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Infarctus myocardique

Diagnostic
 
Après des PAC, l’incidence d’infarctus myocardique oscille entre 0.1% et 15% selon la gravité des cas, avec une moyenne de 2.4% à 3.4% [11,12], mais le mode de définition de l’infarctus postopératoire est un problème majeur : son incidence peut varier de 3-14% sur la base de l’ECG à 20-31% sur celle de l'IRM (voir Chapitre 9 Ischémie et infarctus) [5].  La mortalité liée à cette complication est de 10-15% ; elle est due pour deux tiers à une insuffisance ventriculaire et pour un tiers à des arythmies. Les causes possibles impliquées dans la genèse de l’infarctus postopératoire sont multiples [11].
 
  • Etendue distale des lésions coronariennes;
  • Infarctus récent (< 1 semaine);
  • Thrombose coronarienne aiguë et opération en urgence, réopération après PAC;
  • Demande myocardique excessive en O2 (tachycardie, frissons) et apport insuffisant en O2 (hypotension, anémie, hypoxémie), particulièrement entre l'induction et la revascularisation;
  • Protection myocardique inefficace (cardioplégie inadéquate);
  • Lésions de reperfusion (hyperactivation des pompes Na+-H+ conduisant à une accumulation de Ca2+ intracellulaire);
  • Revascularisation incomplète;
  • Problèmes techniques au niveau des anastomoses, spasme de pontages artériels;
  • Embolisation d'air ou de fragments athéromateux.
L’âge et la dysfonction du VG n’apparaissent pas comme des facteurs de risque indépendants, mais les épisodes d’ischémie peropératoire, notamment avant la CEC, sont un facteur de risque pour l’infarctus postopératoire ; ces épisodes sont très souvent associés à une tachycardie [6]. La persistance d’anomalies de la contraction segmentaire (ACS) du VG après la CEC est un facteur de mauvais pronostic, directement lié l’incidence d’infarctus postopératoire (Vidéo) [8]. Dans une étude sur les revascularisations à cœur battant, 71% des complications cardiaques postopératoires se retrouvent chez les patients qui n'ont pas récupéré de leur ACS en peropératoire, mais aucune complication n'est enregistrée chez ceux qui ont une contractilité segmentaire normale en fin d'intervention [9]. L’ETO, qui est un bon indice de lésion tronculaire potentiellement corrigible par une reprise chirurgicale, ne permet pas de diagnostiquer un infarctus sous-endocardique, même étendu.


Vidéo: akinésie totale de la paroi antérieure du VG survenue au cours d'une anastomose sur l'IVA à coeur battant (vue mi-oesophagienne 2-cavités).
 
La persistence à 48 heures d'un sous-décalage ST, d'un bloc de branche gauche (BBG) nouveau, d'une inversion profonde de l'onde T (typique des lésions de reperfusion) et d'arythmies ventriculaires laisse suspecter une ischémie myocardique active. La présence d’une onde Q traduit une lésion transmurale, mais de petites zones sous-endocardiques peuvent échapper à la détection. Les akinésies segmentaires à l'échocardiographie peuvent être dues à une ischémie active sans infarcissement, à la sidération, à l'hibernation, à l'embolisation de particules athéromateuses ou à un problème de préservation myocardique avec la cardioplégie. 
 
Bien qu’elles ne permettent pas de faire la différence entre une ischémie et les dégâts de l’intervention chirurgicale elle-même, les troponines sont un indicateur assez spécifique d’infarctus en chirurgie cardiaque [1,2,15]. Mais une élévation isolée de ≤ 10 fois la LSR survient dans la majorité des patients qui subissent des pontages aorto-coronariens (PAC), notamment lorsqu'on teste les troponines à haute sensibilité (TnT-hs) [18]. Pour éviter une surestimation de l'infarctus, on a proposé de relever le taux de troponines à > 70 fois la LSR en valeur isolée et de > 35 fois la LSR lors d'association avec une onde Q sur l'ECG [10]. Si la valeur préopératoire était déjà anormale, la même élévation s'applique à partir de cette valeur de base. La retransfusion de sang médiastinal complique le diagnostic biologique de l’infarctus, car l’autotransfusion augmente artificiellement le taux des marqueurs habituels [17]. D'autre part, les biomarqueurs sont considérablement plus élevés en cas d'opération valvulaire combinée et après revascularisation en CEC plutôt qu'à cœur battant (OPCAB) [16].
 
Conventionnellement, l'infarctus postopératoire après revascularisation chirurgicale (infarctus de type 5) est diagnostiqué sur la base des éléments suivants [16].
 
  • Montée et descente typiques du taux de troponine (TnT-hs) avec un pic (> 10 fois la valeur du 99ème percentile) après l'acte chirurgical (en l'absence d'autre explication, telle une embolie pulmonaire), en combinaison avec l'un au moins des éléments suivants :
    • Douleurs ischémiques (peu fréquentes).
    • Apparition progressive d'onde Q pathologiques (≥ 30 ms dans 2 dérivations ECG contiguës).
    • Modifications du segment ST (sus-décalage ≥ 1 mm, sous-décalage ≥ 1-2 mm) dans au moins 2 dérivations contiguës ; apparition d’un bloc de branche gauche.
    • Inversion symétrique de l'onde T (> 1 mm).
    • Nouvelles altérations de la cinétique segmentaire à l'échocardiographie (lésion impliquant > 20% de l'épaisseur de la paroi myocardique).
  • Intervention sur les coronaires (pontage aorto-coronarien).
  • Image coronarographique de thrombose de vaisseaux natifs, de stents ou de greffons.
  • Infarctus aigu ou cicatrisé à la pathologie.
 
Lorsqu’on a un doute, l’IRM est l’examen le plus sensible et le plus spécifique, mais il implique un déplacement compliqué pour un malade de soins intensifs. 
 
Traitement
 
Le traitement est basé sur le soutien hémodynamique (rapport DO2/VO2 adéquat, levosimendan, contre-pulsion intra-aortique, assistance ventriculaire) et sur la revascularisation. L'incidence d'échec sur les greffons voisine 3-5%: 3-12% pour les greffons veineux, 3-4% pour l'artère radiale et 1-2% pour l'artère mammaire interne [14]. La clinique est variable: difficulté à sortir de pompe, instabilité hémodynamique, arythmies réfractaires ou choc cardiogène. Les taux de troponines sont particulièrement élevés lors d'occlusion de pontage: > 45 fois la limite supérieure de référence (LSR) à 12 heures et > 70 fois la LSR à 24 heures, alors que l'ECG ou l'imagerie cardiologique sont peu spécifiques [13]. Dans 80% des cas, la coronarographie révèle une thrombose, une coudure, une sténose, un spasme artériel ou une revascularisation incomplète [7]. Comme une réintervention précoce limite l'étendue de l'infarcissement, il est recommandé de procéder rapidement à une coronarographie dès que la suspicion est fondée (Figure 23.16). La PCI avec pose de stent est efficace dans les lésions situées sur les artères natives et dans les greffons artériels, mais décevante dans les greffons veineux et sur les sites d'anastomose. La revascularisation chirurgicale est préférée lorsque l'anatomie ne se prête pas à une reconstruction endovasculaire ou lorsque le territoire incriminé est très important [19]. Pour éviter de nouvelles lésions d'ischémie-reperfusion lors de la CEC, il peut être préférable de procéder à un pontage à cœur battant avec le soutien hémodynamique de la machine cœur-poumon mais sans cardioplégie ni clampage aortique [14].
 

Figure 23.16: Algorithme de prise en charge d'un infarctus en cours après une revascularisation coronarienne chirurgicale en CEC. Le degré d'élévation des troponines (Tn) et les altérations électriques définissent la marche à suivre. Lorsque la suspicion d'infarctus est élevée, on procède en urgence à une coronarographie. PAC: pontage aorto-coronarien [14].
 
La prise en charge de l'infarctus postopératoire suit les mêmes lignes directrices que celles d'un infarctus avec ou sans sus-décalage du segment ST (STEMI ou non-STEMI), selon l'aspect de l'ECG (Tableaux 23.10 et 23.11).

 

 
Spasme coronaire
 
Le spasme d'un segment coronarien épicardique est peu fréquent, mais celui d'un pontage artériel (artère radiale) est plus commun. Il est lié au stimulus sympathique, à l'utilisation de catécholamine à effet alpha ou de calcium, à l'hypothermie ou à l'hypomagnésémie; il a été décrit sur odansetron [3,4]. Il se présente habituellement comme une surélévation persistante du segment ST accompagnée d'une hypokinésie sévère des segments concernés à l'échocardiographie. L'angiographie est requise pour assurer le diagnostic: le flux est ralenti dans un vaisseau filiforme; le spasme cède à l'injection intra-coronarienne de nitroglycérine ou de bloqueur calcique. 
 
Outre la prise en charge habituelle d'une ischémie, le traitement est basé essentiellement sur les bloqueurs calciques.
 
  • Correction de l'hypomagnésémie.
  • Nitroglycérine 0.5-1.0 mcg/kg/min.
  • Pas d'administration de calcium intraveineux.
  • Si un agent inotrope est nécessaire, un inodilatateur est préférable (milrinone).
  • Bloqueur calcique (spécifique).
    • Diltiazem: bolus 0.25 mg/kg iv lent, puis perfusion 0.1 mg/kg/h; risque de bradycardie.
    • Nicardipine: dose de charge 0.3-1.0 mg/min, puis perfusion 1-15 mg/h; risque d'hypotension.
  • Statines per os.

 
Infarctus postopératoire
En chirurgie cardiaque, le taux d’infarctus postopératoire après PAC varie en moyenne de 2 à 4%. Les épisodes d'ischémie peropératoires et la persistence d'altérations de la cinétique segmentaire après revascularisation sont des marqueurs d'une augmentation du risque d'infarctus postopératoire. La définition de l’infarctus postopératoire est basée sur l’ECG, les troponines (> 10 fois la valeur du 99ème percentile), l’échocardiographie et l'angiographie. Dans les cas douteux, l’IRM est l’examen non-invasif qui a la plus grande sensibilité et la plus grande spécificité.


© CHASSOT PG, MUSTAKI JP, BOVY M, Juin 2008, dernière mise à jour, Octobre 2018
 

Références
 
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23. Complications après chirurgie cardiaque