie mitrale), car ils augmentent le flux et la congestion en amont de l’OG ; le risque est un OAP. La baisse de la PAP n’est pas obligatoirement un succès thérapeutique, car elle peut être due à une perte fonctionnelle du VD (voir Figure 12.7B).
  • Vasodilatateurs pulmonaires : époprostenol en perfusion, iloprost en inhalation ou treprostinil sous-cut/iv, inhibiteurs de la phosphodiestérase-5 (sildenafil, iv ou per os), inhibiteur du récepteur de l’endothéline (bosentan per os); ces dernières substances sont également efficaces pour minimiser l’effet rebond à l’arrêt du NO [1]. L’iloprost en inhalation (10-20 mcg en 20 min) est au moins aussi efficace que le NO (10-30 ppm) pour diminuer la PAP après une CEC; son administration est plus simple et moins onéreuse [13]. L’effet de la milrinone en nébulisation est discutable vu la probable absence de récepteurs IPDE-3 pulmonaires. 
  • Stimulation de la contractilité : amines sympathicomimétiques à effet β1 (dobutamine, isoprénaline), inhibiteurs de la phosphodiestérase-3 (amrinone, milrinone), sensibilisateur calcique (levosimandan) [4,5]. Le levosimendan est un inodilatateur qui abaisse les RAP ; il est le seul agent qui abaisse également la mortalité [8]. L’efficacité de la milrinone et du levosimendan dans la défaillance droite tient probablement au fait que le VD répond moins bien que le VG aux stimulants béta-1 [12]. La dopamine et la digitale sont contre-indiquées parce qu’elles augmentent les RAP.
  • Optimisation du rythme cardiaque : la fréquence idéale est de 75-90 batt/min, car la bradycardie allonge la diastole et contribue ainsi à la dilatation du ventricule. La perte du rythme sinusal peut entraîner une décompensation.
  • Maintien du gradient de pression entre les deux ventricules (rapport PAM/PAPm ≥ 4.0) et de la géométrie du VD pour éviter le basculement septal vers la gauche et épauler la contraction du VD par celle du VG. Une dyskinésie septale entraîne la perte de 30-40% de l’efficacité éjectionnelle droite. Si le VD devient globulaire par un bombement vers la gauche, les myofibrilles longitudinaux, qui sont le moteur principal de l’éjection droite, perdent leur alignement normal et leur contraction devient moins efficace. L’augmentation de la postcharge gauche (vasoconstricteur systémique) tend à rétablir la position normale du septum interventriculaire (arrondi vers la droite) et à améliorer l’assistance par le VG.
  • Maintien de la perfusion coronaire droite : une perfusion de nor-adrénaline et/ou de vasopressine est indiquée afin de maintenir un gradient suffisant entre la pression aortique et la pression systolique du VD ; la faible population de récepteurs α pulmonaires et l’absence de récepteurs à la vasopressine dans les poumons font que la pression systémique s’élève mais non la pression pulmonaire [2,6]. Une contre-pulsion intra-aortique peut être utile pour maintenir la pression de perfusion coronarienne.
  • En salle d'opération, non fermeture du péricarde et du sternum, ou réouverture en postopératoire. Lorsque la Ptd du VD est ≥ 15 mmHg, la paroi ventriculaire est en butée contre le péricarde ; l’ouverture de celui-ci augmente la compliance du VD et relâche la compression opérée sur le VG par le basculement diastolique du septum interventriculaire ; cette technique permet de tolérer la dilatation due à la dysfonction droite sans conprimer le cœur gauche.
  • Assistance ventriculaire par une ECMO, une assistance externe (TandemHeart™, Impella™) ou un ventricule artificiel (Thoratec™, HeartMate II™) ; l’indication est une défaillance droite potentiellement réversible due à une insuffisance respiratoire ou à une hypertension pulmonaire réfractaire au traitement médical maximal.
Le marqueur de l’efficacité du traitement n’est pas une baisse de la PAP, mais une baisse de la PVC et une augmentation du volume systolique. 

 
 
Traitement de l’insuffisance ventriculaire droite
Le traitement est basé sur quatre principes:
    - Optimalisation de la précharge
    - Baisse de la postcharge
    - Rétablissement de l’interdépendance ventriculaire physiologique
    - Amélioration de la contractilité
 
Précharge: 
    - Maintenir PVC élevée (10-12 mmHg) si insuffisance primaire de la contractilité droite
    - Veiller à éviter la dilatation du VD et de l’OD
    - Baisser la PVC en cas d’insuffisance congestive (nitrés, diurétiques)
Postcharge:
    - Hyperventilation (PaCO2 < 35 mmHg)
    - Agents inhalés (NO•, iloprost, milrinone), sans effet hypotenseur systémique
    - Vasodilatateur pulmonaire: prostacycline, inhibiteur des phosphodiestérases-5 (sildenafil), inhibiteur de l’endothéline (bosentan), nitroglycérine
Interdépendance:
    - Vasoconstriction systémique (noradrénaline, vasopressine, CPIA)
    - Maintien de la cinétique du septum interventriculaire (bombé vers la droite, aide au VD)
    - Maintien de la pression de perfusion coronarienne
    - Rapport PAM/PAPm > 3
Contractilité:
    - Catécholamines sans effet α (dobutamine, isoprénaline)
    - Inodilatateur (milrinone, levosimendan), le plus souvent associé à la nor-adrénaline
Autres:
    - Décompression: non-fermeture ou réouverture du péricarde et du sternum
    - ECMO, assistance ventriculaire droite
 
La baisse de la PAP peut être due à une perte fonctionnelle du VD. Monitorage spécifique: RAP. Critères d’amélioration de la fonction droite: baisse de la PVC, augmentation du VS, repositionnement physiologique du septum interventriculaire.


© CHASSOT PG, MUSTAKI JP, BOVY M, Juin 2008, dernière mise à jour, Octobre 2018
 

Références 
 
  1. ATZ AM, WESSEL DL. Sildenafil ameliorates effects of inhaled nitric oxide withdrawal. Anesthesiology 1999; 91:307-10
  2. BRAUN EB, PALIN CA, HOGUE CW. Vasopressin during spinal anesthesia in a patient with primary pulmnary hypertension treated with intravenous epoprostenol. Anesth Analg 2004; 99:36-7
  3. HADDAD F, DOYLE R, MURPHY DJ. HUNT SA. Right ventricular function in cardiovascular disease, Part II. Pathophysiology, clinical importance and management of right ventricular failure. Circulation 2008; 117:1717-31
  4. KHAZIN V, KAUFMAN Y, ZABEEDA D, et al. Milrinone and nitric oxide: combined effect on pulmonary artery pressure after cardiopulmonary bypass in children. J Cardiothor Vasc Anesth 2004; 18:156-9
  5. KIKURA M, SATO S. The efficacy of preemptive milrinone or amrinone therapy in patients undergoing coronary artery bypass grafting. Anesth Analg 2002; 94:22-30
  6. KWAK YL, LEE CS, PARK YH, et al. The effect of phenylephrine and norepinephrine in patients with chronic pulmonary hypertension. Anaesthesia 2002; 57:9-14
  7. LAHM T, McCASLIN CA, WOZNIAK TC, et al. Medical and surgical treatment of acute right ventricular failure. J Am Coll Cardiol 2010; 56:1435-46
  8. POLLESELLO P, PARISSIS J, KIVIKKO M, et al. Levosimendan meta-analyses: is there a pattern in the effect on mortality ? Int J Cardiol 2016; 209: 77-83
  9. SIMON MA. Assessment and treatment of right ventricular failure. Nat Rev Cardiol 2013; 10:204-18
  10. THUNBERG CA, GAITAN BD, GREWAL A, et al. Pulmonary hypertension in patients undergoing cardiac surgery: Pathophysiology, perioperative management, and outcomes. J Cardiothorac Vasc Anesth 2013; 27:551.72
  11. VANDENHEUVEL MA, BOUCHEZ S, WOUTERS P, DE HERT SG. A pathophysiological approach towards right ventricular function and failure. Eur J Anaesthesiol 2013; 30:386-94
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  13. WINTERHALTER M, ANTONIOU T, LOUKANOV T. Management of adult patients with perioperative pulmonary hypertension: technical aspects and therapeutuc options. Cardiology 2010; 116:3-9
23. Complications après chirurgie cardiaque